La liaison en terre africaine Guri Bordal et Chantal Lyche Université d’Oslo Journées PFC, Paris 11-13 décembre 2008 Plan • • • Problématique Présentation des points d’enquête Les données : conversations 1. monosyllabes • • Liaison catégorique Liaison variable 2. Polysyllabes • • • • Les données : la lecture Lien conversations - lecture Discussion Conclusion Problématique • Quelle analyse pour la liaison ? – Appartient au Mot1 ? – Appartient au Mot2 ? – Epenthèse • Le rôle de la morphologie? • Le rôle de la graphie ? Problématique • Approche plurielle (Côté 2005; Durand et Lyche 2008) – La consonne de liaison appartient au Mot1 ([ɑ̃sjɛnami] ancien ami) – La consonne de liaison appartient au Mot2 ([vazi] vas-y) – La liaison est épenthétique (dans tous les autres cas) Problématique Qu’est-ce que les données africaines peuvent nous apprendre sur la liaison ? • Le français en Afrique – Tradition orale – Plurilinguisme • Quel effet sur la liaison ? Présentation des point d’enquêtes Quatre points d’enquête en Afrique de l’Ouest et centrale: • Abidjan (La Côte d’Ivoire) • Ouagadougou (Le Burkina Faso) • Bamako (Le Mali) • Bangui (La République centrafricaine) Présentation des points d’enquête: place du français L1/L2 Côte d’Ivoire Burkina Faso Langue(s) officielle(s) L1 L2 français + + + langues nationales Langue(s) véhiculaire(s) français langues nationales + + + + + (jula) + Mali + + RCA + + (bambara) + + (sango) (sango) Présentation des points d’enquête: Abidjan Mai-juin 2004, Béatrice-Akissi Boutin • Nombre de locuteurs : 14 dans la base • Âge : 19-59 ans • Langues : français L1 ou la langue majoritairement parlée à la maison • Niveaux d’étude : – Bac – Bac+2 – Maîtrise/doctorat Présentation des points d’enquête : Ouagadougou Novembre 2004, Gisèle Prignitz • • • • Nombre de locuteurs : 10 dans la base Âge : 25-55 ans Langues : français L2, mais parlé à la maison Niveaux d’étude : – CEP – Secondaire ou technique – Bac+ Présentation des points d’enquête : Bamako Novembre 2006, Anne Lacheret, Chantal Lyche et Ingse Skattum • Nombre de locuteurs : 9 dans la base • Âge : 20-60 ans • Langues : français L2 (différentes L1 qui sont parlées à la maison) • Niveaux d’étude : – CEP – DEF/BEPC, – Bac+ Présentation des points d’enquête : Bangui Janvier-mars 2008, Guri Bordal • • • • Nombre de locuteurs : 12 dans la base Âge : 28-60 ans Langues : français L2 (sango L1) Niveaux d’étude : – Bac– Bac – Bac+ Les données globales Abidjan Ouaga Bamako Bangui codages liaisons réalisées 1529 956 751 457 369 262 291 133 90 62 825 1761 416 846 218 490 138 222 60 134 /z/ /n/ /t/ Fréquence des liaisons (hors texte) Fréquence des liaisons (texte) [z]: 998 > [n]: 512 > [t]: 163 > [p]: 1 [z]: 347 > [n]: 272 > [t]: 183 Données globales : consonnes de liaison /z/ 21 points d’enquêtes (Durand et Lyche 2008) AFRIQUE 4 points d’enquête /n/ /t/ /r/ occurrences % occurrences % occurrences % occurrences % 4544/ 9898 46 3689/ 9898 37,2 1665/ 9898 16,8 13/ 9898 0,1 998/ 1673 59,7 512/ 1673 30,6 163/ 1673 9,7 0 0 Les données globales : différences de registres • Pas de distinction nette entre la conversation libre et la conversation SD • Distinction nette entre les conversations et le texte Conversations : monosyllabes Liaison catégorique • Det + substantif – (rares exceptions: les/ hommes, leurs/ occupations) • Clitiques + verbe – (rares exceptions: ils/ auront) La liaison est catégorique à l’intérieur d’un mot prosodique • Cependant: liaison catégorique uniquement après la préposition dans Conversations : monosyllabes Liaisons catégoriques a minima • Absence de liaison a pour effet de maintenir les frontières prosodiques, unité du mot lexical. • Pas de liaison entre adj+substantif dans les conversations – jeunes/ enfants (Abidjan) – 55 bonnes/ années (Bamako) – grand/ enfant (Bamako) • Conversations : monosyllabes Liaison variable très + – – – – très/ accueillante (Bangui) très [z]interessant (Bamako) très [z] important (Bangui) très/ exactement (Bamako • chez + – chez/ une dame (Bangui) – chez [z]une copine (Ouaga) – chez [z]elle (Ouaga) • La différence entre dans et chez attribuable à la fréquence ? – dans 78 occurrences (420 dans la base) – chez 6 occurrences (69 dans la base) Conversations: monosyllabes Liaison variable • est/c’est Liaison réalisée Liaison non réalisée occurrences % occurrences % Paris 46/133 35 87/133 65 Abidjan 2/82 2 80/82 98 Ouaga 4/54 7 50/54 93 Bamako 4/41 15/139 10 11 37/41 124/139 90 89 Bangui Conversations: monosyllabes Liaisons variables • suis/sont/sommes Liaison réalisée Liaison non réalisée occurrences occurrences % % suis 10/76 13 66/76 87 sont 9/63 14 54/63 86 sommes 3/18 17 15/18 83 Conversations : polysyllabes Liaison réalisée occurrences Liaison non réalisée % occurrences % Abidjan 2/261 0,8 259/261 99,2 Ouaga 8/162 4,9 154/162 95,1 Bamako Bangui 6/145 16/279 4 5,7 141/145 263/279 96 94,3 Conversations : polysyllabes • Abidjan – faisons [n]en sorte, beaucoup [p]impressionné • Ouagadougou – certains [z]habits, petits [z]enfants, petits [z]objets – après [z]avoir vendu • Bamako – premières [z]années, différentes [z]étapes • Bangui – j’étais [z]allé(e), pays [z]africains, produits [z]agricoles – petits [z]enfants, différentes [z]écoles – mais petit/ accent Conversations : polysyllabes • Montrent que la liaison est hautement variable entre un adjectif et un substantif – Sa maman l’a donné jolis/ habits (Ploog, 2006) • Mettent en évidence une liaison variable entre l’auxiliaire et le participe passé qui concerne principalement le verbe aller – j’étais habitué vs j’étais [z]allé Le groupe auxiliaire+allé à Bangui • Seul un locuteur (mk) ne fait pas la liaison dans ce contexte • Pour tous les autres locuteurs, aux+ allé est un site de liaison obligatoire je suis_ allé(e), j’étais_allé(e), est_allé, sont_allés • Aucune occurrence de étai(en)t allés Les données : lecture • Liaisons catégoriques – À l’intérieur du mot prosodique (cf. conversations) • Liaison variable – – – – – est+ Adj + Quelques + Très+ Substantif pluriel + • Distinctions géographiques Lecture : liaison variable Liaison non réalisée % Abidjan Ouaga Bamako Bangui Paris 50 20 59 50 8 0 20 55 50 0 jeux_olympiques 21 60 55 66 0 grand_émoi grand_honneur 12 40 44 42 0 quelques_articles 0 10 11 50 0 pâtes_italiennes 100 100 89 100 66 visites_officielles 71 100 66 92 33 circuits_habituels 71 100 89 100 25 est très_inquiet Lien conversations - lecture : différences individuelles • Existe-t-il chez le même locuteur un lien entre la lecture et les conversations? • Les locuteurs qui ne font aucune liaison après est dans la lecture, omettent-ils également la liaison dans les conversations? Lien conversations - lecture Les locuteurs qui omettent la liaison dans: est en grand émoi ET est en revanche • Abidjan – ak et sf: ni dans le texte, ni dans les conversations – ak (étudiant, 20 ans), sf (professeur d’université, 59 ans) • Ouagadougou – sy: ni dans le texte, ni dans les conversations – Sy (45 ans, études supérieures) • Bamako – aw et bh: ni dans le texte, ni dans les conversations – aw (couturière, 53, ans) et bh (étudiant, 24 ans) Lien conversations - lecture : Bangui • mk: F, 45 ans, terminale – une liaison sur 14 occurrences: c’est [t]elle – aucune liaison après est, aucune liaison dans le contexte c’est+mot lexical, aucune liaison après suis, sont, sommes, étais • kn: H, 32 ans, terminale – aucune liaison après (c’) est – pas de liaison après est, mais systématiquement: est [t]allé • rn: F, 41 ans, première – liaison variable après c’est, aucune après est • rk: H, 33 ans, bac – aucune liaison après c’est, 1 exemple après est – Est [t]un département très [z]important Le lien conversations - lecture : certains locuteurs ne connaissent pas la liaison après est. différences individuelles sans relation avec le sexe, l’âge et le niveau d’études Lien conversations - lecture : est vs polysyllabes • Abidjan – ak et sf ne font pas la liaison après les polysyllabes dans ni dans le texte, ni dans les conversations • Situation plus confuse dans les autres pays • Liaisons sporadiques ; un vocabulaire soutenu n’implique pas présence de liaison Je vais demander aux gens de vaquer aux [z]autres/ occupations (Bangui) . Résumé • Liaisons catégoriques : le mot prosodique • Liaisons variables peu fréquentes – Très, chez, c’est/est – Auxiliaire être + participe passé – Substantif au pluriel + • Facteurs de variation – Variation selon les registres : lecture vs conversations – Variation géographique : Abidjan vs les autres points d’enquête – Variation individuelle : pas de relation avec le sexe, l’âge ou le niveau d’étude Discussion • Arguments contre l’analyse de la liaison par épenthèse : processus complexe et arbitraire • Dans les données africaines : la fréquence des liaisons diminue peu de sites d’insertion à spécifier Les pistes à envisager • Si le mot lexical a une véritable existence prosodique, une frontière de mot devrait bloquer la liaison la liaison ne devrait pas avoir son origine dans le Mot1. ancien ami n’a qu’une seule réalisation possible: [ɑ̃sjɛ ̃ nami] • Les données ne fournissent aucune occurrence de verbe+enclitique pourrait-on envisager que seules quelques constructions persistent (vas-y) et que l’encodage de la consonne de liaison dans le Mot2 puisse être éliminé? Conclusion • « La liaison - expliquez cela à votre belle-fille nippone- a donc un rôle important dans la syntaxe de notre langue parlée [...] • les liaisons […]facultatives, restent une difficulté à vie pour tous les Français. La liaison ou la non-liaison - voilà la question! » (Claude Duneton, 2006) Remerciements Atanas Tchobanov pour son immense patience !