CRITIQUES DE LIVRES Le livre offre toutefois des enseignements plus subtiles, lesquels dépendent probablement tout autant du lecteur que de l’auteur. L’une des principales leçons est le rôle de la puissance maritime dans la guerre et les différences fondamentales qui existent entre l’armée de terre et la marine, que ce soit sur le plan de la mission, de la tactique, de la sociologie ou du contexte social. Athènes pouvait se permettre de perdre encore et encore sur terre, mais jamais en mer. De même, tant qu’elle jouissait de la suprématie en mer, elle pouvait gagner au sol ou, du moins, éviter la défaite. Cette leçon a été démontrée à Syracuse, où l’armée de terre athénienne, quoique médiocrement dirigée, a tenu tête aux Syracusains jusqu’à ce que la flotte d’Athènes soit détruite dans le port. Leurs lignes de communication étant coupées, les forces terrestres athéniennes, horrifiées, ont simplement abandonné la partie et ont été massacrées. En revanche, lorsque les Spartiates, soutenus par l’or perse, ont finalement maîtrisé l’art du combat naval, une seule victoire leur a suffi. Ce n’est qu’à partir de ce moment que leurs décennies d’excellence dans la guerre au sol ont fini par être déterminantes pour l’issue finale. Ce livre évoque également le commandement et le rôle d’un gouvernement démocratique en temps de guerre, une question sur laquelle les Canadiens devraient FIRST MAN: THE LIFE OF NEIL A. ARMSTRONG par James R. Hansen New York, Simon & Schuster, 2005 769 pages, 41 $ Compte-rendu de Dean Black J e me suis souvent demandé ce qu’il était advenu du premier homme à avoir marché sur la Lune. Adolescent, je brûlais d’admiration pour Neil Armstrong et les autres astronautes. Comme beaucoup de jeunes, je trouvais fascinant le programme spatial des États-Unis, car j’y voyais un nouveau domaine encore inexploré, qui offrait de nombreux défis. Le premier pas dans cette voie consistait à s’entraîner au pilotage d’un avion à réaction. La poursuite d’une carrière de pilote militaire devint donc un objectif pour beaucoup d’entre nous. Mais il semble que Neil Armstrong s’est quasiment effacé depuis la mission épique d’Apollo 11. Il était difficile de s’expliquer pourquoi un personnage aussi public aurait choisi de vivre loin des médias. Je comprends maintenant, mieux qu’à tout autre moment depuis le 20 juillet 1969, que Neil Armstrong n’avait pas disparu : nous ne pouvions tout simplement pas le voir ni l’entendre à cause de la foule de gens qui l’entouraient. Été 2006 ● Revue militaire canadienne méditer. Un contrôle démocratique inconditionnel a été désastreux dans le cas d’Athènes. Privée à jamais des conseils avisés de Périclès, que la maladie a emporté, l’assemblée athénienne, sans garde-fou et poussée par les démagogues, a sanctionné des expéditions insensées, des exécutions de masse dans les villes conquises, l’exil et même l’exécution de dirigeants triomphants, ce qui a conduit invariablement au sabotage d’une victoire pourtant à portée de main. La démocratie, comme l’ont compris les pères de la révolution américaine, doit être tempérée par un équilibre approprié des pouvoirs. Elle doit choisir et faire accepter sa voie par le débat et le consensus et, à partir du moment où elle emprunte le sentier de la guerre, elle doit être guidée par une main ferme. Faute de quoi, il ne lui reste qu’à attendre la défaite et l’humiliation de voir les symboles de sa gloire passée détruits sous les hourras de ses détracteurs. Le capitaine de frégate Mark Tunnicliffe est membre de la cellule de coordination de la recherche maritime et relève du directeur général du Développement de la Force maritime au Quartier général de la Défense nationale. James R. Hansen a le mérite d’avoir jeté de la lumière sur la vie « privée » de l’un des hommes les plus recherchés de tous les temps. Armstrong n’a jamais voulu devenir célèbre et tout indique qu’il déteste sa renommée. En rétrospective, la modestie de cet astronaute légendaire est d’une ampleur égale au succès de la mission d’Apollo 11. Ne se voyant pas différent du commun des mortels, Armstrong estime que nous avons tous en nous le potentiel de réaliser de grands exploits. Il atténue cependant ce message en soulignant l’importance de l’interaction entre l’homme et la technique. La modestie d’Armstrong puise probablement sa source dans la perspective unique de notre astronaute au sujet de la synergie homme-technique que représentait le programme Apollo. Rappelons qu’au départ, les vols habités étaient loin des objectifs que visaient les scientifiques de la NASA, car ces derniers étaient convaincus que la présence humaine à bord d’un engin spatial n’apportait rien de plus. Lorsque les « pilotes d’essai aspirant à une carrière d’astronaute » ont constaté que leur véhicule avait été expressément conçu pour n’exiger aucune intervention humaine en cours de vol, ils protestèrent et obtinrent des modifications techniques. L’ajout de pilotes nécessita une révision de la conception initiale ainsi que des compromis afin d’atténuer les risques attribuables au facteur humain. Armstrong 101 CRITIQUES DE LIVRES a peut-être compris ce fait mieux que les autres. Repoussant toute tentative de se présenter comme un héro, il a toujours cherché à faire comprendre qu’il avait tout simplement été là, comme les autres membres de son équipage, pour surveiller l’appareil qui devait les transporter de la Terre à la Lune et en sens inverse. Toutefois, malgré les efforts visant à peindre Armstrong sous le portrait d’un homme modeste, d’un caractère « terre à terre », on ne pouvait nier sa bravoure. Chuck Yeager le savait très bien lorsqu’il réprimanda ses pilotes pour avoir ridiculisé ouvertement les astronautes du programme Mercury, accusés d’être comme les singes qui les avaient précédés. Yeager leur rappela une différence importante entre un astronaute et un singe, à savoir que le singe est incapable de comprendre qu’il est assis sur une bombe qui peut exploser à tout moment. Yeager croyait que le courage élève les hommes comme Armstrong à des sommets incomparables. Le lieutenant-colonel Dean C. Black est pilote et ancien commandant du 403e Escadron. Il est actuellement conseiller militaire principal auprès du directeur général, Recherche et développement pour la défense Canada à Ottawa. D é f e n s e n a t i o n a l e , p h o t o FA 2 0 0 6 - 0 3 4 0 f o u r n i e p a r l ’ a d j u d a n t S e r g e P e t e r s , A f f a i r e s p u b l i q u e s La vie d’Armstrong après son expédition lunaire ressemble à une lutte entre l’obligation et la modestie. Il se sentait obligé de tendre la main à tous ceux qui voulaient entrer en contact avec lui, tout simplement parce qu’il savait que sa vie avait touché beaucoup d’autres vies. Toutefois, il s’effaçait par modestie, tenant en haute estime les milliers de personnes qui avaient conçu et fabriqué la fusée Saturn de Apollo 11. Armstrong semble croire que son propre rôle en tant que premier homme sur la Lune était dérisoire par rapport à celui de la machine fantastique qu’il n’avait fait que surveiller, de son propre aveu. Ken Dryden, le célèbre gardien de but devenu homme politique et membre du Parti libéral du Canada, déclarait dernièrement que la vie publique se caractérise par le tintamarre, la confusion et la raillerie. Depuis près de 40 ans, Armstrong s’y applique avec assurance, reconnaissant et expliquant ses réalisations tout en faisant preuve de modestie. Aucun passage de First Man n’illustre mieux cette quête que celui que l’on trouve à la fin de l’ouvrage de James R. Hansen. En compagnie de sa deuxième épouse, Carol, Armstrong se rend chez des amis. Emily, la fille de ces derniers, âgée de 5 ans, se lie aussitôt d’amitié avec l’astronaute, qu’elle décrit comme « le vieux monsieur gentil qui ressemble à Grand-Papa ». Emily le prend par la main et lui fait faire le tour de la maison avant d’aboutir dans sa chambre où elle lui montre sa petite collection de livres pour enfants. « Winnie the Pooh ..., Cendrillon..., La Belle au bois dormant, et voici un livre sur Neil Armstrong. C’est le premier homme à avoir marché sur la Lune. Oh, continue-t-elle après un moment d’hésitation, toi aussi tu t’appelles Neil Armstrong, n'est-ce pas? » First Man est un ouvrage merveilleux et instructif, surtout pour tous les jeunes et les jeunes d’esprit qui se sont toujours demandé ce qu’il était advenu du premier homme à avoir marché sur la Lune. Un appareil Mirage 2000 de l’aviation française décole vers sa mission matinale. Exercice Maple Flag XXXIX, 4 e Escadre, Cold Lake, le 1 er juin 2006. 102 Revue militaire canadienne ● Été 2006