Collection l’Ira n en transition Dirigée par Ata Ayati La collection « l’Iran en transition » s’inscrit résolument dans l’objectif de développement du pluralisme dans la culture iranienne. Elle le fera en portant un regard objectif sur les aspects économiques, politiques, sociaux et culturels d’un pays en gestation. Cette ambition est devenue une nécessité tant dans l’observation et l’énonciation des faits que du point de vue de la recherche et de la confrontation des idées. INTRODUCTION Au début des années 1960, Pierre Lyauty publiait, L’Iran secret. Un titre assez surprenant pour une époque où l’Iran ne faisait plus un point chaud sur la scène internationale, grâce au coup d’État de 1953 ! Le Chah exerçait, sans partage, un pouvoir absolutiste, songeant à moderniser son pays. Mais est-ce que ce pays, plusieurs fois millénaires, constitue un ou des secrets ? Pour étudier un pays, il ne suffit pas seulement acquérir une connaissance historique, économique, littéraire, sociologique, ethnologique ou anthropologique, mais aussi surtout celle de son système politique. Un système politique se fait, entre autres, par l’organisation de son Administration. La survie d’une civilisation réside donc, entre autres, dans son Administration, son organisation politique, son personnel compétant, son savoirfaire, son système de décisions … Un pays a aussi besoin d’un changement lorsque les exigences du moment réclament. Ce changement se situe à plusieurs niveaux : administratif, politique, économique, social, culturel, scientifique etc. L’Iran est profondément changé, surtout depuis la Révolution islamique. Ce changement sociologique considérable touche tout, de l’Administration aux plus bas des couches sociales, tout confondu. Mais que signifie réellement le changement administratif ? Est-ce que le changement politique et social aboutit à un changement drastique dans l’Administration ? Comment s’est formée l’Administration de l’Iran ? Quelles sont ses réformes ? Où sont les vraies questions administratives iraniennes ? Les réponses à celles-ci et à d’autres questions qui lui sont liées dépendent des circonstances du moment, et toute situation particulière demande une recherche convenable, une explication convaincante sans doute fondées sur une étude approfondie. Ainsi, un des secrets millénaires de l’Iran réside dans son Administration. En effet, le changement administratif apparaît nécessaire lorsque l’on a déjà ressenti une inadaptation de l’appareil avec les exigences actuelles. Une réforme est fondamentale puisqu’on se heurte à des obstacles et à une série d’anomalies bureaucratiques, et surtout quand on aperçoit que l’Administration ne répond plus aux questions collectives et à l’évolution du monde. L’Iran est un pays, on le sait, ayant une histoire plusieurs fois millénaires. Il a toujours été gouverné par un système politique monarchique jusqu’en 1979, sauf durant une petite période préislamique. Le chef était donc un roi. En effet, le mot L’Iran : Un Puzzle ? chZh1, en persan moderne et en moyen persan ŠZh, vient du vieux persan xšZya,iya, qui signifie « roi ». et qui a des racines communes avec le sanskrit, xšatriya, c’est-àdire « roi guerrier ». Sa traduction en grec .5EH,E- (krasthai) veut dire « acquérir ». Le mot « Roi des rois » utilisé surtout par les achéménides était xšZya,iya xšZya,iyZnZm. Il correspond au moyen persan šZhZn šZh ayant la même signification : « Roi des rois », traduit en grec par (EH-0G?6 I~2 (EH-0%;2, qui veut dire l’empereur. Ce titre reste durant toute l’histoire de ce pays valable jusqu’à nos jours. Le mot chah devient célèbre surtout par la dynastie achéménide, unificatrice de la Perse, réalisatrice d’un vaste empire intercontinental, battu par Alexandre le Grand. En effet, Alexandre désirait unifier les deux mondes : grecque et perse, en un seul, même si la Perse était considéré comme un pays en périphérique, rivale et non hellénique, et qui « était constitué par les barbares selon Aristote2 ». Dans sa structure étatique et sa division territoriale, les achéménides ont inventé la province. Le mot kshathra, qui veut dire province, ou territoire, vient du mot kshathrapavan, signifiant « gardien du territoire ». Ce mot prend forme en Occident par le mot Satrape, gouverneur (grec et latin). Ainsi, les Iraniens sont uns des inventeurs de l’administration territoriale et la division géographique et administrative. Cette organisation permettait donc de mieux gouverner et gérer l’ensemble du territoire. À partir de ce constat, on peut assister à une longue histoire durant laquelle les formes essentielles de cette structure n’ont connu qu’une minime modification. Il faut donc attendre à l’époque récente pour que les Iraniens perçoivent la nécessité d’une réforme profonde dans la structure politique et administrative afin qu’ils puissent répondre aux exigences du monde moderne. Le monde actuel tel que l’on observe est basé sur l’Administration (politique, économique, sociale, culturelle,…). En effet, la base des modèles administratifs actuels est posée, entre autres, par les Iraniens. Une invention iranienne ? L’empire perse avait innové et son héritage n’était pas mince : Il était le premier à se doter d’un système de communications routières, bien élaboré, dont la célèbre route royale de 2 000 kilomètres. Il avait aussi inventé la poste à relais, et même le télégraphe optique : la construction des tours sémaphores sur des sommets de montagnes permettant la transmission rapide des messages d’un bout à l’autre de l’empire. L’empire perse avait également fondé un système monétaire et comptable, ainsi que l’unification des poids et de mesures3. Finalement, la Perse apprit aux communautés 1 Par ailleurs, le mot « Shah » serait plus tard originaire en Occident le mot échec (en persan chah mat qui veut dire « le roi est mort », d'où vient les mots échec et mat. 2 Aristote poussa Alexandre à la conquête de la Perse. 3 Même les produits influencés : ce sont les Iraniens qui ont inventé le savon. Le mot même vient de « Sâboun », mot d’origine perse. Les habitants romains étaient emerveillés, dans leurs bains connus, par ses vertus et ses parfumés raffinés. Néron ne voulait que le savon perse dans sa salle de bains. 8 L’Iran : Un Puzzle ? antiques la possibilité de gouverner et d’administrer un vaste empire. Les Romains, plus tard, n’avaient fait que l’imiter. Donc, on peut dire, avec prudence bien entendu, que le monde administratif actuel vient de l’Iran. Pour comprendre l’Iran actuel, il nous faut donc connaître son Administration. Et cela pour plusieurs raison : d’abord, comme on a déjà dit, les notions et les cadres institutionnels qui dominent encore le monde contemporain viennent de l’Iran : De l’établissement de l’ordre jusqu’à l’assurance de la justice en passant par la formation d’un système politico-militaire. Ensuite, c’est là qu’apparaît le second intérêt d’une étude historique et contemporaine : Elle permet des comparaisons, fait dévoiler les liens qui existent entre le passé et le présent, et finalement invite à réfléchir sur les conditions dans lesquelles naissent les administrations et les raisons de leur succès ou de leur déclin. Enfin, il serait intéressant de signaler qu’un certain nombre important d’institutions inventées par les séfévides, au XVIIe siècle, fonctionne toujours. Ainsi, une étude historique s’avère nécessaire pour comprendre le système politique de la République islamique. Soulignons également qu’une étude comparative entre les différentes dynasties perses est d’autant plus fructueuse que la période est plus longue et le territoire est plus vaste : De l’Inde à l’Égypte en passant par le golfe Persique sur lequel ont coexisté des diverses sociétés et des régimes politiques différents. Il faut identiquement articuler que l’histoire administrative de l’Iran mérite attention car elle est instructive non seulement sur le plan sociologique ou historique mais aussi politique. Car, elle montre la volonté actuelle pour une reconstruction impériale durable. Pourtant, la pensée politique occidentale, sa technologie avancée, et surtout la Révolution française ont eu un impact direct, pour ne pas dire définitif, sur les sociétés traditionnelles. Les disciplines et les découvertes scientifiques modernes, ainsi que la recherche et le développement technologiques ont énormément influencé les styles de vie et l’espérance des masses partout sur le globe. Des gens à travers des terres, et au-delà des océans sont en train de moderniser leur société et leurs communautés suivant des modèles occidentaux. L’ensemble des pays de l’Asie du sud-est est un exemple typique de cette modernisation. Le résultat est ostensible et les Dragons asiatiques s’imposent actuellement sur l’économie mondiale. Ces pays ne vont pas tarder à se manifester sur la scène diplomatique internationale en exigeant leurs intérêts économicofinanciers et politico-stratégiques. Dans son histoire, l’Iran a toujours été envahie par les étrangers, sauf pendant une période distincte : sous Cyrus le Grande, Darius et Xerxès de la dynastie des achéménides. Le reste de l’histoire de l’Iran est l’histoire des invasions successives par les diverses ethnies nomades, et plus récemment par les attaques des diverses 9 L’Iran : Un Puzzle ? nations comme la Russie, la Grande-Bretagne, l’Irak etc. C’est pourquoi les diverses dynasties ont tenté, à chaque fois qu’elles arrivaient au pouvoir, de réunifier l’Iran, et de reconquérir les régions perdues. Ainsi, la défense du pays présente une page importante dans l’histoire de l’Iran. Nonobstant, parfois, comme le cas iranien, la modernisation démesurée ou plutôt l’occidentalisation superficielle provoque des réactions massives de la part de la population de telle sorte que l’on assiste à la revendication d’un retour aux sources culturelles nationales. La modernisation4 accélérée, en Iran, a tout simplement touché la superstructure de la société, pour reprendre la formule marxiste. Seulement quelques couches sociales imitaient la façon de vivre à l’occidentale. Le reste, il s’agit des couches sociales pauvres, qui deviennent plus tard les opprimées et les déshéritées, observaient et se ressentaient délaissées. Par une autre voie, la classe politique, à la tête de laquelle la monarchie absolutiste gouvernait, encourageait cette occidentalisation au détriment de ces dernières5. C’est pourquoi une étude approfondie sur les mécontentements, les soulèvements et les révolutions mérite d’englober tous les aspects de la vie collective d’une nation et sa présence réelle dans le monde, ainsi que la domination incontestable de la technologie actuelle et future, l’impact entre les évènements culturels qui imposent leur domination dans ces sociétés. Habituellement on pense, selon des clichés ordinaires, que la décision finale appartient au Guide de la révolution ! Pourtant, on verra que ce n’est pas le cas. Son pouvoir est limité, et sa représentation est plus symbolique. La position géographique de l’Iran lui donne également un aspect à la fois vulnérable et fort. Vulnérable, car ses voisins ne sont pas homogènes et souvent ayant des tendances extrêmes. Fort, car, l’Iran a su dominer un sphère distinct. La croissance chi’ite constitue donc un arc de défense majeur pour les Iraniens. La route de la soie est, dors et déjà, là. Et l’Iran se retrouve au centre de communication est-ouest et nord-sud. Il occupe la troisième place de transport de marchandises après l’Arabie et les Émirats dans cette vaste zone géographique incluant l’Asie centrale. Le jour où les relations diplomatiques entre les États-Unis d’Amérique et l’Iran sont rétablies, les données commerciales, économiques et politiques seront différentes et l’influence iranienne sera encore davantage 4 L’économie mono productive dépendante des ressources pétrolières avait permis, dans les années 60 et 70, une modernisation accélérée. Le revenu pétrolier était « en 1960 : 45 millions de dollars, en 1967 : 285 millions, en 1970 : 1 093 millions, en 1974 : 18 523, et en 1977 : 20 735 millions de dollars », F. Holliday, The Dictatorship and the Development of Capitalism in Iran, tr. F. Nik-Aiïn, Téhéran, Amir Kabir, 1979, p. 152. 5 Sur la Révolution iranienne, il y a une littérature abondante. Ainsi, les raisons de cette révolution ne se limitent pas à cette occidentalisation. Il s’agit d’un ensemble de facteurs sociologiques, politiques, économiques, religieux, culturels, etc., qui était l’acteur et la locomotive du déclenchement de la révolution. 10 L’Iran : Un Puzzle ? consolidée. Ce qui veut dire, l’Iran pourrait facilement jouer un rôle déterminant dans la sécurité de cette méga région. Autrement dit, l’Iran pourrait être un partenaire idéal pour l’Occident. Son entrée dans la zone de Shanghai, considérée comme un concurrent sérieux face à l’Otan, est autant plus important que le rétablissement des relations bilatérales américano-iraniennes. Ainsi pour comprendre les enjeux géopolitiques iraniens, il faut connaître son système politique. Pour comprendre son système politique, il faut donc commencer par appréhender son Administration. Ce petit travail tente d’étudier d’abord le fondement de l’Administration de l’Iran depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Puis, il essaie d’aborder les changements intervenus dans le corps administratif depuis la révolution islamique. À notre avis, un tel examen peut nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de la société iranienne, les méthodes de la prise des décisions, et son système politique. Il est finalement important de signaler que l’auteur est parfaitement conscient d’énormes lacunes de ce texte, et espère que les lecteurs lui pardonnent en souhaitant que les aimables lecteurs lui feront parvenir leur avis afin de corriger à l’avenir les imperfections inadmissibles. Paris, le 12 décembre 2008 11 PREMIERE PARTIE : LE FONDEMENT DU SYSTÈME POLITIQUE IRANIEN CHAPITRE I : APERÇUES ARCHÉOLOGIQUES Civilisation iranienne : Elam, Sumer Golfe Persique Un certain nombre de chercheurs remontent jusqu’à 12 000 ans pour l’histoire de l’Iran. On peut imaginer donc l’existence des croyances plus ou moins religieuses durant les périodes paléolithique et néolithique6 sans pour autant de donner un avis sur l’organisation des institutions religieuses, une des bases de l’organisation administrative. Toutefois, « dès le Ve millénaire avant l’ère chrétienne, nous pouvons suivre l’évolution de la culture humaine sur le Plateau Iranien7. » Mais avant tout, il est fortement conseillé de préciser quelques éléments. L’Iran possède en effet l'une des civilisations les plus anciennes du monde8. Couvrant l’histoire des milliers d’années, depuis les civilisations antiques du plateau iranien, des Mannéens en Azerbaïdjan, de Shahr-i Sokhteh (Ville brûlée) dans le Sistan, de Jiroft, suivie du royaume d’Élam, en passant par l’empire des Achéménides, des Parthes, des Sassanides jusqu’à l'actuelle République islamique, l’Iran a pu traverser des moments hauts et bas. Pour assurer sa survie, ce pays a donc su et pu établir de façon surprenante une administration solide. Seule condition nécessaire, mais sûrement pas suffisante, pour pouvoir assurer sa continuité. 6 Sur ce sujet voir les travaux archéologiques comme Sadek-Kooros et Hind, « Paleolithic Culture in Iran », in Processing’s of the 2nd Annual Symposium on Archeological Research in Iran, Musée Iran-é Bastân, Tehran, 29th Oct.-1st Nov. 1973, Tehran, 1974, p. 53-62, R. Ghirshman, Fouilles de Sialk près de Kashan, 1933-1934, 1937, vol. I, Paris, éd. Librairie Orientaliste, 1938, Carlton S. Coon, « Excavation in Hotu Cave: Iran 1951: A Preliminary Report », in Processing of the American Philosophical Societies, 96, n°3, 1952., p. 231-249, M. Tosi, « The Archaeological Evidence for Protostric Structure in Eastern Iran and Central Asia at the End of the 3rd Mill. B.C. », in Le Plateau Iranien et l’Asie centrale des origines à la conquête islamique, Paris, 1977. 7 Roman Ghirshman, Perse : Proto iraniens, Mèdes, Achéménides, Paris, Gallimard, 1962, p. 1. 8 J. A. Boyle, The Cambridge History of Iran, Cambridge University Press, 1968, 778 p. L’Iran : Un Puzzle ? L’Iran actuel dispose de vestiges d’occupation humaine et culturels qui datent du paléolithique. On a pu trouvé des instruments de pierre du paléolithique inférieur dans la région du Baloutchistan iranien, avec une grande quantité d’outils en pierre, représentant d’un âge estimé à 800 000 ans. Parallèlement, on a aussi découvert, près de Tabriz (ville située à nord ouest du pays) les ruines d’un campement de chasseurs datant de la même période mentionnée. Même si les fouilles archéologiques sont très peu effectuées, il faut remarquer qu’une grande partie des sites a été disparue en raison des glaciations du pléistocène. Les sites ci-dessous montrent ces vestiges allant de la Mésopotamie au plateau iranien. Quelques villes en Iran occidental et l’immigration iranienne Les fouilles archéologiques ont pu donc donner quelques résultats concernant la période du paléolithique moyen avec la découverte des grottes occupées et des vestiges moustériens dans le bassin occidental du fleuve Helmand9o C’est en réalité une continuité des sites physiques néandertaloïdes depuis la chaîne des Tian Shan jusqu’à l'Atlantique en passant par l’Europe et l’Afrique du Nordo Par ailleurs, on a pu également découvrir que durant la période paléolithique supérieur l’emploi des nouvelles méthodes du travail de la pierre a été apparu. La sédentarisation est le résultat de l’agriculture, de l’élevage, de la naissance des arts plus élaborés, de la mise en service de routes, et surtout de la réalisation d’une économie plus complexe durant la période néolithique10. La période mésolithique, c’est-à-dire vers 10 000 ans av. J.-C., on assiste à la naissance de l’économie de production de biens, de la domestication des ovins. C’est vers le VIIe et VIe millénaire qui commence le néolithique iranien avec l’apparition des centres d’agriculture, des habitations en brique. Puis, au IVe millénaire av. J.-C., les éléments en cuivre, découverts en Khuzistan, présentent l’âge 9 Ezzat O. Negahban, « Ghcr (cave) », in Encyclopædia Iranica en ligne. Comme les sites de Ganj-é Dareh et de Jarmo en Iran Occidental. 10 14 L’Iran : Un Puzzle ? du cuivre en Iran. Cette période est témoin d’une série de routes commerciales et d’équipements urbains allant de la vallée de l’Indus jusqu’en Anatolie en passant par la Mésopotamie. À Djiroft, la découverte d’une civilisation de 5 000 ans est assez récente. Elle se situe à la même date que celle protoélamite allant de la province de Far aux alentours de Téhéran. L’héritier de la civilisation protoélamite est le royaume élamite. Il nous a laissé une écriture qui n’est pas encore déchiffrée. Cette civilisation perdura de IIIe millénaire pratiquement jusqu’au milieu du Ier millénaire. Le royaume élamite se situait entre Suse11 et la province de Fars. C’est-à-dire entre le centre et la mésopotamie. Les inscriptions cunéiformes qui datent du XXIVe siècle montrent l’existence d’une administration complexe, centrée surtout autour du temple, du palais et des centres des affaires. À ce royaume iranien, il faut ajouter cinq autres12 à savoir Simashki, Hamazi, Awan, Marhashi et Zabshali. Il semble qu’à partir du IIe millénaire av. J.-C. que divers peuples de la famille iranienne, venant de l’Asie centrale13, posent leurs pieds en Iran. Les civilisations iraniennes avant l’empire mède sont selon le tableau suivant : Zayandeh River Civilization Sialk Civilization Jiroft Civilization (Aratta) Proto-Elamite Civilization Bactria-Margiana Complex Elamite Dynasties Kingdom of Mannai Prehistoric–? 7500–1000 4000–? 3200–2800 2200–1700 2800–550 10th–7th cent. Revenons un peu en arrière. Au 4ème millénaire, les populations protoélamites édifient une civilisation étincelante au Khuzistan iranien. Ils bordaient des montagnards du Zagros. C’est-à-dire les Goutis et les Kassites. Les Elamites avaient pour capitale Suse. Vers 3100 av. J.-C., la Susiane, qui depuis longtemps était soumise aux Sumériens, devint autonome, dirigée par les montagnards élamites. C’est en ce moment-là qu’une écriture protoélamite apparaît au milieu du IIIe millénaire14. 11 Pierre Amiet, Suse, six mille ans d’histoire, Éditions R.M.N., 1988. Ils parlaient la même langue mais de différents dialectes. I. M. Oranskij, Les Langues Iraniennes, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1977. 13 A. H. Dani, V. M. Mason (Ed.), History of Civilizations of Central Asia (I). Paris/N.Y., UNESCO Publishing, 1992, p. 29-126, voir aussi R. Ghirshman, L’Iran, des origines à l’islam, Paris, Albin Michel, 1976. 14 P. Damerow et R. K. Englund, The Proto-Elamite Texts from Tepe Yahya, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1989. 12 15 L’Iran : Un Puzzle ? En relation avec la Mésopotamie, ils étaient dominés par la dynastie d'Akkad au XXIIIe siècle av. J.-C. Mais en 2003 av. J.-C., ils se révoltèrent15. Ce n’était qu’une question du temps la prise d’Ur avec leurs alliés syriens. La Susiane, au XVe siècle av. J.-C., connaissait plusieurs principautés. Puis, la ville de Kabnak (aujourd’hui appelée Haft Tépé) située au sud de l’Iran devint la capitale de l’ensemble de ces principautés. Pratiquement un siècle plus tard, au XIVe siècle, une nouvelle dynastie devint une unificatrice de l'Élam. Ainsi fut né le titre de roi d'Anzân et de Suse. Le roi Untash Napirisha fonda sa capitale à d'Al-Untash Napirisha (aujourd’hui Tchoga Zanbil), protégée par trois forteresses. C’était au XIIe siècle que la puissance élamite arriva à son summum : le roi Shutruk Nahhunte16 concrétisa la conquête de la Babylonie, en 1153 av. J.-C., et ramena à Suse quelques chefs-d'œuvre, entre autres, la statue de Mardouk, la stèle de Naram-Sin, et surtout le Code de Hammourabi. À la fin du XIIe siècle, de son tour, le roi élamite Hutelutush-Inshushinak, fut, en 1115 av. J.-C., vaincu par le roi de Babylone, Nabuchodonosor 1er. Celui-ci saccagea Suse et poussa les Élamites vers le pays d'Anshan (près de Chiraz). Le résultat était l’éclatement de la monarchie en plusieurs dynasties adversaires. Pourtant, nous ne disposons pas d’une solide connaissance sur l’organisation des administrations de ces époques. Seules les inscriptions en cunéiforme nous laissent quelques indices. Celles-ci sont si peu qu’une conclusion solide ne peut être tirée ! 15 16 Barthel Hrouda, L’Orient ancien, préface Jean Bottero, Paris, Bordas, 1991. Edith Porada, Iran ancien, Paris, Albin Michel, 1963. 16 CHAPITRE II : LES SUMÉRIENS L’État sumérien Les Sumériens17, d’origine iranienne18, édifièrent une structure politique, sociale, « éducative19, » culturelle et économique performante et complexes. En effet, ils étaient inconnus des Grecs, des Romans et même des Juifs. Il semble également que Hérodote n’entendit même jamais perler de la civilisation sumérienne. Il paraît également que Berose, l’historien babylonien, ne connaissait le Sumer qu’à travers une fable. Il écrit une race de monstres, conduits par Oannès, venant du golfe Persique, et qui introduisit dans le pays l’agriculture, le travail des métaux, et l’écriture : « tous ce qui peut rendre la vie plus agréable, dit-il, fut révélé à l’homme par Oannès et depuis cette époque on n’a plus rien inventé20. » Deux milles ans après Berose babylonien, on redécouvrit cette brillante civilisation. C’était en 1850 que Hincks s’apercevait que l’écriture cunéiforme avait été empruntée à un peuple antérieur qui parlait également une langue non sémitique. Plus tard, Oppert donna à ce peuple le nom de « Sumérien21. » 17 André Parrot, « Sumer », in Encyclopaedia Universalis, vol. 21, 1996, p. 825-829. « Est-il nécessaire de rappeler que c’est à ce monde révolu que l’on doit, entre autres, le système sexagésimal, la division de l’heure en soixante minutes, de la minute en soixante secondes ? Ce seul exemple suffit, puisqu’il pèse sur la destinée humaine et nous touche tous directement dans l’existence quotidienne ». 18 Sur ce sujet voir : Dr. M. A. Nadjafi, Les antécédents historiques et culturels des Iraniens en Mésopotamie, Londres, éd. Djebheh, 1987, aussi voir Elton L. Daniel, The History of Iran, Greenwood Press, 2001 19 Sir Leonard Woolley, « Les Sumériens à l’école », in Le Courrier de l’UNESCO, vol. XVI, n° 6, juin 1963, p. 15 : « À Ur, il y a plus de 37 siècles, les écoles publiques s’étaient multipliées. [...] L’école pouvait recevoir quelques 25 élèves d’âges divers. À l’origine, annexes des temples, les écoles sumériennes s’étaient laïcisées ; on y enseignait les disciplines les plus diverses, de la botanique aux mathématiques en passant par la géographie et la grammaire. Elles étaient de hauts lieux du savoir ». 20 Georges Renard, Le travail dans la préhistoire, Paris, E. Alcan, 1931, p. 316. 21 William G. Sumner & Albert G. Keller, The Science of Society, vol. I, New Haven, Yale Univ. Press, 1947, p. 132. L’Iran : Un Puzzle ? Les Sumériens nous ont laissé une civilisation brillante, depuis les calculs géométriques22 jusqu’à un art raffiné. Urbains, ils créèrent la ziggourat, prédécesseur des pyramides, et mère des minarets, pour sculpter l’incarnation du pouvoir et de la religion dans la vie courante. Fondateurs de « Cités-États23 », ils développèrent le système dynastique du pouvoir à la tête duquel il y avait un roi-prêtre «patesi24 », représentant à la fois le chef politique / maître de la cité et la personnification sur terre de la divinité25. Ce double symbole (roi est l’ombre divin) jouera jusqu’en 1979 un rôle essentiel dans l’établissement de l’unité en Iran : le roi (Chah). Par ailleurs, la religion jouait un rôle capital dans la vie des Sumériens. La séparation entre le temple (l’église) et l’État était inconcevable. Ces deux fonctions, réunies dans la même personne laisseront leur influence à travers l’histoire et arrivent jusqu’à nos jours ou finalement une théocratie s’est établie en Iran en 1979. En effet, ce fut vers 2 500 av. J.-C., que la première dynastie d’Ur jouissait d’une suprématie. Elle dura environ deux siècles. Au milieu du IIIe millénaire, on rédigea des scribes légendaires et mythologiques l’histoire de la dynastie de LagaŠ. Le roi est puissant puisqu’il est représentant du dieu. Son pouvoir est héréditaire, car il est l’incarnation du pouvoir divin. Les conquêtes lui obligent l’établissement d’une politique autoritaire. Ainsi les habitants perdent leur liberté et payent d’impôts. Le régime économique sumérien est plus ou moins communautaire, puisque la terre appartient au dieu de la cité, administrée par le temple : même s’il existe des propriétés individuelles. Quatre catégories professionnelles, à savoir les négociants, les pêcheurs, les artisans et les bateliers forment une classe libre. Or, la vente au marché est libre avec une possibilité manifeste : on peut s’enrichir par son effort. Pourtant, c’est à partir de la IIIe dynastie d’Uruk, c’est-à-dire Lugal-zaggisi26, qui s’étend la domination sur tout le territoire de Sumer, fondant ainsi le premier empire de la Mésopotamie. Par cette construction impériale, commence les diverses invasions. Une fois les Guti expulsés, LagaŠ connaît une nouvelle période resplendissante, surtout sous le roi Gudéa, vers 2 050 av. J.-C. À son tour, Ur touche une période prépondérante grâce à cinq rois de la IIIe dynastie. C’est-à-dire entre 2 085 et 1 930 av. J.-C. Les fouilles archéologiques montrent la pénétration de ses produits alimentaires ou artistiques en territoire perse, en Arménie, ou en Syrie. Autrement dit, l’établissement d’un intense commerce entre Ur et les territoires mentionnés. C’était 22 Arie S. Issar, « Il était une fois à Sumer », in Le Courrier de l’UNESCO, vol. XLVI, n° 5, mai 1993, p. 10-14. 23 André Parrot, Sumer, Paris, Gallimard, 1960, p. 93-162. 24 G. Renard, Le Travail dans la préhistoire, Paris, E. Alcan, 1931, p. 158. 25 Voir les travaux de M. Weber, aussi, A. Cuvillier, Manuel de sociologie, vol. III, Paris, PUF, 1950, p. 623-626. 26 Le nom sonore des rois sumériens commence souvent par Lugal : Lugal-shagengur, Lugal-kigubnidudu, ou encore Lugal-andanukhunga. 18 L’Iran : Un Puzzle ? à ce moment précis que l’on écrit le Code d’Ur-Nammu. On assiste ensuite à l’infiltration des sémites. Pourtant, le royaume d’Ur ne perdure pas longtemps. Vers 1 930 av. J.-C., les Élamites (perses aussi) envahissent l’empire sumérien et détruisent Ur. Puis de nouvelles pénétrations sémitiques en Mésopotamie se produisent. Ces nouveaux entrismes permettent à de ces nouvelles dynasties fortement sémitiques de former les nouveaux royaume, dite, néo-sumériens à savoir les royaumes d’Isin et de Larsa. Les fouilles archéologiques nous ont apporté une partie du Code du cinquième roi d’Isin, dite, le Code de Lipit-IŠtar. Alors que les Sumériens lançaient la formation d’États cités, ils projetaient aussi les plans d’urbanisme : Au centre des villes, ils construisaient des temples monumentaux sur hautes terrasses, en brique bien sûr, et les murs étaient recouverts de mosaïques de carreaux d’argile colorés. Les temples étaient placés au milieu d’un espace réservé au dieu de la cité. À la tête de la cité et des prêtres se trouvait lougal, grand homme, ou plus précisément le prince. Celui-ci détenait à la fois le pouvoir politique et le pouvoir religieux (le grand prêtre). Par ailleurs, le temple était non seulement le centre religieux mais aussi le centre économique et politique. L’ordre social était maintenu par un système féodal. « Les ressources fiscales dont le gouvernement avait besoin étaient constituées par des impôts payés en nature, enclos dans les entrepôts royaux et qui étaient répartis à titre de salaires, aux fonctionnaires et aux employés de l’État27. » « Ce système d’administration royale et féodale fut complété par un code de lois qui comptait déjà bien des précédents lorsque Ur-engur et Dungi, en codifiant les coutumes d’Ur, préparèrent les sources où devait puiser Hammourabi pour rédiger son code fameux. Celui-ci était plus grossier et plus rudimentaire que les législations postérieures, mais il était moins sévère ; là où, par exemple, les codes sémitiques frappaient de mort la femme adultère, le code sumérien se bornait à autoriser le mari à prendre une autre femme en réduisant la coupable à une condition inférieure28. » Le code traitait de toutes questions commerciales ou individuelles ou même sexuelles, les achats et les ventes, l’adoption et les legs. Les tribunaux siégeaient dans les temples et les ecclésiastiques remplissaient le plus souvent l’office de juges. Il existait toutefois un tribunal suprême, composé de magistrats de profession. Une des dispositions les plus intéressantes de ce code visait à prévenir les procès; tout litige devait être d’abord soumis à un arbitre qui devait s’efforcer de régler le différend à l’amiable, sans recours aux tribunaux29. » 27 Carl Bücher, Industrial Evolution, tr. S. Morly Wickett, N.Y., A. M. Kelley, 1968, p. 57. Prince Peter A. Kropotkin, Mutual Aid: A Factor of Evolution, with a foreword by H. L. Beales, Harmondsworth, Penguin Books, 1939, p. 90. 29 Otis. T. Mason, The Origins of Invention: A Study of Industry among Primitive Peoples, Cambridge, Mass. MIT Press, 1966, p. 27. 28 19 L’Iran : Un Puzzle ? Les Sumériens inventent également l’écriture pour le service administratif du temple. D’abord, elle était imagée, puis évoluée vers l’écriture cunéiforme. Ils inventent en conséquence l’utilisation des cylindres-sceaux. Autrement dit, l’utilisation des sceaux administratifs pour sceller les boîtes et les vases. Ils inventent également le système sexagésimal de la division du jour en 24 heures. Chaque heure en 60 minutes, et chaque minute en 60 seconds. Dans le domaine géométrique, ils établissement le système du cercle (360°), représenté plus tard sous la forme de V. La religion des Sumériens était constituée d’une trinité : d’abord, avec Enlil, An et Enki, puis avec le dieu solaire Outou, la déesse de fécondité, Inanna, et le dieu de la lune, Nanna. Cette forme religieuse va influencer les religions à posteriori. Revenons à leur organisation politique complexe : Basée sur le principe fiscal, chaque ville était jalouse de son indépendance et tenait à disposer son roi, ou plutôt son prêtre-roi, ce qui indique à quel degré la religion et la politique se confondaient. Cette fonction religieuse – politique devient définitivement un composant présent et décisif dans l’histoire iranienne, sauf pendant quelques périodes courtes et distinctes. Pourtant, vers 2 800 av. J.-C., les développements du commerce rendaient impossible la conservation de l’indépendance urbaine et amenèrent la création d’empires dans lesquels un personnage dominant, ayant soumis les villes et leurs prêtres-rois à son autorité et les groupes sociaux en une unité politique et économique complète. Le despote vivait dans une atmosphère de violence et de terreur comparable à la Renaissance italienne : À tout moment, il pouvait être arraché de son trône par les instruments mêmes qu’il avait pris pour y accéder. Sa résidence était inaccessible. Le temple du roi avait aussi un caractère privé, dissimulé dans un coin de son palais. Cela permettait au roi d’accomplir ses obligations religieuses sans danger ou de les négliger sans faire scandale. Le temple privé du roi reste valable jusqu’à nos jours dans le monde occidental. Pourtant, après l’islam, le palais ne disposait pas une mosquée privée. Celle-ci était séparée et construite souvent près du bazar. Concernant la guerre, le roi la faisait ouvertement pour conquérir des routes commerciales ou des marchés. Il annonçait, souvent froidement, le déclanchement d’une guerre pour s’emparer des mines d’argent ou d’or… « Comme dans l’Italie de la Renaissance, encore, l’esprit de séparatisme chauvin des villes fut un excitant vital et un stimulant pour l’art, mais il conduisit à la violence et au suicide politique par la lutte des partis et en affaiblissant à la longue chacun de ces petits États, finit par amener la destruction de la Sumérie tout entière30. » Ainsi, les Sumériens fondent un monde avec un certain nombre de principes administratifs qui vont perdurer jusqu’à nos jours. Il s’agit d’une administration exemplaire et efficace avec un code précis. 30 Sir John Lubbock, The Origin of Civilisation and the Primitive Condition of Man: Mental and Social Conditions of Savages, Longmans, Green & Co., 1870, p. 373-375. C’est un livre fort intéressant et qui peut être consulté à Paris : Museum Histoire Naturelle. 20