Sources romaines sur la fin de la République Fichier

2013-2014, S1
Université Paris 1
L1 - Histoire de l’art et archéologie
A
rt et archéologie de Rome et de l’Italie
E. Letellier
La fin de la République
Les Gracques et le conflit agraire
Plutarque, Vie de Tiberius Gracchus, 9, 5-6
Texte grec traduit par C. Salles (Manuel L’Antiquité romaine cf bibliographie)
Plutarque (40-120 ap. J.-C.), un Grec vivant dans un empire romain désormais bien installé,
laissa une œuvre immense, dont nous avons conservé la moitié. Ce sont ses Vies parallèles qui
sont les plus célèbres : ces biographies d’hommes illustres eurent un succès extraordinaire
jusqu’à l’époque moderne. Elles associaient par paire un Grec et un Romain dont les destins
exceptionnels présentaient des similitudes, et s’attachaient à en donner des portraits détaillés
et vivants, s’occupant plus de morale que d’histoire.
Il évoque ici Tiberius Gracchus, l’un des deux frères s’étant illustrés dans la lutte pour
obtenir une réforme agraire suite aux enrichissements liés aux conquêtes de la fin de la
République.
« Les bêtes sauvages qui vivent en Italie ont chacune une tanière, un gîte, un refuge, mais
ceux qui combattent et meurent pour l’Italie ne possèdent que l’air et la lumière, et rien
d’autre. Sans maison et sans foyer, ils errent avec leurs enfants et leurs femmes. Les généraux
mentent aux soldats lorsque, au moment du combat, ils les engagent à défendre contre les
ennemis tombeaux et lieux de culte. Car aucun de ces Romains n’a d’autel familial ni de
sépulture d’ancêtres. En fait, ils combattent pour le luxe et l’opulence d’autrui et ces soi-
disant maîtres du monde n’ont même pas une motte de terre à eux ! »
Pourquoi la République était précipitée vers sa fin
Salluste, la Guerre de Jugurtha, 41
Texte latin traduit par C. Salles (Manuel L’Antiquité romaine cf bibliographie)
Salluste (87 ou 86 av. / 35 av. J.-C.) fut un homme politique à la carrière chaotique, proche
de César. Il consacra la fin de sa vie à l’histoire et nous laissa plusieurs textes traitant
d’événements dont il fut témoin. Celui sur la guerre des Romains contre le roi de Numidie
Jugurtha (111-104 av. J.-C.) présente non seulement les événements d’après de nombreuses
sources et éléments recueillis sur place, mais approfondit également les problèmes sociaux en
cause.
« L’habitude des luttes entre partis politiques et factions, origine de tous les vices, était née
quelques années auparavant à cause de la paix et de l’abondance de ces biens qui motivent
avant tout les humains. En effet, avant la destruction de Carthage, le sénat et le peuple romain
se partageaient le pouvoir politique paisiblement et avec modération, il n’existait aucune lutte
entre citoyens pour la gloire ou la domination. La crainte des ennemis maintenait la cité dans
la vertu. Mais, lorsque la crainte eut déserté les esprits, ces passions que les hommes aiment
comme des bonheurs, la débauche et la morgue, vinrent prendre la place. Ainsi le repos qu’ils
avaient désiré dans les circonstances difficiles se transforma en charge et en violence, une fois
qu’ils l’eurent obtenu. Car la noblesse mit au service de ses passions ses pouvoirs et le peuple,
ses libertés. Chacun pour soi se mit à tirer à lui, à dépouiller, à voler. Ainsi tout fut déchiré
entre les deux partis, la République qui se trouvait entre eux fut mise en pièces. Du reste la
noblesse, à cause de sa cohésion, avait l’avantage, tandis que la plèbe, désunie et dispersée,
avait moins de puissance malgré son nombre. Par l’arbitraire de quelques-uns, tout se décidait
dans la guerre comme dans la paix.
Tout était entre les mains des mêmes, Trésor public, provinces, magistratures, gloire,
triomphes. Le peuple était accablé par le service militaire et la pauvreté. Les généraux
vainqueurs pillaient les butins de guerre avec quelques privilégiés. Pendant ce temps, les
parents et les petits enfants des soldats, dans la mesure où ils étaient les voisins d’un plus
puissant qu’eux, étaient chassés de leurs demeures. Ainsi la cupidité en compagnie de la
puissance, sans aucune mesure ni modération, envahissait tout, profanait tout, dévastait tout,
n’avait plus ni scrupule ni respect, jusqu’à causer sa propre chute. En effet, dès que dans la
noblesse il se trouva des hommes pour préférer une gloire véritable à une puissance injuste, la
cité fut bouleversée et la discorde civile, comme un tremblement de terre, commença à
poindre. »
César passe le Rubicon
Suétone, César, 31-32
Texte latin traduit par C. Salles (Manuel L’Antiquité romaine cf bibliographie)
Suétone (75 – 160 ap. J.-C.) était un Romain curieux et érudit, qui fut un temps secrétaire
d’Hadrien. Nous avons conservé de ses nombreux textes les Vies des Douze Césars, en huit
livres (César, Auguste et les empereurs suivants, jusqu’à Domitien). Ces biographies (dans la
lignée de celle de son contemporain Plutarque) sont à la fois très documentées, étayées sur
des sources qu’il cite, mais ne constituent pas une histoire des débuts de l’Empire au sens où
nous l’entendons aujourd’hui. Elles présentent plutôt des portraits mêlant traits physiques et
moraux, et s’attachant surtout aux détails et anecdotes, plutôt qu’aux événements historiques.
Dans ce passage, César a refusé, malgré l’ordre de Pompée, de licencier ses troupe, et passe
avec ses soldats un petit ruisseau au sud de Ravenne : le Rubicon. L’affrontement et la guerre
civile deviennent alors irréversibles
« Secrètement, César fait envoyer en avant quelques cohortes, afin de ne pas susciter de
soupçon. Puis, pour donner le change, il assiste à un spectacle public à Ravenne, examine le
plan d’une école de gladiateurs qu’il avait l’intention de faire construire et participe, selon son
habitude, à un banquet avec une nombreuse assistance. Ensuite, après le coucher du soleil, il
demande d’atteler à un chariot les mulets d’une boulangerie voisine et part dans le plus grand
secret avec une petite escorte. Les lumières étant éteintes, il se trompe de route et, après avoir
longtemps erré, il trouve à l’aube un guide. Continuant son chemin à pied, il parvient à son
but par des sentiers très étroits. Il rejoint ses cohortes près du fleuve Rubicon, qui marque la
frontière de sa province. Il s’arrête un peu et, songeant à ce qu’il va entreprendre, il se tourne
vers son escorte en disant : « Nous pouvons encore rebrousser chemin. Mais, si nous
franchissons ce petit pont, tout devra se régler par les armes. » Au milieu de ses hésitations, il
reçoit un signe du ciel. Un homme d’une taille et d’une beauté exceptionnelles apparaît
soudain, assis tout près de là et jouant du chalumeau. Outre les bergers accourus pour
l’écouter, un grand nombre de soldats arrive aussi des postes de garde les plus proches. Il y a
parmi eux des trompettes, et l’homme, prenant l’instrument de l’un d’entre eux, s’élance vers
le fleuve. En jouant avec une puissance extraordinaire l’air du départ, il passe sur l’autre rive.
Alors César s’exclame : « Allons là où nous appellent les prodiges des dieux et l’injustice de
nos ennemis ! », et il ajoute : « Les dés en sont jetés ! (Alea jacta est) »
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