Enseigner la lecture et la littérature, intervention de Jean

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Rencontre débat de l’AFEF - Paris, 14 janvier 2012
Enseigner la lecture et la littérature,
une affaire de compétences ?
Jean-Louis Dufays
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• 1. Clarifier la notion
• 2. La lecture et la littérature face aux compétences
• 3. Analyse critique
1. CLARIFIER LA NOTION
La notion de compétence
• Définition du décret « Missions » (Belgique)
– « aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de
savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant
d’accomplir un certain nombre de tâches »
• Implications de l’approche par compétences
(« APP »)
– Un accent mis sur la complexité
– Une pédagogie de l’intégration : savoirs et savoir-faire
conçus comme des « ressources » à mobiliser
– Un accent mis sur les performances, et donc sur
l’évaluation
– Une valorisation de l’interdisciplinarité et du travail
d’équipe
Deux usages de la notion
de compétence dans les textes officiels
• L’acception large (tronquée)
– Ex. : le référentiel belge des Compétences terminales,
le « Socle commun » et le « Livret personnel de
compétences » en France
– Assimilation des compétences aux capacités
– Tendance à l’atomisation et à la multiplication des items
– Accroissement du travail d’évaluation
• L’acception stricte
– Ex. : les programme des deux principaux « réseaux » belges
– Compétences conçues comme l’intégration de différentes
ressources
– Mise en évidence d’un nombre limité de tâches complexes
– Limitation du nombre de performances à évaluer
2. LA LECTURE ET LA LITTÉRATURE
FACE AUX COMPÉTENCES
Compétences, lecture et littérature
• Pour interroger la pertinence de l’APP (au sens
strict), intérêt
– de poser d’abord les objectifs de l’enseignement de la
lecture/littérature
– puis de mesurer la place et l’impact des compétences
par rapport à ces objectifs
• Intérêt didactique par ailleurs
– de distinguer lecture et littérature…
• car la lecture ne se limite pas à la littérature
• et la littérature n’est pas seulement un objet à lire
– … mais aussi de les relier : enjeu de la notion de
« lecture littéraire »
Quelle lecture enseigner ? La lecture
littéraire comme modélisation didactique
• LL = notion centrale dans plusieurs travaux théoriques et
didactiques et dans plusieurs programmes scolaires
• LL = optimisation du va-et-vient ordinaire entre divers modes
d’interprétation et d’évaluation
 Dépassement de l’opposition lecture ordinaire vs lettrée
• Enseigner la LL = susciter chez les élèves différentes opérations
de lecture effectives qui valorisent alternativement
–
–
–
–
l’ancrage référentiel (participation) et le désancrage (distanciation)
la part d’unité du texte et sa part de polysémie
sa part de conformité et sa part de subversion
sa part de vérité et sa part de fiction
• Enjeux didactiques importants
L’approche par compétences de la lecture
et de la littérature : quelques exemples (1)
• Programme de la Communauté française de Belgique
(2002)
– « Présenter oralement aux autres élèves un avis argumenté sur un
récit »
– « Classer diverses espèces de récits et défendre oralement son
classement »
– « Énoncer, par écrit, à destination du professeur, ou oralement, à
destination de l’ensemble de la classe, une comparaison portant
sur deux ou plusieurs œuvres ou productions culturelles traitant
soit de sujets identiques ou voisins, soit de sujets radicalement
différents »
– « Présenter oralement un essai au professeur et/ou aux autres
élèves »
L’approche par compétences de la lecture
et de la littérature : quelques exemples (2)
• Programme du réseau catholique belge (2000-2002)
– « Dans une situation-problème significative, construire un ou
plusieurs réseaux de signification, pour répondre à des questions
suscitées par la lecture d’un texte, porter une appréciation
personnelle sur le texte, faire part de son interprétation à travers
divers moyens d’expression (au cours d’une discussion, dans un
compte rendu de lecture, par des réécritures, des mises en voix) »
– « Dans des situations-problèmes significatives, participer de
manière réfléchie à la vie culturelle et élargir le champ de ses
pratiques culturelles en abordant le concept de littérature sous
divers éclairages croisés qui permettent d’en construire une
définition complexe »
Premiers constats
• Importance croissante accordée
–
–
–
–
–
à la recherche documentaire
aux comparaisons de textes
à l’argumentation à propos des textes
aux synthèses écrites
aux exposés oraux
• Tension entre deux types de tâches
– Des « tâches problèmes » proprement scolaires
(réseau de la Communauté)
– Des « situations problèmes » proches des pratiques
sociales de référence (réseau catholique)
3. ANALYSE CRITIQUE
L’approche par compétences : des enjeux
non négligeables pour les élèves
• L’APP (au sens strict) met l’accent à juste titre
– sur le caractère actif de l’apprentissage
– sur son caractère complexe et intégré
 des séquences plus cohérentes
– sur l’ancrage dans des pratiques (scolaires ou
sociales) « significatives »  des objectifs plus clairs
• Conditions qui contribuent à motiver avantage les
élèves, à donner davantage de sens à l’école…
• MAIS cela suffit-il ?
Les raisons de ne pas tout miser
sur les compétences
• Un poids excessif accordé à l’évaluation
• Les « compétences » favoriseraient surtout les meilleurs
élèves
– « L’approche par compétence pourrait dans un premier temps
mettre en difficulté les élèves qui ne survivent dans la
compétition scolaire qu’en s’accrochant aux aspects les plus
rituels du métier d’élève. Elle défavoriserait ceux qu’angoisse
l’idée de faire une recherche, de résoudre un problème, de
formuler une hypothèse, de débattre. Ceux qui veulent un
modèle, une marche à suivre, un rail, ceux qui ont besoin de
savoir si c’est juste ou faux, et ne supportent pas l’incertitude ou
les contradictions ne peuvent qu’avoir peur de l’approche par
compétence »
(Ph. Perrenoud)
• Les compétences ne couvrent pas tous les enjeux de
l’apprentissage de la lecture et de la littérature
Les priorités pour apprendre à mieux lire
et à s’approprier la littérature
• Un nombre limité de « compétences » au sens strict,
où l’essentiel consiste dans la tâche comme telle
– Pouvoir synthétiser oralement ou par écrit les traits
saillants d’une ou plusieurs œuvres lues
– Aborder le concept de littérature sous divers
éclairages croisés
– … + 2 ou 3 autres tâches par année…
• Mais aussi des connaissances, des savoir-faire et des
attitudes qui importent plus pour eux-mêmes que
pour la tâche qui les manifeste
Des priorités non réductibles
à des « compétences »
• Des savoirs
– Des références culturelles (courants, genres, auteurs,
œuvres, personnages) qui structurent le fait littéraire
– Une familiarité avec l'institution littéraire
• Des savoir-faire
– Une capacité d’interprétation « plurielle »
– Savoir distinguer jugements de gout et de valeur
• Des attitudes
– Un intérêt pour les textes et les livres… y compris les
œuvres longues et les textes du passé
– Une réflexion « méta » sur le fait littéraire
– Lire la littérature, mais aussi l'écrire et la dire
Exemples d’activités « nécessaires » qui
échappent à l’approche par compétences
• Explorer et structurer des documents qui témoignent
du fonctionnement de l’institution littéraire
• Lire des textes intimes « par effraction »
• Lire des textes par « dévoilement progressif »
• Mobiliser, puis confronter au sein d’un débat plusieurs
interprétations d’un même texte
• Acquérir des références culturelles par la lecture
• Comparer un récit et sa version filmique
• … sans nécessairement vouloir déboucher à tous les
coups sur des productions évaluables
Deux types de tâches de lecture à alterner
• Les tâches « fermées » (simples  savoir-faire )
– But: situer la lecture de l’élève par rapport à la lecture
préalable de l’enseignant
– Avantages : tâches simples, rassurantes ; occasion de
vérifier une diversité d’opérations de lecture
– Limites : focalisation sur des savoir-faire isolés au détriment
de la manifestation de la compréhension globale
• Les tâches « ouvertes » (complexes  compétences)
– But : faire part de sa compréhension dans une forme
particulière d’écrit, un genre  motivation
– Avantages : contrôlabilité de la tâche ; compréhension
globale ; vérification possible de l’activité métacognitive;
possibilité d’une lecture « participative »
– Limites : source potentielle de surcharge cognitive, source
d’échec plus grand pour les élèves en difficulté
Alors, les compétences, finalement ?
• Approche novatrice, qui invite à multiplier les « textes
du lecteur »
• Tension avec la logique de la transmission des savoirs et
donc avec une partie de l’apprentissage de la littérature
• Complexité des tâches = profitable pour certains élèves
seulement  danger si on n’évalue que cela
• Travail plus important requis de la part des élèves, mais
aussi des professeurs (au début)
• Nécessité d’articuler l’approche par compétences à une
modélisation pertinente de la lecture et de la littérature
et à des seuils de progression précis
 Oui aux compétences… si les entend au sens strict
et si on ne s’y limite pas
Le débat est ouvert !
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