RÉFLEXIONS SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
Édouard AUJALEU, Questions de méthodes........................................................................................................1
Thierry RECEVEUR, Un programme organiquement lié...................................................................3
Gérard SCHMITT, La dissertation ...............................................................................................................12
Bernard FISCHER, Le sujet-texte...................................................................................................................25
Jean-Bernard MAUDUIT, La dissertation dans les séries techniques.......................................34
Patrick KOPP, L’inquiétante étrangeté de l’intitulé du sujet de dissertation...........................41
Francis AUBERTIN, Correction, évaluation et notation de dissertation.................................49
Françoise RAFFIN, Les repères du nouveau programme.................................................................73
Philippe CARDINALI, La philosophie à la croisée des chemins.................................................81
André PERES, L’enseignement de la philosophie dans les IUFM...............................................96
Jean-Claude PARIENTE, Propositions pour la formation continue (Rapport de la
Commission nationale de suivi 2002-2003)..........................................................................................99
Bernard FISCHER, Conclusion....................................................................................................................103
54eAnnée — Numéro 3 Janvier-Février 2004
L’Enseignement
philosophique
REVUE
DE L’ASSOCIATION DES PROFESSEURS DE PHILOSOPHIE DE
L’ENSEIGNEMENT PUBLIC
Sommaire
site Internet de l’association : www.appep.net
C.P.P.A.P. N° 60597 ISSN 0986-1653
RÉFLEXIONS SUR L’ENSEIGNEMENT
DE LA PHILOSOPHIE
QUESTIONS DE MÉTHODES
« Si l’on apprend aux hommes comment ils
doivent penser, au lieu de continuer
éternellement à leur apprendre ce qu’ils
doivent penser, alors on prévient le
malentendu. […]
On ne peut être assez prudent dans la
notification d’opinions personnelles qui
ont pour objet la vie et la félicité et, en
revanche, assez empressé lorsqu’il s’agit
d’inculquer l’entendement humain et le
doute. » Lichtenberg
Il en va souvent des pratiques pédagogiques comme des régimes alimentaires,
alors que ceux-ci sont censés s’appuyer sur des données scientifiques indiscutables qui
en justifieraient les effets positifs, les développements ultérieurs du savoir et parfois la
conjoncture en montrent souvent les conséquences négatives.
Mais on n’accède guère à la philosophie, comme en religion, par une
conversion soudaine : pour apprendre à l’élève à philosopher le professeur doit savoir
construire un cours cohérent 1, être capable de choisir des exemples pertinents, de
repérer des textes adaptés, d’être attentif aux obstacles qui empêchent les élèves
d’accéder à l’auto-réflexion (relativisme naïf, fausses évidences, préjugés culturels…),
de construire des exercices qui permettent à l’élève d’analyser des problèmes et
d’argumenter. Mais si on n’est pas spontanément pédagogue, la connaissance des
doctrines pédagogiques ne garantit pas pour autant la réussite de l’« acte »
d’enseigner ; c’est une question de méthodes. L’APPEP a voulu être utile aux
professeurs en leur donnant librement la parole pour réfléchir à leur propre pratique.
L’enseignement philosophique – 54eannée – Numéro 3
1 Voir l’article de T. Receveur
2ÉDOUARD AUJALEU
Toutefois, le lecteur ne trouvera pas dans ce numéro un discours de la méthode
pédagogique universelle, parce qu’il n’y a pas de méthode philosophique antérieure à
l’exercice même de la pensée philosophique. On ne peut qu’artificiellement séparer la
méthode du contenu et si la méthode est nécessaire, elle ne saurait suffire à pallier les
difficultés de notre enseignement. Comme l’écrit G. Schmitt : « on ne saurait tout
ramener à des méthodes : là est l’échec du pédagogisme. » Pour poser un problème et
en saisir le sens et les enjeux, une culture philosophique est nécessaire – et donc, un
cours de philosophie, c’est-à-dire ce moment où professeur et élèves s’emparent de
textes et de concepts empruntés à un corpus pour élaborer une réflexion. Derrière la
diversité des interventions de ce numéro, c’est ce même souci qui est affiché ; ainsi
J.B. Mauduit écrit qu’« aucune méthodologie n’est formelle, étrangère à tout contenu
de réflexion, tout simplement parce que ce qu’on appelle forme d’un raisonnement,
d’une démarche intellectuelle, est, en réalité, la matière d’une assertion. » et F. Raffin,
à propos des repères : « Un outil n’est véritablement un outil que pour celui qui sait
s’en servir, et tout est dans l’apprentissage de cette mise en mouvement. Un concept
ou une distinction conceptuelle ne sont des outils pour la pensée que si la pensée les
met en œuvre et en mouvement. »
Un cours « réussi » devrait être la production commune de l’élève et du
professeur. Il ne s’agit pas de s’adapter à l’élève au sens où on renoncerait aux
exigences philosophiques, mais de construire ensemble une réflexion en étant attentif
aux blocages, aux incompréhensions, aux malentendus et aux demandes. La difficulté
réside ici dans le fait que l’élève doit être considéré, à la fois, comme un sujet pensant,
mais aussi comme un individu à qui il faut enseigner la philosophie qu’il n’a jamais
pratiquée – ce qui ne va pas sans une certaine discipline et une rigueur dans les
exercices « scolaires » qui peuvent parfois désenchanter ceux qui s’attendaient aux
épanchements existentiels.
La philosophie est une discipline difficile et exigeante ? On ne le nie pas ! Mais
est-ce une solution – de facilité ? – de renoncer à l’apprentissage des exercices les plus
formateurs ? Si nous nous penchons encore sur la dissertation et l’explication de texte,
ce n’est pas par un quelconque passéisme rétrograde mais pour montrer qu’ils restent
de bons moyens pour analyser un problème, conduire sa pensée avec progression en
argumentant ses propositions.
Mais leur apprentissage demande du temps et de la méthode, et ce n’est pas
avec des horaires si faibles qu’on peut raisonnablement espérer y arriver. Si la
République estime encore que la philosophie est un élément essentiel de la culture
d’un homme libre, elle doit donner à son enseignement les moyens nécessaires à sa
réussite.
Il me faut remercier chaleureusement Bernard Fischer qui a coordonné ce
numéro de la revue et tous les collègues qui ont bien voulu donner leur temps et leur
réflexion à cette œuvre commune.
Le 6 février 2004
Edouard AUJALEU
Président de l’APPEP
L'enseignement philosophique – 54eannée – Numéro 3
UN PROGRAMME ORGANIQUEMENT LIÉ
Thierry RECEVEUR
Lycée Claude Gellée – Épinal
Il peut sembler difficile, pour ne pas dire impossible, de donner un sens précis à
un programme, en vue d’organiser un ensemble de cours, sans se prononcer, dans le
même temps, sur l’idée que l’on défend de sa discipline. Cette question est pourtant très
souvent reléguée au seul niveau du débat pédagogique, comme si, une fois les grandes
lignes fixées, l’essentiel était de se concentrer, sans état d’âme, sur la seule stratégie
didactique. En fait, loin de réduire comme on le prétend l’autonomie de l’enseignant, le
programme le place au contraire au cœur même du système éducatif, puisqu’il n’a de son
sens qu’en fonction des choix de celui-ci. La philosophie le vérifie tout particulièrement,
mais avant d’y revenir, il sera utile de rappeler quelques principes.
Le programme scolaire est censé exposer à l’avance les principales orientations
thématiques, le nombre et le type de connaissances d’un cycle d’étude particulier. Ce
texte officiel s’énonce dans le cadre d’un contrat plus ou moins explicite entre
l’Institution et l’enseignant. La première ordonne, ou, plus exactement, recommande
expressément ; le second s’engage à lui donner satisfaction. L’accès des élèves au
niveau requis, l’obtention éventuelle d’un diplôme, donnent une finalité dernière à cet
accord. Conçu pour éviter, autant que possible, les dérives de l’arbitraire, un
programme oriente une discipline, garantit sa cohérence, et assure l’égalité des
candidats en situation d’examen.
Tous les professeurs savent cela, mais ces dispositions raisonnables ne font
jamais l’unanimité. Comme on pouvait s’y attendre, le programme reste sujet à
controverse. On dénonce alors l’esprit frondeur d’un monde enseignant
traditionnellement divisé, et peu enclin à se plier, sans rechigner, aux recommandations
ministérielles, mais on se trompe sur le sens des revendications. La dimension quelque
peu coercitive du programme passe souvent pour une question secondaire. Ce guide
incontournable déçoit plutôt par les multiples incertitudes qui l’entourent. Parmi elles, le
problème du choix des moyens en vue d’atteindre des objectifs précis semble se poser
d’une manière récurrente. Lorsqu’il est abordé, le ton change, la prescription cède la
place à la suggestion. L’accent porte désormais sur la liberté de l’enseignant dans la
conduite du cours ; lui seul (et dans quelle solitude !) doit concilier les exigences du
programme avec la singularité des situations qui lui sont soumises. La tentation est alors
4THIERRY RECEVEUR
grande d’opter discrètement pour un « juste milieu » entre le souhaitable et le réalisable,
entre le respect dû à l’institution et le pragmatisme exigé par l’urgence du moment. Une
telle attitude n’est pourtant pas sans risque : outre qu’elle compromet l’esprit même du
contrat, elle renoue délibérément avec l’arbitraire qu’on prétendait bannir. En fait, il
s’agit plutôt d’éviter le chemin du « juste milieu » qui non seulement « ne mène pas à
Rome », pour reprendre Adorno, mais compromet l’unité de la discipline enseignée, en
accréditant l’idée d’un programme à « géométrie variable… » Or sur ce point, le
professeur semble davantage livré à lui-même, qu’autorisé à faire bon usage de sa liberté
à travers les méandres des prescriptions.
On touche là, semble-t-il, aux limites du programme officiel. Notre propos n’est
pourtant pas de remettre en cause son importance : s’il ne prescrit pas davantage, c’est
parce qu’il admet, en filigrane, l’extrême hétérogénéité des situations. Pour y faire face,
l’initiative professorale ne peut être tolérée comme un « mal nécessaire », mais au
contraire fortement sollicitée. Un programme n’est pas un plan et ne saurait le devenir ;
s’il prévoyait tout, ce serait au détriment de la réalité des conditions d’enseignement en
les niant, purement et simplement, dans un entêtement dogmatique. Si toute licence, à
l’opposé, était accordée aux professeurs, à quoi pourrait-il bien servir ? Aussi évolue-t-il
comme un funambule entre la liberté réaffirmée du corps enseignant et les directives qui
en limitent l’expression : son statut est nécessairement ambigu.
Ce qui est vrai en règle générale l’est aussi, bien entendu, pour la philosophie.
Mais le rapport difficile qu’entretient un enseignant avec le programme officiel
acquiert ici une toute autre dimension. D’un côté le Texte de mai 2003 (si on prend
l’exemple des classes littéraires) dresse une liste définitive de trente-quatre notions qui
toutes doivent être « examinées ». Le caractère autoritaire du programme s’impose
d’abord sans conteste : il s’agit moins de « philosopher » que de préparer toutes ses
classes aux épreuves finales du baccalauréat. D’un autre côté, l’autonomie
professorale ne fait aucun doute, dans la compréhension des notions (qui n’offrent
qu’un cadre pour l’apprentissage de la réflexion philosophique) puis dans la manière
de les ordonner, c’est à dire de les penser organiquement. Or ce point mérite d’être
souligné : tandis que l’enseignant, pour le sens commun, incarne la maîtrise de l’outil
pédagogique, on attend d’abord du professeur de philosophie une appropriation
complète des notions du programme.
Comment pourrait-il du reste agir autrement ? Comme telles, les « directives »
ministérielles exprimées par des notions ne lui disent rien, ou peu de choses. Avant
même qu’il assume le risque de penser sans l’institution, voire contre elle, risque
inhérent à toute réflexion philosophique digne de ce nom, il sait qu’il lui faudra donner
un sens à ce qu’elle prescrit ! C’est dans cet effort paradoxal qu’il justifie aussi bien
une manière d’enseigner sa discipline que de la concevoir. La question du programme
reste au premier chef, alors même qu’on croit l’occulter en la posant dans le seul
domaine pédagogique, une question de philosophie.
A travers ce travail essentiel, le professeur doit éprouver l’originalité de sa
démarche avant de la justifier, le cas échéant, devant ses élèves. Face aux propositions
du programme, il n’a d’autre solution que celle de les soumettre à un véritable
interrogatoire en vue de dégager des questions pertinentes, des axes de recherches, des
synthèses provisoires. Un auteur cité dans un cours, par exemple, avec les explications
qui précisent une fois pour toutes le sens de sa doctrine, pourra être « convoqué »
ultérieurement sans recourir à de telles démonstrations. L’opportunité d’un tel
développement s’apprécie dans une véritable stratégie aussi bien théorique que
didactique. En élaborant celle-ci, il faut comprendre au sein d’un même mouvement
chaque proposition spécifique du programme, et sa place dans l’ensemble du cours.
1 / 104 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !