260 CAHIERS DE GÉOGRAPHIE
Nous n'avons pas, ici, à analyser les conceptions générales de l'École
sociologique française de Durkheim et de ses collaborateurs. Rappelons seule-
ment que, pour ce groupe de chercheurs, la sociologie comportait deux divisions
principales — que désignait ainsi Marcel Mauss : « En fait, il n'y a dans une
société que deux choses : le groupe qui la forme, d'ordinaire sur un sol déter-
miné, d'une part ; les représentations et les mouvements de ce groupe d'autre
part. Au premier phénomène, le groupe et les choses, correspond la morpho-
logie, étude des structures matérielles ; au deuxième phénomène correspond
la physiologie sociale, c'est-à-dire l'étude de ces structures en mouvement, c'est-
à-dire leurs fonctions et le fonctionnement de ces fonctions )).x
Par le terme de morphologie sociale, on désignait donc cette branche de
la sociologie qui étudie, selon l'expression de Durkheim, « le substrat matériel
des sociétés )). Durkheim avait d'ailleurs défini clairement le champ de cette
discipline dès 1898 dans un texte qu'il faut considérer attentivement pour
comprendre l'intention qui animait ceux qui ont proposé la constitution de la
morphologie sociale.2 Durkheim part du fait que « la vie sociale repose sur un
substrat qui est déterminé (ou donné) dans sa grandeur comme dans sa forme ».
Ce qui constitue ce substrat, c'est : 1° la masse des individus qui composent
la société (c'est-à-dire la population au sens démographique du terme) ; 2° la
manière dont ils sont disposés sur le sol (répartition de la population, dispersion
ou concentration, etc.). II ajoute aussi un troisième élément plus général (plus
ambigu aussi, nous y reviendrons plus loin) : la configuration des choses de
toutes sortes qui affectent les relations collectives.
Durkheim observe que le substrat social sera différent « suivant que la
population est plus ou moins considérable, plus ou moins dense, suivant qu'elle
est concentrée dans les villes ou dispersée dans la campagne, suivant la façon
dont les villes et les maisons sont construites, suivant que l'espace occupé par la
société est plus ou moins étendu, suivant ce que sont les frontières qui le limitent,
les voies de communication qui le sillonnent, etc., etc. Voilà donc tout un en-
semble de problèmes qui intéressent évidemment la sociologie et qui se référant
tous à un seul et même objet, doivent ressortir à une même science ».
Cette discipline
s'est
évidemment constituée en opposition à la géo-
graphie humaine naissante : (( II
s'agit,
en effet, prétendait Durkheim, d'étudier
non les formes du sol, mais les formes qu'affectent les sociétés en s'établissant
sur le sol. (. . .) Sans doute, les cours d'eau, les montagnes, etc., entrent
comme éléments dans la constitution du substrat social ; mais ce ne sont pas les
seuls,
ni les plus essentiels ...»
Comme la morphologie, l'écologie humaine a été élaborée aussi par des
sociologues, mais dans un autre contexte. Les fondateurs de l'écologie humaine
américaine -— Robert E. Park et Ernest W. Burgess — ont présenté leurs pre-
mières propositions vers 1920 sans se reporter aucunement aux suggestions de
1
MAUSS,
Marcel, Divisions et proportions de la sociologie, Année sociologique,, nouvelle
série,
tome n, 1924-25, pp. 129-130. II faut souligner, incidemment, l'ambiguïté de la notion de
« structure » chez les représentants de l'école durkheimienne ; voir la note de Mauss à la page
129 de l'article précité.
2 Année sociologique, tome n, 1897-98, pp.
520-521.