Position de thèse - Université Paris

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE II Histoire moderne et contemporaine
Centre de recherches en histoire du XIXe siècle
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Histoire
Présentée et soutenue par :
Olivier VARLAN
le : 16 octobre 2013
ARMAND-LOUIS DE CAULAINCOURT, DUC DE VICENCE (1773-1827)
Étude d’une carrière diplomatique sous le Premier Empire, de la
cour de Napoléon au ministère des Relations extérieures
Sous la direction de :
M. Jacques-Olivier BOUDON Professeur, Université Paris-Sorbonne
JURY :
Mme Natalie PETITEAU
Professeur, Université d’Avignon
Mme Marie-Pierre REY
Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
M. Lucien BÉLY
Professeur, Université Paris-Sorbonne
M. Jacques-Olivier BOUDON Professeur, Université Paris-Sorbonne
POSITION DE THESE
Longtemps, Armand-Louis de Caulaincourt, duc de Vicence (1773-1827), est resté un
personnage méconnu. De sa carrière brillante sous l’Empire, seules semblaient se dégager
quelques images d’Épinal : sa participation controversée à l’enlèvement du duc d’Enghien en
1804, son retour en traîneau en compagnie de Napoléon à la suite du désastre de 1812, ou sa
présence aux côtés de l’Empereur lors de l’abdication de 1814. Pendant tout le XIXe siècle,
les historiens se sont vu interdire par les descendants du duc de Vicence l’accès à ses papiers
personnels et surtout au manuscrit de ses mémoires. La parution de ces derniers, en 19331, a
permis de lever le voile sur son activité durant les dernières années de l’Empire. La préface
proposée par Jean Hanoteau s’est quant à elle révélée assez complète pour dissuader les
historiens du XXe siècle de poursuivre leurs recherches sur le personnage – ce d’autant que
ses archives restaient toujours aussi difficile d’accès. Hanoteau avait pourtant précisé que son
travail, aussi précis soit-il, ne devait être considéré que comme une introduction au texte des
mémoires de Caulaincourt : « tout le tableau de son activité diplomatique, de son rôle
d’ambassadeur et de ministre, de son influence même sur les événements reste à faire »,
écrivait-il2. Le regain d’intérêt manifesté depuis quelques années pour le duc de Vicence n’a
pas véritablement permis de remplir cet objectif3. C’est cette lacune que nous nous proposons
ici de combler.
Notre étude a pour principale ambition de proposer la première biographie scientifique
d’Armand de Caulaincourt, en insistant toutefois sur son action dans le domaine de la
diplomatie. Tout au long de sa carrière, Caulaincourt a été à la fois militaire, homme de cour
et diplomate, mais c’est cette dernière fonction qui lui a permis de jouer un rôle à l’échelle
européenne et de peser sur les événements des derniers temps du Premier Empire. Cet axe de
réflexion participe d’un renouveau – encore timide – des études sur la diplomatie impériale et
sur ses principaux acteurs. La figure omnipotente de Napoléon et le primat des questions
militaires ont en effet longtemps détourné les historiens du quotidien des ambassades ou des
longues négociations de paix souvent vaines. Il s’agit désormais de redonner toute leur place
aux agents diplomatiques de Napoléon – comme d’ailleurs à l’ensemble de ses
collaborateurs –, de préciser leurs conceptions politiques, de déterminer leur marge de
manœuvre et de relever, parfois, leurs actes d’opposition. Même si elle est probablement trop
exceptionnelle pour être représentative, la carrière du duc de Vicence offre un exemple
particulièrement intéressant d’une pensée qui s’écarte peu à peu de celle de son maître : toute
1
Armand de Caulaincourt, Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, grand écuyer de l’Empereur,
introduction et notes de Jean Hanoteau, Paris, Plon, 1933, 3 vol. [réédition Sainte-Marguerite sur Mer, Édition
des Équateurs, 2012, 3 vol.].
2
Jean Hanoteau, Mémoires de Caulaincourt, t. I, p. 229.
3
Signalons toutefois la parution récente d’une biographie du duc de Vicence par Antoine d’Arjuzon,
Caulaincourt, le confident de Napoléon, Paris, Perrin, 2012, 396 p.
2
la question est de savoir jusqu’où elle s’aventure et quelle est son influence réelle sur les
événements.
Pour retracer la vie de Caulaincourt, de ses premières campagnes militaires sous la
Révolution jusqu’à son rôle politique durant les Cent-Jours, nous nous sommes
principalement appuyés sur les papiers personnels du personnage, déposés aux Archives
nationales dans les années 19804. Le duc de Vicence a pris un soin tout particulier à conserver
et classer sa correspondance d’ambassadeur et de ministre ainsi que ses nombreuses notes de
travail : ce sont ces documents qui permettent le mieux de suivre l’évolution de ses
conceptions politiques. Indispensables pour toute étude biographique sur Caulaincourt, ses
archives personnelles doivent toutefois être complétées par d’autres fonds : ceux du Service
Historique de la Défense pour tout ce qui concerne sa carrière militaire, ceux de la Maison de
l’Empereur – aux Archives nationales – pour tout ce qui touche à sa gestion des écuries
impériales de 1804 à 1815, et surtout ceux du ministère des Affaires étrangères qui offrent un
aperçu complet de son travail de ministre et de négociateur à la fin de l’Empire. Témoignage
inestimable sur la campagne de Russie et l’abdication de 1814, les Mémoires de Caulaincourt
ont également constitué un des fondements de notre travail, nous permettant notamment
d’appréhender les relations de leur auteur avec des figures aussi importantes que Talleyrand,
Napoléon ou le tsar Alexandre Ier.
Notre étude s’articule en trois parties chronologiques, marquant une implication de plus
en plus importante dans les questions diplomatiques. La première partie – de la jeunesse de
Caulaincourt à 1807 – est celle des années de formation, qui voient l’officier de cavalerie
passer au service de Napoléon et se préparer, bien malgré lui, aux fonctions diplomatiques
auxquelles le destine son maître. La seconde partie – de 1807 à 1812 – est dominée par la
Russie, cadre de la grande ambassade de 1807-1811 mais aussi du désastre de 1812. Pour le
duc de Vicence, cette période est particulièrement décisive : c’est en Russie en effet que se
prépare son accession aux grandes responsabilités diplomatiques de la fin de l’Empire. La
troisième partie – de 1813 à 1815 – est consacrée justement à ce rôle majeur joué par le duc
de Vicence sur la scène européenne au moment de l’effondrement progressif de l’empire de
Napoléon. Une position de premier plan qui, loin de lui apporter une quelconque satisfaction,
va le confronter aux plus cruels dilemmes, jusqu’à précipiter la fin de sa carrière politique en
1815.
Le « favori » de Napoléon : formation et fonctions d’un proche de l’Empereur
(1773-1807)
Issu d’une famille de la grande noblesse picarde qui s’est illustrée au service de la
monarchie tout au long de l’époque moderne, Armand-Louis-Augustin de Caulaincourt
semble prédestiné à suivre l’exemple de ses aïeux et celui de son père, officier de cavalerie
depuis la Guerre de Sept Ans. Encore adolescent, le jeune Armand s’engage dans l’armée
royale, bien décidé à gravir les échelons le plus rapidement possible. Même les événements de
1789 ne semblent pas devoir, dans un premier temps, remettre en question ce parcours tout
4
Archives nationales, 95 AP. Le fonds est soumis à autorisation.
3
tracé. L’entrée en guerre de la France contre l’Autriche et les mesures de proscription qui
frappent les officiers nobles finissent toutefois par obliger le jeune officier à reprendre sa
carrière à zéro en s’engageant dans la garde nationale. Cette rupture brutale n’est pourtant pas
sans bénéfices : elle amène en effet Caulaincourt à développer une grande capacité
d’adaptation et à envisager des voies nouvelles pour son avancement. Dès 1796, il part ainsi à
Constantinople comme aide de camp du général Aubert-Dubayet, nommé ambassadeur du
Directoire auprès de la Porte ottomane. Après cette expérience diplomatique limitée, il
seconde son oncle, le général d’Harville, à l’inspection de la cavalerie des armées françaises
en Allemagne, s’initiant aux subtilités de l’administration et des relations avec le ministère.
Mais Caulaincourt aspire avant tout à prendre le commandement d’un régiment de
cavalerie et à le mener au combat. Après de multiples démarches et de nombreuses
frustrations, il parvient à se faire nommer à la tête du 2e régiment de Carabiniers qu’il conduit
notamment à la bataille de Hohenlinden, remportée par le général Moreau (1800). Ce qui
aurait dû être le commencement d’une brillante carrière militaire va pourtant en constituer le
sommet. Dès 1801, Caulaincourt est en effet envoyé à Saint-Pétersbourg porter une lettre au
tsar Alexandre de la part du Premier Consul : le jeune officier délaisse à nouveau l’armée
pour une mission diplomatique. À son retour en France, cette hésitation de fait entre métier
des armes et diplomatie est tranchée par Bonaparte qui décide d’employer Caulaincourt à son
service : une décision qui s’explique par le succès de la mission à Saint-Pétersbourg mais
surtout par les nombreux liens qui existent entre la famille Caulaincourt et la famille de
Beauharnais. L’opportunité pour Bonaparte de rallier un jeune noble au régime consulaire
n’est pas non plus à sous-estimer.
Devenu aide de camp du Premier Consul, Caulaincourt s’intègre rapidement à
l’entourage du nouveau maître de la France qui le comble d’honneurs, au point d’en faire
rapidement aux yeux de l’opinion une sorte de « favori » – à l’instar d’autres personnages
comme Savary ou Duroc. L’aboutissement de ce processus est la nomination de Caulaincourt,
en 1804, à la fonction prestigieuse de grand-écuyer de la cour impériale. Une fonction qui lui
permet de déployer tous ses talents d’administrateur et lui fait côtoyer l’Empereur au
quotidien. Les relations entre Caulaincourt et Napoléon ne sont pourtant pas sans ambiguïtés :
dès 1804, l’affaire du duc d’Enghien – dans laquelle l’aide de camp du Premier Consul est
impliqué malgré lui – divise les deux hommes. Il en est de même lorsque, quelques années
plus tard, Napoléon refuse à Caulaincourt la permission de se marier avec une femme
divorcée. Mais le véritable motif de leur discorde est plus profond : il vient du décalage entre
la vision du grand-écuyer qui veut rester cantonné au service curial – envisageant à la rigueur
quelques missions diplomatiques ponctuelles – et celle de Napoléon qui le destine à un rôle de
plus grande ampleur. De 1804 à 1807, l’Empereur parachève l’apprentissage de Caulaincourt
en l’envoyant négocier avec le chargé d’affaires russe (1804), l’ambassadeur prussien (1806)
ou l’ambassadeur ottoman (1807). Il enlève ainsi à son grand-écuyer un de ses meilleurs
arguments pour refuser tout poste d’importance : son inexpérience.
En 1807, le projet de Napoléon prend forme : après la signature du traité de Tilsit et la
mise en place de l’alliance franco-russe, Caulaincourt apparaît comme le meilleur candidat au
poste d’ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg. Sa proximité avec l’Empereur est en effet
indispensable au lustre de l’ambassade, de même que les sentiments russophiles qu’il n’a
cessé de manifester depuis plusieurs mois. L’expérience accumulée lui permet de même de
4
pallier sans difficulté l’absence d’une véritable formation de diplomate. À la fin de l’année
1807, Caulaincourt quitte Paris pour la Russie. Sa réussite apparente – il est nommé quelques
mois plus tard duc de Vicence – cache mal des relations de plus en plus tendues avec son
maître. Après la mise à l’écart de Talleyrand, Napoléon espérait forger un diplomate soumis à
ses vues : il va se retrouver avec un détracteur opiniâtre de sa politique extérieure.
Caulaincourt en Russie (1807-1812)
Dès son arrivée à Saint-Pétersbourg, Caulaincourt se voit investi de moyens
considérables, destinés à faire de lui le principal promoteur de l’alliance franco-russe. Logé
dans un des plus beaux hôtels de la ville, entouré d’un personnel nombreux et capable,
l’ambassadeur de France se lance dans une vaste entreprise de séduction à l’égard d’une
aristocratie russe très largement francophobe. Banquets, bals et feux d’artifice se succèdent
afin de marquer le prestige de la France et de vaincre les préventions des adversaires de
l’alliance. Si les résultats sont pour le moins mitigés – et surtout entièrement dépendants des
évolutions politiques des années 1808-1811 –, Caulaincourt peut s’enorgueillir pendant
plusieurs mois d’être à la tête du poste le plus brillant de la diplomatie napoléonienne. Pour
les Pétersbourgeois, il devient l’ « Ambassadeur » tout court. Ce prestige lui vient d’ailleurs
en grande partie de sa proximité avec le tsar Alexandre qui l’invite dans son intimité et le
traite en ami. La relation entre les deux hommes a des répercussions immenses sur les
conceptions politiques du duc de Vicence et explique en grande partie son acharnement à
défendre l’alliance franco-russe, alors que Napoléon semble progressivement s’en détacher.
Dès l’entrevue d’Erfurt (automne 1808), l’empereur des Français peut constater l’évolution de
la pensée de son ambassadeur qui se fait de plus en plus critique à l’égard de la politique
suivie par la France en Europe. À partir de cette époque, la carrière de Caulaincourt apparaît
comme tiraillée entre sa fidélité à son maître et son amitié pour le tsar.
Cette amitié conduit inévitablement le duc de Vicence à faire un certain nombre
d’erreurs de jugements ; elle ne suffit pas toutefois à expliquer l’échec de toutes les
négociations auxquelles il prend part. Les tentatives de la France et de la Russie pour mettre
en place une action commune se révèlent en effet rapidement illusoires : les plans de partage
de l’empire ottoman (1808), particulièrement ambitieux, n’aboutissent finalement qu’à un
timide statu quo qui déçoit les deux parties en présence. L’échec de 1809 est beaucoup plus
lourd de conséquences : engagé dans la guerre contre l’Autriche, Napoléon voit son allié se
dérober, Alexandre se contentant d’une parodie de campagne militaire en Galicie, et ce
malgré les objurgations de Caulaincourt. Le projet de mariage russe apparaît comme la
dernière tentative pour retrouver l’ « esprit de Tilsit » : une fois encore, les efforts du duc de
Vicence sont vains, l’ambassadeur ne parvenant pas à empêcher le retournement d’alliance de
1810 et la renaissance d’un « pacte de famille » entre la France et l’Autriche.
À partir de ce moment, Caulaincourt ne peut que faire son possible pour maintenir tant
bien que mal la cohésion d’une alliance franco-russe constamment ébranlée par
l’accumulation des griefs et des motifs de mécontentement. Ses tentatives pour résoudre
l’épineuse question polonaise ne lui attirent qu’un désaveu cinglant de la part de son maître et
le confirment dans son désir de quitter un poste qui ne correspond plus à ses idées politiques.
5
Lorsqu’il repart pour Paris, il laisse les deux anciens alliés en plein préparatifs militaires,
chacun se raccrochant à un casus belli opportun – sortie de la Russie du Système continental
pour Napoléon, annexion par la France du duché d’Oldenbourg pour Alexandre. Le bilan du
duc de Vicence peut sembler maigre : malgré toute l’expérience accumulée et le
développement de ses talents de négociateur, l’ambassadeur n’a pu enrayer le lent processus
de désagrégation de l’alliance de Tilsit. Sa défense des positions du tsar Alexandre et ses
critiques répétées à l’encontre des ambitions napoléoniennes le font tomber à son retour en
France dans une sorte de semi-disgrâce. Marginalisé, parfois moqué par son maître, il
continue néanmoins à défendre le bien-fondé de l’alliance et prophétise l’échec de l’offensive
qui se prépare contre la Russie.
En se tenant à cette ligne de conduite – malgré toutes les vexations qu’elle lui fait
subir –, Caulaincourt va finalement parvenir à transcender son faible bilan diplomatique. La
campagne de Russie se révèle en effet un désastre conforme à ses prédictions. Pour être resté
fidèle à ses idées et avoir refusé de donner la moindre caution aux projets de Napoléon, le duc
de Vicence acquiert aux yeux de l’opinion française et européenne une nouvelle stature.
Quelles qu’aient pu être ses erreurs ou ses illusions, il se voit désormais entouré par une aura
que l’Empereur – revenu de Russie en traîneau, en compagnie de son grand-écuyer – ne va
avoir de cesse d’utiliser jusqu’en 1815.
Le négociateur de la fin de l’Empire (1813-1815)
Au début de l’année 1813, Caulaincourt semble retrouver une place privilégiée aux
côtés de Napoléon – une place qu’il n’a plus connue depuis 1807. Cumulant les fonctions de
grand-écuyer et de grand-maréchal du palais – après la mort de Duroc –, il apparaît surtout
comme le principal émissaire de l’Empereur auprès des Alliés. Les relations entre les deux
hommes restent pourtant particulièrement complexes et leurs altercations sont nombreuses.
Napoléon entend en effet utiliser l’image d’ « homme de la paix » de son ancien ambassadeur,
ainsi que son amitié pour Alexandre, sans forcément souscrire à ses propositions. La
principale idée défendue par le duc de Vicence, celle d’un repli territorial de l’Empire français
et d’un rétablissement de l’équilibre du continent au profit de l’Autriche, de la Prusse et
surtout de la Russie, lui semble ainsi un aveu de faiblesse, auquel son régime ne pourrait
survivre. Comprenant la profondeur du différend qui les oppose, Caulaincourt n’accepte
qu’avec la plus grande répugnance de jouer le rôle écrit pour lui par son maître, de n’être
qu’un pantin agité devant les alliés et l’opinion. Lors des négociations devant conduire à
l’armistice de Pleiswitz (juin 1813), il en vient à prendre secrètement contact avec le
négociateur russe afin de contraindre Napoléon à la paix, de le sauver en quelque sorte malgré
lui. Pour maintenir la cohérence de son action, il se forge en ces circonstances une morale
personnelle, celle de la véritable fidélité qui lui impose de tout faire pour préserver l’œuvre
impériale. Face à la détermination des membres de la Coalition, ces démarches – que les
sources ne parviennent que difficilement à éclaircir – s’avèrent toutefois sans conséquences.
Le duc de Vicence tente en vain de faire entendre sa voix au congrès de Prague (été
1813) mais se heurte encore une fois à l’intransigeance des alliés autant qu’à celle de
Napoléon, tous trop impatients de décider du sort de la guerre sur le champ de bataille.
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L’échec du « congrès dérisoire » 5 n’empêche pas Caulaincourt de devenir ministre des
Relations extérieures à la fin de l’année 1813, après avoir tout fait pour refuser cet honneur.
Le nouveau ministre est en effet confronté à une situation catastrophique et ne peut que
prendre acte du délitement du réseau diplomatique napoléonien en Europe. Son œuvre
réformatrice, forcément limitée, est d’abord destinée à parer au plus pressé et à rationaliser le
fonctionnement de ce qui n’est par bien des aspects qu’un ministère-croupion. La nomination
du duc de Vicence à la tête du ministère des Relations extérieures n’a d’ailleurs pour principal
objectif que de renforcer son poids au congrès de Châtillon qui se déroule en parallèle de la
campagne de France (printemps 1814). Cette conférence de paix apparaît comme un des
moments les plus décisifs de la carrière de Caulaincourt. Isolé derrière les lignes de front, seul
face aux négociateurs alliés, sans réelles instructions de la part de son maître, il doit constater
toute l’étendue de son impuissance. Soumis aux aléas des combats, le congrès finit par se
séparer sans que le duc de Vicence soit parvenu à saisir les rares – et probablement illusoires
– opportunités à sa portée. Faut-il y voir la preuve des limites de ses capacités de diplomate
ou le simple reflet du poids écrasant des événements ?
Après l’échec de Châtillon, Caulaincourt se voit contraint de négocier non plus le sort
du Grand Empire ou celui des conquêtes révolutionnaires mais bien celui du régime impérial.
Ses allers-retours entre Paris et Fontainebleau et ses nombreuses conversations avec le tsar
Alexandre ne suffisent pas à sauver le trône de Napoléon : l’empereur déchu obtient en
revanche grâce à lui la souveraineté de l’île d’Elbe. L’abdication de Fontainebleau (avril
1814) constitue d’ailleurs le paroxysme de la relation entre les deux hommes : dans
l’imaginaire populaire, Caulaincourt – témoin de la tentative de suicide de son maître –
devient le « confident de Napoléon ». Durant la Première Restauration, en butte à l’hostilité
des Bourbons qui lui reprochent son implication dans l’affaire du duc d’Enghien, le duc de
Vicence reste dans une prudente expectative. Il accueille le retour de Napoléon avec des
sentiments mitigés, conscient du caractère vain d’une telle équipée. Son sens du devoir – et
son respect des serments prêtés – le convainc néanmoins de reprendre les rênes de la
diplomatie française. Sans conviction, il s’efforce de rétablir le contact avec les alliés réunis
au congrès de Vienne mais se voit immédiatement opposer une fin de non-recevoir. Encore
une fois, ses projets de réforme du ministère ne servent qu’à pallier l’absence totale de réelles
perspectives.
C’est résigné que Caulaincourt accueille la nouvelle de Waterloo. Élu à la Commission
de gouvernement qui dirige la France durant les journées qui précèdent le retour de Louis
XVIII, il s’y distingue par son manque total d’initiatives : les Cent-Jours lui ont
définitivement fait comprendre le caractère inéluctable de la restauration de la monarchie en
France. Cette prise de conscience n’a pas été sans conséquences : son ralliement au proscrit de
l’île d’Elbe lui fait perdre ses derniers soutiens – notamment celui d’Alexandre – et lui interdit
toute reconversion. En 1815, le duc de Vicence est forcé de mettre un terme à sa carrière
politique : jusqu’à sa mort, en 1827, il se consacre à sa famille, à ses terres et à l’écriture de
ses mémoires, à la fois testament politique et œuvre apologétique.
5
L’expression est du diplomate russe Charles Robert de Nesselrode.
7
Le bilan politique de Caulaincourt est loin d’être comparable à celui de personnalités
comme Talleyrand ou Metternich : il n’en reste pas moins que, pendant plus de deux ans,
c’est lui qui est à la tête de la diplomatie française. L’omniprésence de Napoléon et le poids
du contexte l’empêchent cependant de mettre à exécution des projets qui, sans être toujours
originaux – voire applicables –, reflètent la lente maturation d’une pensée affranchie de celle
de son maître. L’image d’« homme de la paix » associée au nom du duc de Vicence n’aboutit
en définitive à aucune réalisation concrète et reste essentiellement abstraite, reflet d’une
opinion publique lasse de la guerre. Le pacifisme béat que cette même opinion prête à
Caulaincourt doit toutefois être nuancé : le ministre des Relations extérieures ne manque pas
une occasion de manifester son attachement à la prépondérance française en Europe. C’est
pour la préserver qu’il est prêt à certains sacrifices, jusqu’à envisager – ponctuellement et
timidement – de passer outre les recommandations de son maître. Seul son sens de l’honneur
le retient de franchir certaines limites et de suivre par exemple son ami Talleyrand, décidé à
tourner la page de l’épisode napoléonien. Cet honneur semble avoir régi l’ensemble de
l’existence du duc de Vicence, étant à l’origine de ses plus grands succès comme de ses
déconvenues. S’il l’a peut-être empêché d’être un diplomate de tout premier ordre, il a offert
une cohérence à son action, même dans les périodes les plus difficiles. Personnage au
caractère entier, diplomate malgré lui, Caulaincourt a commis des erreurs de jugement et n’a
pu enrayer le processus de dislocation de l’empire napoléonien : il est toutefois parvenu à
rester en toute circonstance – et même si son comportement a été souvent mal compris –
fidèle à ses principes.
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