L'inspiration de la poésie et de la philosophie chez Platon
absolue qui ronge le cœur de l'homme et de la cité3. Si,
pour André Breton, porte-parole des Modernes ; et non
seulement des surréalistes, dans leur passion artistique, « la
beauté sera convulsive ou ne sera pas»4, pour Platon, l'idée
de Beauté échappe aux convulsions de l'émotion et du
devenir pour se retirer dans son essence immuable. Telle est
du moins l'interprétation commode que la modernité
s'est
faite du platonisme pour mieux affirmer en retour sa
singularité. Baudelaire, qui crée le terme de « modernité »
en l'opposant à l'idée platonicienne, redouble pourtant de
platonisme lorsqu'il voit dans la beauté « un rêve de
pierre » digne d'inspirer au poète « un amour éternel et
muet / Ainsi que la matière », trônant dans l'azur « tel un
Sphinx incompris ». Aussi l'auteur des Curiosités
esthétiques admettra-t-il que « les mensonges sont
continuellement nécessaires » dans la peinture, « même
pour en arriver au trompe-l'œil »5.
D'une façon similaire, Nietzsche, peu enclin pourtant à
suivre Baudelaire, reprendra la même interprétation et
reprochera à Platon d'avoir abaissé l'art au profit de la
dialectique. L'histoire de la pensée se résume, dans la
perspective platonicienne ouverte par le différend entre
philosophie et poésie, dans la formule nietzschéenne :
«Platon contre Homère», entendons la science contre
l'art,
l'essence contre l'apparence, ou, pour parler cette fois avec
Hegel, «le sérieux, la douleur, le travail et la patience du
négatif» contre la frivolité, la
joie,
l'oisiveté et l'immédiateté
de l'image et de la positivité du symbole. Cette déchirure
ouverte par Platon entre la poésie et la philosophie conduira
encore Wagner, pour retrouver la beauté de l'éclosion
grecque et créer l'œuvre d'art inspirée, à demander à
3. Platon, République, livre IV, 444 b.
4. A. Breton, Manifeste du surréalisme, poisson soluble, Paris,
Kra, 1924.
5. Baudelaire, Curiosités esthétiques, « Salon de 1846 », III.
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Noesis n°4 «L'Antique notion d'inspiration»