du concept à la pratique cancérologique

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Débat Public du 26 Janvier 2017:
Quelle autonomie de décision pour les patients atteints de cancer?
Vers une décision partagée, mythe ou réalité?
L’autonomie de décision du patient:
du concept à la pratique cancérologique
Jean-Luc RAOUL
Institut Paoli-Calmettes, Marseille
Autonomie de décision du patient : historique
Rapports médecins – malades en France (1)
• Initialement: Rapports d’autorité:
– Le médecin savait,
– Dispensait son savoir de façon autoritaire,
– Par ordonnances.
• Puis: Rapports paternalistes:
– Le médecin utilisait son savoir pour le bien du patient (bienfaisance)
– Contrat moral: « … malade … engagement de lui donner des soins
consciencieux, attentifs (non malfaisance) et … conformes aux
données acquises de la science (justice)»
– Accord souvent symbolique du patient (peu d’autonomie).
Autonomie de décision du patient : historique
Rapports médecins – malades en France (2)
•
Obligation d’information (loi mars 2002)
•
Code de déontologie médicale 2016:
Article 35: L’information du patient:
« le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille,
une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et
les soins qu’il lui propose. Tout au long de sa maladie il tient compte de la
personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un
diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les
proches doivent être prévenus sauf exception … »
Code de Déontologie Médicale, Ordre des Médecins, Edition Aout 2016.
Autonomie de décision du patient : historique
Rapports médecins – malades en France (3)
• Progrès de l’information:
– Patients plus informés, plus actifs,
– Plus d’explorations, plus d’examens, plus de traitements
– Qui sont plus à risques:
 plus de demandes d’explications,
 plus de demandes et de besoin de vérité,
 plus de demandes de réparation.
Autonomie de décision du patient : historique
Rapports médecins – malades aux USA
•
•
•
Cours suprême du Kansas 1960: « Le droit anglo-américain repose sur la
prémisse d’une complète autodétermination. La conséquence est que
chaque homme doit être considéré comme maître de son corps et, s’il est
sain d’esprit, peut expressément refuser une thérapie qui sauverait sa vie ou
tout autre traitement médical »
Modèle libertaire d’autonomie ou d’autodétermination, implique:
– Information entière du patients,
– Par un médecin qui est son égal,
– Dans une relation contractuelle de prestataire de service,
– Le patient étant responsable des décisions thérapeutiques qui le
concernent.
But premier: respect total de la liberté et de la dignité du patient et donc de
ses choix, même si le médecin les juge irrationnels .
Autonomie de décision du patient
Autonomie de décision:
•
Le médecin, doit:
– Redonner le pouvoir au patient,
– Par l’information claire et la discussion,
– Lui permettre de décider de ce qui est bon pour lui,
•
En l’aidant dans son choix, en l’éclairant ?
Médecin
Vérité partagée
Discussion informée
Décision éclairée
Patient
Autonomie de décision du patient : définition
Autonomie de décision:
• Principe d’autonomie (Miller):
– Action libre: capacité d’autodétermination sans contrainte ni
coercition;
– Authenticité: action conforme aux actions de vie, au projet de vie
du patient;
– Délibération pratique: le patient a exprimé toutes les options
relatives à sa situation et en a déduit une proposition rationnelle;
– Réflexion morale: le patient peut dire sur quelles valeurs il fixe
sa décision et l’acceptation de celle-ci.
Miller BL. Autonomy and the refusal of lifesaving treatment. Hasting Cent Rep 1981
Autonomie de décision du patient face au corps soignant
Autonomie de décision:
• Pour le corps soignant: Principes de la Bioéthique
– Autonomie du patient;
– Bienfaisance;
– Non-malfaisance;
– Justice.
• Principes plus ou moins prioritaires selon la société
Autonomie de décision du patient face au corps soignant
Autonomie de décision:
• Autonomie: « se donner sa propre loi »
• Problèmes de conflit avec les soignants:
– Autonomie des soignants, canons de la Bioéthique
– Sociétaux: Justice (égalité),
Santé publique (vaccins);
– Coût:
Justice (égalité);
USA: coûts pour le patient
autodétermination vraie ?
Autonomie de décision du patient : base = vérité « partagée »
Autonomie de décision:
Sur quoi repose t-elle?
• Basée sur une information claire, complète et précise: LA VERITE.
• Souvent présentée comme
– une révélation explicite, brutale du diagnostic, du pronostic et des options
thérapeutiques;
– Donne au patient l’impression d’être un peu seul à prendre une décision cruciale…
– Risque de sensation d’abandon,
• MAIS: annonce lente, patiente, répétée.
Autonomie de décision du patient : base = vérité
La vérité en Cancérologie - Médecin
• Vérité statistique …
• Un peu affinée par la « médecine personnalisée »
• Mais reste assez « inacceptable »:
– X % de chances de « bénéfice »
– Y% de chances de toxicité
– Comment présenter des données statistiques alors que l’on
parle de vie et de mort!
• Impersonnel, cruel,
• Ou vague …
• Ou le médecin fait un tri: la vérité ou une vérité, celle du médecin?
Hunter DJ. Uncertainty in the era of precision medicine. N Engl J Med 2016
Autonomie de décision du patient : base = vérité
La vérité en Cancérologie - Patient
• Arrive avec sa vérité (passé, contacts, lectures, …)
• Internet: toutes les vérités y sont!
–
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–
–
–
Référentiels de traitements des grandes sociétés savantes,
Courtes séries,
Etudes biologiques,
Thérapeutiques alternatives,
Mages guérisseurs…
Et sur un même plan: post-vérité, bullshitting vs. Factchecking,
Et tout le monde, y compris les plus intelligents (S Jobs), peut
croire à une de ces vérités!
Autonomie de décision du patient : base = partager la vérité
Le partage de la vérité en Cancérologie
Echange médecin - patient
•
•
•
•
•
•
Il a toujours un coût,
Il nous faut « tenir compte de la personnalité »,
Mais on ne la découvre souvent qu’en cours de discussion,
Avoir une tierce personne,
Effet de sidération: reprendre plus tard
Effet « nocebo » de la vérité: récent mais bien connu,
– L’information sur les effets secondaires, les crée !
• Bras placebo des études de traitement des migraines
• Bras placebo d’une étude sur l’angor
– Présenter ces effets secondaires de façon « positive »,
– Voire demander au patient jusqu’où aller dans la vérité…
Häuser W, Hansen E, Enck P. Nocebo phenomena in medicine: their
relevance in everyday clinical practice. Dtsch Arztebl Int 2012
Autonomie de décision du patient : base = partager la vérité, est-ce fait?
Autonomie du patient en pratique cancérologique
• Autonomie de décision aux USA:
– Pas toujours aussi simple
– 11 000 décisions / 5 000 patients atteints de cancer
colique ou des bronches:
Décision:
Contrôlée par le patient = 39%
Partagée = 44%
Décidée par le médecin = 17%
Et: lorsque aucun argument pour ou des arguments contre un traitement:
patient = 37% et médecin = 22%
idem lorsque décision « non curatives »
Keating NL, Landrum MB, Arora NK, et al. Cancer patients’ roles in treatment
decision: do characteristics of the decision influence roles? J Clin Oncol 2010
Autonomie de décision du patient en pratique, traitements préventifs
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Traitements « préventifs »
• Personnes non malades mais à très haut risque;
• Traitement préventif:
– Souvent chirurgical et mutilant,
– Ne s’intéresse pas au présent mais à l’avenir,
– Opérer assez tôt (risque) mais pas trop tôt (qualité de vie):
• Mastectomie bilatérale
• USA et France:
– Chirurgie proposée par les médecins, plus tôt aux USA qu’en France,
– Et l’âge auquel ce geste est « acceptable pour les patientes» est également plus
élevé en France qu’aux USA,
– Phénomène culturel touchant également médecins et femmes.
Eisinger F, Stoppa-Lyonnet D, Lasset C, et al. Familial Cancer 2001
Eisinger F, Geller G, Burke W, Holtzman NA. Lancet 1999
Autonomie de décision du patient en pratique, traitements curatifs
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Traitements « curatifs »
• Pas toujours simple !
• Cancer localisé de la prostate:
– Chirurgie, irradiation, radiologie interventionnelle, surveillance active
– Option choisie risque d’être fonction de la porte d’entrée …
– USA:
présentation partielle et partiale des choix
intérêt d’un outil internet d’information des patients
– Garantie = Réunion de Concertation Pluridisciplinaire ?
• Cancer localisé du sein: chirurgie conservatrice = mastectomie
– Mais aux USA: information = risque de récidive / sein et controlatéral
– Plus de chirurgie large et 1 femme sur 8 a une chirurgie bilatérale!
• Médecine « défensive »?
• Peur provoquée par l’information (statistiques …)
Holmes-Rovner M, Montgomery JS, Rovner DR, et al. Med Decis Making 2015
Johnson DC, Mueller DE, Deal AM, et al. J Urol 2016
Kurian AW, Lichtensztajn DY, Keegan THM, et al. JAMA 2014
Autonomie de décision du patient en pratique, traitements adjuvants
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Traitements « curatifs »: adjuvants
•
•
•
•
Traitement après un geste à visée curative: traite un risque,
Améliore les chances de guérison,
Mais jusqu’où aller ?
Questionnaire: pour quel taux de guérison accepteriez vous une
chimiothérapie lourde (UK)?
–
–
–
–
–
Patient:
1%
Oncologues:
10%
Médecins généralistes: 25%
Infirmières d’oncologie: 50%
Patients non cancéreux: 50%
QUI PEUT AIDER LES PATIENTS DANS LEUR DECISION?
Slevin ML, Stubbs L, Plant HJ, et al. Br Med J 1990
Autonomie de décision du patient en pratique, traitements palliatifs
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Traitements « palliatifs »:
• Buts = amélioration de qualité et durée de vie
• Questionnaire: pour quel gain en survie accepteriez vous
une chimiothérapie palliative lourde ?
–
–
–
–
Patient:
12 mois
Oncologues:
12 mois
Infirmières d’oncologie: 24 mois
Patients non cancéreux: 2 à 5 ans
• Chirurgies palliatives: anticiper les décisions du chirurgien
pour respecter son autonomie…
Slevin ML, Stubbs L, Plant HJ, et al. Br Med J 1990
Autonomie de décision du patient en pratique, la vérité peut s’effacer
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Traitements « palliatifs »: la vérité à l’épreuve du temps…
•
1193 Patients USiens, cancer colique ou bronchique métastatique, en cours de
chimiothérapie palliative, informés;
•
Avec du recul, 1/3 a compris / retenu que la chimiothérapie n’avait pas de
visées curatives; mais:
–
Auront autant une chimiothérapie « de trop » dans le dernier mois de leur vie…
–
Mais bénéficieront plus d’une hospitalisation en soins palliatifs, que les autres patients…!
–
Communication avec le médecin notée: ceux qui ont des attentes inadéquates notent mieux leur
médecin que ceux qui ont bien compris la situation.
•
Les médecins donnant une vue plus optimiste sont considérés comme meilleurs
communicants …
•
Collusion médecin–patient: passage rapide de l’annonce du pronostic, à la
discussion du traitement et de ses contraintes (retour vers l’acceptable).
Mack JW , Walling A, Dy S, et al. Cancer 2015; 121: 1891-7
Weeks JC, Catalano PJ, Cronin A, et al. N Engl J Med 2012; 367: 1616-25
The AM, Hak T, Koeter G, et al. BMJ 2000; 321: 1376-81
Autonomie de décision du patient en pratique, la vérité peut s’effacer
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Situation palliative de fin de vie
•
En France, 20% des patients atteints de tumeurs solides auront une
chimiothérapie au cours du dernier mois de leur vie, chimiothérapie au mieux
inutile, usuellement délétère (surtout si état général correct);
•
Chiffres proches aux USA, Asie, moindres en Europe du Nord, Canada.
•
Moins souvent chez médecins que chez avocats (conscience de la futilité)
•
Décision de stopper les « soins actifs »
•
–
Difficile, longue, aller très loin, …
–
Mais autonomie: désirs irrationnels de traitements ou d’examens,
Soins de fin de vie: formation des oncologues, patients et famille:
–
Amélioration de la communication
–
Aucune différence en recours aux soins ni en qualité de vie…
Rochigneux P, Raoul JL, Beaussant Y, et al. Ann Oncol 2016
Epstein RM, Duberstein PR, Fenton JJ, et al. JAMA Oncol 2017
Autonomie de décision du patient en pratique: la vérité à géométrie variable ?
Autonomie du patient en pratique cancérologique
Peut-on conclure en disant que:
•
Autonomie de décision du patient:
–
Très souhaitable,
–
Vérité partagée,
–
Efforts partagés du médecin et du patient,
–
Ne pas rentrer en opposition.
•
Ne pas opposer autonomie brutale et paternalisme infantilisant,
•
Trouver un moyen terme:
–
Discours plus vrai,
–
Patient mieux soutenu, diverses aides humaines et techniques,
–
Compromis: le coup de pouce du médecin qui ne choisit pas mais limite les options?
(le « paternalisme libertarien »!)
–
Car la vérité a un coût, car le choix à un poids, qu’il vaut mieux partager.
///
Thaler RH, Sunstein CR. Libertarian paternalism. Am Econ Rev 2003
Aggarwal A, Davies J, Sullivan R. BMC Medical Ethics 2014
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