Le système nerveux à destinée cardiaque : une cible pour des

ffirmer, en 1998, que le système nerveux central
contrôle l’équilibre entre le système nerveux
sympathique et le système vagal et exerce par là
une influence cruciale sur le fonctionnement normal et patho-
logique de l’appareil cardiovasculaire pourrait paraître d’une
grande banalité. De nombreux travaux évoquent en effet son
rôle dans la régulation du tonus vasomoteur, dans l’aggrava-
tion de l’insuffisance cardiaque, dans le déclenchement des
vasospasmes artériels coronaires induits par l’émotion, la
contrainte ou l’effort, ou dans la mort subite d’origine ryth-
mique survenant au décours de l’évolution de diverses car-
diopathies. Pourtant l’arsenal thérapeutique cardiovasculaire
actuel comprend peu de médicaments dont les effets centraux
justifient leurs indications thérapeutiques. Il n’y a guère dans
ce créneau que les antihypertenseurs dits centraux tels que
l’α-méthyldopa, la clonidine, la rilménidine et la moxonidine.
D’autres produits affectent le système nerveux autonome
essentiellement en périphérie (les bêtabloqueurs, les digita-
liques cardiotoniques ou la scopolamine) ; mais, pour certains
au moins, le possible passage au travers de la barrière héma-
toencéphalique suggère une contribution centrale à leurs
effets thérapeutiques. Il peut être utile de résumer les argu-
ments conceptuels, expérimentaux et cliniques, qui justifient
la mise en œuvre de programmes de recherche ayant une
chance raisonnable d’aboutir au développement de médica-
ments d’action centrale, à visée cardiovasculaire. Malgré son
actualité, nous excluons l’hypertension artérielle du champ de
cette revue.
EFFETS ADDITIONNELS DES ANTIHYPERTENSEURS
CENTRAUX
Nous nous attacherons ici à décrire les effets additionnels des
antihypertenseurs centraux de seconde génération (à structure
imidazolinique) qui semblent les plus prometteurs.
Infarctus du myocarde et ischémie myocardique
La phase aiguë de l’infarctus du myocarde est une situation
dans laquelle l’hyperactivation sympathique est fréquente, du
fait de la stimulation des centres régulateurs bulbaires par des
influx nociceptifs et par les voies baro- et chémoréflexes. La
libération de catécholamines consécutive à cette stimulation
sympathique augmente la demande en oxygène du myocarde
tout en en réduisant les apports, et peut induire des troubles du
rythme cardiaque parfois fatals. Dès lors, l’utilisation d’un
médicament tel que la clonidine, associant des effets sympa-
tholytiques et parasympathomimétiques d’origine centrale,
peut paraître rationnelle. Deux études ont été consacrées à
l’utilisation de clonidine à la phase aiguë de l’infarctus du
myocarde. La première est une étude randomisée comportant
66 patients répartis en trois groupes : un groupe contrôle, un
groupe traité par la clonidine et un groupe traité par la nitro-
glycérine (1). Chez les patients traités par clonidine, une
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
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Le système nerveux à destinée cardiaque :
une cible pour des médicaments du futur
L. Monassier*, J. Feldman*, P. Bousquet*
RÉSUMÉ.
Le système nerveux autonome exerce un rôle crucial dans les processus adaptatifs du sujet sain, mais peut aussi contribuer au
déclenchement ou à l’aggravation de nombreux processus pathologiques cardiovasculaires. Dès lors, des études pharmacologiques, expéri -
mentales ou cliniques, utilisant des produits d’action centrale, non psychotropes, modulant l’équilibre parfois fragile de la balance sympa -
thovagale, fournissent des bases de réflexion intéressantes pour le développement de stratégies thérapeutiques nouvelles. En effet, pour cer -
taines maladies cardiovasculaires, les traitements disponibles sont parfois devenus décevants ou insuffisants. Le recours au système nerveux
autonome comme cible pour des médicaments utilisables dans ces pathologies n’a pas encore été exploité ; les arguments qui plaident en
faveur de l’exploitation rapide de certaines de ces voies sont résumés dans cet article.
Mots-clés :
Balance sympathovagale - Imidazolines - Glutamate - Insuffisance cardiaque - Ischémie myocardique - Dysrythmies.
*Laboratoire de neurobiologie et pharmacologie cardiovasculaire, Faculté de
médecine, 11, rue Humann, 67085 Strasbourg Cedex.
A
réduction significative de la taille de l’infarctus (évaluée par
cartographie ECG qui peut constituer une méthode prêtant à
discussion) et une réduction de l’incidence et de la gravité des
troubles du rythme ont été observées. Ces effets étaient corré-
lés à une réduction de l’excrétion urinaire de catécholamines.
Dans une autre étude, Renard (2) a évalué les effets de la clo-
nidine lors de poussées hypertensives survenant à la phase
aiguë d’un infarctus myocardique. Les chiffres tensionnels
ont été normalisés et la demande en oxygène du myocarde a
été réduite (essentiellement par diminution de la fréquence
cardiaque). L’intérêt à la phase aiguë de l’infarctus du myo-
carde des antihypertenseurs centraux de deuxième génération,
très bien tolérés, devrait être évalué de manière plus extensi-
ve et plus rigoureuse.
Un effet anti-ischémique potentiel de ces produits, dans l’an-
gine de poitrine, n’a, curieusement, jamais été abordé ni sur le
plan clinique ni sur le plan expérimental. Cet aspect nous
semble pourtant très important. Il est en effet bien connu que
le lit artériel coronaire des patients présentant des lésions pré-
athéromateuses ou des sténoses effectives réagit de manière
anormale à des tests mettant en jeu le système nerveux auto-
nome (3). En effet, la réponse constrictrice d’artères coro-
naires saines, observée lors de l’administration de noradréna-
line en présence de bêtabloqueurs (4), est physiologiquement
contrecarrée par des systèmes vasodilatateurs locaux, le
monoxyde d’azote occupe une place importante (5), et par
l’activation conjointe et réflexe du système vagal, consécuti-
ve à l’augmentation de la pression artérielle (6, 7).
L’altération de la réactivité vasculaire dépendante de l’endo-
thélium, dans les artères athéromateuses, aboutit à des chutes
du débit artériel myocardique chez des malades coronariens
lors de tests de stress mettant en jeu le système nerveux sym-
pathique. L’activation de ce système lors de tests tels que du
calcul mental ou un discours en public a bien été démontrée
lors d’études menées soit avec l’analyse spectrale de la varia-
bilité de la pression artérielle (8), soit par des mesures des
taux plasmatiques de catécholamines circulantes (9) ou lors
d’enregistrements microneurographiques de l’activité nerveu-
se sympathique (10). Cette activation conduit à une réponse
cardiovasculaire typique associant augmentation de la pres-
sion artérielle systolique, du débit cardiaque et des résistances
vasculaires périphériques. Dans les études citées ci-dessus,
ces réponses étaient accompagnées d’une augmentation de la
fréquence cardiaque ; celle-ci n’est toutefois pas constante, on
observe même parfois d’authentiques bradycardies associées
au stress.
Chez des patients angineux, les modifications citées ci-des-
sus, qui apparaissent corrélées aux concentrations plasma-
tiques d’adrénaline, induisent une chute de la fraction d’éjec-
tion ventriculaire associée à des signes paracliniques d’isché-
mie myocardique chez environ 60 % des malades (11). Ces
études montrent donc clairement que la cause de l’ischémie
myocardique induite par le stress chez des patients corona-
riens, comme cela avait été décrit par Rozanski et coll. en
1988 (12), est une chute du flux artériel myocardique consé-
cutive à une activation du système nerveux sympathique sur-
venant sur un lit artériel coronaire pathologique. Les autres
modifications hémodynamiques concourent à l’aggravation
de l’ischémie en majorant encore l’augmentation de la
demande myocardique en oxygène ; il s’agit d’ailleurs là des
bases physiopathologiques mises à profit lors des traitements
de l’angor par stellectomie ou par bêtabloquants, avec les
limites que l’on sait. Des antihypertenseurs d’action centrale
pourraient donc, à cause de leur capacité à inhiber l’activité
du système sympathique (même à des doses infrahypoten-
sives), être efficaces chez les patients angineux dans les épi-
sodes ischémiques aigus (dus à des stress psychologiques),
mais pourraient aussi limiter les complications chroniques de
l’athérosclérose et des troubles vasomoteurs qui y sont asso-
ciés, du fait des interférences entre le système sympathique et
l’athérogenèse. Des études cliniques devraient être entreprises
pour confirmer ces hypothèses chez des malades, en particu-
lier présentant des formes d’ischémie de repos, à seuil
variable.
Insuffisance cardiaque
Dans l’insuffisance cardiaque compensée, les altérations de la
balance sympathovagale sont de règle. De manière schéma-
tique, on constate qu’une réduction de l’activité basale et sti-
mulée du système vagal et une activation sympathique pou-
vant atteindre, au repos, 50 fois la valeur mesurée chez des
sujets sains, sont associées. Cette activation pourrait d’ailleurs
s’exprimer dans le cœur bien avant que l’on puisse observer
une activation globale du système nerveux sympathique.
Cette stimulation est nécessaire, au début de l’évolution de la
pathologie (toutes étiologies confondues), puisqu’elle contri-
bue au maintien de la fonction ventriculaire. Par la suite, elle
devient délétère puisque, directement ou indirectement par
activation d’autres sysmes biologiques (système
rénine/angiotensine/aldostérone par exemple), elle contribue
au développement puis à l’aggravation de l’hypertrophie ven-
triculaire ainsi qu’aux altérations hémodynamiques, en éle-
vant les résistances vasculaires périphériques. De surcroît, les
effets arythmogènes des catécholamines sont aujourd’hui bien
documentés. Il est donc légitime d’escompter un effet béné-
fique, dans l’insuffisance cardiaque d’origine hypertensive,
de médicaments qui, en inhibant le système nerveux sympa-
thique, contribueraient à normaliser les chiffres tensionnels,
tout en exerçant des effets favorables sur la balance hydroso-
dée (par réduction des conséquences rénales de l’hyperacti-
vité sympathique). En outre, ils pourraient protéger des
arythmies ventriculaires et de la détérioration progressive de
la fonction cardiaque. Une des conséquences intéressantes de
l’inhibition sympathique d’origine centrale est la prévention
de l’activation de toutes les classes de récepteurs effecteurs du
système nerveux autonome de manière simultanée. En effet,
les actions cardiovasculaires consécutives à l’activation du
système nerveux sympathique ont pour origine la stimulation
des récepteurs α- et β-adrénergiques. Le blocage exclusif des
récepteurs β, lors de l’utilisation d’un traitement par un bêta-
bloqueur, va renforcer les effets du sympathique passant par
l’activation des récepteurs α-adrénergiques. Cette activation
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
isolée des récepteurs α-adrénergiques peut conduire au main-
tien de résistances vasculaires périphériques élevées, à la per-
sistance de l’accélération de l’hypertrophie induite par les
catécholamines et, de ce fait, à l’altération de la fonction ven-
triculaire gauche. Les effets bénéfiques du blocage simultané
de tous ces récepteurs pourraient expliquer les effets réputés
bénéfiques du carvédilol dans l’insuffisance cardiaque. On
peut légitimement s’attendre à des effets similaires avec des
produits agissant en amont des récepteurs, dans le système
nerveux central. De plus, on obtiendrait une inhibition de la
libération de cotransmetteurs tels que le neuropeptide Y, libé-
en même temps que les catécholamines et dont les effets
délétères sur la fonction cardiaque dans le contexte du myo-
carde hypertrophique sont documentés. En ce qui concerne
les imidazolines, ces hypothèses ont été explo
rées en clinique
humaine avec deux médicaments : la clonidine
et la moxonidi-
ne, plus récente.
Les effets cardiovasculaires de la clonidine ont été testés en
administration unique chez des patients insuffisants car-
diaques graves (grades III ou IV de la NYHA). Elle améliore
notablement les conditions de charge ventriculaire ainsi que la
fonction diastolique, et favorise ainsi la perfusion coronaire.
Ces effets bénéfiques sont malheureusement limités par une
réduction de la fonction systolique dont l’origine est une
chute de la contractilité myocardique (13, 14). Ce dernier
point a conduit à suspendre les évaluations cliniques de la clo-
nidine dans l’insuffisance cardiaque pendant près de 15 ans.
Cette question a cependant été reprise très récemment avec
des doses plus faibles de clonidine en association avec un
inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine : le
captopril (15). Cette association s’est avérée particulièrement
efficace, certains éléments bénéfiques étant surtout le fait de
la clonidine (amélioration des paramètres de précharge ven-
triculaire), qui a également potentialisé les actions induites
par le captopril sur les résistances vasculaires périphériques et
la fraction d’éjection ventriculaire. Dans cette étude, les effets
ont été obtenus après administration d’une dose unique, mais
les auteurs annoncent des résultats non encore publiés un
traitement de 14 mois associant clonidine, digitaliques et diu-
rétiques aurait amélioré l’état clinique des patients en aug-
mentant leurs performances à l’effort, tout en réduisant la gra-
vité des arythmies cardiaques et le nombre d’hospitalisations.
En ce qui concerne la moxonidine, les résultats sont encore
préliminaires, aucune étude au long cours n’ayant été publiée
à ce jour. Pour les effets observés après administration d’une
dose unique à des patients insuffisants cardiaques grade III ou
IV, les résultats sont voisins de ceux qui ont été observés avec
la clonidine. Ce médicament réduit les taux circulants de
noradrénaline tout en diminuant les paramètres de précharge
ventriculaire et les résistances vasculaires systémiques (16).
encore, l’efficacité en termes de morbi-mortalité reste
à évaluer, mais les effets modynamiques semblent
prometteurs.
Troubles du rythme cardiaque
Les troubles du rythme cardiaque constituent un groupe très
hétérogène sur le plan des origines physiopathologiques. Il est
donc nécessaire de le subdiviser dès lors que l’on désire pro-
poser une stratégie thérapeutique. Il est en effet illusoire de
vouloir tenter de prévenir de la même manière la mort subite
d’origine rythmique de l’insuffisant cardiaque, qui est une
bradyarythmie avec dissociation électromécanique dans la
majorité des cas, et celle pouvant survenir dans les suites d’un
infarctus du myocarde, qui résulte le plus souvent d’une fibril-
lation ventriculaire. Ce dernier cas a été le mieux étudié en
clinique et a été modélisé sur le plan expérimental. Il a ainsi
été possible de démontrer la part importante prise par le sys-
tème nerveux autonome dans le déclenchement ou l’aggrava-
tion de ce type d’arythmies (17). La fibrillation survenant sur
myocarde ischémique est favorisée par l’activation du système
s
ympathique, alors qu’elle est prévenue par la stimulation
électrique ou pharmacologique de l’activité vagale. Là encore,
l’hypothèse selon laquelle les antihypertenseurs centraux, par
la conjonction de leurs effets sympatholytiques et “parasym-
pathomimétiques”, pourraient présenter une action antiaryth-
mique paraît donc intéressante. Cependant, peu d’études ont
été consacrées aux éventuels effets antiarythmiques des anti-
hypertenseurs centraux de seconde génération (bien tolérés)
en situation d’ischémie. Ces produits ont surtout été testés
dans des modèles d’arythmies induites par des catéchola-
mines ou des glucosides cardiotoniques administrés par voie
veineuse. Dans ces modèles, la clonidine (18), la rilménidine
(19) et la moxonidine (20) se sont toutes trois avérées anti-
arythmiques par des actions souvent complexes impliquant
des effets périphériques et centraux. La moxonidine a été éva-
luée dans un modèle d’infarctus chez le rat conscient et d’is-
chémie/reperfusion chez le rat anesthésié. Elle a démontré ses
propriétés antiarythmiques dans ces deux situations, sans que
son mode et son site d’action aient été précisés (21). Les effets
de cet antihypertenseur central de seconde génération vien-
nent appuyer les données cliniques obtenues avec la clonidi-
ne à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. En ce qui
concerne des troubles du rythme survenant en dehors des
contextes de l’infarctus du myocarde et de l’insuffisance car-
diaque, on pourrait légitimement escompter une efficacité
préventive de ces produits dès lors que l’on aura démontré
que l’hyperactivité sympathique constitue aussi un facteur
favorisant ou déclenchant.
LA SYNAPSE GLUTAMATERGIQUE CENTRALE
COMME NOUVELLE CIBLE EN THÉRAPEUTIQUE
CARDIOLOGIQUE
Place des relais glutamatergiques dans les voies sympa-
thiques centrales
Les relais glutamatergiques centraux sont présents quasiment
à tous les étages du tronc cérébral (figure 1). De manière très
schématique, le bulbe rachidien comprend, dans sa région
ventrale, la structure qui contient les corps cellulaires des neu-
rones sympathiques contrôlant les neurones préganglion-
naires. En effet, ce noyau, appelé noyau réticulaire latéral,
envoie des projections glutamatergiques (pour environ 65 %)
vers la colonne intermédiolatérale de la moelle (localisation
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
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principale des corps cellulaires des neurones préganglion-
naires sympathiques). Cette structure, activée de manière
tonique à l’état de base, peut voir son influence augmenter
sous l’action de stimuli provenant de structures sus-jacentes
dans le tronc cérébral (substance grise périaqueducale), dans
l’hypothalamus (noyau paraventriculaire ou hypothalamus
latéral), dans le thalamus ou aussi de structures corticales
telles que le lobe limbique et le cortex frontal. Ces diverses
structures vont, dans certaines situations physiologiques telles
que le stress ou l’effort physique, mais aussi dans des situa-
tions pathologiques comme l’ischémie vasculaire cérébrale,
stimuler les neurones de la région ventrale du bulbe rachidien
et, plus directement, les structures sympathiques spinales, au
moyen de projections principalement glutamatergiques. Il est
à noter que ces voies glutamatergiques jouxtent des voies
GABAergiques dont l’activation aboutit à un effet opposé.
L’activation sympathique sera souvent assortie d’une inhibi-
tion vagale et d’un blocage au moins partiel de la réactivité
baroréflexe. La résultante sera une adaptation cardiovasculai-
re
caractérisée, en conditions normales, par une augmentation
de la pression artérielle assortie d’une redistribution des
débits sanguins locaux, une tachycardie et une augmentation
d e
l’inotropisme cardiaque permettant la nécessaire augmenta-
tion du débit cardiaque. Dans certaines situations patholo-
giques, cette stimulation d’origine centrale conduira à une
ischémie myocardique, un angor instable en raison des effets
vasoconstricteurs coronaires et proagrégants plaquettaires des
catécholamines, un infarctus et/ou des troubles du rythme car-
diaque, évoluant parfois vers la mort subite. Il est bien évident
que ces phénomènes ne surviennent qu’exceptionnellement
sur cœur sain. En revanche, le système nerveux autonome
contribue largement au développement de ces accidents car-
diovasculaires sur un myocarde pathologique.
Approches expérimentales et intérêt potentiel de la modula-
tion de ces synapses en thérapeutique cardiovasculaire
Iscmie myocardique. Liscmie myocardique du
patient coronarien survient schématiquement dans deux situa-
tions : à l’effort, quand l’augmentation de la demande d’oxy-
gène du myocarde n’est pas couverte par une vasodilatation
artérielle coronaire suffisante, et, au repos ou lors d’un stress,
quand l’ischémie a comme déterminant physiopathologique
principal une chute du débit artériel coronaire, par vasocons-
triction microcirculatoire. Le système nerveux autonome par-
ticipe à ces deux formes cliniques. Nous allons évoquer suc-
cinctement le rôle joué par les relais glutamatergiques et
GABAergiques centraux dans ces deux types de phénomènes
et les effets cardiovasculaires obtenus par la modulation de
ces synapses.
Régulation centrale du flux artériel coronaire. Il est désor-
mais clairement établi sur le plan clinique que le stress est un
facteur déclenchant de l’ischémie myocardique et, par voie de
conséquence, d’événements dysrythmiques parfois graves
(22). Cet aspect avait déjà été abordé sur le plan expérimental
chez le chat, chez qui le blocage de relais GABAergiques cen-
traux par la bicuculline ou la picrotoxine, tous deux antago-
nistes du récepteur GABA
A
, conduit à des augmentations
importantes des résistances vasculaires coronaires (23). Ces
chutes de flux myocardique ont été clairement mises en rela-
tion avec des activations du système nerveux sympathique.
L’existence de voies centrales spécifiquement dirigées vers le
myocarde et le réseau artériel coronaire est maintenant suggé-
rée par divers travaux. Leur description anatomique reste
néanmoins à établir. L’existence de relais utilisant des acides
aminés excitateurs comme neurotransmetteurs permet d’envi-
sager l’étude de drogues les modulant qui pourraient prévenir
ces “spasmes” coronaires d’origine centrale et donc être
actives dans des formes d’ischémies avec réduction du flux
artériel coronaire telles que l’ischémie silencieuse ou l’isché-
mie favorisée par le stress.
Régulation de la demande en oxygène du myocarde.
L’activation de structures centrales peut, au moyen d’une sti-
mulation du système nerveux sympathique, conduire à une
augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde
par majoration de la pression artérielle, de la fréquence car-
diaque et de l’inotropisme. Ces modifications peuvent être
reproduites par la stimulation du noyau paraventriculaire de
P
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
Figure 1. Vue simplifiée de la place des relais glutamatergiques
centraux dans l’activation des principales structures du système
nerveux sympathique impliquées dans l’adaptation cardiocircula -
toire normale et pathologique.
Glu : glutamate ; NRL : noyau réticulaire latéral du bulbe ; ACh : acétylcholine ;
NorA : noradrénaline.
l’hypothalamus (NPV) chez le lapin anesthésié. Ainsi, lors de
la stimulation électrique de ce noyau, la demande d’oxygène
du myocarde augmente à cause des élévations de la pression
artérielle et de la contractilité myocardique induites (24).
Dans ce mole, la modulation pharmacologique des
synapses glutamatergiques centrales a été abordée de deux
façons :
par des antagonistes des effets post-synaptiques du gluta-
mate impliquant des récepteurs de type NMDA (N-méthyl-D-
aspartate). Dans ce cas, le blocage de ce récepteur, quel que
soit le site choisi, a toujours réduit les augmentations de la
demande d’oxygène du myocarde observées lors de la stimu-
lation hypothalamique (25, 26) ;
en réduisant la libération de ce même neurotransmetteur sur
le versant présynaptique en activant des récepteurs GABA
B
,
par un agoniste sélectif de ce récepteur, le baclofène. Ce pro-
duit a, en effet, réduit les augmentations de la demande myo-
cardique en oxygène observées lors de la stimulation du NPV
(24, 27) par un mécanisme d’action central impliquant des
relais spinaux (28).
Ainsi, les relais glutamatergiques et GABAergiques centraux
peuvent être modulés par des drogues qui se profilent alors
comme des protecteurs myocardiques vis-à-vis d’épisodes
ischémiques déclenchés par un effort physique ou par un
stress. Leurs effets dans des modèles de cardiopathies isché-
miques sont en cours d’investigation.
Troubles du rythme cardiaque. Les relais glutamater-
giques et GABAergiques centraux sont aussi impliqués dans
la genèse d’arythmies cardiaques d’origine centrale. Ainsi, le
blocage des récepteurs GABA
A
bulbaires par l’injection
intracisternale de bicuculline chez le lapin anesthésié au pen-
tobarbital conduit au développement d’arythmies cardiaques
complexes à type d’extrasystoles ventriculaires polymorphes
et de tachycardie ventriculaire (29). Ces troubles du rythme
ont pour origine une dérégulation majeure de la balance sym-
pathovagale. La même dérégulation peut être obtenue par une
stimulation électrique hypothalamique chez un rat spontané-
ment hypertendu anesthésié. Elle provoque, de manière repro-
ductible, des extrasystoles ventriculaires et des salves de
tachycardie ventriculaire non soutenue. Ces arythmies sont
efficacement prévenues par des antagonistes des récepteurs
ionotropes du glutamate (30). encore, il apparaît que tout
blocage des relais glutamatergiques ou renforcement des
influences GABAergiques peut conduire à des effets cardio-
vasculaires favorables.
CONCLUSION
La modulation de la balance sympathovagale semble pouvoir
ouvrir des perspectives thérapeutiques nouvelles et promet-
teuses dans des domaines tels que les cardiopathies isché-
miques, l’insuffisance cardiaque ou les troubles du rythme.
Dans certains cas, des produits ciblant le système nerveux
central à des fins thérapeutiques cardiaques pourraient venir,
comme pour l’angine de poitrine, compléter l’arsenal théra-
peutique actuel avec des drogues non arythmogènes, peu
cardiodépressives et bien tolérées. Dans des cas comme la
prévention de la mort subite d’origine rythmique, le clinicien
est encore bien démuni en matière de thérapeutiques médica-
menteuses vraiment efficaces. Dans ce domaine, l’implication
du système nerveux autonome apparaît suffisamment impor-
tante pour que des espoirs puissent être raisonnablement fon-
dés sur des thérapeutiques d’action authentiquement centrale.
Pour y parvenir, les pistes pharmacologiques sont nombreuses
et le sujet à peine effleuré. Quelques-unes présentent déjà des
résultats encourageants (action sur les relais glutamater-
giques, les récepteurs imidazoliniques). En tout état de cause,
les limites de certaines des thérapeutiques actuelles et l’im-
portance de ce système de contrôle de la fonction cardiaque
peuvent légitimement encourager pharmacologues et clini-
ciens à approfondir cette voie de recherche
.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
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