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Cet article tente d’illustrer les particularités du mouvement grec contre
les mesures d’ausri imposées par le gouvernement sous l’égide de
l’UE et du FMI. Outre ses exigences économiques, ce mouvement réclame un
système politique plus juste orienté vers la démocratie directe. An de mieux
comprendre d’où il vient, on doit s’intéresser à certaines particularités socio-
économiques caractéristiques de la politique grecque dans le contexte compa-
ratif plus large de l’Europe du Sud.
Économie et démocratie au Sud. Une trajectoire historique inversée
On afrme souvent que la Grèce, l’Espagne et le Portugal (et souvent l’Ita-
lie) ont emprunté des voies historiques similaires, surtout pendant les années
d’aps-guerre. La Grèce, l’Espagne et le Portugal, avec leur transition vers
la mocratie politique au cours des anes 1970, se sont situés dans ce que
Samuel P. Huntington a appe la « troisme vague de démocratisation ». La
comparaison de leurs trajectoires historiques au cours des dernières cennies
présente de nombreuses ressemblances au niveau politique, social et écono-
mique. Une similitude frappante concerne leur transition l’un après l’autre
vers un régime démocratique au milieu des années soixante-dix. Bien que
chacun d’eux ait emprunté un chemin distinct vers la mocratie, ils ont suivi
une voie similaire pour adrer à l’UE. Un autre point commun est le moment
de leur transition d’une économie agricole à une économie industrielle (voir
tableaux ci-dessous).
Quelques particularis de la crise
grecque : démocratie, protestation et
contestation de la place Syntagma
Giorgos Tsiridis
Grèce
Doctorant en science politique, université Kapodistrian, Athènes
Dimitri Papanikolopoulos
Doctorant en science politique, université Kapodistrian, Athènes
102
Mouvements en Europe et dans le monde
Les pays du Sud ont connu un essor remarquable dans le secteur manufactu-
rier. Toutefois, ce progrès a été souvent caractérisé comme un cas d’« industria-
lisation sans veloppement » car l’Europe du Sud n’avait pas l’infrastructure
cessaire pour exploiter efcacement les avantages sociaux de l’urbanisation
et de la modernisation économique.
Ce qui distingue vraiment la réali économique de l’Europe du Sud est la
nature et le calendrier de ce changement spectaculaire. La Grèce, l’Espagne
et le Portugal ont volontairement articu leur transition vers la démocratie avec
leur transition vers une économie moderne. Lintégration européenne, quils ont
fortement souhaitée, a eu un double effet sur les pays du Sud : d’une part, elle a
directement rattaché les institutions nationales aux institutions européennes, en-
traînant une interdépendance politique de fait. Dautre part, les économies à la
traîne d’Europe du Sud ont dû ajuster rapidement leurs normes à celles de leurs
homologues du Nord. De plus, cela sest produit pendant une période d’austérité
permanente. La crise pétrolière de 1973-1974 a ébranlé les fondements des écono-
mies les plus solides du monde entier. C’est pourquoi, alors que la plus grande par-
tie de lEurope a associé développement économique et démocratie au moment
où lâge d’orlissait, la Grèce, le Portugal et lEspagne nont essayé de le faire
que lorsque l’économie européenne était déjà en train de reuer.
Indeed, Southern European countries experienced a remarkable boost in
their manufacturing sector. However, this progress has been often charac-
terised as a case of “industrialisation without development”, since the Euro-
pean south lacked the infrastructure efficiently to exploit the social benefits
of urbanisation and of economic modernisation.
What really made the economic reality of the European south different was
the nature as well as the timing of this dramatic change itself. Greece, Spain
and Portugal wittingly linked their transition to democracy with their tran-
sition to a modern economy. The highly anticipated European integration
had a double effect on the countries of the south: On the one hand, it direct-
ly connected national institutions to European ones, constituting political in-
terdependence as a fact. On the other hand, the lagging economies of South-
ern Europe had rapidly to adjust their standards to those of their Northern
counterparts. What is more, this had to take place during a time of perma-
nent austerity. The oil crisis of 1973-1974 shook the foundations of the most
robust economies worldwide. Consequently, whereas most of Europe com-
bined economic development with democracy during the fading Golden era,
Greece, Portugal and Spain tried to attach economic development to democ-
racy only when the tides of the European economy were already turning.
Greece: economic and social transitions towards the recent crisis
In the case of Greece, the causes of the ongoing financial crisis stemmed
from both endogenous and exogenous factors. We will here focus mainly on
the former ones. The primary sector was gradually scorned, abandoning the
country’s comparative advantage in agricultural production. The Greek state
abandoned its original regulatory role in agriculture when it was most need-
ed. That is, when previously preferential markets ceased to absorb agricultur-
al production and new ones were increasingly emerging as strong competi-
tors. The oldest part of the Greek populace was, therefore, left alone to face
international competition and the regulations of the Common Agricultural
Policy, which proved to be ruinous for the rural part of the country. As a re-
sult, the primary sector suffered a real catastrophe and was gradually eco-
nomically marginalised. These events were never even subjected to public de-
bate. However, the balance between imports and exports of agricultural
goods has been showing a deficit ever since.
The industrial sector also quickly declined, especially after the collapse of
the East Bloc and the consequent opening of the borders. Hundreds of indus-
tries moved to Balkan countries and Turkey in a quest for cheap labour.
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The Peculiarities of the Greek Crisis: Democracy, Protest and Contention in Syntagma Square
89
Germany France G. Britain Italy Greece Portugal Spain Turkey
Services Industry Agriculture Source: OECD
Developement of the economic Sectors
1960–1968
1968–1973
1974-1979
1980-1989
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Europe and the World on the Move
Développement des secteurs économiques
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Quelques particularités de la crise grecque : démocratie, protestation et contestation sur la place Syntagma
La Grèce : transitions économiques et sociales face à la crise récente
Dans le cas de la Grèce, les causes de la crise nancière actuelle découlent
tout à la fois de facteurs endones et exogènes. Nous allons nous inresser
plus particulièrement ici aux premiers. Le secteur primaire a été progressive-
ment laissé, ce qui a laissé de côté l’avantage comparatif du pays en ce
qui concerne la production agricole. L’État grec a abandonné son rôle initial
de régulation agricole au moment où il en avait le plus besoin, c’est-à-dire
quand les principaux marchés de la période précédente ont cessé d’absorber
la production agricole et que de nouveaux marchés sont progressivement
apparus comme de sérieux concurrents. La fraction la plus âgée de la popu-
lation grecque a donc été laissée seule face à la concurrence internationale et
aux réglementations de la Politique agricole commune, qui se sont avérées
ruineuses pour la partie rurale du pays. Le secteur primaire a alors connu
une véritable catastrophe et a été progressivement marginalisé sur le plan
économique. Ces faits n’ont jamais fait l’objet d’unbat public. La balance
entre les importations et les exportations de produits agricoles est décitaire
depuis lors.
De même, le secteur industriel a rapidement décru, surtout après l’effondre-
ment du bloc de l’Est et l’ouverture des frontres qui a suivi. Des centaines
Indeed, Southern European countries experienced a remarkable boost in
their manufacturing sector. However, this progress has been often charac-
terised as a case of “industrialisation without development, since the Euro-
pean south lacked the infrastructure efficiently to exploit the social benefits
of urbanisation and of economic modernisation.
What really made the economic reality of the European south different was
the nature as well as the timing of this dramatic change itself. Greece, Spain
and Portugal wittingly linked their transition to democracy with their tran-
sition to a modern economy. The highly anticipated European integration
had a double effect on the countries of the south: On the one hand, it direct-
ly connected national institutions to European ones, constituting political in-
terdependence as a fact. On the other hand, the lagging economies of South-
ern Europe had rapidly to adjust their standards to those of their Northern
counterparts. What is more, this had to take place during a time of perma-
nent austerity. The oil crisis of 1973-1974 shook the foundations of the most
robust economies worldwide. Consequently, whereas most of Europe com-
bined economic development with democracy during the fading Golden era,
Greece, Portugal and Spain tried to attach economic development to democ-
racy only when the tides of the European economy were already turning.
Greece: economic and social transitions towards the recent crisis
In the case of Greece, the causes of the ongoing financial crisis stemmed
from both endogenous and exogenous factors. We will here focus mainly on
the former ones. The primary sector was gradually scorned, abandoning the
country’s comparative advantage in agricultural production. The Greek state
abandoned its original regulatory role in agriculture when it was most need-
ed. That is, when previously preferential markets ceased to absorb agricultur-
al production and new ones were increasingly emerging as strong competi-
tors. The oldest part of the Greek populace was, therefore, left alone to face
international competition and the regulations of the Common Agricultural
Policy, which proved to be ruinous for the rural part of the country. As a re-
sult, the primary sector suffered a real catastrophe and was gradually eco-
nomically marginalised. These events were never even subjected to public de-
bate. However, the balance between imports and exports of agricultural
goods has been showing a deficit ever since.
The industrial sector also quickly declined, especially after the collapse of
the East Bloc and the consequent opening of the borders. Hundreds of indus-
tries moved to Balkan countries and Turkey in a quest for cheap labour.
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The Peculiarities of the Greek Crisis: Democracy, Protest and Contention in Syntagma Square
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Germany France G. Britain Italy Greece Portugal Spain Turkey
Services Industry Agriculture Source: OECD
Developement of the economic Sectors
1960–1968
1968–1973
1974-1979
1980-1989
1960–1968
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Europe and the World on the Move
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Mouvements en Europe et dans le monde
d’entreprises industrielles en quête de main-d’œuvre bon marché ont été -
placées vers les pays des Balkans et la Turquie.
À cet égard, alors que les bases productives du pays ont dimin rapidement
et que chacun se demandait « de toute façon que produit ce pays ? », les gou-
vernements ont continué à veiller à tourner fortement l’économie grecque vers
le secteur tertiaire. La taille initialement petite de l’État en tant qu’entité éco-
nomique s’est rapidement accrue, et des dépenses sociales ont été engagées.
Une série d’emprunts ont alors être contractés pour que le pays poursuive
sa politique de développement apparente. Dans le même temps, l’évasion s-
cale est devenue le prix politique de choix électoraux généralement cidés
par ce qu’on appelle la « politique du centre ».
C’est pourquoi, pendant plus de trente ans, les administrations grecques
n’ont pas pu justier leurs politiques économiques. C’est pourquoi elles ont
compter sur le clienlisme ce qui, en retour, a accru le besoin d’emprunt
public et favorisé les mauvaises pratiques administratives dans le secteur pu-
blic. Les sources historiques du potisme et de la corruption en Grèce ne
doivent donc pas être recherchées seulement dans la riode précapitaliste ou
le passé ottoman du pays. Ce sont au contraire des sous-produits inévitables
d’un modèle capitaliste pervers de veloppement dans ce coin particulier
de la plate. Cela ne veut pas dire, cependant, que ce mole particulier a
implicitement c d’une quelconque façon à de larges couches de la
population grecque. Bien au contraire, certains hommes d’affaires et fonction-
naires plutôt douteux ont fait fortune aux pends de la grande majori des
citoyens grecs. Mais cette majorité a pendant des anes fait conance à des
gouvernements qui ont ussi à fournir des données inexactes sur les capacis
de l’économie grecque. L’impression subséquente de prospérité globale s’est
avérée totalement illusoire, mais cela n’a pas évisible avant l’augmentation
spectaculaire des emprunts privés. Les jeux olympiques d’Athènes, en 2004,
ont été considérés par beaucoup comme l’apogée du modèle grec de déve-
loppement, combinant construction et tourisme. Mais, pour nir, le pays s’est
retrouvé avec une dette énorme et un sentiment de réussite.
Aujourd’hui, la Grèce est confrone à un économique et politique
beaucoup plus grave que ses partenaires européens. Avec un niveau de vie,
encore cemment classé parmi les 30 plus éles du monde, les Grecs font
aujourd’hui l’expérience, d’un déclin important. Le pays a lutté pendant cin-
quante ans pour réussir son intégration sociale et a nalement pu proter des
avantages d’une société de consommation moderne. Mais cela s’est produit
seulement aps la n des « trente glorieuses » et de la social-démocratie en
Europe de l’Ouest. La soc grecque a vu son PIB grimper de 60 % depuis
les années 1990. Cela ne signie toutefois pas une hausse correspondante du
niveau de vie des couches sociales moyennes et inrieures. Il est alors devenu
évident pour beaucoup de Grecs que le coût de l’inaction a, depuis un bon
105
Quelques particularités de la crise grecque : démocratie, protestation et contestation sur la place Syntagma
moment maintenant, passé le coût de la mobilisation sociale. Le paquet
d’austérité 2010 rend cela d’une limpidité absolue.
Outre le hold-up scal sans précédent qui cible, entre autres, les revenus
annuels de 8 000 euros et même les allocations de chômage, les Grecs sont té-
moins de la braderie de presque tous les atouts du pays, y compris des services
d’eau et d’électricité ainsi que de nombreux roports, ports et secteurs tiers.
Malg l’extrême impopularité de ces mesures, la plupart des Grecs seraient
probablement presque pts à les accepter en silence, si seulement ils étaient
convaincus qu’elles pouvaient remettre le pays sur pied. Mais personne ne
semble convaincu car lecit continue à croître alors que le pays s’enfonce
dans une profonde cession. Une fois de plus, la Grèce est considérée comme
le cobaye du monde dans le contexte de la crise nancière mondiale.
Bouleversements sociaux et nouvelles formes de protestations politiques
avant la crise
Ce n’est pas la première fois que les troubles sociaux en Grèce attirent l’at-
tention des médias européens et mondiaux. Il est inniable que la socié
grecque semble se mobiliser souvent, comparativement à d’autres socs
euroennes. Une nouvelle ration de protestation politique a émer en
2005, lorsque des mouvements étudiants massifs ont été organisés contre
la forme de l’enseignement surieur et la modication de l’article 16 de
la Constitution une tentative de forme des universités grecques selon les
orientations de Bologne. Le mouvement étudiant a fait ressortir les énormes
difcultés rencontrées par les jeunes Grecs en ce qui concerne les perspectives
d’emploi. Le mouvement a utilisé des structures de mobilisation d’une efca-
ci croissante qui ont permis une grande réactivité et vigilance politique. Il a
remporté ainsi une victoire modeste en bloquant le projet de réforme constitu-
tionnelle. Ces événements ont montré l’efcacité des formes de protestations
non institutionnelles et, surtout, mis la jeunesse du pays au premier rang de
toutes les réactions politiques qui ont suivi.
En 2008, face à des incendies massifs dans le Péloponse et à l’inefcaci
scandaleuse de l’État pour contler la situation, des circuits sociaux informels
se sont dévelops comme principaux moyens de mobilisation sociale. Des
milliers de blogueurs ont appelé à protester, faisant preuve de leur efcacité,
un peu plus tard, en décembre de la même année.
Tout a commen lorsqu’un policier a tué par balle un jeune de 15 ans,
Alexis Grigoropoulos. Dans les heures qui ont suivi, une violente révolte mas-
sive et spontae a servi de point de départ à la nouvelle vague de protestation
politique. Pendant plusieurs semaines, limage de l’État a écomptement
discdie aux yeux des citoyens ordinaires. Le gouvernement, normalement
source de toutegitimi, était lui-même délégitimé ainsi que la police et les
médias clairement sous contrôle qui ont outrageusement ten de dissimuler la
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