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Collection l’Ira n en transition
Dirigée par Ata Ayati
La collection « l’Iran en transition » s’inscrit résolument dans
l’objectif de développement du pluralisme dans la culture iranienne.
Elle le fera en portant un regard objectif sur les aspects économiques,
politiques, sociaux et culturels d’un pays en gestation. Cette ambition
est devenue une nécessité tant dans l’observation et l’énonciation des
faits que du point de vue de la recherche et de la confrontation des
idées.
INTRODUCTION
Au début des années 1960, Pierre Lyauty publiait, L’Iran secret. Un titre
assez surprenant pour une époque où l’Iran ne faisait plus un point chaud sur la scène
internationale, grâce au coup d’État de 1953 ! Le Chah exerçait, sans partage, un
pouvoir absolutiste, songeant à moderniser son pays. Mais est-ce que ce pays,
plusieurs fois millénaires, constitue un ou des secrets ?
Pour étudier un pays, il ne suffit pas seulement acquérir une connaissance
historique, économique, littéraire, sociologique, ethnologique ou anthropologique,
mais aussi surtout celle de son système politique. Un système politique se fait, entre
autres, par l’organisation de son Administration.
La survie d’une civilisation réside donc, entre autres, dans son
Administration, son organisation politique, son personnel compétant, son savoirfaire, son système de décisions …
Un pays a aussi besoin d’un changement lorsque les exigences du moment
réclament. Ce changement se situe à plusieurs niveaux : administratif, politique,
économique, social, culturel, scientifique etc.
L’Iran est profondément changé, surtout depuis la Révolution islamique. Ce
changement sociologique considérable touche tout, de l’Administration aux plus bas
des couches sociales, tout confondu. Mais que signifie réellement le changement
administratif ? Est-ce que le changement politique et social aboutit à un changement
drastique dans l’Administration ? Comment s’est formée l’Administration de l’Iran ?
Quelles sont ses réformes ? Où sont les vraies questions administratives iraniennes ?
Les réponses à celles-ci et à d’autres questions qui lui sont liées dépendent
des circonstances du moment, et toute situation particulière demande une recherche
convenable, une explication convaincante sans doute fondées sur une étude
approfondie. Ainsi, un des secrets millénaires de l’Iran réside dans son
Administration.
En effet, le changement administratif apparaît nécessaire lorsque l’on a déjà
ressenti une inadaptation de l’appareil avec les exigences actuelles. Une réforme est
fondamentale puisqu’on se heurte à des obstacles et à une série d’anomalies
bureaucratiques, et surtout quand on aperçoit que l’Administration ne répond plus
aux questions collectives et à l’évolution du monde.
L’Iran est un pays, on le sait, ayant une histoire plusieurs fois millénaires. Il a
toujours été gouverné par un système politique monarchique jusqu’en 1979, sauf
durant une petite période préislamique. Le chef était donc un roi. En effet, le mot
L’Iran : Un Puzzle ?
chZh1, en persan moderne et en moyen persan ŠZh, vient du vieux persan xšZya,iya,
qui signifie « roi ». et qui a des racines communes avec le sanskrit, xšatriya, c’est-àdire « roi guerrier ». Sa traduction en grec .5EH,E- (krasthai) veut dire « acquérir ».
Le mot « Roi des rois » utilisé surtout par les achéménides était xšZya,iya
xšZya,iyZnZm. Il correspond au moyen persan šZhZn šZh ayant la même
signification : « Roi des rois », traduit en grec par (EH-0G?6 I~2 (EH-0%;2, qui veut
dire l’empereur. Ce titre reste durant toute l’histoire de ce pays valable jusqu’à nos
jours.
Le mot chah devient célèbre surtout par la dynastie achéménide, unificatrice
de la Perse, réalisatrice d’un vaste empire intercontinental, battu par Alexandre le
Grand. En effet, Alexandre désirait unifier les deux mondes : grecque et perse, en un
seul, même si la Perse était considéré comme un pays en périphérique, rivale et non
hellénique, et qui « était constitué par les barbares selon Aristote2 ».
Dans sa structure étatique et sa division territoriale, les achéménides ont
inventé la province. Le mot kshathra, qui veut dire province, ou territoire, vient du
mot kshathrapavan, signifiant « gardien du territoire ». Ce mot prend forme en
Occident par le mot Satrape, gouverneur (grec et latin). Ainsi, les Iraniens sont uns
des inventeurs de l’administration territoriale et la division géographique et
administrative. Cette organisation permettait donc de mieux gouverner et gérer
l’ensemble du territoire.
À partir de ce constat, on peut assister à une longue histoire durant laquelle
les formes essentielles de cette structure n’ont connu qu’une minime modification. Il
faut donc attendre à l’époque récente pour que les Iraniens perçoivent la nécessité
d’une réforme profonde dans la structure politique et administrative afin qu’ils
puissent répondre aux exigences du monde moderne.
Le monde actuel tel que l’on observe est basé sur l’Administration (politique,
économique, sociale, culturelle,…). En effet, la base des modèles administratifs
actuels est posée, entre autres, par les Iraniens. Une invention iranienne ? L’empire
perse avait innové et son héritage n’était pas mince : Il était le premier à se doter
d’un système de communications routières, bien élaboré, dont la célèbre route royale
de 2 000 kilomètres. Il avait aussi inventé la poste à relais, et même le télégraphe
optique : la construction des tours sémaphores sur des sommets de montagnes
permettant la transmission rapide des messages d’un bout à l’autre de l’empire.
L’empire perse avait également fondé un système monétaire et comptable, ainsi que
l’unification des poids et de mesures3. Finalement, la Perse apprit aux communautés
1
Par ailleurs, le mot « Shah » serait plus tard originaire en Occident le mot échec (en persan chah
mat qui veut dire « le roi est mort », d'où vient les mots échec et mat.
2
Aristote poussa Alexandre à la conquête de la Perse.
3
Même les produits influencés : ce sont les Iraniens qui ont inventé le savon. Le mot même vient de
« Sâboun », mot d’origine perse. Les habitants romains étaient emerveillés, dans leurs bains connus, par
ses vertus et ses parfumés raffinés. Néron ne voulait que le savon perse dans sa salle de bains.
8
L’Iran : Un Puzzle ?
antiques la possibilité de gouverner et d’administrer un vaste empire. Les Romains,
plus tard, n’avaient fait que l’imiter. Donc, on peut dire, avec prudence bien entendu,
que le monde administratif actuel vient de l’Iran.
Pour comprendre l’Iran actuel, il nous faut donc connaître son
Administration. Et cela pour plusieurs raison : d’abord, comme on a déjà dit, les
notions et les cadres institutionnels qui dominent encore le monde contemporain
viennent de l’Iran : De l’établissement de l’ordre jusqu’à l’assurance de la justice en
passant par la formation d’un système politico-militaire. Ensuite, c’est là qu’apparaît
le second intérêt d’une étude historique et contemporaine : Elle permet des
comparaisons, fait dévoiler les liens qui existent entre le passé et le présent, et
finalement invite à réfléchir sur les conditions dans lesquelles naissent les
administrations et les raisons de leur succès ou de leur déclin. Enfin, il serait
intéressant de signaler qu’un certain nombre important d’institutions inventées par
les séfévides, au XVIIe siècle, fonctionne toujours. Ainsi, une étude historique
s’avère nécessaire pour comprendre le système politique de la République islamique.
Soulignons également qu’une étude comparative entre les différentes
dynasties perses est d’autant plus fructueuse que la période est plus longue et le
territoire est plus vaste : De l’Inde à l’Égypte en passant par le golfe Persique sur
lequel ont coexisté des diverses sociétés et des régimes politiques différents.
Il faut identiquement articuler que l’histoire administrative de l’Iran mérite
attention car elle est instructive non seulement sur le plan sociologique ou historique
mais aussi politique. Car, elle montre la volonté actuelle pour une reconstruction
impériale durable.
Pourtant, la pensée politique occidentale, sa technologie avancée, et surtout la
Révolution française ont eu un impact direct, pour ne pas dire définitif, sur les
sociétés traditionnelles. Les disciplines et les découvertes scientifiques modernes,
ainsi que la recherche et le développement technologiques ont énormément influencé
les styles de vie et l’espérance des masses partout sur le globe.
Des gens à travers des terres, et au-delà des océans sont en train de
moderniser leur société et leurs communautés suivant des modèles occidentaux.
L’ensemble des pays de l’Asie du sud-est est un exemple typique de cette
modernisation. Le résultat est ostensible et les Dragons asiatiques s’imposent
actuellement sur l’économie mondiale. Ces pays ne vont pas tarder à se manifester
sur la scène diplomatique internationale en exigeant leurs intérêts économicofinanciers et politico-stratégiques.
Dans son histoire, l’Iran a toujours été envahie par les étrangers, sauf pendant
une période distincte : sous Cyrus le Grande, Darius et Xerxès de la dynastie des
achéménides. Le reste de l’histoire de l’Iran est l’histoire des invasions successives
par les diverses ethnies nomades, et plus récemment par les attaques des diverses
9
L’Iran : Un Puzzle ?
nations comme la Russie, la Grande-Bretagne, l’Irak etc. C’est pourquoi les diverses
dynasties ont tenté, à chaque fois qu’elles arrivaient au pouvoir, de réunifier l’Iran, et
de reconquérir les régions perdues. Ainsi, la défense du pays présente une page
importante dans l’histoire de l’Iran.
Nonobstant, parfois, comme le cas iranien, la modernisation démesurée ou
plutôt l’occidentalisation superficielle provoque des réactions massives de la part de
la population de telle sorte que l’on assiste à la revendication d’un retour aux sources
culturelles nationales. La modernisation4 accélérée, en Iran, a tout simplement touché
la superstructure de la société, pour reprendre la formule marxiste. Seulement
quelques couches sociales imitaient la façon de vivre à l’occidentale. Le reste, il
s’agit des couches sociales pauvres, qui deviennent plus tard les opprimées et les
déshéritées, observaient et se ressentaient délaissées. Par une autre voie, la classe
politique, à la tête de laquelle la monarchie absolutiste gouvernait, encourageait cette
occidentalisation au détriment de ces dernières5. C’est pourquoi une étude
approfondie sur les mécontentements, les soulèvements et les révolutions mérite
d’englober tous les aspects de la vie collective d’une nation et sa présence réelle
dans le monde, ainsi que la domination incontestable de la technologie actuelle et
future, l’impact entre les évènements culturels qui imposent leur domination dans ces
sociétés.
Habituellement on pense, selon des clichés ordinaires, que la décision finale
appartient au Guide de la révolution ! Pourtant, on verra que ce n’est pas le cas. Son
pouvoir est limité, et sa représentation est plus symbolique.
La position géographique de l’Iran lui donne également un aspect à la fois
vulnérable et fort. Vulnérable, car ses voisins ne sont pas homogènes et souvent
ayant des tendances extrêmes. Fort, car, l’Iran a su dominer un sphère distinct. La
croissance chi’ite constitue donc un arc de défense majeur pour les Iraniens.
La route de la soie est, dors et déjà, là. Et l’Iran se retrouve au centre de
communication est-ouest et nord-sud. Il occupe la troisième place de transport de
marchandises après l’Arabie et les Émirats dans cette vaste zone géographique
incluant l’Asie centrale. Le jour où les relations diplomatiques entre les États-Unis
d’Amérique et l’Iran sont rétablies, les données commerciales, économiques et
politiques seront différentes et l’influence iranienne sera encore davantage
4
L’économie mono productive dépendante des ressources pétrolières avait permis, dans les années 60 et
70, une modernisation accélérée. Le revenu pétrolier était « en 1960 : 45 millions de dollars, en 1967 :
285 millions, en 1970 : 1 093 millions, en 1974 : 18 523, et en 1977 : 20 735 millions de dollars », F.
Holliday, The Dictatorship and the Development of Capitalism in Iran, tr. F. Nik-Aiïn, Téhéran, Amir
Kabir, 1979, p. 152.
5
Sur la Révolution iranienne, il y a une littérature abondante. Ainsi, les raisons de cette révolution ne se
limitent pas à cette occidentalisation. Il s’agit d’un ensemble de facteurs sociologiques, politiques,
économiques, religieux, culturels, etc., qui était l’acteur et la locomotive du déclenchement de la
révolution.
10
L’Iran : Un Puzzle ?
consolidée. Ce qui veut dire, l’Iran pourrait facilement jouer un rôle déterminant
dans la sécurité de cette méga région. Autrement dit, l’Iran pourrait être un
partenaire idéal pour l’Occident. Son entrée dans la zone de Shanghai, considérée
comme un concurrent sérieux face à l’Otan, est autant plus important que le
rétablissement des relations bilatérales américano-iraniennes. Ainsi pour comprendre
les enjeux géopolitiques iraniens, il faut connaître son système politique. Pour
comprendre son système politique, il faut donc commencer par appréhender son
Administration.
Ce petit travail tente d’étudier d’abord le fondement de l’Administration de
l’Iran depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Puis, il essaie d’aborder les changements
intervenus dans le corps administratif depuis la révolution islamique. À notre avis,
un tel examen peut nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de la société
iranienne, les méthodes de la prise des décisions, et son système politique. Il est
finalement important de signaler que l’auteur est parfaitement conscient d’énormes
lacunes de ce texte, et espère que les lecteurs lui pardonnent en souhaitant que les
aimables lecteurs lui feront parvenir leur avis afin de corriger à l’avenir les
imperfections inadmissibles.
Paris, le 12 décembre 2008
11
PREMIERE PARTIE : LE FONDEMENT DU SYSTÈME
POLITIQUE IRANIEN
CHAPITRE I : APERÇUES ARCHÉOLOGIQUES
Civilisation
iranienne : Elam,
Sumer
Golfe
Persique
Un certain nombre de chercheurs remontent jusqu’à 12 000 ans pour
l’histoire de l’Iran. On peut imaginer donc l’existence des croyances plus ou moins
religieuses durant les périodes paléolithique et néolithique6 sans pour autant de
donner un avis sur l’organisation des institutions religieuses, une des bases de
l’organisation administrative. Toutefois, « dès le Ve millénaire avant l’ère chrétienne,
nous pouvons suivre l’évolution de la culture humaine sur le Plateau Iranien7. »
Mais avant tout, il est fortement conseillé de préciser quelques éléments.
L’Iran possède en effet l'une des civilisations les plus anciennes du monde8.
Couvrant l’histoire des milliers d’années, depuis les civilisations antiques du plateau
iranien, des Mannéens en Azerbaïdjan, de Shahr-i Sokhteh (Ville brûlée) dans le
Sistan, de Jiroft, suivie du royaume d’Élam, en passant par l’empire des
Achéménides, des Parthes, des Sassanides jusqu’à l'actuelle République islamique,
l’Iran a pu traverser des moments hauts et bas. Pour assurer sa survie, ce pays a donc
su et pu établir de façon surprenante une administration solide. Seule condition
nécessaire, mais sûrement pas suffisante, pour pouvoir assurer sa continuité.
6
Sur ce sujet voir les travaux archéologiques comme Sadek-Kooros et Hind, « Paleolithic Culture in
Iran », in Processing’s of the 2nd Annual Symposium on Archeological Research in Iran, Musée Iran-é
Bastân, Tehran, 29th Oct.-1st Nov. 1973, Tehran, 1974, p. 53-62, R. Ghirshman, Fouilles de Sialk près
de Kashan, 1933-1934, 1937, vol. I, Paris, éd. Librairie Orientaliste, 1938, Carlton S. Coon,
« Excavation in Hotu Cave: Iran 1951: A Preliminary Report », in Processing of the American
Philosophical Societies, 96, n°3, 1952., p. 231-249, M. Tosi, « The Archaeological Evidence for
Protostric Structure in Eastern Iran and Central Asia at the End of the 3rd Mill. B.C. », in Le Plateau
Iranien et l’Asie centrale des origines à la conquête islamique, Paris, 1977.
7
Roman Ghirshman, Perse : Proto iraniens, Mèdes, Achéménides, Paris, Gallimard, 1962, p. 1.
8
J. A. Boyle, The Cambridge History of Iran, Cambridge University Press, 1968, 778 p.
L’Iran : Un Puzzle ?
L’Iran actuel dispose de vestiges d’occupation humaine et culturels qui datent
du paléolithique. On a pu trouvé des instruments de pierre du paléolithique inférieur
dans la région du Baloutchistan iranien, avec une grande quantité d’outils en pierre,
représentant d’un âge estimé à 800 000 ans. Parallèlement, on a aussi découvert, près
de Tabriz (ville située à nord ouest du pays) les ruines d’un campement de chasseurs
datant de la même période mentionnée. Même si les fouilles archéologiques sont très
peu effectuées, il faut remarquer qu’une grande partie des sites a été disparue en
raison des glaciations du pléistocène. Les sites ci-dessous montrent ces vestiges
allant de la Mésopotamie au plateau iranien.
Quelques villes en Iran
occidental et
l’immigration iranienne
Les fouilles archéologiques ont pu donc donner quelques résultats concernant
la période du paléolithique moyen avec la découverte des grottes occupées et des
vestiges moustériens dans le bassin occidental du fleuve Helmand9o C’est en réalité
une continuité des sites physiques néandertaloïdes depuis la chaîne des Tian Shan
jusqu’à l'Atlantique en passant par l’Europe et l’Afrique du Nordo Par ailleurs, on a
pu également découvrir que durant la période paléolithique supérieur l’emploi des
nouvelles méthodes du travail de la pierre a été apparu.
La sédentarisation est le résultat de l’agriculture, de l’élevage, de la naissance
des arts plus élaborés, de la mise en service de routes, et surtout de la réalisation
d’une économie plus complexe durant la période néolithique10. La période
mésolithique, c’est-à-dire vers 10 000 ans av. J.-C., on assiste à la naissance de
l’économie de production de biens, de la domestication des ovins.
C’est vers le VIIe et VIe millénaire qui commence le néolithique iranien avec
l’apparition des centres d’agriculture, des habitations en brique. Puis, au IVe
millénaire av. J.-C., les éléments en cuivre, découverts en Khuzistan, présentent l’âge
9
Ezzat O. Negahban, « Ghcr (cave) », in Encyclopædia Iranica en ligne.
Comme les sites de Ganj-é Dareh et de Jarmo en Iran Occidental.
10
14
L’Iran : Un Puzzle ?
du cuivre en Iran. Cette période est témoin d’une série de routes commerciales et
d’équipements urbains allant de la vallée de l’Indus jusqu’en Anatolie en passant par
la Mésopotamie. À Djiroft, la découverte d’une civilisation de 5 000 ans est assez
récente. Elle se situe à la même date que celle protoélamite allant de la province de
Far aux alentours de Téhéran.
L’héritier de la civilisation protoélamite est le royaume élamite. Il nous a
laissé une écriture qui n’est pas encore déchiffrée. Cette civilisation perdura de IIIe
millénaire pratiquement jusqu’au milieu du Ier millénaire. Le royaume élamite se
situait entre Suse11 et la province de Fars. C’est-à-dire entre le centre et la
mésopotamie. Les inscriptions cunéiformes qui datent du XXIVe siècle montrent
l’existence d’une administration complexe, centrée surtout autour du temple, du
palais et des centres des affaires. À ce royaume iranien, il faut ajouter cinq autres12 à
savoir Simashki, Hamazi, Awan, Marhashi et Zabshali.
Il semble qu’à partir du IIe millénaire av. J.-C. que divers peuples de la
famille iranienne, venant de l’Asie centrale13, posent leurs pieds en Iran.
Les civilisations iraniennes avant l’empire mède sont selon le tableau
suivant :
Zayandeh River Civilization
Sialk Civilization
Jiroft Civilization (Aratta)
Proto-Elamite Civilization
Bactria-Margiana Complex
Elamite Dynasties
Kingdom of Mannai
Prehistoric–?
7500–1000
4000–?
3200–2800
2200–1700
2800–550
10th–7th cent.
Revenons un peu en arrière. Au 4ème millénaire, les populations protoélamites
édifient une civilisation étincelante au Khuzistan iranien. Ils bordaient des
montagnards du Zagros. C’est-à-dire les Goutis et les Kassites. Les Elamites avaient
pour capitale Suse. Vers 3100 av. J.-C., la Susiane, qui depuis longtemps était
soumise aux Sumériens, devint autonome, dirigée par les montagnards élamites.
C’est en ce moment-là qu’une écriture protoélamite apparaît au milieu du IIIe
millénaire14.
11
Pierre Amiet, Suse, six mille ans d’histoire, Éditions R.M.N., 1988.
Ils parlaient la même langue mais de différents dialectes. I. M. Oranskij, Les Langues Iraniennes,
Paris, Librairie C. Klincksieck, 1977.
13
A. H. Dani, V. M. Mason (Ed.), History of Civilizations of Central Asia (I). Paris/N.Y., UNESCO
Publishing, 1992, p. 29-126, voir aussi R. Ghirshman, L’Iran, des origines à l’islam, Paris, Albin
Michel, 1976.
14
P. Damerow et R. K. Englund, The Proto-Elamite Texts from Tepe Yahya, Cambridge, Cambridge
Univ. Press, 1989.
12
15
L’Iran : Un Puzzle ?
En relation avec la Mésopotamie, ils étaient dominés par la dynastie d'Akkad
au XXIIIe siècle av. J.-C. Mais en 2003 av. J.-C., ils se révoltèrent15. Ce n’était
qu’une question du temps la prise d’Ur avec leurs alliés syriens.
La Susiane, au XVe siècle av. J.-C., connaissait plusieurs principautés. Puis,
la ville de Kabnak (aujourd’hui appelée Haft Tépé) située au sud de l’Iran devint la
capitale de l’ensemble de ces principautés.
Pratiquement un siècle plus tard, au XIVe siècle, une nouvelle dynastie devint
une unificatrice de l'Élam. Ainsi fut né le titre de roi d'Anzân et de Suse. Le roi
Untash Napirisha fonda sa capitale à d'Al-Untash Napirisha (aujourd’hui Tchoga
Zanbil), protégée par trois forteresses.
C’était au XIIe siècle que la puissance élamite arriva à son summum : le roi
Shutruk Nahhunte16 concrétisa la conquête de la Babylonie, en 1153 av. J.-C., et
ramena à Suse quelques chefs-d'œuvre, entre autres, la statue de Mardouk, la stèle de
Naram-Sin, et surtout le Code de Hammourabi.
À la fin du XIIe siècle, de son tour, le roi élamite Hutelutush-Inshushinak,
fut, en 1115 av. J.-C., vaincu par le roi de Babylone, Nabuchodonosor 1er. Celui-ci
saccagea Suse et poussa les Élamites vers le pays d'Anshan (près de Chiraz). Le
résultat était l’éclatement de la monarchie en plusieurs dynasties adversaires.
Pourtant, nous ne disposons pas d’une solide connaissance sur l’organisation
des administrations de ces époques. Seules les inscriptions en cunéiforme nous
laissent quelques indices. Celles-ci sont si peu qu’une conclusion solide ne peut être
tirée !
15
16
Barthel Hrouda, L’Orient ancien, préface Jean Bottero, Paris, Bordas, 1991.
Edith Porada, Iran ancien, Paris, Albin Michel, 1963.
16
CHAPITRE II : LES SUMÉRIENS
L’État sumérien
Les Sumériens17, d’origine iranienne18, édifièrent une structure politique,
sociale, « éducative19, » culturelle et économique performante et complexes. En
effet, ils étaient inconnus des Grecs, des Romans et même des Juifs. Il semble
également que Hérodote n’entendit même jamais perler de la civilisation sumérienne.
Il paraît également que Berose, l’historien babylonien, ne connaissait le Sumer qu’à
travers une fable. Il écrit une race de monstres, conduits par Oannès, venant du golfe
Persique, et qui introduisit dans le pays l’agriculture, le travail des métaux, et
l’écriture : « tous ce qui peut rendre la vie plus agréable, dit-il, fut révélé à l’homme
par Oannès et depuis cette époque on n’a plus rien inventé20. » Deux milles ans après
Berose babylonien, on redécouvrit cette brillante civilisation. C’était en 1850 que
Hincks s’apercevait que l’écriture cunéiforme avait été empruntée à un peuple
antérieur qui parlait également une langue non sémitique. Plus tard, Oppert donna à
ce peuple le nom de « Sumérien21. »
17
André Parrot, « Sumer », in Encyclopaedia Universalis, vol. 21, 1996, p. 825-829. « Est-il nécessaire
de rappeler que c’est à ce monde révolu que l’on doit, entre autres, le système sexagésimal, la division de
l’heure en soixante minutes, de la minute en soixante secondes ? Ce seul exemple suffit, puisqu’il pèse
sur la destinée humaine et nous touche tous directement dans l’existence quotidienne ».
18
Sur ce sujet voir : Dr. M. A. Nadjafi, Les antécédents historiques et culturels des Iraniens en
Mésopotamie, Londres, éd. Djebheh, 1987, aussi voir Elton L. Daniel, The History of Iran, Greenwood
Press, 2001
19
Sir Leonard Woolley, « Les Sumériens à l’école », in Le Courrier de l’UNESCO, vol. XVI, n° 6, juin
1963, p. 15 : « À Ur, il y a plus de 37 siècles, les écoles publiques s’étaient multipliées. [...] L’école
pouvait recevoir quelques 25 élèves d’âges divers. À l’origine, annexes des temples, les écoles
sumériennes s’étaient laïcisées ; on y enseignait les disciplines les plus diverses, de la botanique aux
mathématiques en passant par la géographie et la grammaire. Elles étaient de hauts lieux du savoir ».
20
Georges Renard, Le travail dans la préhistoire, Paris, E. Alcan, 1931, p. 316.
21
William G. Sumner & Albert G. Keller, The Science of Society, vol. I, New Haven, Yale Univ. Press,
1947, p. 132.
L’Iran : Un Puzzle ?
Les Sumériens nous ont laissé une civilisation brillante, depuis les calculs
géométriques22 jusqu’à un art raffiné. Urbains, ils créèrent la ziggourat, prédécesseur
des pyramides, et mère des minarets, pour sculpter l’incarnation du pouvoir et de la
religion dans la vie courante. Fondateurs de « Cités-États23 », ils développèrent le
système dynastique du pouvoir à la tête duquel il y avait un roi-prêtre «patesi24 »,
représentant à la fois le chef politique / maître de la cité et la personnification sur
terre de la divinité25. Ce double symbole (roi est l’ombre divin) jouera jusqu’en 1979
un rôle essentiel dans l’établissement de l’unité en Iran : le roi (Chah). Par ailleurs,
la religion jouait un rôle capital dans la vie des Sumériens. La séparation entre le
temple (l’église) et l’État était inconcevable. Ces deux fonctions, réunies dans la
même personne laisseront leur influence à travers l’histoire et arrivent jusqu’à nos
jours ou finalement une théocratie s’est établie en Iran en 1979.
En effet, ce fut vers 2 500 av. J.-C., que la première dynastie d’Ur jouissait
d’une suprématie. Elle dura environ deux siècles. Au milieu du IIIe millénaire, on
rédigea des scribes légendaires et mythologiques l’histoire de la dynastie de LagaŠ.
Le roi est puissant puisqu’il est représentant du dieu. Son pouvoir est héréditaire, car
il est l’incarnation du pouvoir divin. Les conquêtes lui obligent l’établissement d’une
politique autoritaire. Ainsi les habitants perdent leur liberté et payent d’impôts. Le
régime économique sumérien est plus ou moins communautaire, puisque la terre
appartient au dieu de la cité, administrée par le temple : même s’il existe des
propriétés individuelles. Quatre catégories professionnelles, à savoir les négociants,
les pêcheurs, les artisans et les bateliers forment une classe libre. Or, la vente au
marché est libre avec une possibilité manifeste : on peut s’enrichir par son effort.
Pourtant, c’est à partir de la IIIe dynastie d’Uruk, c’est-à-dire Lugal-zaggisi26,
qui s’étend la domination sur tout le territoire de Sumer, fondant ainsi le premier
empire de la Mésopotamie.
Par cette construction impériale, commence les diverses invasions. Une fois
les Guti expulsés, LagaŠ connaît une nouvelle période resplendissante, surtout sous le
roi Gudéa, vers 2 050 av. J.-C. À son tour, Ur touche une période prépondérante
grâce à cinq rois de la IIIe dynastie. C’est-à-dire entre 2 085 et 1 930 av. J.-C. Les
fouilles archéologiques montrent la pénétration de ses produits alimentaires ou
artistiques en territoire perse, en Arménie, ou en Syrie. Autrement dit,
l’établissement d’un intense commerce entre Ur et les territoires mentionnés. C’était
22
Arie S. Issar, « Il était une fois à Sumer », in Le Courrier de l’UNESCO, vol. XLVI, n° 5, mai 1993, p.
10-14.
23
André Parrot, Sumer, Paris, Gallimard, 1960, p. 93-162.
24
G. Renard, Le Travail dans la préhistoire, Paris, E. Alcan, 1931, p. 158.
25
Voir les travaux de M. Weber, aussi, A. Cuvillier, Manuel de sociologie, vol. III, Paris, PUF, 1950, p.
623-626.
26
Le nom sonore des rois sumériens commence souvent par Lugal : Lugal-shagengur, Lugal-kigubnidudu, ou encore Lugal-andanukhunga.
18
L’Iran : Un Puzzle ?
à ce moment précis que l’on écrit le Code d’Ur-Nammu. On assiste ensuite à
l’infiltration des sémites.
Pourtant, le royaume d’Ur ne perdure pas longtemps. Vers 1 930 av. J.-C., les
Élamites (perses aussi) envahissent l’empire sumérien et détruisent Ur. Puis de
nouvelles pénétrations sémitiques en Mésopotamie se produisent. Ces nouveaux
entrismes permettent à de ces nouvelles dynasties fortement sémitiques de former les
nouveaux royaume, dite, néo-sumériens à savoir les royaumes d’Isin et de Larsa. Les
fouilles archéologiques nous ont apporté une partie du Code du cinquième roi d’Isin,
dite, le Code de Lipit-IŠtar.
Alors que les Sumériens lançaient la formation d’États cités, ils projetaient
aussi les plans d’urbanisme : Au centre des villes, ils construisaient des temples
monumentaux sur hautes terrasses, en brique bien sûr, et les murs étaient recouverts
de mosaïques de carreaux d’argile colorés. Les temples étaient placés au milieu d’un
espace réservé au dieu de la cité. À la tête de la cité et des prêtres se trouvait lougal,
grand homme, ou plus précisément le prince. Celui-ci détenait à la fois le pouvoir
politique et le pouvoir religieux (le grand prêtre). Par ailleurs, le temple était non
seulement le centre religieux mais aussi le centre économique et politique.
L’ordre social était maintenu par un système féodal. « Les ressources fiscales
dont le gouvernement avait besoin étaient constituées par des impôts payés en
nature, enclos dans les entrepôts royaux et qui étaient répartis à titre de salaires, aux
fonctionnaires et aux employés de l’État27. » « Ce système d’administration royale et
féodale fut complété par un code de lois qui comptait déjà bien des précédents
lorsque Ur-engur et Dungi, en codifiant les coutumes d’Ur, préparèrent les sources
où devait puiser Hammourabi pour rédiger son code fameux. Celui-ci était plus
grossier et plus rudimentaire que les législations postérieures, mais il était moins
sévère ; là où, par exemple, les codes sémitiques frappaient de mort la femme
adultère, le code sumérien se bornait à autoriser le mari à prendre une autre femme
en réduisant la coupable à une condition inférieure28. » Le code traitait de toutes
questions commerciales ou individuelles ou même sexuelles, les achats et les ventes,
l’adoption et les legs. Les tribunaux siégeaient dans les temples et les ecclésiastiques
remplissaient le plus souvent l’office de juges. Il existait toutefois un tribunal
suprême, composé de magistrats de profession. Une des dispositions les plus
intéressantes de ce code visait à prévenir les procès; tout litige devait être d’abord
soumis à un arbitre qui devait s’efforcer de régler le différend à l’amiable, sans
recours aux tribunaux29. »
27
Carl Bücher, Industrial Evolution, tr. S. Morly Wickett, N.Y., A. M. Kelley, 1968, p. 57.
Prince Peter A. Kropotkin, Mutual Aid: A Factor of Evolution, with a foreword by H. L. Beales,
Harmondsworth, Penguin Books, 1939, p. 90.
29
Otis. T. Mason, The Origins of Invention: A Study of Industry among Primitive Peoples, Cambridge,
Mass. MIT Press, 1966, p. 27.
28
19
L’Iran : Un Puzzle ?
Les Sumériens inventent également l’écriture pour le service administratif du
temple. D’abord, elle était imagée, puis évoluée vers l’écriture cunéiforme. Ils
inventent en conséquence l’utilisation des cylindres-sceaux. Autrement dit,
l’utilisation des sceaux administratifs pour sceller les boîtes et les vases. Ils inventent
également le système sexagésimal de la division du jour en 24 heures. Chaque heure
en 60 minutes, et chaque minute en 60 seconds. Dans le domaine géométrique, ils
établissement le système du cercle (360°), représenté plus tard sous la forme de V.
La religion des Sumériens était constituée d’une trinité : d’abord, avec Enlil,
An et Enki, puis avec le dieu solaire Outou, la déesse de fécondité, Inanna, et le dieu
de la lune, Nanna. Cette forme religieuse va influencer les religions à posteriori.
Revenons à leur organisation politique complexe : Basée sur le principe
fiscal, chaque ville était jalouse de son indépendance et tenait à disposer son roi, ou
plutôt son prêtre-roi, ce qui indique à quel degré la religion et la politique se
confondaient. Cette fonction religieuse – politique devient définitivement un
composant présent et décisif dans l’histoire iranienne, sauf pendant quelques
périodes courtes et distinctes. Pourtant, vers 2 800 av. J.-C., les développements du
commerce rendaient impossible la conservation de l’indépendance urbaine et
amenèrent la création d’empires dans lesquels un personnage dominant, ayant
soumis les villes et leurs prêtres-rois à son autorité et les groupes sociaux en une
unité politique et économique complète. Le despote vivait dans une atmosphère de
violence et de terreur comparable à la Renaissance italienne : À tout moment, il
pouvait être arraché de son trône par les instruments mêmes qu’il avait pris pour y
accéder. Sa résidence était inaccessible. Le temple du roi avait aussi un caractère
privé, dissimulé dans un coin de son palais. Cela permettait au roi d’accomplir ses
obligations religieuses sans danger ou de les négliger sans faire scandale. Le temple
privé du roi reste valable jusqu’à nos jours dans le monde occidental. Pourtant, après
l’islam, le palais ne disposait pas une mosquée privée. Celle-ci était séparée et
construite souvent près du bazar.
Concernant la guerre, le roi la faisait ouvertement pour conquérir des routes
commerciales ou des marchés. Il annonçait, souvent froidement, le déclanchement
d’une guerre pour s’emparer des mines d’argent ou d’or… « Comme dans l’Italie de
la Renaissance, encore, l’esprit de séparatisme chauvin des villes fut un excitant vital
et un stimulant pour l’art, mais il conduisit à la violence et au suicide politique par la
lutte des partis et en affaiblissant à la longue chacun de ces petits États, finit par
amener la destruction de la Sumérie tout entière30. » Ainsi, les Sumériens fondent un
monde avec un certain nombre de principes administratifs qui vont perdurer jusqu’à
nos jours. Il s’agit d’une administration exemplaire et efficace avec un code précis.
30
Sir John Lubbock, The Origin of Civilisation and the Primitive Condition of Man: Mental and Social
Conditions of Savages, Longmans, Green & Co., 1870, p. 373-375. C’est un livre fort intéressant et qui
peut être consulté à Paris : Museum Histoire Naturelle.
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