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Sous le premier aspect, être responsable, c’est apporter son concours à une autre
personne, ce qui suppose fraternité et solidarité, une relation éthique. Le « je veux »
précède « je dois ». Être responsable individuellement, c’est être capable d’assumer sa
liberté et les situations correspondantes [4]. Mais la responsabilité se situe surtout par
rapport aux autres. C’est les assumer avec leurs demandes. Il existe donc un partage au sein
de toute personne entre responsabilités « égoïstes » et « altruistes ».
Sous le second aspect, être responsable, c’est être redevable de ses actes devant la
loi, dans une relation juridique.
Le terme « responsabilité » comporte ce double sens et signifie répondre devant
une autorité souveraine (tribunal intime de la conscience ou tribunal externe institué). Il y a
ainsi être responsable et être tenu pour responsable, deux principales formes de
responsabilité suivant l’autorité devant laquelle on doit répondre : la responsabilité morale
vis-à-vis de son for intérieur, fierté de l’homme libre, possibilité pour chaque être humain de
s’accomplir ; et la responsabilité sociale qui peut être une responsabilité professionnelle,
une responsabilité pénale ou civile, une responsabilité politique... Cependant, on ne peut
être responsable que lorsque l’action a au moins un élément de liberté, car rappelons que
liberté et responsabilité sont intrinsèquement liées.
Dans « l’Éthique à Nicomaque [5] », Aristote pose le principe de la responsabilité, il
affirme que l’homme doit répondre de ses actes dès lors qu’il en a pris l’initiative et qu’il est
même responsable de son irresponsabilité. Répondre présent, répondre de l’autre - c’est du
visage de l’autre que naît le sentiment de responsabilité -, considérer toujours une personne
en tant que fin (le visage bouleversant d’une personne saisie dans le face à face, selon
Emmanuel Levinas [6]), tel est le premier contenu de la responsabilité éthique personnelle
d’un individu, libre et pleinement conscient. Dans Soi-même comme un autre [7] en réponse
à son interrogation « Que faut-il faire pour atteindre la vie bonne avec autrui et pour soi-
même ? », Ricœur en appelle également à une éthique de responsabilité ; celle-ci a pour rôle
d’examiner la situation qui pose problème, passer la décision au crible de la loi morale afin
d’éviter une aspiration trop individuelle et de revenir à « l’intuition fondamentale de
l’éthique », c’est-à-dire à l’esprit du devoir que seul le discernement peut apprécier. Il
souligne que la souffrance des victimes crée des obligations pour les autres. « La souffrance
oblige, dit-il, elle rend responsable ses témoins. Le premier droit est ainsi du côté de la
victime. Son droit est d’être reconnu ». À ce droit originaire correspond l’obligation
inconditionnelle de porter secours. « Ce devoir, selon Ricoeur, est un impératif catégorique
qui dérive de celui, plus formel, de traiter les personnes comme des fins et non pas seulement
comme des moyens ». Ainsi, le souci d’assumer son existence et le devoir d’en porter les
conséquences, l’existence ne sont pas séparables des autres existences et au sein de toute
personne coexistent une responsabilité de l’ego et une responsabilité altruiste. Cependant,
dit-il, « Entre la fuite devant la responsabilité des conséquences et l’inflation d’une
responsabilité infinie, il faut trouver la juste mesure et répéter le précepte grec : "rien de
trop" [8] ».
Les travailleurs sociaux peuvent-ils s’accorder- en dépit de leurs identités
professionnelles différentes et de leurs emplois très variés - sur cette question majeure de la
responsabilité éthique ? La réponse devrait être positive puisque le travail social postule le