Dossier Réponses immunitaires après infection naturelle et après vaccination Nathalie Parez Service des urgences pédiatriques, Hôpital d’enfants A. Trousseau, 26 rue du Dr Netter, 75571 Paris cedex 12. Fax : 01 44 73 69 85 <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les mécanismes de la réponse immunitaire induite par l’infection à rotavirus sont complexes et ne sont que partiellement connus. Il n’existe pas de marqueur immunologique prédictif de protection après l’infection naturelle ou après immunisation. L’infection naturelle ne protège que partiellement et progressivement contre les réinfections, mais la primo-infection protège contre la maladie sévère lors des réinfections. Il est légitime d’attendre que l’efficacité des vaccins rotavirus en termes de protection soit comparable à celle de l’infection naturelle. Le but de la vaccination rotavirus est donc de protéger le jeune nourrisson avant la survenue d’une primo-infection, pour prévenir la survenue d’une gastroentérite aiguë sévère. Mots clés : gastroentérite aiguë, rotavirus, vaccination, réponses immunitaires L doi: 10.1684/mtp.2006.0021 e pouvoir pathogène du rotavirus chez l’homme est variable, ce qui conduit à des expressions cliniques différentes : de la forme asymptomatique à la déshydratation sévère voire au décès du patient. L’infection est plus sévère chez l’enfant de 3 mois à 2 ans que chez le nouveau-né, chez l’enfant plus âgé ou chez l’adulte. La réponse immunitaire de l’hôte est l’un des facteurs qui pourraient rendre compte de cette différence de susceptibilité vis-à-vis de l’infection liée à l’âge. Mécanismes des réponses immunitaires Les mécanismes de la réponse immunitaire induite par l’infection à rotavirus sont complexes et ne sont que partiellement connus. mt pédiatrie, vol. 9, Numéro spécial, septembre 2006 Phénomène de domiciliation sélective muqueuse des lymphocytes spécifiques (phénomène de « homing » intestinal) Les cellules M de l’épithélium intestinal, situées en regard des plaques de Peyer pourraient participer à la présentation antigénique du rotavirus aux cellules inductrices de la réponse immunitaire situées dans les plaques de Peyer. Les lymphocytes T activés ou mémoire, les lymphocytes B, majoritairement IgM+ et IgD+, et les macrophages stimulés par l’infection à rotavirus migrent des plaques de Peyer vers le ganglion lymphatique et rejoignent la circulation systémique par le canal thoracique. Grâce à certains marqueurs de domiciliation sélective (ou homing intestinal) exprimés à leur surface (intégrine a4b7 ou récepteurs CCR7 et CCR9), ces lymphocytes retournent de façon sélective dans la 47 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Réponses immunitaires après infection naturelle et après vaccination 48 lamina propria de la muqueuse intestinale ou en position intra-épithéliale (figure 1). Cette domiciliation spécifique permet aux lymphocytes qui ont rencontré un antigène d’origine intestinale de retourner, de façon sélective, à l’endroit où ils ont été activés et où ils ont une plus grande probabilité de retrouver l’antigène spécifique, en l’occurrence le rotavirus [1]. Les IgA sont sécrétées par les plasmocytes issus des lymphocytes B différenciés de la lamina propria et sont captées par les entérocytes. Après ajout de la pièce sécrétoire, les IgA sécrétoires spécifiques du rotavirus sont libérées dans la lumière intestinale. La protéine VP6 pourrait induire des IgA dont l’effet protecteur interviendrait à l’intérieur de la cellule, lorsque ces IgA sécrétoires rencontrent le rotavirus dans l’entérocyte infecté [2, 3]. Réponses immunitaires humorales La réponse immunitaire humorale induite par l’infection à rotavirus se traduit par la production d’anticorps spécifiques, systémiques et muqueux. Les observations cliniques suggèrent que la réponse immunitaire humorale joue un rôle déterminant à la fois dans la résolution de la maladie et dans la protection contre l’infection. Chez le sujet immunodéprimé, les infections à rotavirus sont plus graves que chez le sujet immunocompétent. Elles se manifestent par une diarrhée fébrile, prolongée et intermittente qui peut évoluer de façon chronique, et par une excrétion persistante du virus dans les selles pendant 6 semaines à 2 ans [4-6]. Bien que l’infection soit habituellement localisée aux cellules de la muqueuse intestinale, le virus peut disséminer par voie hématogène (virémie) chez le patient immunodéprimé et être responsable de manifestations extra-digestives ou de décès [7, 8]. La protéine VP6, qui est la protéine la plus immunogène des rotavirus, induit la production d’anticorps non neutralisants [9-11], bien que des IgA polymériques spécifiques de VP6 puissent conférer une protection in vivo, probablement par transcytose dans les cellules épithéliales intestinales [2, 3]. Les anticorps anti-VP6 systémiques jouent probablement un rôle important dans la réponse immunitaire de l’hôte, mais les anticorps spécifiques intestinaux de type IgA semblent jouer un rôle prépondérant [12]. Les anticorps neutralisants induits par les protéines VP7 et VP4 interviennent dans les mécanismes de la protection homotypique (vis-à-vis de rotavirus de type semblable) et hétérotypique (vis-à-vis de rotavirus de type différent). La protéine VP7 initie l’activation polyclonale des lymphocytes B intestinaux au cours de la phase précoce de l’infection [13]. C’est aussi la cible principale des lymphocytes T cytotoxiques, dont l’activité est à la fois spécifique du sérotype G (réponse homotypique) et croisée entre souches de sérotypes différents (réponse hétérotypique) [14]. Les anticorps neutralisants anti-VP7 sont les plus efficaces pour protéger vis-à-vis des gastro-entérites sévères [15], même si les anticorps anti-VP4 ont également un rôle dans la neutralisation de l’infection [16] et sont capables de protéger passivement l’animal contre la diarrhée à rotavirus [17-19]. La protéine VP8*, produit du clivage protéasique de VP4, possède les sites antigéniques responsables de la spécificité sérotypique P et l’épitope de neutralisation, alors que VP5*, l’autre produit de clivage de VP4, comprend les sites responsables de la réactivité croisée (hétérotypique) parmi différents VP4 [20]. La réponse humorale semble jouer un rôle important dans la réponse immunitaire de l’hôte, puisque l’efficacité de la protection induite par l’infection naturelle à rotavirus est corrélée au taux d’anticorps spécifiques systémiques et muqueux. Cependant, il n’existe pas de corrélation entre le taux d’anticorps neutralisants (anti-VP4 et anti-VP7) et le niveau de protection. L’efficacité de la réponse humorale n’est donc pas spécifique du sérotype du virus. De plus, d’autres facteurs interviennent aussi dans la réponse immunitaire de l’hôte. Réponses immunitaires cellulaires La réponse immunitaire de type cellulaire est encore très peu connue chez l’homme mais semble jouer un rôle non négligeable dans la défense contre l’infection chez la souris [21, 22]. Dans ce modèle animal, bien que les lymphocytes T CD4+ n’aient probablement pas un effet anti-viral direct, ils semblent indispensables à la production intestinale par les cellules B d’anticorps de type IgA spécifiques du rotavirus [23]. Cette réponse anticorps semble être le mécanisme principal qui intervient dans la protection contre la réinfection virale [24, 25]. L’isolement des différentes sous-populations de lymphocytes T par cytométrie de flux combiné aux techniques de mesure de la réponse lymphoproliférative in vitro a permis de montrer que les lymphocytes CD4+ qui prolifèrent in vitro en réponse au rotavirus expriment l’intégrine a4b7 [26] ce qui confirme les observations portant sur la domiciliation sélective muqueuse des cellules immunitaires. Les lymphocytes T CD8+ (cytotoxiques) ont probablement un effet anti-viral direct et peuvent induire une immunité partielle contre la réinfection virale [27]. Corrélation entre réponses immunitaires et protection Chez l’homme, il existe une corrélation entre la protection induite par l’infection naturelle et le taux d’IgA spécifiques dans les selles [28, 29] mais pas avec le taux d’anticorps neutralisants sériques. Cependant, il n’existe pas de corrélation entre la protection induite par la vaccination et le taux d’anticorps spécifiques [30]. Chez le nouveau-né, les anticorps d’origine maternelle transmis par l’allaitement semblent partiellement protéger contre le rotavirus [31-33]. Dans les modèles animaux, ils jouent un rôle important dans l’expression clinique des mt pédiatrie, vol. 9, Numéro spécial, septembre 2006 Antigènes A Cellule M Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Lymphocyte Muqueuse intestinale Circulation Antigènes B Cellules à gobelet Plasmocyte Lymphocyte Villosité Macrophage Mucus Cellules entéro-endocrines Entérocyte Lymphocyte intra-épithélial Mastocyte Muqueuse intestinale Crypte Circulation Cellules de Paneth Figure 1. Représentation schématique des sites inducteurs (A) et des sites effecteurs (B) de la réponse immunitaire muqueuse intestinale. Illustration du phénomène de domiciliation sélective muqueuse intestinale. (A) : L’antigène présent dans la lumière intestinale est présenté par les cellules M aux cellules immunitaires des plaques de Peyer. Les cellules mémoires stimulées migrent dans le ganglion mésentérique pour rejoindre la circulation systémique. (B) : Les cellules immunitaires circulantes retournent à leur site intestinal de stimulation antigénique (homing) c’est-à-dire dans la lamina propria des villosités intestinales. mt pédiatrie, vol. 9, Numéro spécial, septembre 2006 49 Réponses immunitaires après infection naturelle et après vaccination Tableau 1. Efficacité* de la protection induite par l’infection naturelle à rotavirus contre les réinfections et leurs manifestations cliniques Réinfection 1er épisode 2e épisode 3e épisode 38 (17-50) 60 (41-72) 66 (33-83) Maladie (toute forme) 77 (60-88) 83 (64-92) 92 (44-99) Forme asymptomatique 38 (9-58) 62 (34-79) 74 (17-92) Forme modérée Forme sévère 73 (50-86) 75 (45-89) 99 (-100-100) 87 (55-96) 100 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. * L’efficacité de la protection est exprimée en pourcentage et l’intervalle de confiance de 95 % est indiqué entre parenthèses. D’après Velazquez, 1996 [39]. primo-infections et dans le développement de l’immunité acquise [34, 35]. Par contre, l’allaitement maternel pourrait être responsable d’un retard de séroconversion chez les nourrissons vaccinés [36, 37]. Finalement, il n’est pas exclu que d’autres facteurs encore méconnus puissent participer à la réponse immunitaire dirigée contre le rotavirus. La complexité des réponses immunitaires spécifiques et l’absence de marqueur immunologique prédictif de protection après l’infection naturelle ou après immunisation font partie des difficultés rencontrées lors du développement des vaccins. Protection induite par l’infection naturelle et la vaccination Efficacité de la protection induite par l’infection naturelle L’infection naturelle protège partiellement et progressivement contre les réinfections. La primo-infection ne protège pas le nouveau-né contre une réinfection par le rotavirus, mais elle le protège contre une maladie sévère lors des réinfections [38]. À l’inverse, chez le nouveau-né qui n’a pas été infecté durant le premier mois de vie, la primo-infection se manifeste plus fréquemment par de la diarrhée. Chez le nourrisson de moins de 2 ans, la protection induite par l’infection naturelle atténue la sévérité de la diarrhée lors des réinfections. L’efficacité de cette protection augmente avec chaque nouvelle infection (tableau 1) [39]. Cette protection s’exerce vis-à-vis des réinfections par des rotavirus de sérotype différent [40, 41] mais elle est plus efficace contre les réinfections par un rotavirus de même sérotype [39]. Finalement, bien que l’infection naturelle protège contre les réinfections sous forme de gastroentérite sévère, un nourrisson peut développer deux épisodes de diarrhée à rotavirus d’un même sérotype d’une saison à l’autre. Il peut également développer deux épisodes de gastroentérite à rotavirus dans la même saison. Immunogénicité et protection induites par la vaccination L’immunogénicité induite par la vaccination à base de virus vivants atténués est très peu étudiée chez l’homme. 50 Comme l’infection naturelle, les vaccins vivants atténués sont capables d’induire une production d’anticorps spécifiques du rotavirus dont le taux n’est cependant pas corrélé avec l’efficacité de la protection. Ils sont aussi capables d’induire une protection homotypique et hétérotypique [40, 41]. L’immunogénicité de ces vaccins est augmentée par l’alcalinisation de l’estomac (allaitement en général) [42] et diminuée par la présence d’anticorps intestinaux spécifiques (allaitement maternel) [43, 44]. En conclusion, plusieurs résultats sont importants à prendre en compte lors du développement et la surveillance des vaccins anti-rotavirus : 1. L’infection naturelle (y compris la primo-infection) et l’immunisation sont susceptibles d’induire une protection homotypique et hétérotypique. 2. La protection vis-à-vis de l’infection naturelle est partielle et ne s’acquiert que progressivement. L’efficacité de cette protection augmente avec l’âge. 3. La protection complète vis-à-vis d’une maladie sévère est acquise dès la deuxième infection. 4. Il existe une corrélation entre la protection induite par l’infection naturelle, mais non celle induite par la vaccination, et le taux d’anticorps spécifiques du rotavirus. Cette corrélation est indépendante du taux des anticorps neutralisants et n’est donc pas liée à la spécificité des types de rotavirus. 5. En l’absence de marqueur d’immunogénicité ou de marqueur prédictif de protection, l’efficacité des vaccins actuels ne peut être évaluée qu’en terme de protection. 6. Le but de la vaccination rotavirus est de protéger le jeune nourrisson avant la survenue d’une primo-infection à rotavirus pour prévenir la survenue d’une gastroentérite aiguë sévère. Références 1. Butcher EC, Williams M, Youngman K, Rott L, Briskin M. 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