Quel bilan tirer de l’UEM européenne ? Eléments de correction Comment définir l’Union économique et monétaire ? On peut définir l’UEM comme une étape dans une dynamique d’intégration qui concerne un certain nombre de pays européens. On s’appuie ici sur la présentation faite par Bela Belassa pour qui il existe des degrés d’intégration différents qui vont de la constitution d’une zone de libre échange à l’UEM : - 1) la constitution d’une zone de libre échange ; - 2) la réalisation d’une union douanière ; - 3) la création d’un marché commun (la libre circulation concerne désormais les personnes et les capitaux) ; - 4) l’union économique (mise en place de règles communes qui permettent de faciliter les circulations des biens, services, capitaux et personnes) ; - 5) l’union économique et monétaire (qui s’accompagne de politiques économiques communes et de l’intégration monétaire). Attention, chaque nouvelle étape englobe la précédente et lui rajoute un nouvel élément. Par exemple l’union douanière = zone de libre échange + tarif commun ; Union économique = union douanière (libre circulation des biens) + libre circulation des services, des personnes et des capitaux ; l’union économique aboutit donc au marché unique ; Union économique et monétaire = union économique + les politiques communes qui découlent de la mise en œuvre d’un espace sans frontière. Ces politiques communes portent sur plusieurs domaines, notamment le domaine monétaire (système monétaire, monnaie commune ou monnaie unique). Conclusion : à partir de la définition de Béla Belassa il est possible de définir ce qu’est une UEM : il y a union économique et monétaire lorsque des pays choisissent de créer un marché commun, mettent un œuvre des politiques communes et adoptent un système monétaire commun. Cette présentation suit une logique particulière qui est la suivante : l’intégration est d’abord économique, elle s’ouvre dans un premier temps aux échanges commerciaux, puis aux facteurs de production. Ensuite, en raison de l’intégration de ces échanges, les Etats mettent en place des règles communes (ce qui justifie par exemple une politique de la concurrence commune) afin d’harmoniser les conditions de ces échanges. Enfin, étant donné que les Etats deviennent économiquement de plus en plus intégrés, cela conduit à la mise en œuvre de politiques économiques et monétaires communes (puisque les « problèmes » qui le concernent sont désormais communs). On constate donc que la dimension politique de l’intégration « politique » succède à l’intégration « économique », ce qui reflète la logique que l’on retrouve dans la théorie du couronnement (c’est l’intégration économique va conduire à l’intégration politique ; dit autrement, l’intégration politique « couronne » l’intégration économique puis monétaire). Si l’on cherche à appliquer cette présentation à l’histoire de la construction européenne, on constate deux choses : - il y a certains décalages historiques entre cette présentation et ce qui a été fait en Europe : par exemple, la politique agricole commune se met en place avant même la réalisation de l’union douanière (1968) ou de la politique européenne de la concurrence (années 1980). - cependant, cette présentation respecte bien l’idée qui va prévaloir en Europe qui est celle d’une intégration politique qui arrive a posteriori par rapport à l’intégration économique, parce que c’est l’interdépendance croissante des économies européennes qui pousse à réfléchir à de nouveaux cadres politiques et institutionnels pour faire fonctionner la coopération entre les différents Etats. On se rappelle en effet que le projet d’intégration européen qui émerge après guerre est avant tout un projet politique (pensez à la création du Conseil de l’Europe en 1947 ou au projet de CED) mais que face aux difficultés à réaliser cette intégration politique, le choix sera fait d’utiliser une « stratégie des petits pas » afin de construire peu à peu l’Europe à partir du plus petit dénominateur commun, les échanges économiques. Nicolas Danglade 1 Camille Vernet 2015-2016 Il est possible de s’appuyer sur une autre définition de l’UEM, qui est plus « institutionnel ». En effet, on appel cette terminologie apparaît dans l’accord qui vise la création d’une monnaie unique avant le 01 janvier 2002 et le transfert du pouvoir monétaire à la BCE. L’UEM se restreint donc à cette étape de la construction européenne qui marque l’entrée dans la monnaie unique après la réalisation du marché unique. Il est bien sur indispensable de faire référence à cet événement dans la copie, mais je pense que la définition de Belassa est beaucoup plus pertinente pour traiter du sujet. Elle permet notamment de se projeter historiquement sur toute la dynamique de la construction européenne en se demandant quel bilan il est possible de tirer de la réalisation du marché unique, du passage à la monnaie unique et de la mise en œuvre de politiques économiques « européennes ». Dans une première partie, nous tirons un bilan plutôt positif de la réalisation de l’UEM en Europe. Nous chercherons à rappeler les objectifs de cette dynamique d’intégration, montrerons qu’un certain nombre de ces objectifs ont été atteints ; nous montrerons aussi que l’Europe a su évoluer pour faire face à des enjeux nouveaux. Dans une seconde partie, nous tirons cette fois un bilan davantage critique de la réalisation de l’UEM. L’intégration européenne n’est pas encore aboutie, et surtout, elle semble produire des effets pervers qui remettent en cause sa viabilité. Nous nous demanderons alors quels peuvent être/devraient être les nouveaux domaines de l’intégration européenne. 1. Le bilan positif de l’UEM : paix durable, croissance et rattrapage économique 1.1 Progresser dans l’intégration économique, monétaire et politique : les défis réussis de l’approfondissement de l’UE Le point de départ : rappeler qu’il existe bien avant le Traité de Rome (1957) l’idée que les nations européennes doivent progresser vers une coopération de plus en plus étroite. On peut remonter jusqu’au discours de V.Hugo lors de la Conférence de la Paix (1848). Au lendemain de la seconde guerre mondiale, cette idée d’une Europe unie refait surface. Le premier défi qui est lancé à la construction européenne consiste alors à savoir quelle forme doit prendre cette coopération : politique, militaire, monétaire, économique ? Il faut donc faire ici plusieurs rappels historiques pour montrer que face aux difficultés de créer une Europe politique, les « concepteurs » de l’intégration européenne, en particulier J.Monnet ou R.Schuman vont axer la dynamique européenne d’abord sur les échanges et la circulation des biens, personnes, travailleurs et capitaux : rappels du Plan Marshall (+ doctrine Truman, CECA, CED) jusqu’à Traité de Rome. Il faut ensuite rappeler que cette intégration économique a conduit à l’Acte unique, au Traité de Maastricht puis au Traité de Lisbonne. Il est possible dans cette partie de passer en revue différentes politiques économiques européennes : politique commerciale, politique agricole, politique de la concurrence par exemple. Rapidement pourtant, la question de l’intégration monétaire se pose aussi : il faut faire référence aux plans Barre (1969) et Werner (1971). La fin du système de Bretton Woods marque un tournant avec la volonté des pays membres de maintenir entre eux des changes fixes. Ce qui débouche au serpent monétaire puis au SME. Il faut alors rappeler que l’Acte unique (J.Delors) (et la libre circulation des capitaux) pousse les pays du SME dans le triangle des incompatibilités qui va conduire à la mise en œuvre de la monnaie unique, et donc à une intégration monétaire totale. Le second défi de l’intégration européenne aura donc été celui de l’intégration monétaire. Le troisième défi renvoie à la répartition des compétences entre l’Europe et les Etats membres. On vient en effet de voir que l’intégration monétaire a abouti à la création d’une monnaie unique, et donc à un transfert de souveraineté monétaire. Depuis 1957, la répartition des compétences entre les Etats membres et l’UE a évolué et certaines compétences ont été progressivement transmises au niveau Européen. Comment cela s’est-il traduit en terme de gouvernance européenne ? J.Delors parle à propos de l’UE d’un ovni politique non identifié dans le sens où l’Europe est plus qu’une confédération (dans Nicolas Danglade 2 Camille Vernet 2015-2016 laquelle chaque Etat reste totalement souverain dans ces décisions et qui fonctionne à l’unanimité) et une fédération (dans laquelle il existe un intérêt général supérieure aux nations qui la compose et qui fonctionne avec un exécutif et un législatif qui lui sont propres). Au fur et à mesure de la construction européenne, le projet européen a développé des éléments de fédéralisme (comme la monnaie unique par exemple) mais sans pour autant faire disparaître le rôle des Etats membres (MES, mécanisme de colégislation, domaines de compétences exclusifs des Etats membres). En conclusion : l’intégration européenne a su répondre à un premier défi économique : par quel(s) domaine(s) progresser dans l’intégration ? Un second défi monétaire : quelle coopération monétaire mettre en place ? Un troisième défi politique : quelle répartition des compétences entre Etats membres et Europe ? Conséquence : on a donc assisté à une véritable dynamique d’approfondissement progressif depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à l’émergence de l’UEM qui signe là la réussite de l’intégration européenne. L’UE a su finalement passer d’une étape à l’autre dans la présentation de B.Belassa pour tendre vers un approfondissement de l’intégration politique tout en suivant la stratégie des petits pas défendue et mise en œuvre par J.Monnet. 1.2 Intégration économiques et monétaire, convergence et rattrapage des économies en retard L’intégration économique et monétaire européenne s’est donnée une série d’objectifs : croissance, rattrapage, stabilité monétaire. Nous allons montrer ici que ces objectifs ont été atteints. Le Traité de Rome a pour objectif l’instauration d’une paix durable en Europe. Cette paix durable est le produit d’une dynamique vertueuse qui s’appuie sur l’essor des échanges économiques entre pays membres (marché commun) et sur la mise en place de politique commune (PAC). Durant les années 1970, suite au premier élargissement (1973) et à la montée du chômage, l’Europe élargit le champ (région en retard, touchée par la désindustrialisation ...) ainsi les instruments (FEDER) des politiques régionales avec comme objectif essentiel de renforcer la cohésion sociale en luttant contre les inégalités territoriales. La question de la convergence « réelle » des économies se pose donc. Durant les années 1980/1990, c’est sur la réalisation du marché unique, puis sur la création de la monnaie unique, que repose cette dynamique de convergence. Il faut ici reprendre les arguments du cours sur les effets positifs attendus de l’intégration économique, de la réalisation d’une « économie sans frontières » : effet pro-concurrentiel, effet de rationalisation des activités, diversification de l’offre, économie d’échelle … citer le rapport Checchini Il faut aussi reprendre les documents du cours qui font le point sur la mesure des gains en termes de croissance et d’emploi de l’approfondissement de l’intégration éco et monétaire sur la période des années 1990/début des années 2000. On constate que globalement/en moyenne tous les pays membres ont obtenu des gains de croissance et une baisse du chômage grâce à l’intégration européenne, sauf l’Italie. Ce cas italien nous amène d’ailleurs à préciser davantage les périodes de croissance et convergence des économies des pays membres. Pour les premiers Etats membres « en retard » (comme l’Italie), la convergence réelle se fait plutôt dans les années 1970/1980, puis s’arrête à partir des années 1990. Pour les nouveaux Etats membres des années 1970 /1980 (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande), la convergence et le rattrapage économique ont plutôt lieu dans les années 1990 et surtout durant la décennie 2000. On citera ici l’évolution de l’écart de pib/tête entre la Grèce et l’Allemagne. On pourra rappeler ici pour conclure sur cet argument, le fait que l’UE est aujourd’hui la première économie mondiale (part du pib européen dans le Pib mondial, part de l’UE dans les échanges commerciaux mondiaux). Concernant maintenant la question de la stabilité monétaire, il faut reprendre ici l’histoire de l’intégration monétaire en Europe et rappeler l’évolution des problématiques monétaires à partir des années 1970. Les années 1970 sont caractérisées par la volonté de lutter contre l’instabilité des taux de change enclenchée par la crise du système de Bretton Woods. Ce qui conduit à la création du serpent européen puis du SME. Les années 1980 sont caractérisées par la volonté de lutter contre l’inflation, ce qui va conduire de nombreux pays à ancrer leur monnaie sur le DM et à pratiquer des politiques de désinflation compétitive (France). Les années 1990 sont marquées, quant à elles par le passage à la monnaie unique. Des critères de convergence « nominaux » sont mis en œuvre (vous pourriez rappeler ici Nicolas Danglade 3 Camille Vernet 2015-2016 le débat « économistes » / « monétaristes »). A de rares exceptions (Belgique, Grèce), ces critères sont respectés par les pays candidats à la monnaie unique. La politique monétaire devient une politique européenne, l’objectif de la BCE est de « contrôler » l’évolution du niveau général des prix avec une cible d’inflation de 2%. La BCE a parfaitement réussi cette mission durant les années 2000. Elle s’est appuyée sur une crédibilité forte vis-à-vis des AE (qui n’anticipent pas une hausse de l’inflation). Cette crédibilité de la politique monétaire provient en partie du statut de la BCE : une banque centrale indépendante du pouvoir politique, et donc indépendante des pressions politiques qui iraient dans le sens de telle ou telle politique monétaire. Cette crédibilité de la politique monétaire, cette capacité à contrôler l’inflation, est bien évidemment une « nouveauté » pour des pays comme l’Italie, où l’inflation est historiquement forte ; ce sont des réussites à mettre au crédit de l’UEM. Conclusion première partie : jusqu’aux années 2000, les différents élargissements de l’UE n’ont pas conduit à remettre en question le projet d’une Europe dans laquelle les peuples vivent en paix et dans le progrès économique et social. A l’exception des guerres dans l’ex-yougoslavie ou de tensions internes (Irlande du Nord ou pays Basque par exemples), les pays européens ont connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale une période de croissance et de paix unique dans l’histoire moderne (depuis la révolution industrielle). Ce qui justifie certainement l’attribution du Prix Nobel de la Paix à l’UE en 2012. Pour autant, le bilan n’est pas entièrement positif, on constate que l’intégration se heurte à des limites (qui empêchent l’UE à ressembler à une économie sans frontières sur le modèle des Etats-Unis). On constate aussi que la construction européenne possède des failles (que la crise des dettes souveraines à mise à jour) et des effets pervers, qui remettent aujourd’hui en cause sa pérennité (citer Grexit). Face aux difficultés rencontrées par l’Union européenne quelles dimensions de l’intégration fat-il dorénavant chercher à développer. Quels sont les nouveaux défis de la construction européenne ? 2. L’avenir de l’UEM en question : les limites de l’intégration économie et monétaire 2.1 La disparité des situations européennes : l’intégration européenne à l’arrêt Que faut-il entendre par disparité des situations ? D’une part, au fait que le marché unique européen accompagné de la monnaie unique ne s’est pas traduit par le disparition des effets frontières entre les économies nationales. Les échanges commerciaux se font toujours en priorité entre AE d’un même pays, même si la distance géographique est plus importante qu’avec des AE d’un pays frontalier. Cet effet frontière freine l’intégration du marché des biens et des services. Les limites concernant les échanges de service ont d’ailleurs fait l’objet d’un rapport en 2010, le rapport Monti. D’autre part, la mobilité du travail est relativement faible par rapport aux Etats-Unis (8 fois plus faible), ce qui freine bien sur l’intégration du marché du travail. Cette mobilité défaillante de la main d’œuvre a une conséquence importante : dans la zone monétaire formée par l’euro, il n’est pas possible de s’appuyer sur la mobilité des actifs pour pouvoir absorber des chocs asymétriques. Ensuite les politiques sociales et fiscales sont des compétences souveraines des Etats membres. Il en résulté des disparités de régimes sociaux (développer la typologie d’Esping Andersen), mais surtout des comportements non coopératifs. Le marché unique a augmenté la concurrence mais la monnaie unique a transféré à l’Europe la politique monétaire et les politiques budgétaires sont coordonnées par le PSC et le Traité pour la stabilité, ce qui conduit les Etats a cherché de nouveaux instruments pour stimuler l’activité sur leur territoire. Certains Etats utilisent donc des stratégies de dévaluations compétitives pour améliorer la performance des entreprises installées sur leur territoire. Conséquence : le marché unique au lieu de créer des solidarités de fait entre pays européens, produit au contraire des stratégies de cavalier seul non coopératives. En outre, si l’on se penche sur la redistribution opérée entre régions européennes, on constate que les inégalités reculent moins en Europe qu’aux Etats-Unis. Ceci s’explique également par le fait qu’il revient aux Etats d’assurer la redistribution des richesses au sein de leur propre territoire. On arrive alors à une situation paradoxale : les Etats membres réduisent en moyenne davantage les inégalités que les EtatsNicolas Danglade 4 Camille Vernet 2015-2016 Unis, mais au sein de l’UE, le recul des inégalités y est globalement plus faible. L.Davezies explique ce paradoxe par le fait que les régions riches des Etats riches n’aident pas les régions pauvres des Etats pauvres (illustrez avec exemple Allemagne/Portugal). Il en résulte un mécontentement de la part des régions riches des pays les plus pauvres qui contestent ce jeu de la redistribution nationale et expriment des demandes de séparatisme territorial (Catalogne, Wallonie par exemple), ce que Davezies appelle le « nouvel égoisme territorial ». Enfin, le dernier argument pour permet de souligner les limites de l’intégration européenne est celui qui concerne l’hétérogénéité croissante des Etats membres. Depuis le début des années 2000, les économies européennes se séparent en deux groupes : ceux du Nord et ceux du Sud. Dans les pays du Sud, le tissu industriel recule de manière très importante, les économies sont marquées par un déficit croissant de la balance courante qui est financé par des entrées de capitaux provenant des pays de l’Europe du Nord (qui sont eux exportateurs nets). Pour expliquer cette divergence des structures productives : il faut s’appuyer sur le modèle cœur-périphérie de P.Krugman développé dans les années 1990 (en opposition avec les prédictions de la Commission européenne de l’époque), il faut aussi rappeler les divergences de politiques économiques entre pays du nord et pays du sud (pendant que l’Allemagne met en place les réformes du marché du travail Hartz, les espagnols pratiquent la spéculation immobilière), il faut enfin expliquer pourquoi la politique monétaire unique est pro-cyclique à partir du moment où l’inflation est différente entre les pays. Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que durant les années 2000, les pays du Sud rattrapent en termes de pib/tête les pays du Nord, leur croissance est plus élevée, mais que durant cette période leur structure productive change (recul industrie et PGF) et que la consommation dans ces pays est en réalité de plus en plus financée grâce à l’entrée de capitaux étrangers qui apportent de la liquidité. D’une certaine manière, cette croissance est une croissance en trompe l’œil car il faut bien rembourser une partie important du financement externe. Marché unique + monnaie unique ont donc rendu les économies européennes de plus en plus hétérogènes ; et les économies du sud dépendantes du financement des économies du Nord. La crise des dettes souveraines : moment où se financement se bloque (sudden stop). Quelle réponse a apporté l’UE à cette crise ? A partir du moment où la Grèce ne sort pas de l’euro, que le travail est peu mobile et qu’il n’y a pas de transferts budgétaires de l’UE vers les pays à balance courante déficitaire, la seule solution possible = réduire le déséquilibre de la balance courante en réduisant la demande intérieure et en stimulant les exportations = politique de dévaluation interne. La construction européenne produit donc un effet : hétérogénéité croissante des économies mais elle n’accompagne pas cette hétérogénéité d’un instrument capable de la gérer (transferts budgétaires ou mobilité du travail). On peut néanmoins rappelé que ce n’est pas la première fois que l’Europe connaît une grave crise. Il faut se souvenir de l’eurosclérose des années 1970/1980. Faut-il alors affirmer comme J.Monnet que l’Europe se construit dans les crises ? 2.2 Développer la dimension sociale et fiscale de l’Europe pour sortir de la crise : pour une nouvelle gouvernance européenne Nous avons vu qu’au sein de l’UE se développent des stratégies de dumping social et fiscal, et que la seule réponse aux crises de balance de paiements, qui découlent de l’hétérogénéité des économies, consiste à pratiquer des politiques d’austérité qui cassent la croissance réelle et réduisent la croissance potentielle. Est-il possible de dépasser ces situations qui condamnent à terme le projet européen ? L’intégration européenne ne peut rester en l’état et on connaît les enjeux de la construction européenne aujourd’hui : supprimer les comportements non coopératifs et permettre la cohabitation d’économie dont les structures productives sont différentes (ce qui signifie des balances courantes structurellement déficitaires pour certains pays). Les réponses que l’on peut apporter à ces problèmes renvoient aux compétences sociales et fiscales qui sont encore aujourd’hui des compétences exclusives des Etats membres. On peut donc se demander dans quelle mesure il est possible de transférer au niveau européen une partie de ces compétences ? L’existence d’une assurance chômage européenne serait ainsi utile pour favoriser la mobilité du travail ; Nicolas Danglade 5 Camille Vernet 2015-2016 l’existence de transferts budgétaires sur le modèle des Etats-Unis permettraient de financer une partie des déficits structurels des régions européennes les moins développés et élimineraient donc les situations de sudden stop ; ces transferts budgétaires permettraient également de maintenir les dépenses publiques lors des chocs asymétriques (à l’opposé des politiques de dévaluations internes) ce qui soutiendrait la croissance potentielle ; en outre, ces transferts étant orientés vers les pays du Sud, ils permettraient d’augmenter les dépenses sociales et donc d’augmenter la redistribution en rapprochant leur modèle social (familialiste) du modèle continental. En créant un SMIC européen, il serait possible de lutter contre les pratiques de dumping social ; en créant un impôt sur les sociétés européen, il serait aussi possible de lutter contre les pratiques de dumping fiscal. En résumé, il semble nécessaire, pour réaliser une « sortie par le haut » de la crise actuelle, de mettre en œuvre davantage de transferts de l’UE vers les Etats-membres et de créer une fiscalité européenne. Ces transferts existent déjà, mais ils sont très modestes. Par conter, le second point est important : il faut se souvenir qu’il n’y a aujourd’hui en Europe pas à proprement parlé de fiscalité européenne. Le budget de l’UE est financé par des droits de douanes, mais surtout par les contributions de chaque Etat membre. Il n’y a pas d’impôt européen. Créer une assurance chômage ou un impôt sur les sociétés européens serait donc « révolutionnaire » : en effet, lever un impôt nécessite un gouvernement (qui propose des choix) et un parlement (qui vote l’impôt). Or, si il existe bien un parlement européen, il n’existe pas en Europe, un gouvernement « européen » : le conseil des ministres ou le conseil européen représentent les Etatsmembres, pas l’Europe en tant que telle. Avancer vers une fiscalité européenne conduit donc à avancer aussi vers un fédéralisme politique plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui, c’est-à-dire à transferomer la gouvernance européenne. On comprend donc que le « saut » vers l’Europe social et fiscal est particulièrement problématique aujourd’hui alors que monte en Europe les mouvements politiques eurosceptiques. On peut enfin conclure, en rappelant que la création d’une fiscalité européenne aurait aussi pour avantage de permettre à l’UE d’émettre ses propres bonds du trésor (eurobonds). Pour M.Aglietta, l’existence d’eurobonds permettrait alors à l’euro de véritablement acquérir le statut de monnaie internationale. En effet, aujourd’hui, les marchés d’émission de dettes publiques sont nationaux en Europe, ils sont donc fragmentés et plus petits que le marché de la dette publique américaine qui capte une partie importante de l’épargne mondiale. En conclusion : il faut insister sur une idée importante. Les institutions politiques européennes se sont transformées au fur et à mesure des crises, des défis, des nouveaux enjeux que l’intégration européenne a connu. Elles ont été établies pour répondre à un certain contexte mais se retrouvent souvent inefficaces face à de nouveaux problèmes. Cela montre à la fois la capacité du projet européen à s’adapter mais en même temps la fragilité des solutions qui sont trouvées. Pour expliquer cela, il ne faut pas oublier finalement que progresser plus vite nécessiterait sans doute des transferts de compétences et un fédéralisme accru, or, l’histoire montre qu’un tel saut « qualitatif » s’est souvent heurté aux nationalismes encore présents en Europe (rejet du référendum de la CED et de la Constitution européenne en France par exemple à 50 ans d’intervalle). La faiblesse du projet européen reste encore sa dimension politique, pourtant, comme le montre la réalisation récente de l’Union bancaire, l’Europe économique est encore en mesure de progresser dans la logique des « petits pas ». ********** Nicolas Danglade Camille Vernet 2015-2016 6