intellectuel. Mais, pendant plusieurs décennies, son influence a
été négligeable et, de nos jours encore, malgré le regain d’inté-
rêt qu’on lui témoigne ici ou là, il demeure un auteur marginal.
Cette situation de marge fut d’ailleurs d’entrée de jeu la sienne,
en raison d’une formation atypique et d’une double ascendance,
qui ont fait de lui un anthropologue inclassable, n’appartenant
ni à la génération des pères fondateurs ni à celle des autorités
académiques, et ne relevant, par le style, ni du génie britannique
ni du génie français.
Parce qu’il avait fait ses humanités à la manière des anciens,
à une époque où l’anthropologie s’affirmait déjà comme disci-
pline autonome, dotée d’un cursus universitaire propre, Hocart
passa souvent, aux yeux des sommités du moment et de la plu-
part de ses collègues, pour être tout au plus un amateur éclairé
– un peintre du dimanche de l’ethnologie, selon l’expression
significative de Lévi-Strauss. Malgré son acuité intellectuelle, sa
solide culture classique, sa connaissance de plusieurs langues
dont le sanscrit, ses études de psychologie et de philosophie, ses
compétences en philologie, ses vues très solides sur l’histoire
des sciences et la nature du travail scientifique et, bien entendu,
ses travaux de terrain intensifs – d’abord dans les îles Salomon
en compagnie de Rivers, puis aux Fidji où il fut directeur d’école,
plus tard à Ceylan, où il fut directeur de mission archéologique
et étudia le système des castes, enfin en Égypte où il termina sa
carrière comme professeur de sociologie, sans oublier la publi-
cation de très nombreux articles et de plusieurs livres –, malgré
tout cela, il ne put jamais accéder à un poste qui lui aurait per-
mis de jouer un rôle à sa mesure et de tempérer la domination
exercée par le courant fonctionnaliste sur l’ensemble de
l’anthropologie britannique.
Sa carrière, dit Rodney Needham, comme celle de Van Gennep,
en France, qui fut encore plus déplorable, est « une bien sinistre
preuve qu’une pensée innovatrice et un zèle total pour l’étude ne
sont pas toujours essentiels dans nos universités2». Fort heureu-
sement pour la science, et pour l’honneur de l’esprit humain, les
idées de ces penseurs solitaires, indifférentes au flux et au reflux
A
U COMMENCEMENT ÉTAIT LE RITE
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2. R. Needham, « Introduction », in A. M. Hocart, Rois et courtisans,
Paris, Éditions du Seuil, 1978, p. 76.
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