L’écotaxe et ses avatars Maurice Bernadet - LET 5 février 2015 A la recherche d’un financement perdu... ou comment compenser la vente des autoroutes ? A la recherche d’un intitulé acceptable : • Écotaxe ou éco-redevance ? • Taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises ? • Taxe (ou péage) de transit, « ségotaxe » ? A la recherche d’un payeur ultime : transporteur ou chargeur ? 2 1ère partie : Les faits 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement Feue l’écotaxe était une mesure emblématique du Grenelle de l’Environnement et c’est sans doute la mesure dont on a le plus parlé… Précédé de longues discussions (mai à octobre 2007), le Grenelle de l’environnement a donné lieu à la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (publiée au JORF n°0179 du 5 août 2009), modifiée par ordonnance du 7 janvier 2010, puis par une loi du 27 décembre 2012 La deuxième loi issue du Grenelle de l’environnement, LOI n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (publiée au JORF n°0160 du 13 juillet 2010), plus technique, ne concerne pas l’écotaxe. 4 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement La loi Grenelle 1 a été adoptée par l’Assemblée nationale le 7 octobre 2008 à la quasi-unanimité (526 votes pour, 4 contre pour 530 suffrages exprimés) C’est une loi de programmation, d’orientation, mais qui entre cependant dans les détails des objectifs et des moyens à mettre en œuvre. Son chapitre 3 est consacré aux transports et sa section 1 aux objectifs : • Article 10 « L’objectif est de réduire, dans le domaine des transports, les émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020, afin de les ramener à cette date au niveau qu’elles avaient atteint en 1990 » Cet objectif général est décliné en distinguant les transports de marchandises et les transports de voyageurs 5 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement S’agissant des transports de marchandises, l’article 11 précise « Les moyens dévolus à la politique des transports de marchandises sont mobilisés pour faire évoluer la part modale du non-routier et nonaérien de 14 % à 25 % à l’échéance 2022. En première étape, le programme d’action permettra d’atteindre une croissance de 25 % de la part modale du fret non routier et non aérien d’ici à 2012. Cette augmentation sera calculée sur la base de l’activité fret enregistrée en 2006. » Sans entrer dans les détails des préconisations, notons qu’elles concernent tous les modes : le transport ferroviaire (modernisation du réseau, création d’autoroutes ferroviaires, création d’OFP), le transport maritime (compétitivité des ports et création d’autoroutes de la mer), le transport fluvial (construction du canal Seine-NordEurope) et le transport routier (création d’une « écotaxe ») 6 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement De façon plus précise, la création de l’écotaxe résulte de deux alinéas de l’article 11, point VI (point consacré aux transports routiers), ainsi rédigés : « Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d'usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic. Cette écotaxe aura pour objet de financer les projets d'infrastructures de transport. A cet effet, le produit de cette taxation sera affecté chaque année à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France pour la part du réseau routier national. L'Etat rétrocèdera aux collectivités territoriales le produit de la taxe correspondant aux sommes perçues pour l'usage du réseau routier dont elles sont 7 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement propriétaires, déduction faite des coûts exposés y afférents. Cette redevance pourra être modulée à la hausse sur certains tronçons dans un souci de report de trafic équilibré sur des axes non congestionnés. Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. Par ailleurs, l'Etat étudiera des mesures à destination des transporteurs permettant d'accompagner la mise en œuvre de la taxe et de prendre en compte son impact sur les entreprises. Par exception, des aménagements de la taxe, qu'ils soient tarifaires ou portant sur la définition du réseau taxable, seront prévus aux fins d'éviter un impact économique excessif sur les différentes régions au regard de leur éloignement des territoires de l'espace européen. » 8 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement Les principaux points : • L’écotaxe concerne le réseau national hors autoroutes à péage et les réseaux secondaires dès lors qu’ils peuvent subir un report de trafic. • Le produit de l’écotaxe perçu sur le réseau national sera versé à l’AFITF pour financer la construction d’infrastructures de transport. • Le produit perçu sur les réseaux secondaires sera reversé aux collectivités territoriales propriétaires de ces réseaux. • Le montant de l’écotaxe pourra être modulé pour tenir compte de la saturation des voies. • La taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. • Des aménagements pourront intervenir au bénéfice des régions excentrées par rapport à l’espace européen. 9 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement On peut encore noter • que les deux dernières dispositions citées sont certainement celles qui ont soulevé le plus de problèmes et qu’elles sont à l’origine directe de l’abandon de l’écotaxe. Or ces dispositions témoignent de la vigueur des groupes de pression qui sont intervenus pour que les conséquences de l’écotaxe sur les régions « périphériques » d’une part et les transporteurs routiers d’autre part soient limitées. • qu’il n’y a, dans l’article 11 point VI, aucune justification explicite à la création de l’écotaxe. La seule justification se trouve dans le point I de cet article qui fonde les dispositions de l’ensemble de l’article 11 : il affirme la volonté de faire augmenter la part du non-routier et du non-aérien. Autrement dit la justification invoquée est de favoriser le report modal 10 1 - L’écotaxe et le Grenelle de l’environnement Lorsqu’on se réfère aux débats, la justification par le report modal intervient en force, sous deux formes : • • parce que le renchérissement du coût du transport routier incitera les chargeurs à s’orienter vers des modes alternatifs, parce que le produit de la taxe permettra de financer des infrastructures non routières. Mais une autre justification apparaît : faire payer aux poids lourds les effets externes qu’ils génèrent en vertu du principe « pollueurspayeurs » Et plus particulièrement faire payer les poids lourds étrangers qui circulent en France et qui couvrent encore moins que les poids lourds français leurs coûts sociaux parce qu’ils n’achètent pas leur carburant en France et ne payent donc pas la TICPE 11 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Les dispositions très générales de la loi dite Grenelle 1 sont développées dans la loi de finances pour 2009 (LOI n°2008-1425 du 27 décembre 2008) et plus précisément par son article 153 sous le titre « Ecologie, développement et aménagement durables ». Cet article qui modifie le code des douanes est très long et comporte deux parties : • Une première partie concerne l’instauration d’une taxe spécifique pour la région Alsace • Une seconde partie concerne la création d’une « taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises » (à noter que l’expression « écotaxe » n’est plus utilisée) 12 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Quelques mots sur la taxe, parfois qualifiée d’expérimentale, alsacienne. Elle ne présente pas de spécificité par rapport à la taxe « nationale » sinon que la date d’entrée en vigueur est plus proche (« au plus tard le 31 décembre 2010 » au lieu de « au plus tard le 31 décembre 2011 ») Cette particularité défendue par les élus alsaciens se justifiait par le fait que, du fait de la mise en place en Allemagne de la LKW Maut, les véhicules allemands – et éventuellement d’autres nationalités -, pour échapper à cette taxe, franchissaient la frontière et utilisaient les routes alsaciennes. Mais à cette différence près, la taxe alsacienne a les mêmes caractéristiques que la taxe nationale 13 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Le réseau taxé : • Sont soumis à la taxe les véhicules de transport routier de marchandise empruntant le réseau national (à l’exception des autoroutes à péage) et des « routes appartenant à des collectivités territoriales, lorsque ces routes supportent ou sont susceptibles de supporter un report significatif de trafic » en provenance des autoroutes à péage ou des sections du réseau national soumis à la taxe • La liste des routes et autoroutes du réseau national et du réseau appartenant à des collectivités territoriales (départements et communes) sera fixée par décret Les véhicules taxés • Sont soumis à la taxe les « véhicules seuls ou tractant une remorque dont le poids total en charge autorisé, ou le poids total roulant autorisé s'il s'agit d'ensembles articulés, est supérieur à trois tonnes et demie. » • Il s’agit donc des poids lourds et les VUL sont exclus 14 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM L’assiette de la taxe : • Elle est constituée par les « sections de tarification » délimitées par des « points de tarification » définis dans les décrets relatifs au réseau taxé. Le taux de la taxe • Pour chaque section de tarification, il varie avec le nombre d’essieux du véhicule, et son PTAC, modulé par la norme Euro. Il peut aussi varier avec le niveau de congestion de la section • Le taux est réduit de 25 % pour les départements « périphériques » (« départements métropolitains classés dans le décile le plus défavorisé selon leur périphéricité au sein de l'espace européen, appréciée au regard de leur éloignement des grandes unités urbaines européennes de plus d'un million d'habitants ») 15 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Le barème de la taxe : • « Le taux kilométrique est compris entre 0,025 € et 0,20 € par kilomètre » (en moyenne 0,12 €/km) et sa valeur, ainsi que ses modulations sont fixées chaque année par arrêté ministériel • Enfin « le montant de la taxe est égal au produit de la longueur de la section de tarification empruntée par le taux kilométrique » L’article 153 contient bien d’autres dispositions relatives à : • L’obligation pour les véhicules français ou étrangers « d'un équipement électronique embarqué permettant l'enregistrement automatique, à chaque franchissement d'un point de tarification » • La liquidation, le paiement (le recouvrement est confié aux Douanes), les sanctions et poursuites en cas d’infraction… • L’affectation du produit de la taxe. • etc. 16 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM La mise en œuvre de ces dispositions a soulevé de nombreux problèmes. La détermination du réseau taxé. Il a fait l’objet de deux décrets : • Décret n°2009-1588 du 18 décembre 2009 relatif à la consistance du réseau routier national non soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises • Décret n°2011-910 du 27 juillet 2011 relatif à la consistance du réseau routier local soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises • Le réseau taxé comporte environ 10 000 km sur le réseau national et 5 000 km sur le réseau local (départemental ou communal) La réduction du taux de la taxe pour les départements excentrés • En définitive, la réduction est de 25 % pour les départements d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, et de 40 % pour la Bretagne 17 Carte du réseau taxé au 23/01/2013, établie par la Mission Tarification (MEDDE/D GITM/SAGS /MT) - En jaune réseau local - En rouge réseau national 18 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Le choix de la technologie • Le système adopté est de type satellitaire, mais complété par des dispositifs de repérage au sol et par des portiques vérifiant que les véhicules sont bien équipés. Le choix du prestataire • Il a été très vite admis que le fonctionnement du système supposait qu’il soit confié à un prestataire privé, bénéficiant d’une délégation de service public. • Un appel d’offres a donc été publié en mai 2009. En février 2011, le consortium Ecomouv (constitué de la société Autostrade per l’Italia associée à Thalès, la SNCF, SFR et Steria) a été désigné attributaire d’un contrat de treize ans portant sur « le financement, la conception, la réalisation, l’entretien, l’exploitation et la maintenance du dispositif nécessaire à la collecte, à la liquidation et au recouvrement de l’éco-taxe poids lourds » • Cette désignation a été contestée sans succès par un concurrent évincé devant le tribunal administratif et le Conseil d’Etat 19 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Le problème de la répercussion sur les bénéficiaires de la prestation est né de la disposition de l’article 11 de la loi Grenelle 1 qui indiquait « Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises ». Cette disposition avait été obtenue sous la pression des transporteurs, et notamment de la FNTR. Mais comment la mettre en œuvre ? A cette question, trois réponses ont été successivement apportées. A / La première réponse Un groupe de travail présidé par Claude Abraham a été chargé de faire des propositions et il a distingué, dans son rapport de juin 2010, trois cas 20 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM • Le cas le plus simple, où le véhicule effectue un parcours affecté à un seul chargeur. Le montant de la taxe payée par le transporteur peut être intégralement répercuté sur ce dernier • Le cas de la messagerie où il est impossible de répartir le montant de la taxe entre les multiples chargeurs. La solution proposée est de majorer le barème proportionnellement d’un pourcentage tel que cette majoration correspond à la taxe payée • Dans les autres cas (lots partiels) le montant de la facture sera majoré d’un pourcentage dépendant exclusivement du point de chargement (origine) et du point de déchargement (destination) de la marchandise. Autrement dit on ne tiendra pas compte de la silhouette du véhicule, de sa norme euro… Le coefficient de majoration sera établi au moyen d’un modèle reposant sur la connaissance des itinéraires des PL, comparant le coût sans et avec la taxe. 21 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Dans le cas trois, la majoration étant établie sur la base d’une moyenne, il est tout à fait possible que la « matrice » des coefficients de majoration conduise un transporteur à répercuter (inscription en pied de facture) un montant inférieur ou supérieur à la taxe effectivement payée… Mais le Conseil d’Etat auquel le projet de décret reprenant les proposition du rapport Abraham a été soumis a donné un avis défavorable, considérant que la loi imposait que le montant de la répercussion sur les chargeurs ne soit pas trop éloigné du montant de la taxe effectivement payée. 22 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM B / La deuxième réponse : Le gouvernement a alors changé ses « batteries » et a publié le 4 mai 2012 un nouveau décret (Décret n°2012-670 du 4 mai 2012 relatif aux modalités de majoration du prix du transport liée à l'instauration de la taxe alsacienne et de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises) Ce décret ne modifie pas les dispositions antérieurement prévues dans les cas 1 (« répercussion au réel) et 2 (messagerie), mais adopte dans le cas 3 la règle suivante (article 3) : « le prix du transport routier est majoré d'un pourcentage forfaitaire calculé par le transporteur en appliquant le pourcentage résultant du rapport entre le montant dû au titre [de l’écotaxe] pour la période pendant laquelle l'opération de transport a été effectuée et le chiffre d'affaires de cette période » 23 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Ce mode de calcul a l’avantage d’éviter que des transporteurs soient « gagnants » et d’autres « perdants ». Mais il signifie que le montant de la répercussion est une moyenne, propre à chaque transporteur, pouvant n’avoir aucun rapport avec la taxe effectivement payée. Ce décret, pris sans concertation, a soulevé une vague de critiques de la part à la fois des chargeurs (l’AUTF a déposé un recours devant le Conseil d’Etat) et des transporteurs, reprochant à cette modalité • de ne pas permettre de savoir à l’avance le montant de la répercussion • de ne pas tenir compte des frais de gestion importants que cette modalité entraînerait pour les transporteurs • de l'absence de lien direct entre le montant de la taxe acquittée par le transporteur, d'une part, et la majoration forfaitaire prévue dans le troisième cas, d'autre part, ce qui pourrait mettre en cause la légalité même de ce décret 24 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM C / La troisième réponse Le ministère des transports a donc retiré ce décret. Mais il n’avait trouvé aucune solution permettant de garantir l’égalité entre le montant répercuté et le montant payé, ni par prestation, ni globalement pour les transporteurs. Il fallait que la loi soit modifiée pour autoriser un éventuel écart. C’est donc par voie législative (1) que la troisième réponse a été introduite L’article 16 de cette loi, modifiant l’article L. 3222-3 du code des transports, apporte la troisième réponse dont l’économie est la suivante : • La distinction entre les trois cas de figure établie par le rapport Abraham est abandonnée : lot complet, messagerie, lots partiels font l’objet d’une seule et même solution de répercussion (1) LOI n°2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports, JORF n°0122 du 29 mai 2013 25 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Une majoration forfaitaire de plein droit du prix du transport, prenant la forme d’un coefficient de majoration du prix du transport, est appliquée. Ce coefficient est fonction des régions de chargement et de déchargement des marchandises ou, pour les transports internationaux du point d’entrée ou de sortie du territoire national. Il existe • un taux par région lorsque le transport est effectué à l’intérieur de cette région (variant entre 0 et 7 %) correspondant à l'évaluation de l'incidence moyenne de la taxe compte tenu de la consistance du réseau soumis à cette taxe, des trafics de poids lourds et des itinéraires observés ainsi que du barème de cette taxe et enfin des frais de gestion supportés par les transporteurs • un taux national unique pour les transports interrégionaux ou internationaux (qui sera fixé ultérieurement par décret à 4,4 %) 26 2 – La taxe nationale sur les véhicules de TRM Ces dispositions avaient le grand avantage de la simplicité. L’affirmation que le taux de répercussion tenait compte des coûts de gestion de la taxe par les transporteurs répondait à une demande pressante des organisations professionnelles. Et on peut dire que ces organisations – à l’exception d’OTRE – estimaient que ce problème était correctement réglé. Si les OP acceptaient, sans enthousiasme, la création de la taxe, elles ne soulevaient plus qu’un problème de calendrier en souhaitant le report de quelques mois pour s’y préparer… Mais une autre opposition montait en puissance : celle des « bonnets rouges » 27 3 – Le péage de transit Initialement prévue pour entrer en vigueur au 1er juillet 2013, le gouvernement doit reporter son entrée en vigueur pour des raisons techniques (fonctionnement défaillant du dispositif Ecomouv’, indisponibilité des équipements à placer à bord des camions) d’abord au 1er octobre, puis au 1er janvier 2014. Mais c’est au début de l’été 2013 que s’élèvent en Bretagne les premières prises de position contre l’écotaxe ; début août un premier portique est détruit ; un autre début octobre ; la première manifestation de masse a lieu le 26 octobre et le 29 octobre le ministre des transports annonce la suspension de la mise en œuvre de l’écotaxe. Mais cette annonce ne calme pas le jeu : les manifestations de masse et les destructions de portiques se poursuivent en fin d’année 2013 et au premier semestre 2014. 28 3 – Le péage de transit En mai 2014 paraît le rapport « de la mission d’information sur l’écotaxe poids lourds », dit rapport Chanteguet, qui avait été mise en place en novembre 2013. Il s’agit d’un document très argumenté et volumineux (environ 550 pages) Les principales recommandations : • Rebaptiser le dispositif et parler d’éco-redevance ; • Instaurer une franchise mensuelle de 400 km pour éviter de taxer les transports de proximité ; • Relever le taux sur les axes congestionnés. Si l’on excepte la recommandation d’instaurer une « franchise », le rapport Chanteguet, assez critique d’ailleurs envers l’écotaxe, n’introduit aucun changement majeur : on a affaire à un « coup parti » et il serait trop coûteux d’y renoncer 29 3 – Le péage de transit Mais un virage avait été pris avec l’arrivée de Mme Ségolène Royal au ministère de l’Ecologie en avril 2014. Après quelques tâtonnements (annonce de la nécessité d’une « remise à plat », affirmation selon laquelle l’écologie ne doit pas être « punitive », annonce de la création d’une vignette qui serait réservée aux véhicules étrangers) le ministère, ne tenant aucun compte du rapport Chanteguet, propose en juin l’abandon de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, et son remplacement par un « péage de transit poids lourds » qui entrerait en vigueur au 1er janvier 2015. La création de cette nouvelle taxe est inscrite dans le projet de loi de finances rectificatives pour 2014, dont le Parlement commence l’examen fin juin et qui a été adoptée le 8 août 2014 (1) LOI n°2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, JORF n°0183 du 9 août 2014 30 3 – Le péage de transit Plus précisément, c’est l’article 16 de cette loi, modifiant le code des douanes, qui marque le changement, mais sans introduire un nouveau nom de la taxe (qui reste donc la taxe nationale sur les véhicules de transport routier, dite « écotaxe »), et en se bornant à redéfinir le réseau auquel elle s’applique : « 1°Les autoroutes et routes situées sur le territoire métropolitain intégrées à des itinéraires supportant un trafic moyen journalier excédant 2 500 véhicules assujettis, à l'exception des sections d'autoroutes et routes soumises à péages ; « 2°Les routes appartenant à des collectivités territoriales, lorsque ces routes supportent ou sont susceptibles de supporter un report significatif de trafic en provenance des routes mentionnées au 1°du présent I. » ; Mais le principal changement est bien là : les autoroutes et routes supportant un trafic de 2 500 PL par jour représentent environ 4 000 km, (au lieu des 15 000 de l’écotaxe) 31 3 – Le péage de transit Deux textes précisent les modifications : • Le décret n°2014-1099 du 29 septembre 2014 relatif à la consistance du réseau routier national soumis à la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises • L’arrêté du 16 septembre 2014 relatif au taux kilométrique et aux modulations qui lui sont appliquées de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises pour 2015 Principales dispositions : • Réseaux taxable : 4 000 km (cf. diapo suivante) • Pour les régions excentrées sans changement (abattement de 30 % en Aquitaine et en Midi-Pyrénées, 50 % en Bretagne). • Montant et calcul : sans changement • Majoration du prix du transport : mécanisme de majoration forfaitaire de 2 %, applicable aux trajets nationaux et interrégionaux 32 Carte du réseau taxé (péage de transit) 33 3 – Le péage de transit En réduisant fortement le réseau taxé, et en conséquence le montant des prélèvements (divisé par 4), le ministère espérait probablement calmer les mécontentements. Or il n’en est rien. Les manifestations régionales sont sans doute beaucoup plus limitées qu’au début de l’année 2014. Mais apparaît une opposition des transporteurs qui jusqu’alors semblaient s’être résignés à l’écotaxe. Les organisations professionnelles manifestent leur opposition, en soulignant notamment que la réduction du réseau taxe accroît les inégalités entre les transporteurs : en fonction de leur localisation et celles de leurs clients, certains seront soumis à l’écotaxe version « péage de transit », tandis que d’autres y échapperont totalement. Au début d’octobre 2014, les quatre OP annoncent un blocage des routes à partir du 13 octobre Et le 9 octobre, Ségolène Royale annonce la suspension sine die de l’écotaxe… 34 2ème partie : L’analyse Incontestablement l’écotaxe pose un certain nombre de problèmes que nous avons décrits dans la première partie, mais que nous n’avons pas analysés, ou pose un certain nombre de questions auxquelles nous n’avons pas répondu. Nous aborderons donc dans cette deuxième partie les thèmes suivants : • L’écotaxe et le report modal • L’écotaxe et la couverture des coûts sociaux du transport routier • L’écotaxe et l’équité régionale • La répercussion sur les chargeurs de l’écotaxe • Le « rendement » de l’écotaxe 36 1 – L’écotaxe et le report modal L’idée mise en avant pour justifier l’écotaxe est qu’elle favoriserait le rapport modal, le renchérissement du prix du transport routier encourageant les chargeurs à opter pour des modes alternatifs. L’idée que l’élasticité prix croisée entre le transport routier et un autre mode (le transport ferroviaire par exemple) est élevée est pourtant fausse. Le choix des chargeurs n’est certes pas indifférent au prix, mais il tient compte d’un très grand nombre d’autres facteurs : • L’existence d’un mode alternatif. Or très souvent, pour la réalisation de très nombreuse prestations, la route est la seule solution possible. • Les performances comparées des modes. Or la route présente des avantages incontestables : il permet le porte à porte ; il offre une large gamme de capacité de chargement ; il est moins coûteux que le chemin de fer, sauf train complet ; il est le mode le plus rapide, le plus réactif, le plus flexible et surtout le plus fiable. 37 1 – L’écotaxe et le report modal Une façon d’estimer l’impact possible de l’écotaxe sur la répartition modale est de comparer avec l’effet en Allemagne de la LKW Maut, proche dans son principe et dans ses modalités de l’écotaxe. Or les études faites en Allemagne montrent que l’instauration de cette taxe, n’a eu que peu d’effet sur la répartition modale, et des effets favorables, mais limités sur le taux de remplissage des camions. Impact de la LKW Maut Pourcentages Cf. une étude réalisée en Allemagne, en 2005 Aucun changement 76,5 % auprès des chargeurs : Agrégation des flux routiers 19,1 % l’effet en termes de Transfert sur le fer 3,1 % report modal est donc de 4,3 % Transfert sur le fluvial 0,6 % Transfert sur l’aérien 0,6 % 38 1 – L’écotaxe et le report modal Or les deux dispositifs français et allemands sont différents sur un point essentiel : la LKW Maut couvre l’ensemble des réseaux, y compris les autoroutes ; la taxe française ne concerne pas les autoroutes à péage, et ne touche donc pas (ou peu) les transports à longue distance qui empruntent dans de fortes proportions, ces autoroutes. Le ministère a calculé que la distance moyenne taxée serait de 45 km. On voit mal dans ces conditions quel impact la taxe peut avoir sur la répartition modale, ou même sur le taux de chargement des véhicules Selon la «Newletter » de Supply Chain Magazine, « l’écotaxe poids lourds, qui devait à l’origine favoriser le report modal (au profit du ferroviaire et du fluvial) devrait, si l’on en croit les simulations des experts, se réduire à un arbitrage entre la route et l’autoroute » (et on pourrait ajouter entre routes taxées et non taxées). C’est aussi ce qu’affirmait le rapport Chanteget. 39 1 – L’écotaxe et le report modal Malgré le peu d’efficacité de l’écotaxe en matière de transfert modal, le ministère a calculé que l’instauration de la taxe permettrait une réduction de 0,36 millions de tonnes de CO2. Comme le produit de la taxe (le montant total payé par les transporteurs) devrait être de 1,6 milliard d’euros, le coût de l’économie d’une tonne de CO2 serait de …4 400 euros, ce qui est une aberration économique. La justification par le report modal est donc « faible » 40 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures La question est de savoir si, ou dans quelle mesure, les poids lourds couvrent, par les impôts, taxes ou redevances qu’ils payent, les coûts qu’ils engendrent pour la collectivité et si l’écotaxe aurait amélioré cette couverture . La question est polémique, et le plus souvent les réponses ont un contenu idéologique plus que scientifique. Il existe pourtant des travaux qui fournissent des éléments de réponse argumentée à cette question… La connaissance de ce que payent les usagers des infrastructures ne soulève pas de difficulté majeure. En revanche la connaissance des coûts est plus compliquée. Et d’abord quels coûts faut-il prendre en compte : le coût marginal ou le coût moyen ? 41 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures La tarification au coût marginal social : • Coût marginal : supplément de coût que leur usage de l’infrastructure entraîne • Coût social : coût marchand et coûts externes (insécurité, effet de serre, pollution, bruit, et éventuellement congestion) La théorie économique démontre que la tarification au coût marginal social permet d’atteindre l’optimum. Mais le coût marginal, par définition, ne prend pas en compte les coûts fixes qui, dans le domaine des infrastructures de transport, sont très élevés. Une tarification au coût marginal social laisse donc à la charge de la collectivité (des contribuables) le coût des infrastructures. D’où la préférence par certains de la tarification au coût moyen. 42 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Les travaux français en matière couverture de coût d’usage des infrastructures de transport adoptent généralement les deux points de vue et calculent à la fois le CMS et le coût moyen… Les premiers travaux tentant de mesurer le coût d’usage des infrastructures par les poids lourds datent des années 60 et sont à l’origine de la création de la taxe à l’essieu. Plus récemment, plusieurs rapports ont été rédigés par le CGPC, et notamment un rapport de 1991, qui a fait l’objet d’une mise à jour en 1996 (suite à la publication du rapport Boiteux fixant les valeurs tutélaires des externalités), et d’une actualisation en 1999 (rapport Brossier-Leuxe « Imputation des charges d’infrastructures routières pour l’année 1997 ») 43 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Une mise à jour a eu lieu en 2002 pour tenir compte des nouvelles valeurs des externalités résultant du rapport Boiteux de 2001. Mais la référence aux trafics reste celle de 1997. Une synthèse a été publiée en septembre 2003 sous le titre « Couverture des coûts des infrastructures routières – Analyse par réseaux et par sections types du réseau routier national » (1) Malheureusement, il n’y a pas eu de travaux ni de publications depuis cette date, alors que la prise en compte des coûts externes a fait l’objet de profondes révisions et que les trafics ont évidemment changé... Malgré son ancienneté, ce document présente des résultats qui sont, très probablement, encore d’actualité. (1) http://temis.documentation.developpementdurable.gouv.fr/document.xsp?id=Temis-0047438 44 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Le document de 2003 présente en fait deux parties : • Une estimation globale du taux de couverture des coûts d’infrastructures par les usagers de la route selon les réseaux • L’estimation sur certains axes et sections types d’infrastructure des coûts marginaux sociaux Pour mesurer les coûts sociaux, le rapport prend en compte : • la congestion • l’insécurité • le bruit • la pollution • l’émission de gaz à effet de serre et il aboutit aux résultats suivants (page 14) : 45 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures La couverture du coût marginal social d’usage de l’infrastructure PL Coût marginal social VUL VL Tous véh. Réseau national dont Autoroutes concédées dont Routes nationales 0,98 1,83 0,59 1,33 3,88 0,70 1,39 3,46 0,79 1,23 2,74 0,71 Autres réseaux dont Routes départementales dont Routes communales 0,39 0,39 0,37 1,05 1,09 1,02 0,84 0,79 0,91 0,79 0,75 0,86 Ensemble 0,75 1,16 1,02 0,97 46 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures La couverture du coût complet de l’infrastructure PL Coût complet VUL VL Tous véh. Réseau national dont Autoroutes concédées dont Routes nationales 0,86 1,09 0,66 1,60 2,40 1,09 1,33 2,04 0,93 1,16 1,63 0,84 Autres réseaux dont Routes départementales dont Routes communales 0,23 0,23 0,25 0,87 0,89 0,84 0,71 0,68 0,76 0,63 0,58 0,69 Ensemble 0,56 1,09 0,90 0,82 47 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Ce que montrent ces calculs : • Les PL couvrent leur coût marginal et même leur coût complet sur autoroutes à péage. Compte tenu de la forte augmentation des péages pour les PL depuis plusieurs années, cette conclusion est certainement encore valide. • En revanche le taux de couverture est sensiblement inférieur à 1 sur les routes nationales, et plus encore sur les réseaux départementaux et locaux, qu’on raisonne en coût marginal ou en coût moyen. Conclusion : la création d’une taxe ne touchant pas les autoroutes, mais les autres réseaux est justifiée… Oui, MAIS… 48 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures En ne considérant que les chiffres de ces tableaux, il apparaît que pour se rapprocher de la couverture des coûts, c’est d’abord sur les routes départementales et communales qu’il faut accroître la taxation. Le rapport rend compte, dans sa deuxième partie, des études plus précises qui ont été faites pour calculer le CMS • des PL, VUL et VL • en distinguant selon la nature des réseaux (autoroutes concédées, non concédées, routes nationales), le nombre de voies (2,3 ou 4), l’environnement (milieu urbain, périurbain, interurbain, région montagneuse). • en distinguant les périodes de libre circulation et les périodes de congestion. 49 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Il n’est pas possible de présenter les tableaux, trop complexes, exposant les résultats. Mais on peut reproduire les conclusions du rapport : • Il y a une très grande variabilité dans le temps et l’espace, des coûts marginaux sociaux occasionnés par les PL (écart allant de 1 à 8 selon la section de route concernée) • Les CMS des PL sont couverts sur les autoroutes de rase campagne faiblement circulées qu’elles soient ou non concédées • Surtout, les PL ne couvrent pas leurs CMS sur les trajets urbains denses et diffus que l’on soit ou non en période de congestion. • Si le taux de couverture pour le VUL est nettement plus élevé, on retrouve l’insuffisance forte des recettes en milieu urbain ou périurbain, en particulier en période de congestion. 50 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures Conclusion : L’écotaxe, qui concernait uniquement les PL de tonnage élevé, circulant sur route nationale en transport interurbain ne répondait pas à l’objectif de couverture « équitable » des coûts d’usage des infrastructures. Si cet objectif avait été prioritaire, il aurait fallu mettre en place un système de tarification visant d’abord la circulation des PL (et des VUL) en milieu urbain et périurbain, et, en interurbain, circulant sur les routes départementales et communales… On a choisi exactement l’inverse 51 2 - L’écotaxe et la couverture des coûts d’usage des infrastructures En revanche il est exact que l’écotaxe aurait permis de faire payer une partie du coût des véhicules étrangers circulant en France. Mais une faible partie : • parce que les véhicules étrangers en transit faisant de la longue distance utilisent surtout les autoroutes à péage • parce que le montant de la taxe (en moyenne 0,12 €/km, soit l’ordre de grandeur de ce que payent en TICPE les transporteurs achetant leur gazole en France) ne représente qu’une faible proportion du coût social 52 3 – L’écotaxe et l’équité régionale On sait le rôle essentiel qu’a joué, dans l’abandon de l’écotaxe, les manifestations des « bonnets rouges » bretons. Mais peu de travaux sérieux ont été faits pour mesurer l’impact de la mise en place de l’écotaxe par région. Sauf un travail de Patrice Salini pour le compte de l’OTRE et de TLF (1) A partir des matrices origine-destination du transport intérieur sous pavillon français de région à région, Patrice Salini a estimé la part (en tonnes-kilomètres) du transport hors autoroutes concédées, donc susceptible d’être soumis à l’écotaxe. Il a alors calculé les montants des redevances générées par le transport émis et reçu par chaque région, et en les rapportant au total national la part du produit national de l’écotaxe par région. D’où le graphique : Patrice Salini, Le déploiement d’une redevance poids lourds en France, juillet 2008 http://www.gtp31.com/documents/redevance-poids-lourds-FR.pdf 53 3 – L’écotaxe et l’équité régionale D’où le classement : 1. Bretagne (10 %) 2. Pays-de-la-Loire 3. Rhône-Alpes 4. Aquitaine 54 3 – L’écotaxe et l’équité régionale Ce classement résulte : • de l’importance des transports reçus ou émis par la région. Et comme les flux sont calculés en tonnes-kilomètres, cette importance dépend à la fois du volume émis ou reçu et des distances parcourues par les flux concernant la région ; • de l’importance, dans les réseaux desservant la région, des autoroutes non concédées et des routes nationales soumises à l’écotaxe. Dans ces conditions, ce classement n’est pas étonnant : • le premier rang de la Bretagne s’explique à la fois par les distances concernant une région relativement excentrée et qui ne comporte pas d’autoroutes concédées ; l’explication est à peu près la même pour l’Aquitaine • tandis que ce sont les volumes en jeu qui expliquent le rang de la région Rhône-Alpes • mais pourquoi Pays-de-la-Loire ? 55 3 – L’écotaxe et l’équité régionale Patrice Salini a ensuite rapporté le montant de la redevance par région au montant du PIB régional. D’où le schéma : 56 3 – L’écotaxe et l’équité régionale Et il conclut : « La redevance représenterait ainsi une proportion faible de la valeur ajoutée produite (entre 0,003 % et 0,14%), mais très différente d’une région à l’autre. L’effet ainsi mesuré ne provoquerait pas de distorsion globale très importante entre régions, mais, dans une région comme la Bretagne l’effet sur les prix devrait être visible » Mais Patrice Salini souligne les incertitudes résultant du caractère « approximatif » des statistiques qu’il a utilisées. Surtout il ne tient pas compte dans le calcul des redevances, des réductions accordées aux départements périphériques de Bretagne et d’Aquitaine 57 4 – La répercussion de l’écotaxe Si l’on s’en tient à la simple logique économique, ce problème ne se pose pas : l’augmentation de coût du transport routier engendrée par l’écotaxe est prise en compte par le marché et la négociation tarifaire entre transporteurs et chargeurs conduit à affecter cette augmentation à l’une ou à l’autre partie, ou à la répartir entre eux… Mais les transporteurs ont demandé – et obtenu – que la répercussion sur les chargeurs soit réglementée. Nous avons vu la difficulté de trouver une disposition permettant de fixer réglementairement le montant de la taxe à inscrire en pied de facture. Dans toutes les dispositions étudiées, le montant répercuté de la taxe n’avait aucune raison d’être égal au montant payé par le transporteur pour la prestation considérée. Il était possible que le transporteur soit « gagnant », et il est paradoxal que la création d’un impôt se traduise pour le contribuable par un gain. Mais il était aussi possible que le transporteur soit perdant. 58 4 – La répercussion de l’écotaxe Ainsi le système pouvait être considéré comme injuste, favorisant certains transporteurs et en défavorisant d’autres selon leur localisation et celles de leurs clients. Le transporteur situé dans un lieu où il n’existe pas d’autoroutes à péage, mais où les voies que ses camions empruntent sont soumises à l’écotaxe, peut subir un surcoût largement supérieur à ce qu’il peut répercuter. Pour certains transporteurs le « préjudice » peut être supérieur à la marge opérationnelle, faible, du TRM (cf. étude du CNR). L’injustice est moins forte lorsque les routes soumises à l’écotaxe sont présentes de façon relativement homogène sur tout le territoire ; elle s’aggrave lorsque le réseau taxé se limite à un kilométrage limité de voies. Ce qui explique le durcissement de l’attitude des OP lors du passage au « péage de transit » 59 4 – La répercussion de l’écotaxe De plus il y a quelque naïveté à croire que les chargeurs subiront sans réaction la majoration du coût du transport. L’idée qu’il existe une frontière infranchissable entre le « haut » et le « pied » de facture est évidemment fausse. Très vraisemblablement, les chargeurs auraient demandé aux transporteurs de réduire, du montant de la majoration inscrite en pied de facture, le prix du transport. D’ailleurs, dès octobre 2013, alors que l’entrée en vigueur de l’écotaxe était prévue pour janvier 2014, certains chargeurs ont demandé à l’avance la baisse du haut de facture pour compenser l’augmentation à venir du pied de facture ! Il s’agissait d’éviter qu’en janvier la baisse du prix du transport trop brutale ne révèle, aux contrôleurs de l’Etat, que les chargeurs avaient fait pression sur les transporteurs pour violer la loi et ne pas respecter les règles de répercussion. 60 4 – La répercussion de l’écotaxe En fait, l’attitude des chargeurs peut être résumée de la manière suivante : • Si la prestation que vous effectuez pour mon compte n’implique pas le paiement de l’écotaxe, il n’est pas question que j’accepte la majoration en pied de facture ; cette majoration étant formellement obligatoire doit être compensée par une baisse équivalente du haut de facture • Il appartient donc au transporteur de démontrer que la prestation réalisée a impliqué le paiement de l’écotaxe, et d’indiquer le montant payé, lequel détermine le montant maximum de la répercussion. • Et des négociations tarifaires pourront alors intervenir pour répartir ce surcoût entre le transporteur et le chargeur… 61 5 – Le rendement de l’écotaxe Si les justifications « écologiques » de l’écotaxe sont « faibles » la justification financière est forte. On recherche désespérément de l’argent pour l’AFITF ! L’origine du problème est la privatisation par l’Etat des six sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (ASF, ESCOTA, APRR, AREA, SANEF et SAPN) sous le gouvernement Villepin en 2006 pour 14,8 milliards d’€ On admet généralement aujourd’hui que ces sociétés ont été « bradées », et la Cour des comptes estime que la vente des concessions d’autoroutes à l’Etat aurait dû rapporter 24 milliards d’euros. Sur les 14,8 milliards d’€ issus des privatisations, seuls 4 milliards ont été reversés à l’AFITF, le reste servant au désendettement de l’Etat 62 5 – Le rendement de l’écotaxe Or les dividendes des sociétés d’autoroutes étaient la principale source de financement de l’AFITF. Aussi il a été prévu que le produit de l’écotaxe serait versé à l’AFITF pour combler l’insuffisance de ses recettes. Plus précisément, le produit attendu de l’écotaxe était de 1,2 milliards d’€ par an affectés de la façon suivante : • 760 millions d’euros pour l’AFITF ; • 160 millions d’euros nets pour les collectivités territoriales ; • 230 millions d’euros hors taxes pour le partenaire privé ; • 50 millions d’euros au budget général (TVA sur la redevance du partenaire privé) Le coût de perception était donc de plus de 19% et le rendement net de l’écotaxe exceptionnellement faible 63 5 – Le rendement de l’écotaxe La question se pose de savoir si le contrat passé par l’Etat dans le cadre d’un PPP avec Ecomouv’ ne faisait pas la part trop belle au prestataire. Le rapport du Sénat (1) est nuancé, mais parle d’un « dispositif coûteux et complexe » ; il estime « que la société Écomouv’, attributaire du marché, s’est engagée sur des délais et des performances dont elle ne pouvait ignorer les difficultés, voire l’impossibilité, à les respecter. » ; il développe d’assez nombreuses critiques envers l’Etat quant à la manière dont les opérations ont été menées. D’autres sont beaucoup plus virulents et dénoncent « une ferme à l’image de celles de l’ancien régime » (P. Salini) (1) RAPPORT du 21 mai 2014 fait au nom de la commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l’environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds http://www.senat.fr/rap/r13-543-1/r13-543-11.pdf 64 5 – Le rendement de l’écotaxe Le résultat, aujourd’hui est que le projet avorté de création de l’écotaxe coûtera au contribuable (au moins) 839 millions d’euros de dédommagement que l’Etat s’est engagé à verser à Ecomouv’. Sans compter la majoration de 2 centimes d’euros de la TICPE sur le gazole au 1er janvier 2015 destinés à combler (réduire) le déficit de l’AFITF. Mais cette majoration, elle, est justifiée du point de vue de l’environnement. On retrouve ainsi une des conclusions du rapport Brossier-Leuxe de 2003 sur la couverture des coûts des infrastructures routières dont une des conclusions – restée lettre morte à l’époque – était : « Pour que les VL gazole couvrent leurs coûts complets, y compris coûts externes et sociaux, il conviendrait de majorer les taxes acquittées par ces véhicules de 24,3 centimes €/litre. A l’inverse, la couverture de leurs coûts par les VL essence supposerait une diminution des taxes de 10,6 centimes €/litre » 65 Merci de votre attention 66