Points de Vue - numéro 71 - Automne 2014 33
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La dégénérescence maculaire
liée à l’âge (DMLA) est une
maladie dégénérative chronique
de la rétine. Elle atteint sélecti-
vement la partie centrale de la rétine
appelée macula et provoque une
dégénérescence des cellules visuelles
rétiniennes.
La DMLA est la première cause de
cécité légale dans les pays indus-
trialisés. Cette pathologie affecte les
personnes de plus de 50 ans et se
traduit par une perte progressive de la
vision centrale. Cette dernière est
indispensable pour voir les détails
liés aux tâches quotidiennes telles
que la lecture, la reconnaissance des
visages et la conduite.
Les mécanismes
physiopathologiques
Les mécanismes physiopathologiques
exacts de la DMLA sont encore peu
connus mais l’implication de proces-
sus d’intoxication aboutissant à la
mort des cellules de l’épithélium pig-
mentaire a été établie ces dernières
années. Au cours du vieillissement,
ces cellules peuvent présenter des
troubles du fonctionnement liés à
l’accumulation dans des lysosomes
de complexes protéolipidiques
appelés granules de lipofuscine.
Ces granules se forment progres-
sivement par une accumulation de
protéines et lipides non dégradés
issus des fragments externes des pho-
torécepteurs phagocytés par
l’épithélium pigmentaire1 (Finneman
et al., 2002). La lipofuscine contient
aussi des dérivés cytotoxiques dérivés
du cycle visuel tel l’A2E. Sous l’effet
de la lumière bleue, l’A2E s’oxyde et
induit des oxydations protéiques, lipi-
diques et de l’ADN, provoquant ainsi
un stress oxydatif important dans les
cellules de l’épithélium pigmentaire
en cours de vieillissement, entrainant
la mort de celle-ci (Kim et al., 2006)2.
La pathogénie
La dégénérescence de la macula liée
à l’âge résulte d’une pathogénie mul-
tifactorielle. Le principal facteur est
bien sûr l’âge: la maladie apparaît
après 50 ans et sa prévalence aug-
mente rapidement après 75 ans.
Il existe une susceptibilité génétique
à la maladie: le risque de développer
une DMLA est quatre fois plus impor-
tant si un parent ou un membre de la
fratrie en est atteint. Plusieurs poly-
morphismes génétiques associés à la
maladie ont été mis en évidence.
Docteur Henrik Sagnières; Exercice
libéral privé; Cabinet d’ophtalmologie
Hyères Var; Clinique Privée Saint Michel
Toulon Var; Diplôme d’études spécialisées
d’ophtalmologie Paris; Ancien assistant
des hôpitaux.
Dr. Henrik Sagnières
Ophtalmologiste, Spécialiste
de la rétine, Hyères, France
La DMLA est la première cause de cécité légale dans les pays industrialisés. Connue sous
deux formes dites atrophique et exsudative, elle résulte d’une pathogénie multifactorielle.
Pour faire face à l’augmentation perpétuelle de l’incidence de la DMLA, les spécialistes de la
rétine déploient trois stratégies: une prévention primaire, une prise en charge du patient dans
la pratique clinique et une recherche médicale prospective au service de nouvelles thérapies.
DMLA: LE PROTOCOLE
CLINIQUE, LA PRÉVENTION
ET LES PERSPECTIVES
MOTS-CLÉS
DMLA, macula, maculopathie, épithélium
pigmentaire, lipofuscine, photorécepteurs,
A2E, stress oxydatif, phototoxicité, lumière
bleue, in vitro, photorécepteurs, anti-VEGF,
drusen, prévention, anti-oxydants, photo-
protection, Crizal
® Prevencia
®
CLINIQUE
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FIG. 1 Exemple d’évolution d’une patiente présentant des drusens séreux vers une DMLA exsudative
avec néovascularisation à type d’anastomose chorio-rétinienne
1.a - photographies couleur du fond d’œil
AF 30° ART [HR]
FA 1:21.15 30° (9.0 mm) ART (11) Q: 27 [HR]
IR 30° ART [HR] FA 0:30.29 30° ART [HR] FA 1:03.70 30° ART [HR]
FA 2:33.68 30° ART [HR]
1.b - angiographie rétinienne à la fluorescéine
Parmi eux, des variants du gène
codant pour le facteur H du com-
plément ou encore de celui codant
pour HTRA1 (une protéase) sont
impliqués. Au total, depuis 2005, 19
régions identifiées comme étant asso-
ciées à la DMLA ont été identifiées3
(The AMD Gene Consortium Nature
Genetics, 03 mars 2012). Elles
impliquent une variété de fonctions
biologiques, y compris la régulation
du système immunitaire inné,
l’entretien de la structure cellulaire,
la croissance et la perméabilité des
vaisseaux sanguins, le métabolisme
lipidique et l’athérosclérose. La
présence simultanée de trois variants
(Facteur H, HTRA1 et CC2-FB) chez
un même individu peut multiplier le
risque de développer une DMLA par
un facteur allant jusqu’à 250.
Le tabagisme est aussi fortement
associé à la DMLA: il augmente le
risque de survenue de la maladie
d’un facteur 34 (Thornton).
De nombreux travaux de recherche
ont montré qu’une alimentation pau-
vre en vitamines, oligo-éléments et
antioxydants peut également
favoriser la maladie5 (Cohen 2008).
La phototoxicité rétinienne liée à la
lumière bleue est elle aussi incri-
minée dans la pathogenèse de la
DMLA. Dernièrement les longueurs
d’ondes responsables de cette
toxicité en présence de lipo-
fuscine ont été précisées in
vitro révélant un spectre de
lumière bleue-violet allant de
415 nm à 455 nm avec un
pic de 435 nm hautement
toxique6 (Arnault et al., 2013). Cette
toxicité augmente en proportion de la
quantité de lipofuscine présente
dans la rétine mais demeure égale-
ment légèrement même en l’absence
de celle-ci. Ces longueurs d’ondes
sont bien sûr présentes dans le
spectre solaire mais peuvent être
retrouvées dans le rayonnement
de certaines diodes électrolumines-
centes.
L’obésité double également le risque
de DMLA.
L’hypertension artérielle, les maladies
cardiovasculaires et les taux de
cholestérol ont eux aussi été incri-
minés mais leur rôle reste incertain.
Les formes de DMLA
La DMLA existe sous deux formes
dites atrophique et exsudative. La
forme atrophique ou “sèche” est liée
à l’atrophie de la macula, caractérisée
par la dégénérescence progressive
de l’épithélium pigmentaire rétinien
et de la rétine neurosensorielle. Il
n’existe pas de traitement curatif
«La dégénérescence de la
macula liée à l’âge résulte d’une
pathogénie multifactorielle»
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pour cette forme de la maladie qui
évolue lentement. La forme exsu-
dative ou “humide” est caractérisée
par le développement anormal de
vaisseaux sanguins en dessous de la
macula. Cette néoangiogénèse ocu-
laire est également connue sous le
nom de néovascularisation choroï-
dienne ou sous-rétinienne, donnant
son autre nom à cette forme: la DMLA
néovasculaire. Ces néovaisseaux mal-
formés sont fragiles et poreux par
conséquent ils sont le siège d’une
hyperperméabilité vasculaire. Ils
détruisent également l’architecture
normale de la rétine et donc son
fonctionnement.
Il existe différents sous-types de la
forme néovasculaire en fonction du
type et de la localisation des néovais-
seaux par rapport à l’épithélium
pigmentaire. Les photorécepteurs
souffrent et à terme des tissus cica-
triciels sont générés et détruisent
définitivement la macula. Elle
représente la forme la plus agressive
de la maladie et représenterait deux-
tiers des formes de DMLA7 (Eureye).
La néovascularisation choroïdienne
est due à un phénomène d’angio-
genèse, dans lequel le facteur de
croissance vasculaire endothélial ou
VEGF (pour Vascular Endothelial
Growth Factor) joue un rôle impor-
tant. Ainsi, il est la cible des nouvelles
thérapeutiques développées ces
dernières années. Il a entraîné le
développement des traitements anti-
VEGF. Ces traitements font désormais
référence et sont administrés par
injections intravitréennes (intra-
oculaires) à un rythme répété, en
moyenne tous les 2 mois.
Les stades préliminaires de la DMLA
sont caractérisés par l’existence de
petites tâches blanc jaunâtre du fond
de l’œil au niveau de la macula
appelées drusen et/ou d’altérations
de l’épithélium pigmentaire. Cette
entité définit la maculopathie liée à
l’âge ou pré-DMLA.
Le protocole de traitement
de la DMLA exsudative
La gravité et la rapidité d’évolution
de la forme exsudative de la DMLA,
ainsi que l’efficacité et le coût des
traitements à ce jour en font une
réelle préoccupation de santé pu-
blique et une urgence diagnostique
et thérapeutique.
Un ophtalmologiste rétinologue pre-
nant en charge les patients atteints
de DMLA doit pouvoir être en mesure
de recevoir dans les plus brefs délais
(sous une semaine au plus) un
patient présentant des scotomes
(taches noires au centre de la vision)
ou un syndrome maculaire: baisse
d’acuité visuelle, difficulté à la lec-
ture ou métamorphopsies (perception
déformée des images et lignes
droites).
Devant ces symptômes, il doit entre-
prendre rapidement des examens
ophtalmologiques avec mesure de
l’acuité visuelle EDTRS, examen du
fond d’œil au biomicroscope, angio-
graphie rétinienne à la fluorescéine
+/- vert d’indocyanine et une tomo-
graphie à cohérence optique (OCT).
Dans le cas d’une DMLA exsudative
rétrofovéolaire dont le diagnostique
est confirmé par ces examens, il est
recommandé d’instaurer, le plus pré-
cocement possible, un traitement
par anti-VEGF, quel que soit le
niveau d’acuité visuelle initial. Les
anti-VEGF doivent être administrés
par injection intravitréenne. Les néo-
vaisseaux choroïdiens extra- et
juxta-fovéolaires avec des manifesta-
tions exsudatives rétrofovéolaires sont
à considérer comme une localisation
rétrofovéolaire de la DMLA.
En l’état actuel des données scienti-
fiques, le protocole de traitement le
plus communément adopté est le
suivant: une injection d’anti-VEGF
par mois pendant trois mois consé-
cutifs (l’intervalle entre deux
injections doit être au minimum de
quatre semaines), complétée par une
phase de suivi. Pendant la phase de
suivi, il faut examiner les patients
toutes les quatre semaines et effec-
tuer: une mesure de l’acuité visuelle
par ETDRS ; un examen du fond d’œil
et/ou rétinographie ; une tomographie
en cohérence optique. Une angio-
graphie à la fluorescéine peut être
réalisée si nécessaire.
FIG. 2 Angiographie rétinienne à la fluorescéine d’une DMLA atrophique
IR 30° ART [HR] BAF 30° ART [HR]
BAF 30° ART [HR]
BAF 30° ART [HR]
BAF 30° ART [HR]
CLINIQUE
Points de Vue - numéro 71 - Automne 2014
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Il est nécessaire de refaire une injec-
tion, après les trois premières
injections, s’il persiste ou en cas
de récidive, des signes d’activité de
la lésion néovasculaire détectés
cliniquement au fond d’œil et/ou
par une tomographie en cohérence
optique. En moyenne les patients
reçoivent 6 à 7 injections par an.
La DMLA est une maladie bilatérale.
Après atteinte du premier œil, il
existe un risque accru de bilatérali-
sation (environ 10% par an). En
présence de signes fonctionnels
(baisse visuelle, métamorphopsies,
scotome) sur l’œil adelphe en cours
de suivi, une consultation doit être
réalisée en urgence.
Il est recommandé de réaliser les
examens de surveillance de DMLA sur
les deux yeux en vue du dépistage
d’une lésion débutante asympto-
matique de l’œil adelphe.
DMLA atrophique:
la prise en charge du patient
Les patients atteints de DMLA
atrophique ne bénéficient malheu-
reusement pas des mêmes avancées
thérapeutiques que pour la forme
exsudative de DMLA.
Bien que d’évolution plus lente, elle
demeure de mauvais pronostic à
terme et peut se compliquer de néo-
vaisseaux, justifiant donc une
surveillance (auto surveillance par
grille d’Amsler devant conduire à une
consultation rapide en cas de modi-
fication des signes fonctionnels).
Lorsque la baisse d’acuité visuelle
devient invalidante, la prise en charge
de ces patients atteints de DMLA
évoluée repose alors sur la rééducation
et les systèmes optiques grossissants,
d’aide à la basse-vision, permettant
de mobiliser des zones de rétine non
touchées afin d’améliorer la vision.
Les patients présentant une macu-
lopathie liée à l’âge doivent être
particulièrement sensibilisés sur
les méthodes d’auto surveillance
par grille d’Amsler également. Les
FIG. 3 DMLA exsudative à type de néovaisseau visible rétrofovéolaire.
ICGA 0:42.78 30° ART [HR] ICGA 1:46.37 30° ART [HR] IR AF 30° ART [HR]
3.a fluorescéine
3.b Angiographie rétinienne vert d’indocyanine
IR 30° ART [HR]
FA 3:20.92 30° ART + OCT 30° (9.0 mm) ART (11) Q: 36 [HR]
AF 30° ART [HR] FA 0:34.15 30° ART [HR] FA 1:07.76 30° ART [HR]
FA 3:24.75 30° ART [HR]
«La protection solaire par verre photo-
protecteur reste de mise en extérieur et ce,
dès le plus jeune âge étant donné la
transparence cristallinienne chez l’enfant»
CLINIQUE
Points de Vue - numéro 71 - Automne 2014 37
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patients à risque très élevé avec
larges drusen confluents et altéra-
tions de l’épithélium pigmentaire
doivent être examinés souvent pour
dépister l’apparition éventuelle d’une
néovascularisation accessible au
traitement.
Il est indispensable que les patients
reçoivent un diagnostic clair.
Il faut s’assurer que le patient con-
naisse le nom de la maladie qui lui
cause la baisse d’acuité visuelle et
qu’il sache s’il s’agit d’une forme
précoce ou compliquée de dégéné-
rescence maculaire liée à l’âge, d’une
forme atrophique ou exsudative.
Il faut expliquer aux patients qu’il
s’agit d’une affection chronique, qui
se soigne, ne se guérit pas, mais ne
conduit pas à une cécité totale (con-
servation de la vision périphérique).
Un suivi régulier est indispensable.
Il faut informer le patient sur son pro-
nostic visuel, sur le risque d’atteinte
du deuxième œil et sur le risque de
passage d’une DMLA atrophique à
une DMLA exsudative.
La prévention primaire
L’incidence en perpétuelle augmen-
tation de la DMLA justifie pleinement
tous les efforts d’une prévention
primaire pour cette pathologie. La
prévention primaire repose sur la
lutte des facteurs de risque de la
maladie. Ainsi des mesures préven-
tives hygiéno-diététiques simples
peuvent être recommandées a tous
telles que:
- Lutter contre la consommation de
tabac ;
- Lutter contre le surpoids, les désor-
dres lipidiques et l’hypertension
artérielle ;
- Pratiquer régulièrement une acti-
vité physique ;
- Adopter un régime alimentaire
riche en pigments maculaires,
lutéine et zéaxanthine (fruits et
légumes) et oméga 3 (poissons gras
type saumon, thon…).
Fort des résultats issus de la recher-
che concluant à la toxicité du
rayonnement lumineux bleu-violet, un
partenariat avec un fabricant de
verres de lunettes a permis la mise au
point de verres (Crizal
® Prevencia
®)
capables de réfléchir une fraction de
ce rayonnement toxique limitant sa
pénétration intraoculaire. Il est donc
logique de recommander le port de ce
type de protection photo-sélective au
plus grand nombre, en particulier aux
personnes présentant des facteurs de
risques notamment génétique.
La protection solaire par verre
photo-protecteur reste de mise en
extérieur et ce, dès le plus jeune âge
étant donné la transparence cristal-
linienne chez l’enfant.
La prévention des complications
pour les patients présentant des
lésions précurseuses est également
aujourd’hui nécessaire. Celle-ci passe
essentiellement par la prescription de
compléments alimentaires depuis la
publication de grandes études épi-
démiologiques. Une supplémentation
en anti-oxydants (zinc , vitamines C
et E) diminuerait de 25% le risque de
progression et d’aggravation de la
DMLA pour les patients à risque8
(AREDS 1). Une supplémentation de
10 mg de lutéine et 2 mg de zéaxan-
thine en plus des anti-oxydants
réduirait de 18% la progression de la
DMLA avancée9 (AREDS 2). L’intérêt
des oméga 3 est plus confus mais des
études ont montré que l’apport de
doses importantes de DHA réduirait
le risque de développement d’une
DMLA néovasculaire chez les patients
à haut risque 10 (Nat 2).
La prescription de compléments
alimentaires dont la composition est
conforme aux données des études
en question est donc recommandée
chez les patients à risque et chez les
patients atteints de DMLA avérée.
3.c OCT de contrôle après 3 injections intra-vitréennes d’anti-VEGF
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