UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE MEDECINE MASTER I SCIENCES BIOLOGIQUES ET MEDICALES UNITE D’ENSEIGNEMENT OPTIONNEL MEMOIRE REALISE dans le cadre du CERTIFICAT d’ANATOMIE, d’IMAGERIE et de MORPHOGENESE 2013-2014 UNIVERSITE DE NANTES Le nerf Lingual et le nerf Buccal Par HIRARDOT Jules LABORATOIRE D’ANATOMIE DE LA FACULTE DE MEDECINE DE NANTES Président du jury : Pr. O. HAMEL Enseignants : Pr. R. ROBERT Pr. O. ARMSTRONG Pr. A. HAMEL Dr. S. PLOTEAU Référents : Dr. S. PLOTEAU, Dr. S. KIMAKHE Laboratoire : S. LAGIER Y. BLIN UNIVERSITE DE NANTES FACULTE DE MEDECINE MASTER I SCIENCES BIOLOGIQUES ET MEDICALES UNITE D’ENSEIGNEMENT OPTIONNEL MEMOIRE REALISE dans le cadre du CERTIFICAT d’ANATOMIE, d’IMAGERIE et de MORPHOGENESE 2013-2014 UNIVERSITE DE NANTES Le nerf Lingual et le nerf Buccal Par HIRARDOT Jules LABORATOIRE D’ANATOMIE DE LA FACULTE DE MEDECINE DE NANTES Président du jury : Pr. O. HAMEL Enseignants : Pr. R. ROBERT Pr. O. ARMSTRONG Pr. A. HAMEL Dr. S. PLOTEAU Référents : Dr. S. PLOTEAU, Dr. S. KIMAKHE Laboratoire : S. LAGIER Y. BLIN 1 Sincères remerciements : À messieurs les professeurs O. HAMEL, R. ROBERT, O. ARMSTRONG, A. HAMEL, et les docteurs S. PLOTEAU et S. KIMAKHE pour nous permettre d’avoir accès à cet enseignement. À messieurs S. LAGIER ET Y. BLIN pour leur patience ainsi que leur aide, leurs services et leur bonne humeur qui jamais n’a failli. À Mr L. FURET, pour m’avoir accompagné et supporté tout au long de cette étude ainsi qu’aux autres étudiants de ce master pour cette ambiance de travail des plus agréables. À mes parents pour l’ aide apportée. 2 SOMMAIRE I. II. Introduction Anatomie et physiologie p. 4 p.5 a. Nerf lingual b. Nerf buccal p.5 p.9 III. Matériel et méthodes IV. Résultats V. Discussion p.10 p. 12 p. 19 a. Le nerf lingual i. Les risques liés à l’anesthésie ii. Les risques en chirurgie orale : étiopathogénie, avulsion des dents de sagesse et implantologie. iii. Conséquences des lésions et évolution b. Le nerf buccal i. Anesthésie du nerf buccal ii. Variation anatomique de Turner VI. Conclusion VII. Références p. 19 p. 19 p. 20 p. 22 p. 23 p. 23 p. 24 p. 25 p. 26 3 I. Introduction Le nerf lingual et le nerf buccal sont deux nerfs fréquemment anesthésiés lors d’actes de chirurgie dentaire ou orale à la mandibule. Le nerf lingual étant une branche du nerf mandibulaire (V3), découlant lui même du nerf Trijumeau, il a pour rôle de donner l’innervation sensitive des 2/3 antérieurs de l’hémi langue correspondante ainsi que celle de la muqueuse linguale. Il véhicule également les informations sensorielles au nerf facial via la corde du tympan. Ses rapports étroits avec le canal submandibulaire (Wharton) et la ème 3 molaire mandibulaire en font une structure à ne pas négliger en chirurgie, il devra donc être abordé systématiquement dans le consentement éclairé du patient. Le nerf buccal provient du nerf mandibulaire également et innerve la muqueuse vestibulaire en regard des molaires, et la muqueuse jugale. Du fait de sa situation anatomique, il est beaucoup moins pertinent de le mentionner dans l’ensemble des complications en odontostomatologie. Dans ce mémoire seront abordés leur anatomie et, en particulier pour le nerf lingual, l’application à la chirurgie ainsi que les complications per et postopératoires, pouvant survenir lors d’interventions dans cette zone anatomique. 4 II. Anatomie et physiologie a. Le nerf lingual C’est un nerf sensitif, branche terminale du nerf mandibulaire (V3), issu lui même du nerf trijumeau (Vème pair de nerf crânien). Origine rélle du nerf Trijumeau (D’après Baker EW et Coll) Trajet et régions traversées : Le V3 sort de la base du crane par le foramen ovale, après un trajet court (1,5 cm en moyenne) dans la région interptérygoïdienne, se situant alors immédiatement entre le muscle ptérygoïdien médial en dedans et le ptérygoïdien latéral en dehors, il pénètre dans le région ptérygo maxillaire et se divise en un tronc postérieur et un tronc antérieur. C’est le tronc postérieur qui se sépare en ses 2 branches terminales après un trajet de quelques millimètres pour donner le nerf lingual et nerf alvéolaire inférieur. 5 Le nerf lingual se trouve en avant du nerf alvéolaire inférieur et décrit une courbe concave en avant et en dedans. Il se trouve d’abord entre le fascia inter-ptérygoïdien et le m. ptérygoïdien médial en dedans, le m. ptérygoïdien latéral et la branche montante en dehors. C’est en général dans cette région qu’on retrouve l’anastomose avec la corde du tympan provenant du nerf facial et il est accompagné par une artériole : l’artère linguale, branche de l’artère dentaire inférieure. Il passe sous le ligament ptérygo-maxillaire (se situe alors dans la loge sous maxillaire) et se trouve alors en rapport avec : - la muqueuse linguale en dehors qui forme le sillon gingivo-lingual. - Le faisceau supérieur du muscle stylo-glosse et le muscle hyo-glosse en dedans. - Le pôle postéro-supérieur de la glande submandibulaire en bas ainsi que le ganglion submandibulaire appendu au nerf. Vue externe (D’après Baker EW et Coll) 6 Vue interne (D’après Baker EW et Coll) Il poursuit son trajet vers la partie postérieure du creux sublingual (loge sublinguale) en laissant le m. ptérygoïdien médial en dedans et la branche mandibulaire en dehors, puis descend sur la face médial de la glande submandibulaire et se trouve dans un défilé musculaire formé par le muscle mylo-hyoïdien en dehors et le muscle hyo-glosse en dedans. Dans cette partie de la loge, il est accolé à la table interne pour se diriger ensuite en avant et en dedans, sous croiser le canal de Wharton (conduit submandibulaire) de dehors en dedans et se placer en dedans de la glande sublinguale. Il prend fin par des ramifications terminales qui plongent dans la langue à sa face inférieure. Il donne au cours de son trajet des filets destinés à la muqueuse du pilier antérieur du voile du palais et des amygdales et d’autres pour les glandes submandibulaire et sublinguale par l’intermédiaire des ganglions correspondants. 7 Coupe parasagittale du plancher de la bouche (D’après Baker EW et Coll) Physiologie • Innervation sensitive : C’est l’innervation tactile, algique, thermique qui concerne : - Par ses branches collatérales, la muqueuse linguale, la muqueuse gingivale, les sillons alvéolo-lingual et gingivo-lingual ainsi que la partie antérieure du pharynx et la partie antérieure de l’amygdale. - Les 2/3 antérieurs de la langue par ses branches terminales. Il sert également d’intermédiaire dans l’innervation sensorielle : il se charge de véhiculer de la sensibilité gustative des 2/3 antérieurs de la langue vers le nerf facial via la corde du tympan. • Innervation végétative (motrice): Il communique au nerf facial l’innervation des glandes responsables de la salivation, à savoir la glande submandibulaire et la glande sublinguale. Les afférences qui empruntent le nerf lingual vont remonter par une anastomose à ce nerf : la corde du tympan, qui rejoint le nerf facial (VII) et permet de communiquer ces informations aux noyaux du VII dans le tronc cérébral. Ces noyaux, neurones parasympathiques, constituent le noyau salivaire supérieur. 8 b. Le nerf buccal Trajet et régions traversées Il provient de la branche antérieure du V3, qui se dirige en dehors dès sa sortie du foramen ovale, pour former le nerf temporo-buccal, qui s’insère entre les 2 chefs du m. ptérygoïdien latéral pour donner des branches motrices aux muscles masticateurs ainsi que le nerf buccal : Ce nerf temporo-buccal se porte en dehors, en bas et en avant, traverse les 2 chefs du m. ptérygoïdien latéral, et se divise en 2 branches : - le nerf buccal, descendant - le nerf temporal profond, ascendant Le nerf buccal descend en arrière de la tubérosité maxillaire en contact avec la face profonde de la portion orbitaire du muscle temporal pour ensuite descendre le long de sa face profonde. Au niveau du ¼ inférieur de la crête temporal, il passe sous le prolongement de l’aponévrose buccinatrice pour se diviser en 2 branches : - Une branche externe, qui de dirigera en dehors pour innerver la peau de la région masséterine. - Une branche interne (celle qui intéresse l’odontostomatologie) qui suit le même trajet initial pour innerver le buccinateur et la muqueuse vestibulaire. Notons que ce nerf est en rapport important avec l’artère buccale. Physiologie C’est un nerf sensitif pour la joue (peau et muqueuse) ainsi que la gencive vestibulaire des molaires. Territoires d’innervation à la mandibule (D’après Gaudi JF et Arreto CD) 9 III. Matériel et méthodes 3 dissections ont été réalisées sur deux sujets : - une femme : demi tête d’un sujet formolée de 80 ans et 7 mois. Cette dernière n’ayant pas apporté de clichés pertinents à la réalisation de ce mémoire. - un homme : sujet frais de 82 et 4 mois sur lequel ont été réalisés 2 dissections, la première du coté gauche et la deuxième du coté droit. • Matériel : - bistouri : lame de 15 et de 23 - pièce à main - rugine - ciseaux - curette - precelles • Méthodes de dissection et voie d’abord : Notons que le cerveau du sujet qui a permis ces clichés avait été ôté pour la réalisation d’une autre étude, la limite osseuse du crane se situait donc à la moitié de l’os temporal. L’abord exobuccal a été délimité : - Par une incision cutanée verticale depuis la limite osseuse craniale, en passant au plus près du tragus de l’oreille et jusqu’à la base du cou - Ainsi qu’une incision depuis le haut du crane, contournant l’œil, l’aile du nez, la lèvre supérieur et inférieur jusqu’ au milieu du menton pour se terminer à la base du cou. Dans un premier temps, les plans cutané et sous-cutané sont éliminés ainsi que le tissu adipeux visible. La glande parotide est réséquée et l’on découvre ainsi le plan superficiel musculaire avec le muscle masséter sur la branche montante, le muscle risorius qui part du fascia massétérique pour se rattacher à l’orbiculaire de la bouche et les muscles zygomatiques. 10 Le masséter est coupé au niveau de ses insertions mandibulaire et zygomatique puis la branche montante ainsi que l’os malaire sont ruginés (le muscle grand zygomatique est laissé en place). Le muscle temporal est également réséqué et la surface osseuse ruginée. La phase suivante consiste à découper la mandibule et le zygomatique avec la pièce à main : - la découpe de la mandibule débute depuis le premier tiers postérieur de l’incisure mandibulaire et descend verticalement parallèlement au bord postérieur du ramus et suit la forme de l’os jusqu’à la fosse rétromolaire. - L’os zygomatique est découpé au plus près de l’insertion du grand zygomatique en antérieur et de l’incision cutanée en postérieur pour une vue plus claire sur le foramen ovale. Pour la première et la deuxième dissection, le muscle ptérygoïdien latéral sera entièrement reséqué puis laissé en place dans la troisième pour mettre en évidence les rapports avec les deux nerfs concernés. Puis les nerfs ainsi que l’émergence au foramen ovale sont mis en évidence. L’os temporal est ensuite découpé à la pièce à main pour que le foramen ovale ne soit plus qu’une arcade au dessus du nerf mandibulaire puis son trajet intracrânien ainsi que le ganglion trijéminal sont mis en évidence. L’accès à la loge sublinguale a été permis par la découpe du corps mandibulaire de l’angle jusqu’à la canine. Annotations : - On a pu constaté une variation anatomique pour le deuxième dissection : il semble que le nerf lingual sorte d’un foramen différent du reste du V3 non décrit dans la littérature ! Il y a une totale asymétrie entre les deux cotés de ce sujet. - La corde du tympan n’a pas pu être observée sur la deuxième dissection. 11 IV. Résultats Trajet intracrânien et ganglion trijéminal (dissection n°2) Artère carotide interne Nerf. trijumeau V2 Ganglion trigéminal Nerf alvéolaire inférieur Nerf temporo buccal V3 Nerf temporo buccal 12 Emergence du V3 au foramen ovale et région interptérygoïdienne (Dissection n°2) Foramen ovale V3 Nerf auriculo-temporal Nerf temporo- buccal Nerf alvéolaire inférieur Nerf lingual Anastomose Muscle ptérygoïdien médial 13 Vue d’ensemble du tronc antérieur et postérieur du V3 (dissection n° 2) Nerf alvéolaire inférieur Nerf buccal Muscle buccinateur Nerf lingual Muscle ptérygoïdien médial 14 Loge sublinguale : rapport avec le canal de Wharton et terminaison (dissection n°2) Langue Rameaux terminaux du n. lingual Artère linguale Nerf hypoglosse Nerf lingual Canal de Wharton Muscle hyoglosse Muscle mylohyoïdien 15 Rapport du nerf lingual avec la table interne et la dent de sagesse (dissection n° 2) Nerf lingual arcade dentaire mandibulaire Muscle ptérygoïdien medial Muscle styloglosse Ganglion submandibulaire Muscle mylohyoïdien 16 Vue d’ensemble des nerfs et vascularisation associée (dissection n°3) Muscle ptérygoïdien latéral Artère, veine et nerf alvéolaire inférieur Nerf et artère buccal Muscle ptérygoïdien médial Muscle buccinateur Nerf et artère lingual 17 Vue d’ensemble du nerf lingual et nerf buccal (dissection n°3) Muscle ptérygoïdien latéral Corde du tympan Nerf buccal Muscle ptérygoïdien médial Nerf alvéolaire inférieur Nerf du Nerf lingual mylohyoïdien 18 V. Discussion a. Le nerf lingual i. Les risques liés à l’anesthésie Son infiltration se fait facilement dans la loge sublinguale en regard de la dent de sagesse alors qu’il est rarement intéressé par l’anesthésie mandibulaire à l’épine de Spix du fait de sa situation très en avant dans le défilé inter-ptérygo-temporal et de sa séparation très précoce du nerf alvéolaire inférieur. • Les complications liées à l’anesthésie existent mais restent dans la grande majorité des cas transitoires et réversibles : elles peuvent entrainer une anesthésie ou une paresthésie (langue engourdie). Elles sont en général causées par un non-respect des protocoles ou à des dispositions anatomiques atypiques (notamment au niveau des régions adjacentes au foramen mandibulaire). Une analgésie du n. mandibulaire peut donc entrainer une perte de sensibilité pendant quelques heures voir quelques jours. Une étude de Morris CD et coll (9), nous décrit les variations anatomiques que peut adopter le nerf lingual dans l’espace ptérygomandibulaire, c’est à dire la zone d’injection pour les tronculaires à l’épine de Spix. Sur un total de 44 injections simulées : 42 (95.5%) passent latéralement au nerf, dont 7 (16%) à 0,1 mm de ce dernier et 2 (4.5%) pénètrent le nerf. Ce facteur n’est peut être pas assez mentionné dans le consentement de la phase pré-opératoire, ces variations contribuant de façon importante aux traumatismes du nerf lingual. Ce dernier chiffre restant tout de même assez faible s’explique par le fait que les aiguilles utilisées pour les tronculaires sont généralement d’un calibre plus important que celles employées pour les para apicales et font rouler le nerf, limitant la pénétration dans ce dernier. Le simple traumatisme de la gaine du nerf causera chez le patient un choc électrique tout le long du territoire de distribution. Ce signe incitera fortement le praticien à retirer l’aiguille avant d’avoir pénétré le nerf à proprement dit. • L’irritation du nerf peut également être causée par une contamination de la solution anesthésique par de l’alcool ou une solution stérilisante. Ces solutions du fait de leur action neurolytique, peuvent 19 conduire à un œdème qui fait pression sur le nerf entrainant la paresthésie à long terme (plusieurs mois à plusieurs années). Cette pression peut également être causée par une hémorragie autour du tronc nerveux. • La majorité de ces paresthésies persistes dans les 2 mois suivant les soins. Elles sont permanentes dans de très rares cas si le dommage est important. ii. Les risques en chirurgie orale • Etiopathogénie (selon Chikhani L et Coll (4)) Elle est essentiellement liée à la position de la dent et à l’anesthésie (cf. rubrique précédente) : - position verticale sur l’arcade : c’est dans cette position que le danger est le plus grand et que l’on trouve le plus de complications postopératoires. Elles sont en général dues à la syndesmotomie en lingual de la dent : le syndesmotome étant déjeté en dedans par la convexité de la couronne et se trouve en contact avec le nerf. Les syndesmotomies profondes, en dessous du collet lingual de la 3ème molaire sont donc particulièrement dangereuses et à éviter. - Position verticale sous muqueuse ou incluse : les seuls risques ici sont représentés par la voie d’abord linguale dans la résection de la table interne ainsi que les fractures de la table interne laissant des fragments osseux traumatisants pour le nerf. - Position linguale : Les risques sont liés à l’amincissement de la table interne, donc fragile ou pouvant être traversée par une fraise destinée à une séparation corono-radiculaire. Là encore la syndesmotomie en linguale et particulièrement risquée. - Position horizontale : La séparation radiculaire est principalement en cause dans ce dernier cas. L’utilisation d’une turbine est fortement déconseillé (300 000 tours/min) : elle entraine trop d’échauffements malgré l’irrigation et le control de la fraise est moins aisé qu’avec une pièce à main (20 000 à 30 000 tours/min) avec laquelle la fraise atteindra moins rapidement la limite dent/os à proximité du nerf. 20 • L’avulsion des dents de sagesse ou 3ème molaires mandibulaire La fréquence des lésions de ce nerf au cours des avulsions des 3ème molaires mandibulaires est estimée à 1,3%, elles font parties des complications classiques lors de l’extraction de ces dents et c’est malheureusement une structure non objectivable par des clichés radiologiques. Le nerf lingual cheminant à proximité de la dente de sagesse mandibulaire, à la face interne de la mandibule entre l’os et la langue, ce dernier peut être lésé lors de l’extraction de cette 3ème molaire. Cela se manifestera, sur le plan sensitif, par une perte de la sensibilité totale (paresthésie) ou partielle (hypoesthésie) de l’hémi-langue correspondante. On retrouvera chez ces patients des cicatrices muqueuses ou linguales dues à des morsures indolores lors de la mastication et des signes de mastication unilatérale. Ces diminutions de sensibilité sont, dans la très grande majorité des cas, temporaires et disparaissent en quelques jours voir quelques semaines. Les pertes définitives restent exceptionnelles. Cheung YY et coll (3), ont réalisé une étude concernant la détermination de l’incidence du déficit neurosensoriel suite à une blessure du nerf lingual sur 4338 extractions de 3ème molaires mandibulaires par des chirurgiens de niveaux différents. Ils ont montré qu’à la suite d’un réel traumatisme causé par l’extraction, le nerf lingual met en moyenne 6 mois pour une récupération post-opératoire totale et ce dans 72% des cas. Au delà de ces 6 mois, la récupération de totale devient beaucoup plus incertaine mais peut atteindre 18 mois à 2 ans. Cependant les chances de retour à une sensibilité complètement normale au 6ème mois sont faibles. Sur ce total d’extractions, 0.69% de patients ont développé un déficit du nerf lingual, certains facteurs augmentant le risque de façon significative comme : - l’angulation distale de l’inclusion - l’expérience de l’opérateur Certains auteurs s’accordent pour rajouter le temps de l’opération, la profondeur de l’inclusion, l’élévation du lambeau lingual, l’élimination de l’os en surplomb distal. 21 • Implantologie Ces complications concernent essentiellement la réalisation des lambeaux et peuvent donc aussi être retrouvées dans les avulsions. En dedans de la table corticale linguale de la mandibule, ce nerf est recouvert d’une fine couche de muqueuse et peut être visible cliniquement, ce qui fait que les soins dentaires dans cette région sont délicats et l’incision verticale de lambeaux sont à proscrire ! Dans une étude par résonance magnétique, Miloro et coll. (8) ont trouvé qu’il traversait le triangle rétromolaire chez 10% des patients (le nerf se situe au dessus de la crête linguale)! Le risque devient donc important de le traumatiser lors de l’élévation d’un lambeau, de sa rétraction et de sa suture. Le risque peut être prévenu de plusieurs façons : - l’incision de décharge distale doit être de 30° vers la partie vestibulaire dans le triangle rétromolaire ce qui permet d’éviter sa section lorsqu’il traverse ce triangle. - Le lambeau doit être récliné doucement et soigneusement dans la région postérieure de la mandibule. - Eviter les incisions de décharge linguale. Quelques chiffres concernant l’élévation d’un lambeau lingual : une chirurgie avec un lambeau lingual à l’aide d’un élévateur à périoste d’Howard (instrument sensé protégé le nerf) entraine, d’après Robinson et Smith (11), une perturbation du n. lingual dans 6.9% des cas qui persiste dans 0.8% des cas tandis qu’une chirurgie sans rétraction de lambeau n’engendrerait cette atteinte que dans 0.8% des cas avec une persistance dans 0.3% des cas. Ces résultats montrent une fois de plus que dans la grande majorité des cas de chirurgies orales, la rétraction d’un lambeau lingual est à éviter ! iii. Conséquences des lésions et évolution Il faut savoir que les sections complètes du n. lingual sont bien moins tolérées qu’une anesthésie labio-mentonière, à laquelle les patients peuvent s’habituer, ces troubles pouvant prendre la forme d’une anesthésie 22 douloureuse exagérée par le froid, les patients ressentant leur langue comme « serrée dans un étau ». Sur le plan sensoriel, l’atteinte entrainera un déficit de la sensibilité gustative (agueusie ou hypogueusie) pour les 2/3 antérieurs de la langue, qui reste assez modéré tout de même du fait que la sensation gustative est essentiellement véhiculé par le n. glosso-pharyngien (IX) pour le 1/3 postérieur où l’on trouve la zone de sensibilité maximale. Dans le cas d’une éventuelle lésion du n. lingual, on testera le gout avec du sel et du sucre. L’évolution est variable dans la durée et est imprévisible, les lésions passant souvent inaperçues en phase peropératoire. Cependant une restitutio ad integrum est possible même en cas de section complète. La prévention reste le meilleur traitement : il consiste à placer une lame malléable en sous périosté pour protéger le nerf pendant l’extraction. On estime l’incapacité permanente partielle entre 2 et 4% en cas de contusion simple et 3 à 5% en cas de section complète avec algies tenaces et rebelles. b. le nerf buccal i. Anesthésie du nerf buccal Du fait de son éloignement du point d’infiltration régionale mandibulaire au niveau de la partie orbitaire du temporal (et donc de sa protection), il est difficilement atteignable par cette infiltration. La branche interne est en revanche très aisée à atteindre dans la partie postérieure du vestibule molaire inférieur. Certaines études ont démontré qu’une anesthésie du n. buccal chez certains patients pouvait s’étendre dans la muqueuse buccale de la 1ere prémolaire à l’incisive centrale du quadrant correspondant permettant la réduction des injections pour les extractions multiples ou pouvant servir comme autre indication lors d’une chirurgie du secteur mandibulaire antérieur. 23 ii. Variation anatomique de Turner Une variation anatomique notable fut observée par Turner (13): il a pu mettre en évidence un trajet aberrant de ce nerf à la sortie d’un foramen dans la fosse retromolaire (le foramen retromolaire, qui est une structure inconstante que l’on ne retrouve pas dans les ouvrages d’anatomie), au niveau de la face distale de la 3ème molaire, à 5 mm du bord supérieur de la mandibule et court ensuite latéralement dans une direction antéroinférieure. Il a été identifié à la suite de dommages causés lors de l’opération : le patient a en effet contracté une paresthésie au niveau des muqueuses vestibulaires depuis la région retromolaire jusqu’à la canine. Ce « nerf buccal » s’échappe du nerf alvéolaire inférieur au sein du canal mandibulaire pour émerger au niveau de la zone rétromolaire remplaçant ainsi la branche terminale du tronc antérieur du V dans son innervation à la mandibule. La prévalence de ce foramen varie de façon très importante dans la littérature : elle peut atteindre 72% chez Schejtman et coll (1967) (14) mais lorsque seuls les foramens d’un diamètre minimal de 0,5 mm sont pris en compte, cette prévalence descend à 25% au maximum (Ossenberg 1987, Bilecenoglu & Tuncer 2006) (14). Le premier pourcentage s’explique par le fait que l’os mandibulaire comporte un grand nombre de microporosités, ces dernières ne comportant pas pour autant des structures vasculonerveuses. En anesthésie, ce nerf aberrant peut expliquer l’échec d’une tronculaire à l’épine de Spix et la persistance de sensibilité des molaires mandibulaires en court-circuitant le canal dentaire inférieur. La découverte de ce canal est donc en général fortuite et peut s’observer sur une radio panoramique (OPT) ou une imagerie de type cone beam. 24 VI. Conclusion Cette étude nous permet de comprendre pourquoi ces structures et tout particulièrement le nerf lingual sont souvent la cause de problèmes médicolégaux : le patient doit être prévenu, au même titre que pour le nerf alvéolaire inférieur, du danger potentiel qui peut être la cause d’un réel handicap. Chirurgiens maxillo-faciaux stomatologues ou chirurgien dentistes se doivent donc de connaître l’anatomie et les variations éventuelles de ces 2 nerfs qui sont régulièrement anesthésiés dans leur pratique quotidienne. 25 Références 1. Al-Faraje L. Risques et complications en chirurgie implantaire : étiologie, prévention et gestion. Quintessence International (2012). 2. Baker EW. Anatomie tête et cou en odontostomatologie. Médecine Sciences Publications-Lavoisier (2012). 3. Cheung LK, Leung YY, Chow LK, Wong MC, Chan EK, Fok YH. Incidence of neurosensory déficits and recovery after lower third molar surgery : a prospective clinical study of 4338 cases. Int J oral Maxillofac Surg 2010 ; 39 : 320-326. 4. Chikhani L, Cartier S, Elamrani K, Guilbert F. Lésions au cours de l’extraction de la dent de sagesse mandibulaire. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1994 ; 95 : 369-73. 5. Collet T. Le nerf lingual. Mémoire d’anatomie (C1), Nantes (1995-1996). 6. Gaudy JF, Arreto CD. Manuel d’analgésie en odontostomatologie. Masson (2ème édition, 2005). 7. Malamed SF. Handbook of local anesthésia. Mosby Year Book (Third édition, 1990). 8. Miloro M, Halkias LE, Slone HW, Chakeres DW. Assessment of the lingual nerve in the third molar région using magnetic résonance Imaging. J Oral Maxillofac Surg 1997 ; 55 : 134-137. 9. Morris CD, Rasmussen J, Trockmorton GS, Finn R. The anatomic basis of lingual nerve trauma associated with inferior alveolar block injections. J Oral Maxillo-fac Surger 2010 ; 68 : 2833-2836. 10. Perrin D, Ahossi V, Larras P, Lafon A, Gérard E. Manuel de chirurgie orale, technique de réalisation pratique, maitrise et exercice raisonné au quotidien. Collection accréditée formation continue JPIO, Editions CdP (2012). 11. Robinson PP, Smith KG. Lingual nerve damage during lower third molar removal : a comparison of two surgical methods. Br Dent J 1996 ; 180 : 456461. 26 12. Rouvière H, Delmas A. Anatomie humaine descriptive, topographique et fonctionnelle (TOME 1 tête et cou, 15ème édition). Masson (2002). 13. Singh S. Aberrant buccal nerve encountered at third molar surgery. Oral Surg Oral Med Oral Path 1981 ; Aug, 52 : 142. 14. Von Arx T, Bornstein MM, Werder P, Bosshardt D. Le canal, respectivement le foramen rétromolaire. Rev Mens Suisse Odontostomatol 2011 ; 121 : 828-34. 15. Wongsirchat N, Pairuchvej V, Arunakul S. Area extent anaesthesia from buccal nerve block. Int J Oral Maxillofac Surg 2011 ; 40 : 601-604. 27 Le nerf lingual et le nerf buccal Laboratoire d’anatomie, faculté de médecine de Nantes BUT Le nerf lingual et le nerf buccal sont impliqués dans l’innervation de certains territoires à la mandibule. Ils sont donc la cible de nombreux actes anesthésiques lors de soins en odontostomatologie et leurs rapports anatomiques en font des structures exposées à des complications pers ou post-opératoires . Cette étude explore l’anatomie de ces deux nerfs et les dangers qu’ils peuvent représenter. MATERIEL ET METHODES 1 hémi tête formolée et 1 tête fraiche, utilisée des 2 cotés, sont disséqués par abord latéral. RESULTATS Cette étude a permis de montrer les nombreux rapports anatomiques qui se succèdent le long du trajet de ces nerfs et de comprendre pourquoi le nerf lingual en particulier est très exposé en chirurgie orale : sa proximité avec la table interne et dent de sagesse mandibulaire peut être la cause de complications suite à une extraction ou la pose d’un implant. Le nerf buccal est lui, beaucoup moins exposé, mais certaines variations anatomiques rencontrées dans la littérature sont également à prendre en compte lors d’un acte de chirurgie orale. CONCLUSION Le nerf lingual ainsi que le nerf buccal sont deux nerfs sensitifs qui proviennent tous deux du nerf mandibulaire (V3) et innervent les 2/3 antérieur de la langue, la muqueuse linguale et gingivale (du coté de la langue) pour le nerf lingual et la muqueuse vestibulaire en regard des molaires pour le nerf buccal, zones que le dentiste se doit d’anesthésier dans un grand nombre des cas cliniques. Le nerf lingual se charge en plus de véhiculer la gustation des 2/3 antérieurs de la langue au nerf facial via la corde du tympan. Le nerf lingual peut être la cause de sérieuses complications si son anatomie est mal connue et le risque encouru devra être systématiquement mentionné dans le consentement éclairé du patient avant tout acte de chirurgie orale. 28