B A C T É R I O L O G I E Mécanismes de résistance aux fluoroquinolones : données récentes J. Tankovic*, C.J. Soussy* RÉSUMÉ. La résistance aux quinolones survient uniquement par mutation chromosomique et deux types de mutations sont classiques : celles survenant dans les gènes de structure (gyrA et gyrB) de l'ADN gyrase, topo-isomérase bactérienne qui est une cible intracellulaire des qui nolones, et celles conduisant à un défaut d’accumulation de l'antibiotique. Les mutations gyrA sont plus fréquemment impliquées dans la résis tance des souches cliniques que les mutations gyrB. Une donnée récente est que la résistance peut aussi être liée à la survenue de mutations dans les gènes de structure (parC et parE) codant pour une seconde topo-isomérase bactérienne, l'ADN topo-isomérase IV. Chez les bactéries à Gram négatif (entérobactéries, Haemophilus influenzae), ce dernier mécanisme semble jouer un rôle secondaire : l'expression d'une muta tion dans les gènes par est conditionnée par la présence préalable d’une mutation dans le gène gyrA ; la gyrase est donc la cible primaire, mais la survenue d’une mutation dans les gènes parC ou parE chez une souche déjà résistante par mutation dans le gène gyrA confère un niveau de résistance plus élevé. Chez Staphylococcus aureus, au contraire, la cible primaire est cette fois la topo-isomérase IV. Les mutations dans le gène gyrA ne confèrent une résistance qu’en cas de présence préalable d’une mutation dans le gène parC. Enfin, chez Streptococcus pneumoniae et Mycoplasma hominis, la cible primaire varie en fonction de la fluoroquinolone considérée. Mots-clés : Quinolones - Résistance - ADN gyrase - ADN topo-isomérase IV. L es fluoroquinolones, antibiotiques à large spectre actifs notamment sur les bacilles à Gram négatif de type entéro b a c t é ri e s , le bacille pyo cyanique et les staphylocoques, ont été introduites en thérapeutique humaine en 1984 et sont maintenant utilisées massivement à l’échelle mondiale. Le corollaire de ce succès a été l’apparition, puis l’augmentation des souches présentant une résistance acquise dans la plupart des espèces bactériennes initialement sensibles. Afin de limiter ce phénomène, il est notamment important de comprendre en détail comment les quinolones agissent et comment les bactéries deviennent cap ables de leur résister. Cet art i cl e fait le point sur les connaissances actuelles acquises dans ces domaines. MÉCANISME D’ACTION DES QUINOLONES Inhibition des ADN topo-isomérases de type II Les quinolones exercent une inhibition sélective de la synthèse de l’ADN bactérien, et on sait depuis longtemps qu’une topoi s o m é rase dénommée ADN gy rase constitue une cible intracellulaire des quinolones. Les topo-isomérases sont des enzymes capables de modifier la topologie de l’ADN, c’est-à-dire le degré de torsion de la doubl e hélice : celle-ci peut en effet se trouver dans un état relâché ou bien surenroulé positivement ou négativement (c’est-à-dire, en * Service de bactériologie, virologie, hygiène, Hôpital Henri-Mondor, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil Cedex. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998 fait, sous-enroulé) et la gyrase est la seule topo-isomérase bact é rienne capable de sure n rouler négativement l’ADN. Elle possède une stru c t u re tétra m é ri q u e, avec deux sous-unités A (GyrA) et deux sous-unités B (GyrB), codées respectivement par les gènes gyrA et gyrB. L’activité enzymatique de la gyrase est ATP-dépendante et peut être décomposée en trois étapes : coupure double-brin de l’ADN ; passage d’un autre segment d’ADN par la coupure ; refermeture de la coupure. Au moment de la form ation de celle-ci, l’ADN et la gy rase sont liés de manière covalente au niveau d’une tyrosine en position 122 de GyrA (séquence de E. coli prise comme référence) (1). Les quinolones sont cap ables de se fi xer sur ce complexe covalent ADN-enzyme, le rendant irr é ve rs i bl e. La nat u re précise des interactions moléculaires existant au sein du complexe ternaire A D N - gy rase-quinolone n’est cependant pas bien connu e. Le blocage de l’enzyme sur l’ADN empêcherait la progression de l’ADN polymérase bactérienne au cours de la réplication, d’où l’inhibition des synthèses d’ADN et donc de la croissance bactérienne. Mais les quinolones sont des antibiotiques bactéricides, pas seulement bactériostatiques, et d’autres mécanismes doivent entrer en jeu. On pense que les coupures d’ADN doubl e - b rin stabilisées par les quinolones constituent des lésions non réparables de l’ADN, capables de déclencher l’activation de certaines synthèses protéiques, responsables de la bactéricidie (2). On s’est rendu compte récemment qu’une autre topo-isomérase bactéri e n n e, l’ADN topo-isomérase IV, est une seconde cible intracellulaire des quinolones. Cette enzyme a été décou195 B A C T É R I verte en 1990 chez E. coli (3) et a été retrouvée par la suite chez d’autres espèces bactériennes. Elle a, comme la gyrase, une structure tétramérique C2E2 : deux gènes, parC et parE, codent respectivement pour les sous-unités C (ParC) et E (ParE). La topo-isomérase IV semble avoir un rôle spécifi q u e,le désench ev ê t rement des ADN fils en fin de réplication. Les quinolones sont capables d’inhiber in vitro et in vivo l’activité de cette enzyme. Pénétration des quinolones dans la bactérie Pour atteindre leurs cibles intracytoplasmiques, les quinolones doivent bien sûr traverser les enveloppes bactériennes, et il est admis que ce passage s’effectue par diffusion passive uniquement. On sait également que la membrane externe des bactéries à Gram négatif constitue un obstacle à la pénétration des quinolones ; les plus hydrophiles (comme la norfloxacine et la ciprofloxacine) empruntent la voie des porines et les plus hy d rophobes (comme la sparfl oxacine et la péfl oxacine) sembl e n t capables, en chélatant les ions magnésium présents à la surface de la membrane externe, de désorganiser le lipopolysaccharide puis de diffuser à travers la bicouche lipidique (1). Une notion récente concernant les quinolones est qu’il existe des systèmes cap ables d’excréter activement une fraction de l’antibiotique ayant pénétré, ceci aussi bien chez les bactéries à Gram positif comme Staphylococcus aureus (4) que chez les bactéries à Gram négatif comme E. coli ou Pseudomonas aeru ginosa (5). Ces pompes d’efflux ne sont en fait pas spécifiques des quinolones mais excrètent de nombreux composés de stru cture chimique très différente, dont d’autres antibiotiques. Elles contribuent à fixer le niveau de sensibilité intrinsèque aux quinolones des bactéries, mais peuvent aussi être impliquées dans la résistance acquise, comme nous le verrons. O G I E RÉSISTANCE PAR MODIFICATION DE L’ADN GYRASE Il est classiquement admis que c’est le mécanisme principal de résistance aux quinolones. La modification, secondaire à une mu t ation chromosomique,peut toucher soit la sous-unité A, cas le plus fréquent, soit la sous-unité B. Modification de la sous-unité A Le mutant nalA de E. coli, décrit en 1969, a été l’un des premiers mutants résistants aux quinolones étudiés (6). La mutation nalA était récessive et conférait un haut niveau de résistance à l’acide nalidixique. Des travaux ultérieurs ont apporté la preuve que la mutation nalA était en fait un allèle de gyrA. Par la suite, de nombreuses autres études ont confirmé l’importance des mutations gyrA dans la résistance aux quinolones chez E. coli et ont montré qu’elles se localisaient toujours dans une région du gène très conservée entre les différentes espèces et qui a été appelée quinolone re s i s t a n c e - d e t e rmining regi o n ou QRDR (tableau I) (7). Tableau I. Substitutions de la protéine GyrA associées à la résistance aux quinolones chez E. coli. Position Substitution Augmentation de CMI (x) Acide nalidixique Les bactéries peuvent devenir résistantes à certains antibiotiques, par exemple aux bêtalactamines ou aux aminosides, grâce à l’acquisition de gènes de résistance portés par des éléments génétiques mobiles comme les plasmides ou les transposons. Ceci n’a jamais été observé dans le cas des quinolones[1]. 196 O Il s’agit ici de mutations spontanées dans certains gènes chromosomiques qui réduisent la sensibilité de la bactérie par deux grands mécanismes : diminution d’affinité des cibles intracell u l a i res que sont les complexes ADN-ADN gy rase et ADNADN topo-isomérase IV, et diminution d’accumulation intracellulaire de l’antibiotique, par défaut de pénétration passif et/ou excrétion active. Il n’a encore jamais été décrit de résistance aux quinolones par inactivation de l’antibiotique. Il est à noter que la résistance est croisée pour la majorité des quinolones. Cependant, le degré d’augmentation des concentrations minimales inhibitrices (CMI) peut va rier de façon importante en fonction des molécules. GÉNÉRALITÉS SUR LES MÉCANISMES DE RÉSISTANCE AUX QUINOLONES [1] Le premier cas de résistance plasmidique transférable aux quinolones a été rapporté très récemment (Martinez-Martinez L., Pascual A., Jacoby G.A. Quinolone resistance from a transferable plasmid. Lancet 1998 ; 351 : 797-9). Un plasmide de résistance aux bêtalactamines, provenant d’une souche clinique multirésistante de Klebsiella pneumoniae, confère une résistance de bas niveau aux fluoroquinolones (CMI de la ciprofloxacine allant de 0,125 à 0,5 mg/l) quand on l’introduit par conjugaison chez des souches sensibles de la même espèce mais aussi de E. coli, Citrobacter freundii, Salmonella typhimu rium et même P. aeruginosa. De plus, l’acquisition de ce plasmide par des souches présentant une déficience en porines conduit cette fois à des résistances de haut niveau aux fluoroquinolones (CMI de la ciprofloxacine allant jusqu’à 32 mg/l). Plus inquiétant encore, des mutants plus résistants aux fluoroquinolones sont obtenus à partir des souches hébergeant le plasmide avec une fréquence élevée, au moins cent fois supérieure à celles observées avec les souches dénuées de plasmide. Le mécanisme biochimique de cette résistance n’est pas encore élucidé. Il est clair que l’existence de tels plasmides dans la nature fait craindre une extension rapide des résistances acquises aux fluoroquinolones chez les bacilles à Gram négatif. L Ciprofloxacine 67 A l a Ser 8 4 81 G l y Cys 16 8 81 G l y Asp 1 8 82 Asp G lya 1 8 83 Ser A l a 20 10 83 Ser L e u 128 32 83 S e r T rp 128 32 83 S e r T yr – – 84 A l a Pro 8 8 87 Asp A s n 64 16 87 A s p V al – – 87 A s p T yr – – 87 Asp G ly 64 16 106 Gln Arg 2,5 10 106 Gln His 4 4 a Mutation spontanée détectée chez une souche ayant déjà une mutation en position 81 (Gly Asp). Un mutant en position 82 seulement peut toutefois être obtenu par mutagenèse dirigée. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998 Cette région se situe entre les codons 67 et 106 (pour la séquence de E. coli), près de l’extrémité 5’ du gène, dans une région très conservée entre les espèces et correspondant au site actif de l’enzyme. La présence de mu t ations gy r A chez des souches résistantes aux quinolones a également été re t rouvée dans toutes les espèces bactériennes où une telle recherche a été effectuée. Les mu t ations qui ont été identifiées sont très voisines de celles décrites chez E. coli, tant au niveau de la position des mutations que des substitutions induites. Il a été montré également que deux mu t ations gy r A pouvaient être présentes dans une même souche, ceci s’associant à un niveau de résistance plus élevé (8). Certaines mu t ations gyrA découvertes récemment chez Salmonella typhimu ri u m constituent une exception, puisqu’elles se situent au niveau du codon 119, donc légèrement en d e h o rs de la QRDR telle qu’on la définit classiquement (9). Modification de la sous-unité B Chez E. coli, deux mutations dans le gène gyrB conférant la résistance aux quinolones, les mutations nalC et nalD, ont été décrites dès 1986 (tableau II) (10). Le phénotype de résistance conféré par la mutation nalC constitue d’ailleurs un exemple de résistance non croisée entre les différentes quinolones : il y a résistance à l’acide nalidixique mais, au contraire, hypersensibilité vis-à-vis des quinolones dont la stru c t u rechimique comporte un cycle pipérazinyle, ceci étant le cas des fluoroquinolones. Des mutations gyrB ont aussi été détectées dans d’autres espèces bactéri e n n e s ( t ableau II) (7). Cependant, elles ne s’observent que rarement chez les souches d’isolement clinique. La prédominance in vivo des mu t ations gy r A s’explique pro b ablement par le fait que celles-ci confèrent un plus haut niveau de résistance et donc un avantage sélectif supérieur. Tableau II. Substitutions de la protéine GyrB associées à la résistance aux quinolones. Espèce Locus Position (position correspondante chez E. coli) Substitution Escherichia coli Escherichia coli nalD nalC 426 447 A s p Asn Ly s Glu Salmonella typhimurium Neisseria gonorrhoeae – – 463 (463) 419 (426) S e r T yr A s p Asn Staphylococcus aureus Staphylococcus aureus – – 437 (426) 458 (447) A s p Asn A r g Gln Mycobacterium tuberculosis – 495 (426) A s p His RÉSISTANCE PAR MODIFICATION DE L’ADN TOPO-ISOMÉRASE IV La découverte que des mutations dans les gènes de structure de l’ADN topo-isomérase IV pouvaient être impliquées dans la résistance aux quinolones constitue indiscutablement l’avancée récente majeure en ce qui concerne l’élucidation des mécanismes de résistance à cette classe d’antibiotiques. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998 Mutations dans le gène parC chez S. aureus (tableau III) Tableau III. Substitutions de la protéine ParC associées à la résistance aux quinolones chez S. aureus. Position du codon Substitution 80a 80 84 84 116 116 a Ser P h e S e r T yr Glu Lys Glu Leu A l a Pro A l a Glu La position 80 de ParC correspond à la position 84 de GyrA chez S. aureus. Les premiers éléments en faveur du rôle de la topo-isomérase IV dans la résistance sont venus d’études menées chez S. aureus. Dans cette espèce, un nouveau locus de résistance, appelé flqA, fut découvert en 1991 : ce locus était distinct de gy r A - gy r B ainsi que du gène norA (gène impliqué dans la résistance par efflux actif, comme nous le verrons) (11). De plus, il paraissait très important dans la résistance, puisque les douze mutants étudiés dans ce travail, sélectionnés in vitro en une étape par exposition à la cipro fl oxacine, présentaient une mu t ation fl q A. D’autres travaux menés en parallèle montrèrent en outre que, chez S. aureus, à la diff é rence de ce qui s’observe chez les bacilles à Gram négat i f, les mutations gy r A ne surviennent jamais à la première étape de sélection mais au cours d’étapes ultérieures. Le clonage et le séquençage des gènes parC (encore appelés grlA) et parE (encore appelés grlB) de S. aureus ont été réalisés en 1994 (12). L’analyse par séquençage de huit souches cliniques résistantes aux quinolones à bas ou à haut niveau a montré qu’elles possédaient toutes une mutation dans le gène parC au niveau du codon 80 conduisant à une substitution Ser T yr ou Ser Phe (12). Il existe en effet au sein du gène parC une région très homologue à la QRDR de gyrA (la Ser80 de ParC correspondant à la Ser84 de GyrA chez S. aureus) et qui est impliquée dans la résistance aux quinolones (figure 1). Cette région peut donc être appelée la QRDR de parC. 64 ParC 80 84 103 AKTVGDVIGQYHPHGDSSVYEAMVRLSQDWKLRHVLIEMH GyrA ARIVGDVMGKYHPHGDSSIYEAMVRMAQDFSYRYPLVDGQ 68 * **** 84 * ******** 88 ****** 107 ** * * * acides aminés conservés ; les acides aminés soulignés sont ceux où des substitutions associées à la résistance ont été observées. Figure 1. Alignement des séquences peptidiques partielles de GyrA et ParC de S. aureus. Une étude récente a confi rmé que les mu t ations fl q A étaient bien des allèles de parC (13). Certaines des mu t ations parC d é c rites dans ce travail se situent au niveau du codon 116 et sont tout à fait comparables aux mu t ations du codon 119 de 197 B A C T É R I GyrA observées chez S. typhimurium. Dans cette même étude, des arguments génétiques directs ont apporté la preuve que la topo-isomérase IV est bien la cible pri m a i re des quinolones chez S. aureus : l’introduction, par éch a n ge allélique, d’une mu t ation gy r A dans le ch romosome d’une souche sauvage n’entraîne aucune modification de sensibilité aux quinolones ; en revanche, si la mutation gyrA est introduite dans une souche résistante de bas niveau par mu t ation parC, on observe une augmentation de la résistance. Mutations dans les gènes parC ou parE chez Streptococcus pneumoniae et Mycoplasma hominis Les travaux réalisés chez S. pneumoniae ont d’abord donné des résultats similaires à ceux observés chez S. aureus : l’émergence de la résistance, aussi bien in vitro qu’in vivo, est largement liée à la survenue de mutations dans le gène parC ; chez un mutant parC, l’acquisition d’une seconde mutation dans le gène gyrA confère un niveau de résistance plus élevé (14). De plus, une mutation dans le gène parE, tout à fait comparable à certaines des mutations décrites au niveau du gène gyrB, a été impliquée dans la résistance chez certains mutants sélectionnés in vitro (15). D’après ces travaux, il apparaissait donc que l’ADN topo-isomérase IV était la cible pri m a i re des fl u o roquinolones chez S. pneumoniae comme chez S. aureus. Cependant, un travail récent a montré que, chez le pneumocoque, la cible primaire est en fait variable en fonction de l’antibiotique considéré (16) : les mutations sélectionnées in vitro en utilisant comme agent sélecteur la ciprofloxacine se situent effectivement dans le gène parC ; mais si l’on utilise la sparfloxacine, les mutations surviennent alors dans le gène gyrA. Chez M. hominis, bactérie totalement dépourvue de paroi mais génétiquement ap p a rentée aux bactéries à Gram positif, des r é s u l t ats similaires ont été obtenu s (17) : les mu t ations dans les gènes gyrA et parC sont impliquées dans la résistance, et la c i ble pri m a i re varie également en fonction de la quinolone considérée. Mutations dans les gènes parC ou parE chez les bactéries à Gram négatif Chez E. coli, l’ADN topo-isomérase IV est aussi impliquée dans la résistance aux quinolones, mais en tant que cible secondaire cette fois. L’introduction d’une mutation parC, par remplacement allélique, ne modifie pas la sensibilité aux quinolones d’une souche sauvage, mais elle augmente le niveau de résistance d’un mutant gyrA (18). Des mu t ations parC ont aussi été retrouvées dans des souches cliniques hautement résistantes aux quinolones. Par ailleurs, une mutation dans le gène parE (substitution Leu445 His) impliquée dans la résistance aux quinolones d’un mutant in vitro, mais dont l’expression est là encore conditionnée par la présence concomitante d’une mutation gyrA, a aussi été décrite (19). Des résultats similaires à ceux obtenus chez E. coli ont aussi été obtenus chez d’autres bactéries à Gram négatif : Neisseria gonorrhoeae (20), Klebsiella pneumoniae (21) et Haemophi lus influenzae (22). 198 O L O G I E NOTIONS DE CIBLES PRIMAIRE ET SECONDAIRE Il apparaît donc que la cible pri m a i re des fl u o roquinolones varie en fonction de l’espèce bactérienne mais aussi, au moins pour certaines bactéries, en fonction de la quinolone considérée. On sait que la gy rase et la topo-isomérase IV sont des enzymes essentielles, l’inhibition définitive de l’une ou de l’autre étant létale. La primauté de l’une par rapport à l’autre en tant que c i ble des quinolones pourrait donc s’expliquer par une plus grande sensibilité à l’inhibition par ces antibiotiques. Effectivement, des études biochimiques (étude de l’activité de surenroulement pour la gyrase, de l’activité de décaténation pour la topo-isomérase IV, en présence ou en l’absence de quinolones) effectuées chez E. coli (18) et S. aureus (23) vont dans ce sens : la gyrase est la plus sensible des deux chez E. coli, la topo-isomérase IV est la plus sensible chez S. aureus. Sur un plan pratique, il serait très intéressant de développer des fl u o roquinolones ayant une activité équivalente sur les deux cibles. Le développement d’une résistance impliquerait alors la survenue simultanée de deux mutations indépendantes, événement génétique très rare. L’inhibition simultanée des deux enzymes pourrait également se traduire par une augmentation de l’activité antibactérienne. RÉSISTANCE PAR DÉFAUT D’ACCUMULATION Chez les bactéries à Gram négatif Chez E. coli, de nombreuses mutations spontanées, se caractérisant par une diminution d’accumu l ation intra c e l l u l a i re des quinolones, ont été décrites in vitro. Chez ces mutants, une diminution de production de la porine OmpF (porine déterminante quant à la traversée de la membrane externe par de nomb reux antibiotiques, y compris les quinolones) est observée (7). Ces mu t ations confèrent la résistance également à d’autres classes d’antibiotiques : tétracyclines, chloramphénicol, c e rtaines bêtalactamines. Elles peuvent d’ailleurs être obtenues en utilisant comme agent sélecteur soit une quinolone, soit l’un de ces antibiotiques. Il a été observé que le niveau de résistance de ces mutants était deux à quatre fois supérieur à celui obtenu en cas d’inactivation du gène ompF. Ceci s’explique par le fait que d’autres facteurs que la réduction de la porine OmpF contribuent à la résistance aux quinolones par défaut d’accumulation. Des phénomènes d’efflux actif membra n a i re interviennent notamment dans la résistance, ceci ayant été montré dans le cas des mutations nfxB et mar de E. coli (7). En effet, l’addition d’inhibiteurs des phénomènes actifs membranaires, par exemple la carbonyl cyanide m-ch l o ro-phénylhy d ra zone ou CCCP, e n t raîne une augmentation importante de pénétration des quinolones chez les mu t a n t s , abolissant les diff é rences d’accumulation observées par rap p o rt aux souches sauvage s ( 7 ). Les deux éléments, d i m i nution de la porine OmpF et efflux actif membranaire, agi raient donc en synergie pour pro d u i re un niveau de résistance significatif. .../... La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998 .../... Des systèmes d’efflux actif ont effe c t ivement été découve rts chez les bacilles à Gram négatif. Ceux-ci permettent à la bactérie d’excréter certains antibiotiques à travers l’ensemble des enveloppes bactériennes et sont donc composés de trois protéines : – une pompe d’efflux située au niveau de la membrane cytoplasmique ; – un canal protéique (équivalent d’une porine) au niveau de la membrane externe ; – une protéine périplasmique assurant la liaison entre les deux membranes. Il s’agit notamment du système AcrA-AcrB-TolC de E. coli ou des systèmes Mex A - M exB-OprM et Mex C - M exD-OprJ de P. aeru ginosa (5). Ces systèmes d’efflux existent éga l e m e n t chez les souches sensibles, contribuant à fixer le niveau de sensibilité intrinsèque aux fluoroquinolones des souches. Chez les souches résistantes par efflux actif, une mu t ation dans les r é gions régulat rices conduit à une hy p e ra c t ivité d’un de ces systèmes. Chez les bactéries à Gram positif Yoshida et coll. ont été les premiers à montrer, en 1990, que S. aureus pouvait résister aux fluoroquinolones par un mécanisme d’efflux actif, ceci ayant été par la suite confi rmé par d ’ a u t res équipes (24). Les travaux initiaux, effectués sur un petit nombre de fluoroquinolones, avaient amené à la conclusion que cette résistance touchait surtout les fl u o roquinolones hydrophiles, en particulier la norfloxacine. Un travail récent sur 40 molécules différentes n’a pas retrouvé de corrélation significative entre le degré d’hydrophilie de la molécule et l’augmentation de CMI (25). Le gène impliqué, norA, existe également chez les souches sensibles et code pour une protéine transmembranaire. Chez les souches résistantes, il existe une a u g m e n t ation de tra n s c ription du gène norA, p ro b ablement liée à la surve nue d’une mutation dans la région régulatri c e. Les mécanismes biochimiques impliqués dans l’efflux n’ont pas été élucidés, mais on sait cependant que l’efflux des quinolones est lié au gradient de pH transmembranaire. Une résistance aux quinolones par efflux actif a également été d é c rite chez une espèce de my c o b a c t é ri e,Mycobacterium smeg matis (26), et est suspectée chez le pneumocoque (27). CONCLUSION : RÔLE DES DIFFÉRENTS MÉCANISMES DANS LA RÉSISTANCE CLINIQUE Chez E. coli et les autres entérobactéries Chez ces bactéries, une seule mutation, quelle qu’elle soit, est insuffisante pour conférer un niveau de résistance tel que la CMI des fluoroquinolones vis-à-vis du mutant soit supérieure à la concentration critique basse, c’est-à-dire au seuil de sensibilité (1 mg/l habituellement pour les fluoroquinolones). Cep e ndant, dans certains cas, le niveau de résistance des mutants est proche de ce seuil : il est alors facile de sélectionner in vivo une seconde mutation conférant un niveau de résistance plus élevé. Ainsi, la substitution la plus fréquemment observée dans GyrA chez E. coli et qui confère le plus haut niveau de résistance, Ser83 Leu, se caractérise par une multiplication par 32 de la La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998 CMI de la cipro fl oxacine pour aboutir donc à une valeur pro ch e de 0,5 mg/l. Les autres mu t at i o n s gy r A , la mu t ation gy r B de type nalD et les mutations de perméabilité confèrent un niveau de résistance moins élevé, avec multiplication des CMI de la ciprofloxacine par un facteur 4 à 16. S’il est sûr que les mu t ations gyrA jouent un rôle important dans l’émergence de la résistance en clinique,celui joué par les mu t ations de perméabilité est beaucoup moins clair. Pour certains auteurs, ces mutations pourraient constituer la première étape. En effet, bien que conférant un bas niveau de résistance, elles pourraient permettre à la bactérie de résister à l’action bactéricide des fluoroquinolones (28). Les bactéries surv ivantes auraient ainsi l’occasion d’acquérir une seconde mutation au niveau du gène gyrA et donc d’at t e i n d re un niveau de résistance plus élevé. Quant aux hauts niveaux de résistance, ils s’expliquent par l’acquisition de plusieurs mutations dans les gènes gyrA et/ou parC. Chez S. aureus et P. aeruginosa Ces espèces étant intrinsèquement moins sensibles aux fluoroquinolones que les entérobactéries (CMI modale de la ciprofloxacine : environ 0,25 mg/l), la survenue d’une seule mutation suffit à conférer une résistance clinique. Chez S. aureus, comme nous l’avons vu, les mutations dans le gène parC p a raissent jouer un rôle pri m o rdial dans l’émergence de la résistance, les mu t ations dans le gène gy r A conférant ensuite un haut niveau de résistance. L’importance, en termes de fréquence, du mécanisme médié par NorA dans la résistance des isolats cliniques de S. aureus reste à préciser. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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Quelles sont les propositions exactes concernant les mécanismes de résistance aux fluoroquinolones chez Staphylococcus aureus : 1. plusieurs mutations chromosomiques distinctes doivent s’associer pour conférer une résistance clinique 2. le mécanisme génétique le plus important quant à l’émergence de cette résistance est la survenue d’une mutation dans le gène gyrA 3. la résistance par efflux actif est liée au gène norA 4. la topo-isomérase IV est la cible primaire des fluoroquinolones chez cette espèce 5. les hauts niveaux de résistance s’expliquent notamment par la survenue de plusieurs mutations dans les gènes gyrA et parC B. Quelles sont les propositions exactes concernant l’ADN topoisomérase IV : 1. c’est une enzyme dimérique 2. elle a un rôle spécifique, le désenchevêtrement des ADN fils en fin de réplication 202 O L O G I E Hooper D.C. Quinolone resistance locus nfxD of Escherichia coli is a mutant allele of the parE gene encoding a subunit of topoisomerase IV. 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La résistance aux quinolones par défaut d’accumulation chez les bacilles à Gram négatif : 1. est spécifique aux quinolones et ne touche pas d’autres familles d’antibiotiques 2. est croisée avec d’autres familles d’antibiotiques dont les tétracyclines 3. peut s’associer à une résistance par mutation dans le gène gyrA 4. est le plus souvent due à une diminution d’expression des porines combinée avec une activation des systèmes d’efflux actif 5. confère de hauts niveaux de résistance Voir réponses page 232 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIII - n° 5 - mai 1998