CRITIQUES DE LIVRES
Été 2006 Revue militaire canadienne 101
Le livre offre toutefois des enseignements plus subtiles,
lesquels dépendent probablement tout autant du lecteur que de
l’auteur. L’une des principales leçons est le rôle de la puissance
maritime dans la guerre et les différences fondamentales qui
existent entre l’armée de terre et la marine, que ce soit sur le
plan de la mission, de la tactique, de la sociologie ou du
contexte social. Athènes pouvait se permettre de perdre encore
et encore sur terre, mais jamais en mer. De même, tant qu’elle
jouissait de la suprématie en mer, elle pouvait gagner au sol
ou, du moins, éviter la défaite. Cette leçon a été démontrée à
Syracuse, où l’armée de terre athénienne, quoique médiocrement
dirigée, a tenu tête aux Syracusains jusqu’à ce que la
flotte d’Athènes soit détruite dans le port. Leurs lignes
de communication étant coupées, les forces terrestres
athéniennes, horrifiées, ont simplement abandonné la partie
et ont été massacrées. En revanche, lorsque les Spartiates,
soutenus par l’or perse, ont finalement maîtrisé l’art du
combat naval, une seule victoire leur a suffi. Ce n’est qu’à
partir de ce moment que leurs décennies d’excellence dans la
guerre au sol ont fini par être déterminantes pour l’issue finale.
Ce livre évoque également le commandement et
le rôle d’un gouvernement démocratique en temps de
guerre, une question sur laquelle les Canadiens devraient
méditer. Un contrôle démocratique inconditionnel a
été désastreux dans le cas d’Athènes. Privée à jamais
des conseils avisés de Périclès, que la maladie a emporté,
l’assemblée athénienne, sans garde-fou et poussée par
les démagogues, a sanctionné des expéditions insensées,
des exécutions de masse dans les villes conquises,
l’exil et même l’exécution de dirigeants triomphants,
ce qui a conduit invariablement au sabotage d’une victoire
pourtant à portée de main. La démocratie, comme l’ont
compris les pères de la révolution américaine, doit
être tempérée par un équilibre approprié des pouvoirs.
Elle doit choisir et faire accepter sa voie par le débat
et le consensus et, à partir du moment où elle emprunte
le sentier de la guerre, elle doit être guidée par une
main ferme. Faute de quoi, il ne lui reste qu’à attendre
la défaite et l’humiliation de voir les symboles de
sa gloire passée détruits sous les hourras de ses
détracteurs.
Le capitaine de frégate Mark Tunnicliffe est membre de la cellule
de coordination de la recherche maritime et relève du directeur
général du Développement de la Force maritime au Quartier général
de la Défense nationale.
FIRST MAN: THE LIFE OF NEIL
A. ARMSTRONG
par James R. Hansen
New York, Simon & Schuster, 2005
769 pages, 41 $
Compte-rendu de Dean Black
Je me suis souvent demandé ce
qu’il était advenu du premier
homme à avoir marché sur la Lune.
Adolescent, je brûlais d’admiration
pour Neil Armstrong et les autres
astronautes. Comme beaucoup de jeunes, je
trouvais fascinant le programme spatial des
États-Unis, car j’y voyais un nouveau
domaine encore inexploré, qui offrait de
nombreux défis. Le premier pas dans cette
voie consistait à s’entraîner au pilotage
d’un avion à réaction. La poursuite d’une
carrière de pilote militaire devint donc
un objectif pour beaucoup d’entre nous.
Mais il semble que Neil Armstrong s’est
quasiment effacé depuis la mission
épique d’Apollo 11. Il était difficile de
s’expliquer pourquoi un personnage aussi
public aurait choisi de vivre loin
des médias. Je comprends maintenant,
mieux qu’à tout autre moment depuis le
20 juillet 1969, que Neil Armstrong n’avait pas disparu :
nous ne pouvions tout simplement pas le voir ni l’entendre
à cause de la foule de gens qui l’entouraient.
James R. Hansen a le mérite d’avoir jeté de la lumière
sur la vie « privée » de l’un des hommes les plus recherchés
de tous les temps. Armstrong n’a jamais voulu devenir
célèbre et tout indique qu’il déteste sa renommée. En
rétrospective, la modestie de cet astronaute légendaire est
d’une ampleur égale au succès de la mission d’Apollo 11.
Ne se voyant pas différent du commun
des mortels, Armstrong estime que nous
avons tous en nous le potentiel de réaliser
de grands exploits. Il atténue cependant
ce message en soulignant l’importance de
l’interaction entre l’homme et la technique.
La modestie d’Armstrong puise probable-
ment sa source dans la perspective unique
de notre astronaute au sujet de la synergie
homme-technique que représentait le
programme Apollo. Rappelons qu’au
départ, les vols habités étaient loin des
objectifs que visaient les scientifiques
de la NASA, car ces derniers étaient
convaincus que la présence humaine
à bord d’un engin spatial n’apportait rien
de plus. Lorsque les « pilotes d’essai
aspirant à une carrière d’astronaute » ont
constaté que leur véhicule avait été
expressément conçu pour n’exiger aucune
intervention humaine en cours de vol, ils
protestèrent et obtinrent des modifications
techniques. L’ajout de pilotes nécessita une révision de la
conception initiale ainsi que des compromis afin d’atténuer
les risques attribuables au facteur humain. Armstrong
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CRITIQUES DE LIVRES
a peut-être compris ce fait mieux que les autres. Repoussant
toute tentative de se présenter comme un héro, il a toujours
cherché à faire comprendre qu’il avait tout simplement été là,
comme les autres membres de son équipage, pour surveiller
l’appareil qui devait les transporter de la Terre à la Lune
et en sens inverse. Toutefois, malgré les efforts visant à
peindre Armstrong sous le portrait d’un homme modeste,
d’un caractère « terre à terre », on ne pouvait nier sa
bravoure. Chuck Yeager le savait très bien lorsqu’il
réprimanda ses pilotes pour avoir ridiculisé ouvertement les
astronautes du programme Mercury, accusés d’être comme
les singes qui les avaient précédés. Yeager leur rappela une
différence importante entre un astronaute et un singe, à
savoir que le singe est incapable de comprendre qu’il est
assis sur une bombe qui peut exploser à tout moment. Yeager
croyait que le courage élève les hommes comme Armstrong
à des sommets incomparables.
La vie d’Armstrong après son expédition lunaire ressemble
à une lutte entre l’obligation et la modestie. Il se sentait
obligé de tendre la main à tous ceux qui voulaient entrer
en contact avec lui, tout simplement parce qu’il savait que
sa vie avait touché beaucoup d’autres vies. Toutefois, il
s’effaçait par modestie, tenant en haute estime les milliers
de personnes qui avaient conçu et fabriqué la fusée Saturn de
Apollo 11. Armstrong semble croire que son propre rôle
en tant que premier homme sur la Lune était dérisoire par
rapport à celui de la machine fantastique qu’il n’avait fait
que surveiller, de son propre aveu.
Ken Dryden, le célèbre gardien de but devenu homme
politique et membre du Parti libéral du Canada, déclarait
dernièrement que la vie publique se caractérise par le
tintamarre, la confusion et la raillerie. Depuis près de 40 ans,
Armstrong s’y applique avec assurance, reconnaissant et
expliquant ses réalisations tout en faisant preuve de
modestie. Aucun passage de First Man n’illustre mieux cette
quête que celui que l’on trouve à la fin de l’ouvrage de James
R. Hansen. En compagnie de sa deuxième épouse, Carol,
Armstrong se rend chez des amis. Emily, la fille de ces
derniers, âgée de 5 ans, se lie aussitôt d’amitié avec
l’astronaute, qu’elle décrit comme « le vieux monsieur gentil
qui ressemble à Grand-Papa ». Emily le prend par la main et
lui fait faire le tour de la maison avant d’aboutir dans sa
chambre où elle lui montre sa petite collection de livres pour
enfants. « Winnie the Pooh ..., Cendrillon..., La Belle au bois
dormant, et voici un livre sur Neil Armstrong. C’est le premier
homme à avoir marché sur la Lune. Oh, continue-t-elle après
un moment d’hésitation, toi aussi tu t’appelles Neil
Armstrong, n'est-ce pas? » First Man est un ouvrage
merveilleux et instructif, surtout pour tous les jeunes et
les jeunes d’esprit qui se sont toujours demandé ce qu’il
était advenu du premier homme à avoir marché sur la Lune.
Le lieutenant-colonel Dean C. Black est pilote et ancien commandant
du 403eEscadron. Il est actuellement conseiller militaire principal
auprès du directeur général, Recherche et développement pour la
défense Canada à Ottawa.
Un appareil
Mirage 2000
de l’aviation française décole vers sa mission matinale. Exercice Maple Flag XXXIX, 4eEscadre, Cold Lake,
le 1er juin 2006.
Défense nationale, photo FA2006-0340 fournie par l’adjudant Serge Peters, Affaires publiques
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