
La Lere du BETA : La loi du 13 aout 2004, dans son ar-
cle 56, reconnaît aux conseils généraux un rôle de
« chef de le » de l’acon sociale en maère de per-
sonnes âgées. Qu’est-ce que cela a impliqué pour les
départements ?
Cécile Bourreau-Dubois : Depuis 2004, les conseils géné-
raux sont devenus des acteurs centraux de la polique de
la dépendance, qui repose notamment sur l’allocaon
personnalisée d’autonomie (l’APA) et la taricaon des
services d’aide et d’accompagnement à domicile. L’APA
est une prestaon sociale qui s’adresse aux personnes
âgées de 60 ans ou plus résidant à domicile ou en établis-
sement et confrontées à des situaons de perte d’autono-
mie. Entrée en vigueur en 2002, elle sert à nancer une
pare des aides compensant les dicultés de la vie quo-
dienne rencontrées par la personne dépendante. Les con-
seils généraux jouent un rôle majeur parce qu’ils inter-
viennent à la fois du côté de la demande et de celui de
l’ore. Ce sont eux qui déterminent, à l’intérieur d’un
cadre légal idenque sur tout le territoire, l’éligibilité à
l’APA des personnes âgées, dénissent le plan d’aide qui
leur est accordé et décident de leur solvabilisaon. De
l’autre, ce sont eux qui régulent, du moins en pare, le
secteur des services d’aide à domicile par le convenon-
nement de certaines structures et par la taricaon de ces
dernières, cee acon étant également encadrée par la
loi.
La Lere du BETA : La DREES publie régulièrement des
études qui meent en avant les disparités départemen-
tales en maère de dépenses d’APA. Quelle est l’origina-
lité de votre approche ?
Agnès Gramain : Les travaux de la DREES s’intéressent aux
résultats de l’acon publique (exemple : les dépenses en-
gagées), à en mesurer la variabilité et à la décomposer en
deux pares : celle qui peut s’expliquer à parr des carac-
térisques exogènes des départements, et celle inexpli-
cable, que l’on aribuera à des diérences de choix des
collecvités territoriales. Une telle démarche ne dit rien
en revanche sur l’espace eecf laissé aux conseils géné-
raux ni sur la manière dont ils s’en saisissent. L’originalité
de notre approche consiste justement à comprendre la
construcon de la diversité de l’acon publique, à s’inté-
resser aux formes de l’intervenon publique à l’échelle
des départements et non aux résultats de la décentralisa-
on. Pour mener à bien cet objecf, et c’est l’une des
autres originalités de notre approche, le recours aux en-
quêtes ethnographiques s’est imposé comme l’oul le
plus adapté. Dans la mesure où la connaissance des ac-
ons conduites par les conseils généraux est encore au-
jourd’hui trop parcellaire, la producon de données stan-
dardisées, collectées par quesonnaires, n’était pas envi-
sageable. A l’inverse, les enquêtes ethnographiques cons-
tuaient une démarche empirique pernente pour saisir,
dans leur diversité, les acons des conseils généraux. C’est
ainsi que sept monographies départementales ont été
réalisées.
La Lere du BETA : Quels sont les enseignements ma-
jeurs de la recherche qui vous semblent devoir être mis
en avant ?
Helen Lim : Notre recherche a permis de souligner le déca-
lage qui existe entre la décentralisaon telle qu’on peut se
la représenter à la lecture des textes « centraux » et la
décentralisaon telle qu’on la voit fonconner à l’échelle
des départements. Cet écart, qui peut correspondre à un
espace de liberté inaendu pour les conseils généraux ou
au contraire à une restricon de leur pouvoir discréon-
naire, est manifeste dans plusieurs domaines. Ainsi, alors
qu’on s’aendrait à ce que les mécanismes de structura-
on de l’ore relèvent, partout, de l’exercice du libre
choix des bénéciaires, il s’avère que les autorités territo-
riales peuvent les modier, les remplacer par leur pater-
nalisme bienveillant. Par ailleurs, ce sont les conseils géné-
raux, qui par leurs praques, déterminent la nature plus
ou moins assuranelle des nancements de l’aide à domi-
cile par l’APA, face au risque qu’induit la variabilité des
prix facturés pour une heure aide. Enn, l’impact distribu-
f de l’APA, lui-même, apparaît diérent selon les terri-
toires en foncon des praques départementales. A
l’inverse alors que les conseils généraux sont chargés de
réguler les coûts de producon d’une pare des services
d’aide à domicile (les services autorisés) leur pouvoir
eecf de régulaon bue sur des compétences dévolues
à d’autres échelons de pouvoirs publics (municipalité et
services déconcentrés de l’Etat central) en maère de
stratégie de développement de l’emploi et de qualicaon
des services.
La Lere du BETA : Quels sont les prolongements que
vous envisagez ?
Cécile Bourreau-Dubois : A court terme, notre objecf, est
de produire, à parr de la descripon comparave des
sept monographies et des points d’arculaon ainsi repé-
rés (évaluaon de l’éligibilité, solvabilisaon des béné-
ciaires, taricaon des producteurs), une descripon rai-
sonnée de l’acon des conseils généraux à desnaon des
personnes âgées dépendantes à domicile, et ainsi de cons-
truire des « types » de conseils généraux. A plus long
terme, cee recherche constue la première étape d’un
programme de recherche plus ambieux en fournissant la
structure d’une base de données standardisées et l’arma-
ture de modèles microéconomiques qui permeraient
d’analyser de manière systémaque les eets de la décen-
tralisaon dans ce secteur.
Pour en savoir plus : Billaud S., Bourreau-Dubois C., Gramain
A., Lim H., Weber F., Xi J. (2012), « La prise en charge de la
dépendance des personnes âgées : les dimensions territo-
riales de l’acon publique », Rapport de recherche pour le
compte de la MIRE.
Première tribune / Interview
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La prise en charge de la dépendance des personnes âgées
dépendantes à domicile : dimensions territoriales de l’action publique