LA STRUCTURE ET L’IDENTITE DES ETRES CHEZ LEIBNIZ Thèse par Jechull BAK Directeur de recherche : Michel FICHANT POSITION DE THESE Cette thèse est d’abord consacrée à la recherche du système de la philosophie leibnizienne, c’est-à-dire, la totalité de la relation cohérente de ses doctrines ainsi qu’à l’histoire interne de cette philosophie, c’est-à-dire, le processus selon lequel, dans ce système, une doctrine est à la fois modifiée par la réflexion et modifie les autres doctrines. Cette analyse prend en compte les deux concepts suivants : « structure des êtres » et « différentes sortes d’identité des êtres ». Il semble que ces deux concepts soient adaptés à notre recherche. Nous allons d’abord considérer la structure et l’identité des êtres : celles de l’idée, de la substance individuelle et de la substance corporelle. Les doctrines leibniziennes de cette structure et de cette identité sont liées par la relation qu’on appelle ‘système’ et changent suivant le processus appelé ‘histoire’. Les études de la philosophie leibnizienne ont suscité de nombreuses critiques concernant le logicisme, doctrine interprétative selon laquelle toutes les doctrines leibniziennes dérivent uniquement de la doctrine logique : « praedicatum inest subjecto »1. Reconnaissant la pertinence de cette critique, nous ne prendrons pas la position du logicisme. Les doctrines ontologiques leibniziennes ne se réduisent pas à celle de la logique. La philosophie leibnizienne n’est pas un système à porte unique mais à plusieurs portes dont aucune n’est prioritaire sur l’autre. Cependant, il n’en résulte pas l’absence de relation entre les doctrines leibniziennes. 1 Cf. Couturat, L. (1901), x : « la métaphysique de Leibniz repose uniquement sur les principes de sa Logique, et en procède tout entière. » 1 On ne considère pas le système philosophique de Leibniz comme axiomatique. Ce système n’est pas linéaire mais prend la forme d’un réseau de doctrines philosophiques. C’est ce réseau des doctrines, c’est-à-dire le système philosophique des doctrines qui est au cœur de cette thèse. On considère, dans cette thèse, le système de la philosophie leibnizienne comme une relation cohérente des doctrines des entités suivantes : (1) la structure du concept ; (2) l’identité logique du concept ; (3) la structure de la substance individuelle ; (4) l’identité transmondiale de la substance individuelle ; (5) l’identité transtemporelle de la substance individuelle ; (6) la structure de la substance corporelle ; (7) l’identité transtemporelle de la substance corporelle. Cette thèse envisage d’abord les doctrines dans leur ensemble (1) – (5). Les doctrines leibniziennes (1) – (5) sont liées l’une à l’autre par le schème interprétatif qu’on peut appeler ‘la théorie du faisceau de la substance individuelle’. Le premier sujet de notre thèse consiste à mettre en évidence la relation entre ces doctrines. La structure de la substance individuelle créée correspond à celle de la notion individuelle complète. Il s’ensuit que si l’on ne peut pas trouver la notion du substratum dans la notion individuelle complète, l’on ne peut pas non plus attribuer le substratum à la substance individuelle créée. On en conclut que, chez Leibniz, la substance individuelle créée n’a pas de substratum. Autrement dit, la substance individuelle leibnizienne est le faisceau des attributs. Mais il ne s’agit pas là de la position officielle de Leibniz. Leibniz n’appartient pas au débat entre la théorie du substratum et la théorie du faisceau. La conclusion selon laquelle la substance individuelle leibnizienne est le faisceau des attributs n’est qu’une hypothèse, qui peut être justifiée pas à pas par la relation aux autres doctrines leibniziennes. Cette hypothèse se justifie par les doctrines leibniziennes (4) et (5) : « la doctrine de l’identité transmondiale de la substance individuelle » et « la doctrine de l’identité transtemporelle de la substance individuelle ». En expliquant ces deux types d’identité, Leibniz n’introduit pas le substratum. Il en résulte que Leibniz, par rapport à « l’identité transmondiale de la substance individuelle » tombe sous le fatalisme et qu’il fournit, par rapport à « l’identité transtemporelle de la substance individuelle », une explication très complexe. Bien qu’il y ait chez Leibniz cette sorte de difficulté théorique, la morale est très claire : la substance individuelle leibnizienne est le faisceau des attributs. 2 Les doctrines leibniziennes (1) – (5) sont liées par le schème interprétatif « la théorie du faisceau de la substance individuelle ». Cette liaison forme ce qu’on appelle « le système ». En revanche, les doctrines leibniziennes (6) et (7) se situent hors de ce schème interprétatif, parce que ces deux doctrines concernent une entité très différente de la substance individuelle. En effet, elles concernent une entité dont les corps sont ses éléments constitutifs. Alors, la réflexion sur ces doctrines nécessite d’autres entrées. Cette thèse, et c’est son deuxième sujet, considère la procédure de changement de ces deux doctrines. On a pu considérer que Leibniz a cessé de remanier ses principes en 16862. On nie alors l’histoire de la philosophie leibnizienne. Mais on adopte, dans cette thèse, la position de nombreux interprétateurs selon laquelle la philosophie leibnizienne change même après 1686. Si ce changement concernait la terminologie ou la manière de parler, il n’aurait aucune importance philosophique. Il ne s’agirait pas de la véritable histoire. Mais si ce changement concerne les doctrines philosophiques, il peut être intéressant. En réalité, la philosophie leibnizienne est historique et cette histoire est vraie. La philosophie de Leibniz suit le processus selon lequel une doctrine dans son système est modifiée par sa réflexion et modifie les autres doctrines. On peut estimer l’ontologie du Discours de métaphysique de 1686 et la correspondance avec Arnauld de plusieurs manières : selon la notion complète individuelle et la substance individuelle, selon la substance individuelle et la forme substantielle, selon la substance individuelle et la substance corporelle. Chaque estimation suit sa propre méthodologie d’étude. Chaque méthodologie d’étude dépend de l’estimation de l’ontologie leibnizienne à cette époque. Mais il est évident que toutes les entités de cette sorte se présentent dans le Discours de métaphysique de 1686 et dans la correspondance avec Arnauld. A cette époque, toutes les entités sont des briques ontologiques leibniziennes. 2 Cf. Couturat (1902) (repris en 1995) in Revue de métaphysique et de morale, 1), 13 : « Ce morceau n’est malheureusement pas daté ; mais, en le comparant aux opuscules et aux lettres dont nous connaissons la date, on peut conjecturer avec une grande probabilité qu’il a été écrit vers cette année 1686 où Leibniz a arrêté les principes et les thèses essentielles de son système, d’abord dans le Discours de métaphysique, puis dans ses Lettres à Arnauld. » 3 En examinant la Monadologie de 1714, il est très intéressant de remarquer que toutes les entités de cette sorte ont disparu. La disparition de ces entités et la simplification de la philosophie leibnizienne forment l’histoire de la philosophie leibnizienne. La notion complète individuelle est substituée par la série des opérations dans la monade. La substance individuelle donne sa place ontologique à la forme substantielle, et la forme substantielle s’appelle désormais monade. La substance corporelle ne se présente pas dans la Monadologie. La substance corporelle est le composé dans la Monadologie. Finalement, excepté la forme substantielle, toutes les entités du Discours de métaphysique de 1686 ont disparu dans la Monadologie de 1714. Un des objets de cette thèse est de rechercher le processus selon lequel la substance corporelle disparaît. Il est vrai que nous ne pouvions pas le rechercher historiquement. Mais, nous avons essayé de donner une des raisons, sous forme d’hypothèse, pour laquelle la substance corporelle disparaît. On a pris en compte, pour cette étude, la structure et l’identité transtemporelle de la substance corporelle. Notre conclusion est la suivante : la doctrine de l’identité transtemporelle de la substance corporelle influence la doctrine de la structure de la substance corporelle. Il en résulte que l’entité qui était appelée ‘ substance corporelle’ a perdu sa substantialité et son nom est désormais ‘composé’. En conclusion, la philosophie leibnizienne continue à changer même après 1686. Entre 1686 et 1714, l’ontologie leibnizienne connaît de nombreux changements. Il ne s’agit pas d’un changement de terminologie mais un changement concernant le statut des entités ontologiques. La philosophie de Leibniz est non seulement systématique mais aussi historique. Sa philosophie ne se situe pas dans un espace logique décoloré. Cette philosophie se déploie dans une temporalité étendue par la spéculation du philosophe. 4