Algèbres stellaires et algèbres de von Neumann
Henrik Densing Petersen
Notes rédigées par Maxime Gheysens
Automne 2013
Chapitre 1
Introduction
1.1 Rappels
Espaces de Hilbert Rappelons qu’un espace de Hilbert est un espace vectoriel (complexe) H
muni d’un produit scalaire, c’est-à-dire une application ,·i :H × H Cvérifiant
(i) hξ+tξ0,ηi=hξ,ηi+thξ0,ηipour tous ξ,ξ0,η∈ H et tC;
(ii) hξ,ηi=hη,ξipour tous ξ,η∈ H;
(iii) hξ,ξi>0pour tout ξ∈ H, avec égalité si et seulement si ξ= 0 ;
et qui est complet pour la norme k·k définie par ce produit scalaire (kξk=phξ,ξi).
Notation 1.1. — Nous noterons E1ou (E)1la boule unité fermé d’un espace normé (E,k·k).
Rappelons que B(H), l’ensemble des opérateurs linéaires T : H → H bornés, est une algèbre de
Banach, c’est-à-dire un espace de Banach muni d’une structure d’algèbre telle que kxy k6kxk·kyk.
Remarque 1.2. — Tout produit scalaire vérifie l’inégalité de Cauchy–Schwarz :
|hξ,ηi| 6kξk·kηkpour tous ξ,η∈ H.
En outre, cette inégalité devient une égalité si et seulement si ξet ηsont colinéaires.
Remarque 1.3. — Tout espace de Hilbert est dual à lui-même grâce au théorème de représentation
de Riesz, qui affirme que toute fonctionnelle 1bornée ϕ:H → Cest de la forme
ϕ(ξ) = hξ,ηipour tous ξ∈ H,
pour un certain η∈ H (indépendant de ξ), et en outre kϕk=kηkH. En particulier, Hest réflexif 2.
1. Nous écrivons souvent « fonctionelle » pour « fonctionelle linéaire ».
2. Pour être tout à fait rigoureux, notons que l’application η7→ h·,ηiest antilinéaire, de sorte qu’elle fournit un
isomorphisme entre Het H, l’espace conjugué de H.
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4CHAPITRE 1. INTRODUCTION
Remarque 1.4. — Tout ensemble fermé, convexe et non vide C⊆ H a un unique élément de
norme minimale. En particulier, cela permet de définir une projection sur le point le plus proche,
c’est-à-dire une application PC:H → H à valeurs dans C, idempotente et telle que le minimum
de kξηkpour ηCest atteint en η= PC(ξ). Si Cest en outre un sous-espace vectoriel, cette
projection est même une application linéaire bornée.
Adjoints L’autodualité d’un espace de Hilbert Himplique que pour toute application linéaire
bornée T : H → H, il existe une unique application linéaire bornée T:H → H (appelée adjoint
de T) telle que
hξ,Tηi=hTξ,ηipour tous ξ,η∈ H.
Un opérateur TB(H)égal à son adjoint est appelé hermitien (en anglais, self-adjoint).
Exercice 1.5. — (i) Montrer que la projection PKsur un sous-espace fermé Kest hermitienne,
que kPKk= 1 (sauf si K={0}) et que Id PK= PK, K={η∈ H | ξ∈ K,hξ,ηi= 0}
est le complément orthogonal de K.
(ii) Montrer qu’il existe une unique projection hermitienne H → H dont l’image est K.
Bases Rappelons que toute partie orthonormale {ξi}iI0⊂ H (c’est-à-dire vérifiant hξi,ξji=δij
pour tous i, j I0) se prolonge en une base orthonormale {ξi}iI(c’est-à-dire qu’en outre tout ξ∈ H
s’écrit comme ξ=PiIhξ,ξiiξi).
Sommes directes Soient H1et H2deux espaces de Hilbert. Leur somme directe H1⊕ H2est
muni d’une structure d’espace de Hilbert via le produit scalaire défini par
hξ1ξ2,η1η2i=hξ1,η1i1+hξ2,η2i2.
Il est alors aisé de voir que la norme qui s’en déduit vérifie kξ1ξ2k2=kξ1k2
1+kξ2k2
2.
Nous noterons Hnla somme directe de ncopies de H. Remarquons alors que nous pouvons
identifier B(Hn)àMnB(H), l’ensemble des matrices n×nà coefficients dans B(H).
1.2 Algèbres d’opérateurs
Considérons les trois topologies suivantes dont peut être muni B(H), l’ensemble des opérateurs
linéaires bornés de H.
1. La topologie de la norme ou topologie uniforme est la topologie usuelle de la norme opérateur
définie par
kTk= sup {kTξk | ξ∈ H,kξk61}= sup {|hTξ,ηi| | ξ,η∈ H,kξk,kηk61},
cette dernière égalité étant due à l’autodualité de H.
2. La topologie forte (strong operator topology en anglais) ou topologie de la convergence simple
forte est la topologie induite par la famille de semi-normes k·ξk(ξ∈ H) : autrement dit,
1.2. ALGÈBRES D’OPÉRATEURS 5
une suite généralisée {Tα}αAB(H)converge vers TB(H)pour la topologie forte si et
seulement si k(TαT)ξkconverge vers zéro pour tout ξ∈ H.
3. La topologie faible 3(weak operator topology en anglais) ou topologie de la convergence simple
faible est la topologie induite par l’ensemble des fonctionnelles ξ,ηi(ξ,η∈ H) : autrement
dit, une suite généralisée {Tα}αAB(H)converge vers TB(H)pour la topologie faible
si et seulement si hTαξ,ηiconverge vers hTξ,ηipour tous ξ,η∈ H.
Remarque 1.6. — Chacune de ces topologies munit B(H)d’une structure d’espace vectoriel to-
pologique séparé et localement convexe. La topologie de la norme est même compatible avec la
structure d’algèbre et avec l’adjonction. La situation est plus subtile avec les topologies forte et
faible, comme le montrent les trois exercices suivants.
Exercice 1.7. — Observer que l’application T7→ Test continue pour la topologie faible (et
pour la topologie de la norme). Montrer en revanche qu’elle ne l’est pas pour la topologie forte.
Indication. Considérer l’opérateur de décalage à droite S : `2(N)`2(N)défini par S ((xi)iN) =
(0, x0, x1, x2, . . . ).
Exercice 1.8. — (i) Soit Wun voisinage fort de zéro. Montrer que pour tous ξ,η∈ H non nuls,
il existe T,SWtels que |hTSξ,ηi| >1.Indication. Montrer qu’il existe z∈ H tel que
sup
TWkTzk=.
(ii) En conclure que la multiplication n’est pas continue lorsque B(H)×B(H)est muni du produit
des topologies fortes et B(H)est muni de la topologie faible. A fortiori, ni la topologie faible
ni la topologie forte ne sont compatibles avec la structure d’algèbre de B(H).
L’exercice suivant montre que l’obstruction à la continuité de la multiplication pour les topologies
faible et forte réside bien dans le fait que les voisinages de ces topologies ne sont pas bornés.
Exercice 1.9. — Notons B(H)1la boule unité (pour la norme opérateur) de B(H).
(i) Montrer que la multiplication B(H)1×B(H)B(H) : (T,S) 7→ TS est continue lorsque la
source B(H)1×B(H)est munie de la topologie produit des topologies faible sur B(H)1et
forte sur B(H)et que le but B(H)est muni de la topologie faible.
(ii) Montrer de même que B(H)1×B(H)B(H) : (T,S) 7→ TS est continue pour la topologie
forte.
Définition 1.10. — Une algèbre stellaire (concrète) est une sous-algèbre de B(H)qui est stable
pour l’adjonction et fermée pour la topologie de la norme.
Remarque 1.11. — Sous l’influence de l’anglais, il est fréquent d’entendre parler de C-algèbre
au lieu d’algèbre stellaire (cf. infra pour des explications sur la terminologie).
Proposition 1.12. — Pour tout TB(H), nous avons kTTk=kTk2.
3. On prendra garde à ne pas confondre cette topologie avec la topologie faible obtenue lorsque B(H)est considéré
comme un espace de Banach. La terminologie est quelque peu malheureuse mais il ne devrait pas en résulter de grande
confusion ; la topologie faible sera de toute façon peu utilisée.
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