ÉDITORIAL Cible, signalisation, patient : de la connaissance de la biologie du cancer au traitement de nos patients Target, signalisation, patient: from cancer biology to patient treatment L a prise en charge des patients atteints de cancer a été profondément modifiée depuis 15 ans par la mise à disposition de nouveaux traitements appelés thérapies ciblées, ou plus exactement, thérapies moléculaires ciblées (TMC), dont le développement a été largement piloté par l’amélioration des connaissances du processus biologique conduisant à l’émergence du cancer. La terminologie “thérapies moléculaires ciblées” fait donc référence à des stratégies thérapeutiques dirigées contre des anomalies moléculaires supposées impliquées dans le processus de transformation néoplasique, et avant cette révolution, seuls les traitements hormonaux réalisés pour le traitement de la phase métastatique ou adjuvante du cancer du sein, de la prostate ou de la thyroïde, rentraient authentiquement dans ce modèle (tableau I). Ces TMC se distinguent des médicaments cytotoxiques anciens (alkylants, antimétabolites, etc.) ou récents (inhibiteurs de topoisomérase et taxanes), qui inhibent également une cible moléculaire (microtubules, Tableau I. Exemples de thérapies moléculaires ciblées ayant obtenu l’autorisation de mise sur le marché en 2011 dans les tumeurs solides. Anti-EGFR Inhibiteur de tyrosine kinase Anticorps monoclonaux Erlotinib Tarceva® Géfitinib Iressa® Lapatinib Tyverb® Erbitux® Cétuximab Panitumumab Vectibix® Trastuzumab Herceptin® Cancers du poumon et du pancréas Cancer du poumon avec mutation EGFR Cancer du sein HER2+ Cancers colorectal et ORL Cancer colorectal Cancer du sein HER2+, cancer de l’estomac HER2+ Thérapies antiangiogéniques Inhibiteur de tyrosine kinase Anticorps monoclonaux Sorafénib Nexavar® Sunitinib Sutent® Bévacizumab Avastin® Cancer du rein, hépatocarcinome Cancer du rein, GIST, tumeurs neuroendocrines Cancer du sein, du poumon, du côlon, du rein, gliomes Autres inhibiteurs du signal de transduction Inhibiteur de c-Kit Inhibiteurs de mTOR Imatinib Évérolimus Temsirolimus Glivec® Afinitor® Torisel® GIST Cancer du rein Cancer du rein EGFR : Epidermal Growth Factor Receptor ; HER2 : Human Epidermal growth factor Receptor 2 ; GIST : tumeur stromale gastro-intestinale ; mTOR : mammalian Target Of Rapamycin. 312 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2011 ADN). Cependant, pour ces médicaments, cette cible n’est pas impliquée directement dans le processus de transformation néoplasique. Par ailleurs, il faut noter que ces traitements peuvent être considérés comme les ancêtres des TMC, car elles agissent au niveau des anomalies moléculaires de cancers hormonaux : les récepteurs aux estrogènes pour le cancer du sein ou les récepteurs aux androgènes pour le cancer de la prostate. Plus d’une dizaine de TMC ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de patients atteints de cancer avancé ou en situation adjuvante (tableau II). Il est important de rappeler que le développement de ces médicaments n’a pu être possible que grâce à une meilleure connaissance de la biologie du cancer, et en particulier à une nouvelle classification des cancers fondée sur les anomalies moléculaires des cancers. En 2000 puis en 2011, R.A. Weinberg et D. Hanahan ont voulu schématiser et répertorier les grandes classes d’anomalies moléculaires d’une cellule cancéreuse. Cette classification peut nous servir de base pour décrire les TMC actuelles et futures en partant de la physiopathologie moléculaire du cancer (tableau II). Actuellement, les deux grandes classes de TMC en développement sont les inhibiteurs de la transduction du signal et les thérapies antiangiogéniques. Tableau II. Classification des anomalies moléculaires du cancer selon R.A. Weinberg et D. Hanahan. Anomalies clés TMC Exemples Inhibiteurs de la transduction du signal Erlotinib Lapatinib Cétuximab Trastuzumab Antiangiogénique et antivasculaire Sunitinib Sorafénib Bévacizumab Invasion et métastases Anti-invasif En développement Potentiel de réplication illimité Antitélomérase Agents interagissant avec les télomères En développement Modulateurs de l’apoptose En développement Autosuffisance aux signaux de croissance Inhibition des signaux de non-croissance Angiogenèse Échappement à l’apoptose ÉDITORIAL Cependant, il est important de noter que toutes les TMC ne sont pas équivalentes. Il est possible de distinguer schématiquement trois grands types de TMC qui inhibent des anomalies moléculaires ayant un rôle différent dans le processus oncogénique : 1. TMC ciblant une anomalie moléculaire causale, qui est précoce et constante dans le développement oncogénique (par exemple : BCR-ABL, mutation de KIT) ; 2. TMC ciblant une anomalie moléculaire plus tardive dans le développement oncogénique et inconstante (par exemple : production de VEGF [Vascular Endothelial Growth Factor]) ; 3. TMC ciblant une anomalie moléculaire présente dont le rôle dans la transformation oncogénique n’est pas certain (par exemple : expression de EGFR [Epidermal Growth Factor Receptor], PDGFR [Platelet-Derived Growth Factor Receptor], etc.). Ainsi, les connaissances fondamentales en biologie moléculaire ont profondément modifié notre vision du cancer, de la classification nosologique au traitement. De nombreux travaux transfèrent actuellement ces connaissances du laboratoire de recherche au “lit du malade”. Ces études ont permis de mieux caractériser d’un point de vue moléculaire les différents types de cancer, et de commencer à les classer en fonction de certaines anomalies moléculaires qui sont impliquées dans le processus cancéreux (cancer du sein HER2 positive, mutation de EGFR de certains cancers du poumon, mutation KRAS des cancers du côlon) et non plus en termes de “maladie d’organe” (sein, poumon, côlon, etc.). Cela permet non seulement de proposer une nouvelle classification nosologique du cancer mais d’ouvrir également de nouvelles perspectives thérapeutiques en cancérologie, discipline transversale, à la croisée de la biologie et de la médecine qui reste en premier une discipline thérapeutique. Compte tenu de ces développements, il paraît important de proposer des synthèses illustrées de ces différentes cibles moléculaires et des thérapies en développement, dans le but de proposer une vision générale de cette nouvelle approche en cancérologie qui permet de mettre au point de nouveaux traitements à nos patients à partir de la connaissance de cibles moléculaires identifiées comme importantes dans le processus oncogénique. Nous commencerons par les récepteurs aux androgènes et les manipulations hormonales dans le cancer de la prostate, qui est l’une des premières thérapies ciblées inventées depuis plus de 60 ans et qui est aujourd’hui encore plus d’actualité avec les nouvelles hormonothérapies en développement dans le cancer de la prostate. C. Massard*, J.Y. Blay** * Service d’innovation thérapeutique et essais précoces (SITEP), institut Gustave-Roussy, Villejuif ; unité Inserm U981 ; université Paris-XI. ** Centre Léon-Bérard ; université Claude-Bernard, Lyon. Nouvelle rubrique ! DIAPOSITIVES TÉLÉCHARGEABLES REPÈRES BIOLOGIQUES Références bibliographiques Ferté C, André F, Soria JC. Molecular circuits of solid tumors: prognostic and predictive tools for bedside use. Nat Rev Clin Oncol 2010;7(7):367-80. ● Hanahan D, Weinberg RA. Hallmarks of cancer: the next generation. Cell 2011;144(5):646-74. ● Hanahan D, Weinberg RA. The hallmarks of cancer. Cell 2000;100(1):57-70. ● AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. 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