DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Abonnezvous en ligne ! www.edimark.fr Contactez-nous par téléphone au 01 46 67 62 74 (Service abonnements), par e-mail : [email protected] ou par fax au 01 46 67 63 09 * Centre hospitalier Le Vinatier, centre de neurosciences cognitives (UMR 5229, CNRS), Bron, et université Claude-Bernard, Lyon-I. Place de la remédiation cognitive dans le traitement de la schizophrénie Cognitive remediation for treatment of schizophrenia N. Franck* L es troubles cognitifs (troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives en particulier) compromettent très sévèrement les aptitudes sociales et professionnelles des patients souffrant de schizophrénie. Ces troubles seraient présents dès le début de la maladie (1). Les psychotropes et les psychothérapies n’ayant sur ceux-ci qu’une action limitée de nouvelles méthodes thérapeutiques ont été développées afin d’agir spécifiquement sur ces troubles. Elles constituent un ensemble hétérogène de techniques rééducatives appelé “remédiation cognitive”. La remédiation cognitive agit spécifiquement sur les processus attentionnels, mnésiques, langagiers et exécutifs (2). Elle n’est pas utilisée à la place des traitements médicamenteux et de la psychothérapie (indispensables dans la prise en charge de la schizophrénie), mais elle complète leur action. Elle agit en entraînant les fonctions déficitaires ou en développant des fonctions préservées, grâce à un mécanisme de compensation (3). La place de la remédiation cognitive dans le traitement de la schizophrénie ne peut pas être facultative : étant donné que son efficacité sur des déficits ne pouvant être traités par d’autres moyens thérapeutiques disponibles a été montrée, il ne serait pas éthique (cf. code de déontologie) de ne pas en faire bénéficier les patients. La remédiation cognitive ne peut être utilisée que chez des patients stabilisés. Il faut donc attendre la fin de la crise pour l’introduire dans le processus de soins. En revanche, dans la mesure où un meilleur fonctionnement cognitif peut favoriser la mise en œuvre d’une psychothérapie ou la participation à des groupes thérapeutiques centrés sur le vécu ou 80 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 sur le traitement, il paraît pertinent d’introduire la remédiation cognitive assez tôt dans le traitement, en amont de techniques utilisant la symbolisation, nécessitant une réflexion ou requérant une remise en question. Elle fait donc partie des techniques indispensables à la réhabilitation psychosociale des patients souffrant de schizophrénie, au même titre que l’entraînement des compétences sociales (ECS), l’éducation au contrôle des symptômes et la psychoéducation. Il est certain que la mise en place de ces différentes techniques n’est encore que très partielle en France, même si elles suscitent un intérêt de plus en plus vif de la part de nombreux cliniciens. Importance des déficits cognitifs dans la schizophrénie Eugen Bleuler avait décrit les altérations, associées à la schizophrénie, de la mémoire, de l’attention et de ce que l’on a appelé plus tard “les fonctions exécutives”. S’il considérait l’atteinte mnésique comme faisant partie des symptômes accessoires, les troubles de l’attention et des associations (la Spaltung pouvant être interprétée comme la conséquence d’une altération des fonctions exécutives) correspondaient selon lui aux symptômes fondamentaux de cette maladie. Ces altérations, qui sont actuellement regroupées sous l’appellation “troubles cognitifs”, compromettent très fortement l’aptitude des patients à se prendre en charge et à s’intégrer dans la société. Résumé La remédiation cognitive fait partie des outils de soins susceptibles d’aider les patients atteints de troubles mentaux, et en particulier ceux qui souffrent de schizophrénie. Quelle place lui accorder dans le projet de soin d’un patient donné ? La remédiation cognitive n’est pas destinée à traiter les symptômes de la maladie, mais les troubles cognitifs qui leur sont associés et peuvent se révéler extrêmement handicapants. La remédiation cognitive ne peut donc être employée seule ; elle doit être associée aux psychotropes et à la psychothérapie. Les effets de la remédiation cognitive sur les fonctions supérieures et sur le fonctionnement psychosocial ont été démontrés : plusieurs programmes, validés ou en cours de validation (IPT, CRT, RehaCom® et RECOS), sont disponibles en français. Elles sont certes moins spectaculaires que les hallucinations, le délire et leurs conséquences comportementales, mais elles sont en revanche souvent nettement plus invalidantes. Modalités d’action de la remédiation cognitive La remédiation cognitive cible les déficits cognitifs. Ce concept est proche de celui d’entraînement cérébral. Toutefois, ce dernier s’adresse à la population générale, alors que la remédiation est destinée aux patients souffrant de troubles neurologiques ou psychiatriques. Remédiation cognitive et entraînement cérébral ont en commun de stimuler les fonctions cérébrales. Toutefois, alors que l’entraînement cérébral (par exemple le programme d’entraînement cérébral du Dr Kawasima, Big Brain Academy, l’entraîneur cérébral, etc.) a un objectif ludique et non médical, la remédiation cognitive est destinée à traiter les patients. Elle repose donc sur l’utilisation de programmes adaptés à leurs troubles et validés scientifiquement, et dont la progressivité des exercices a été spécifiquement étudiée. La remédiation cognitive agit contre l’altération des processus attentionnels, mnésiques, langagiers et exécutifs. De ce fait, elle a une action indirecte sur le handicap fonctionnel des patients. Elle n’agit pas au même niveau que les médicaments psychotropes et la psychothérapie, mais elle complète leurs effets. Son efficacité repose sur la modification de processus attentionnels, mnésiques, langagiers ou exécutifs que l’on ne peut réduire à l’expression du dysfonctionnement neurochimique uniquement accessible aux neuroleptiques, ni aux contenus de pensée pris en compte par la psychothérapie. En pratique, il est d’ailleurs nécessaire d’associer ces différents moyens thérapeutiques pour obtenir une amélioration significative des fonctions cognitives. Soit les fonctions déficitaires sont directement entraînées (approche par stimulation), soit les fonctions préservées sont développées afin de pallier les déficits (approche par compensation). Composer avec la vulnérabilité du patient permet d’améliorer ses compétences sociales, et lui permet d’appréhender plus efficacement des situations complexes ou à risque. Mots-clés Schizophrénie Remédiation cognitive Fonctions exécutives Articulation avec les autres Highlights mesures destinées à favoriser Cognitive impairments lead to difficulties in everyday une réhabilitation psychosociale severe life of patients suffering from Comme cela a été évoqué précédemment, la remédiation cognitive participe de la réhabilitation psychosociale. D’autres mesures visant cette réhabilitation, telles que l’ECS, peuvent lui être associées dans un même programme thérapeutique. C’est le cas dans l’Integrated Psychological Treatment (IPT) [4, 5]. La remédiation cognitive travaille en amont des processus idéo-comportementaux, qu’ils soient conscients ou inconscients, l’ECS s’attachant à modifier la conceptualisation des situations sociales et les comportements sociaux des patients afin d’améliorer leurs performances dans ce domaine (6). La remédiation cognitive et l’entraînement des compétences sociales sont, de plus, généralement associés à une psychoéducation qui a pour objectif d’améliorer la compréhension qu’ont les patients de leur maladie ainsi que leur adhésion au traitement. L’ECS s’effectue sous forme de groupes centrés sur l’affirmation de soi, la gestion des émotions, etc. Il permet aux patients d’apprendre à faire face à des situations sociales courantes, telles que formuler des demandes chez un commerçant ou effectuer une démarche administrative, refuser quelque chose, être capable de débuter une conversation, etc. En même temps qu’il améliore leur sociabilité et leur confiance en eux, il diminue leur sentiment d’incapacité et peut favoriser une critique de leur vécu paranoïde. La psychoéducation permet aux patients de mieux comprendre leur maladie et ses symptômes et de mieux vivre avec (6). Elle les sensibilise également au risque de rechutes et à la nécessité de les prévenir. Elle peut ainsi jouer un rôle positif sur l’observance médicamenteuse. Comment hiérarchiser ces différents types d’interventions ? S’il est clair que l’ECS, la psychoéducation et la remédiation cognitive constituent la base fondamentale de la réhabilitation, il est tout aussi évident que la remédiation favorise la mise en œuvre des autres modalités de réhabilitation, comme elle favorise une prise en charge psychothérapique ; elle devrait donc les précéder schizophrenia. Therefore, improving cognitive functions is essential for the well-being of patients. Cognitive remediation programs aim at improving cognitive deficits. Several validated programs are available in french: IPT, CRT, RECOS and RehaCom. Cognitive remediation programs are customised to each patient’s needs in order to motivate him/her to participate. Long-term effects are assessed in order to verify whether reinforcement is needed. Treating schizophrenia needs taking into account not only positive and negative symptoms, but also cognitive deficits which favour considerably the handicap of patients. Hence, cognitive remediation programs supplement pharmacological and psychological treatments. Keywords Schizophrenia Cognitive remediation Executive functions La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 81 DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Place de la remédiation cognitive dans le traitement de la schizophrénie afin de permettre aux patients de bénéficier pleinement de ces soins. Nous préconisons donc une introduction précoce dans le traitement, tout de suite après la résolution de la crise. Ces différents outils ne peuvent en effet être utilisés très rapidement que chez les patients dont l’état clinique est stabilisé, mais aussi chez ceux dont l’entrée dans la schizophrénie est progressive. Programmes de remédiation cognitive Différents programmes de remédiation cognitive sont disponibles et validés pour les patients schizophrènes. Les premiers programmes ont été développés en Allemagne (IPT de Brenner) et en Grande-Bretagne (Cognitive Remediation Therapy [CRT] de Delahunty et Morice, Cognitive Enhancement Therapy [CET] de Hogarty et Flesher, Neurocognitive Enhancement Therapy [NET] de Bell, etc.). Les programmes disponibles en français ont donc été traduits, à l’exception de RECOS (REmédiation COgnitive pour patients présentant une Schizophrénie ou un trouble associé). Integrated Psychological Treatment L’IPT (voir l’article de V. Pomini, p. 100) [4, 5] est un programme suivi en groupe, au rythme de 1 à 3 séances de 45 à 90 minutes par semaine. Il associe remédiation cognitive et ECS, et favorise l’imitation et l’identification entre participants dans le groupe. Cette particularité le rend utilisable non seulement chez des patients en début de maladie, mais aussi chez des patients plus anciens. Toutefois, il est préférable de veiller à l’homogénéité des groupes. Remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé RECOS (voir l’article de P. Vianin, p. 87) [7] est un programme suivi individuellement au rythme d’une séance d’une heure toutes les deux semaines. Ce programme est précédé d’une évaluation neuropsychologique permettant de déterminer les fonctions cognitives altérées, qui seront entraînées à l’aide d’exercices “papier crayon” et informatisés. C’est le seul programme proposant un entraînement spécifiquement adapté au bilan d’un patient. 82 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 Cognitive Remediation Therapy CRT (voir l’article d’I. Amado et al., p. 94) [8, 9] met en œuvre une batterie très complète d’exercices “papier crayon”. Les séances, individuelles, doivent être rapprochées ; au moins 3 séances par semaine d’une heure chacune sont préconisées. Réhabilitation computérisée RehaCom® (Réhabilitation computérisée) [10] est un programme de traitement assisté par ordinateur, initialement développé pour la prise en charge des patients souffrant de lésions cérébrales. Il a été ultérieurement utilisé dans la schizophrénie par A. Cochet et al., indication dans laquelle son utilisation doit toutefois encore être validée. Il est appliqué de manière individuelle, l’essentiel des échanges ayant lieu avec la machine. Il s’adresse à des patients suffisamment autonomes pour être seuls face à un ordinateur, même si l’interface est attrayante et le matériel simplifié au maximum. Remédiation cognitive avec objectif symptomatique Remédiation cognitive des patients hallucinés Comprendre les processus cognitifs sous-tendant les symptômes schizophréniques a permis de développer des stratégies de remédiation cognitive destinées à traiter ces symptômes. Certains programmes de remédiation cognitive semblent directement efficaces sur le cortège des symptômes positifs et hallucinatoires et doivent être distingués des thérapies cognitives (6), qui s’intéressent au contenu dysfonctionnel des pensées du patient et non aux processus neurocognitifs qui interviennent en amont de ces pensées. Les mécanismes neurocognitifs des hallucinations verbales mettent en jeu une anomalie de la mémoire de la source : les sujets hallucinés attribueraient ainsi leurs propres productions à une source externe. Cette anomalie pourrait favoriser le processus hallucinatoire de la manière suivante : les sujets schizophrènes auraient le souvenir d’avoir agi alors qu’ils n’auraient fait que penser à quelque chose. C’est pourquoi, des exercices destinés à permettre aux patients de DOSSIER THÉMATIQUE repérer de quelle manière ils ont été confrontés à un mot (vu, lu ou écouté) pourraient diminuer l’importance des hallucinations (11). Remédiation cognitive des troubles de la cognition sociale Les personnes souffrant de schizophrénie comprennent mal les intentions, les désirs et les émotions d’autrui. L’altération de la capacité à comprendre les états mentaux d’autrui (ou altération de la théorie de l’esprit) joue un rôle central dans la schizophrénie et explique non seulement le trouble des interactions sociales, mais aussi certaines idées délirantes des patients. Plusieurs types d’exercices peuvent être utilisés pour améliorer la capacité des patients à comprendre les états mentaux d’autrui. L’équipe de Versailles (12) a mis au point une technique destinée à développer les capacités en théorie de l’esprit s’appuyant sur la projection de séquences courtes de films cinématographiques dans lesquelles les patients doivent déterminer les intentions de certains personnages. L’équipe de Lausanne (13) a développé Michael’s game, un jeu dans lequel il faut aider le personnage principal à corriger les conclusions erronées qu’il tire face à un grand nombre de situations, ce qui exige, dans certains cas, de comprendre ce que veut ou ce que ressent autrui. Ce jeu est pratiqué pendant des séances hebdomadaires qui durent entre 60 et 90 minutes. Conclusion La remédiation cognitive permet la prise en charge de déficits qui ne sont pas accessibles aux traitements pharmacologiques et psychothérapiques mais qui sont très invalidants pour les patients souffrant de schizophrénie. Plusieurs méta-analyses récentes (5, 14) ont permis de démontrer son efficacité sur de grandes cohortes de sujets, et ce quels que soient le type de patient ou les traitements associés. Même si les mécanismes par lesquels les programmes disponibles améliorent les déficits cognitifs ne sont pas encore parfaitement élucidés et même si des études systématiques n’ont pas encore montré à quel moment de l’évolution d’un patient donné il faut les utiliser pour une efficacité optimale, il est déjà acquis que la remédiation cognitive permet d’apporter des bénéfices en termes de compétences sociales et de réinsertion des sujets souffrant de schizophrénie (15). Considérer la cognition au-delà des troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives habituellement prises en compte a ouvert de nouvelles perspectives (16). En effet, le fait de considérer la cognition comme l’ensemble des processus qui sous-tendent la pensée permet le développement d’outils de remédiation conçus pour agir sur les symptômes schizophréniques. Toutefois, de nombreux travaux sont encore nécessaires pour mieux caractériser les dysfonctions cognitives impliquées dans la genèse de ces symptômes. Un important travail de recherche appliqué et théorique doit encore être mis en œuvre pour mieux appréhender les relations entre les niveaux cognitif et clinique. Le développement exponentiel que connaît actuellement la remédiation cognitive repose sur le fait qu’elle consiste en des méthodes simples, facilement applicables et validées. Il est nécessaire de toujours les considérer, d’une part, comme des outils d’appoint dont l’utilisation se fait en complément de l’action des médicaments et de la psychothérapie, mais aussi, d’autre part, comme les seuls outils pouvant avoir une action spécifique notable sur les déficits cognitifs qui handicapent très sévèrement les patients souffrant de schizophrénie. ■ Adhésion à l’AFRC Cette nouvelle association a pour vocation de promouvoir les techniques de remédiation cognitive, encore trop peu implantées à ce jour. L’adhésion à l’AFRC en tant que membre “thérapeute” est gratuite la première année. Elle demande seulement l’envoi d’un courrier électronique à l’adresse suivante : [email protected] en précisant les informations suivantes : nom, prénom, date de naissance, profession, adresse électronique et adresse postale. Références bibliographiques 1. Blank DS, Addington D, Addington J. Social functioning and cognition in first episode and multi-episode schizophrenia. 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Favrod J, Vianin P, Pomini V, Mast FW. A first step toward cognitive remediation of voices : a case study. Cogn Behav Ther 2006;35:159-63. 12. Kayser N, Sarfati Y, Besche C, Hardy-Baylé MC. Elaboration of a rehabilitation method based on a pathogenetic 8. Delahunty A, Morice R. A training programme for the hypothesis of “theory of mind” impairment in schizophrenia. remediation of cognitive deficits in schizophrenia. Albury, Neuropsychol Rehabil 2006;16:83-95. NSW: Department of Health, 1993. 13. Khazaal Y, Favrod J, Libbrecht J, Finot SC et al. A card 9. Wykes T, Newton E, Landau S, Rice C, Thompson N, game for the treatment of delusional ideas: a naturalistic Frangou s. Cognitive remediation therapy (CRT) for young pilot trial. BMC Psychiatry 2006;6:48. early onset patients with schizophrenia: an exploratory 14. McGurk SR, Twamley EW, Sitzer DI et al. A meta-analysis randomized controlled trial. Schizophr Res 2007;94: of cognitive remediation in schizophrenia. 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