© Hatier 2002-2003
hommes en s’efforçant de comprendre ce qu’a été leur vécu, en des temps plus ou moins
éloignés. Rien d’humain n’est étranger à l’historien.
2. Critique de l’histoire
A. L’imaginaire historique
Mais est-ce vraiment l’intérêt pour la vérité et l’ouverture d’esprit humaniste qui animent la
démarche historienne ? L’historien n’est-il pas aussi et surtout un amateur de ce qui n’est
plus ? Dans ce cas, quel serait le sens de cette attirance pour les fantômes du passé ? Dans le
présent, le réel s’impose par les déceptions, les échecs, les limitations qu’il nous oppose.
Vivre le présent suppose donc l’acceptation de cette condition difficile, pénible, souvent
violente de l’existence humaine. Au contraire, le passé qui, par définition, n’est plus, se prête
plus facilement au jeu de notre imagination. Il faut l’exhumer, le réinventer, le construire… Il
n’est jamais qu’une construction de notre esprit : de notre mémoire spontanée ou d’une
élaboration critique. Et si l’historien ne reconstruit pas de manière froide et détachée le cours
des événements historiques, c’est qu’il ne travaille pas seulement avec les traces du passé : il
est également travaillé par les désirs, les fantasmes de son présent qui cherchent à s’exprimer
à travers sa lecture du passé et ses reconstitutions imaginaires.
Malgré ses exigences de méthodes et ses efforts critiques, l’historien n’en vient-il pas
toujours, en dernière instance, à s’approprier son sujet avec son imagination, à convertir le
passé en « une » histoire, un « roman » ? L’intérêt pour l’histoire est-il très différent de celui
que les enfants, mais aussi les adultes, portent aux « histoires » ?
B. Un refus de faire l’histoire
L’histoire représenterait donc une fuite face au présent. Refuge pour l’imagination qui
accorde ce que le réel refuse, le passé est la dimension privilégiée de ceux qui au lieu de faire
l’histoire préfèrent faire de l’histoire. L’intérêt pour l’histoire traduirait ainsi un profond
désintérêt pour le présent, désintérêt qui manifesterait l’incapacité à assumer ses enjeux.
L’homme d’action, lui, n’a nul besoin de livres d’histoire. L’individu qui, conscient de ses
responsabilités historiques, cherche à infléchir le cours des événements de son peuple n’est
pas guidé par un quelconque savoir d’historien. Il y eut de « grands hommes » bien avant les
premiers historiographes de la Grèce antique (Hérodote, Thucydide). Leurs analyses et leurs
intuitions se sont fondées sur la compréhension des situations auxquelles ils étaient
confrontés. On ne peut à la fois être dans l’histoire et être au-dessus d’elle ; on ne peut la
vivre et en faire un simple objet de connaissance.
3. Nécessité de la conscience du passé
A. Le faux débat de la valeur de l’histoire
Nous avons vu qu’il était possible aussi bien de défendre que de critiquer l’histoire, d’établir
ou de contester sa valeur. Mais est-il pertinent de juger ainsi l’histoire ? La pratique
historienne est-elle un choix, individuel ou culturel, qu’il s’agirait de justifier ? N’est-elle pas
plutôt une nécessité de l’existence humaine ? La véritable question serait alors non pas de
savoir pourquoi il faut faire de l’histoire mais pourquoi il est impossible qu’une culture n’ait
pas « ses » historiens, ses « témoins » du passé.
B. Une quête de l’origine