Chrétienté médiévale (mise au point)

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La chrétienté médiévale
XIe-XIIIe siècles
Isabelle Chalier, Lycée Kœberlé, Sélestat
D’après le BO n°4 du 29 avril 2010 :
• C’est une question obligatoire du thème 3 : « Sociétés et
cultures de l’Europe médiévale du XIe au XIIIe siècle »
• « Un élément de patrimoine religieux au choix (église,
cathédrale, abbaye, œuvre d’art…), replacé dans son contexte
historique »
• « Un exemple au choix pour éclairer les dimensions de la
christianisation en Europe (évangélisation, intégration,
exclusion, répression…) »
Quelques lectures
Jérôme Baschet, La chrétienté médiévale. Représentations et pratiques sociales,
Documentation Photographique n°8047, Paris, La Documentation Française,
2005.
Jérôme Baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de
l’Amérique, Paris, Champs Histoire, 3e éd., 2006.
Jérôme Baschet, L’iconographie médiévale, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2008.
Colette Deremble, L’art et la foi au Moyen Age, Documentation Photographique
n°7040, Paris, La Documentation Française, 1997.
Anne-Marie Helvétius et Jean-Michel Matz, Eglise et société au Moyen Age, VeXVe siècle, Paris, Hachette supérieur, 2008.
Quelques lectures (suite)
Dominique Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à
l'hérésie, au judaïsme et à l'islam (1000-1150), Paris, Aubier, 1998.
Dominique Iogna-Prat, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’église au
Moyen Age, Paris, Editions du Seuil, 2006.
Bernard Merdrignac, Le fait religieux. Une approche de la Chrétienté médiévale,
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
Roland Recht, Le croire et le voir. L’art des cathédrales XIIe-XVe siècle, Paris,
Gallimard, 1999.
De nouvelles perspectives
L’histoire de la chrétienté médiévale s’est beaucoup
renouvelée depuis les années 1990 avec les écrits
de Dominique Iogna-Prat et les travaux de Jérôme
Baschet.
Ce renouvellement s’inscrit plus largement dans
celui que connaît l’histoire des mentalités depuis les
années 1980-1990, au profit de l’histoire des
représentations.
Réflexions terminologiques
La chrétienté, christianitas ou communauté des
fidèles
Eglise ou communauté des fidèles (ekklesia,
assemblée en grec)
Le terme chrétienté s’impose justement à partir du
XIe s. et en vient à remplacer celui d’Eglise au sens
de communauté des fidèles.
Eglise ou le bâtiment où se rassemblent les fidèles
Eglise ou institution, le clergé
La Chrétienté, l’espace chrétien, un ensemble avec
un centre (Rome).
Différentes problématiques
-A partir de la métaphore paulinienne de
l’organisme. La chrétienté forme un corps, l’Eglise
en tant qu’institution en est soit la tête soit la
colonne vertébrale (J. Baschet) et le temporel
constitue les membres.
Comment les sociétés médiévales s’organisent-elles
autour du christianisme ?
-A partir du dualisme que formule D. Iogna-Prat,
ordonner et exclure. Comment les dynamiques de
mise en ordre, de diffusion et d’exclusion deviennent
une nécessité structurale pour l’Eglise ?
I- Ordonner
A- Sacraliser le clergé
Canon 7 du IIe concile du Latran, 1139
Suivant les traces de nos prédécesseurs les Pontifes
romains Grégoire, Urbain et Pascal, nous ordonnons
que nul n’assiste à la messe de ceux qui vivent
notoirement dans le mariage ou en concubinage. (…)
nous décrétons que les évêques, les prêtres (…) et
les moines qui auraient osé contracter mariage
soient séparés de leurs épouses.
Missel carmélite
Lettre historiée
Vers 1400
Londres, British Library
Le Trône de Grâce avec
Dieu le Père tenant le
Christ crucifié
Les fons baptismaux, le
baptême
Sur le phylactère, « In
nomine patris et filii et
spiritus santi »
Histoire du saint Roi Edouard
Miniature
Vers 1255-1260
Cambridge, University Library
Une église, l’autel
L’eucharistie devant
l’autel avec lever de
l’hostie et le calice
Le Christ apparaît au
roi Edouard, un
miracle qui explique
la Présence réelle
La communion du chevalier
Cathédrale de Reims
Portail intérieur
Seconde moitié du XIIIe s.
I-Ordonner
B- Organiser la société laïque
-Contrôler les princes et les bellatores
Dictatus Papae
1. L'Église romaine a été fondée par le Seigneur seul.
2. Seul le pontife romain est dit à juste titre universel.
3. Seul, il peut déposer ou absoudre les évêques.
7. Seul, il peut, selon l'opportunité, établir de nouvelles lois, réunir de
nouveaux peuples [ou « de nouvelles paroisses »],transformer une
collégiale en abbaye, diviser un évêché riche ou unir des évêchés pauvres.
9. Seulement aux pieds du pape tous les princes s'inclinent.
12. Il lui est permis de déposer les empereurs.
13. Il lui est permis de transférer les évêques d'un siège à un autre, selon la
nécessité.
14. Il a le droit d'ordonner un clerc de n'importe quelle église, où il veut.
19. Il ne doit être jugé par personne.
Quelques épisodes du sacre
Enluminures
Ordo de la consécration et du couronnement
Vers 1250
BnF, Paris
Je n’envahirai une église d’aucune façon (…)
Je n’attaquerai pas le clerc ou le moine s’ils ne portent
pas les armes du monde, ni leur compagnon allant
sans lance et sans écu (…)
Je n’incendierai ni abattrai de maison à moins que je
n’y trouve un chevalier, mon ennemi ou un voleur.
Je n’attaquerai pas le marchand ou le pèlerin et je ne
les dépouillerai pas sauf s’ils commettent un méfait (…)
Serment de paix établi par Guérin, évêque de
Beauvais, 1023-1025
Un mariage valide
Décret de Gratien
Lettre historiée
Manuscrit de Laon
XIIe s.
Le mauvais riche et le pauvre Lazare
Enluminure
Evangéliaire d’Echternach
XIe s.
Nuremberg
De même que les clercs et les laïcs sont séparés au
sein des sanctuaires par les places et les offices, de
même doivent-ils se distinguer à l’extérieur en fonction
de leurs tâches respectives. Que les laïcs se
consacrent seulement à leurs tâches, les affaires du
siècle, et les clercs aux leurs, c’est-à-dire les affaires
de l’Eglise.
Humbert de Moyenmoutier, cardinal-évêque de
Silva Candida.
C- Organiser l’espace
- Organiser l’espace liturgique
Jubé de Saint-Pierre-le-Jeune
Strasbourg
Fin XIIIe s., début XIVe s.
C- Organiser l’espace
- Sacralisation de l’espace habité
Plan du village de Vergoignan (Gers)
Restitution du noyau de peuplement
médiéval
La Vierge à l’Enfant en
majesté protectrice de
la ville. Inscription sur
l’arc : « Vierge prie ton
fils de sauvegarder le
peuple et la ville »
Légende: sceau des
bourgeois de la ville de
Strasbourg (XIIIe s.)
Murailles et tours : la
ville et la cathédrale
II- Diffuser
A- Le clergé, moteur de la christianisation
Qu’il soit régulier ou séculier
Rôle des ordres mendiants : exemple de saint
François d’Assise.
Fiorettis, recueil de textes du XIVe s. qui raconte les histoires advenues
à saint François d'Assise
Comme il continuait son chemin dans la même ferveur, il leva les yeux et vit
quelques arbres sur la route, sur lesquels il y avait une multitude, presque
infinie d'oiseaux; Saint François en fut émerveillé et dit à ses compagnons:
"Vous m'attendrez ici sur la route, et j'irai prêcher à mes frères les oiseaux".
La substance du sermon de Saint François fut celle-ci: "Mes frères les
oiseaux, vous êtes très redevables à Dieu votre Créateur, et toujours et en
tous lieux vous devez Le louer parce qu'Il vous a donné la liberté de voler
partout » Pendant que Saint François leur disait ces paroles, tous ces
oiseaux commencèrent à ouvrir leurs becs, à tendre leurs cous, à déployer
leurs ailes et à incliner respectueusement leurs têtes jusqu'à terre, et à
montrer par leurs mouvements et leurs chants que les paroles du Père Saint
leur causaient un très grand plaisir. (…) Finalement, la prédication terminée,
Saint François fit sur eux le signe de la Croix et leur donna licence de s'en
aller; et alors tous ces oiseaux s'élevèrent en bande dans l'air avec des
chants merveilleux, puis ils se divisèrent en quatre groupes (…); un groupe
s'envola vers l'orient, un autre vers l'occident, le troisième vers le midi et le
quatrième vers l'Aquilon, et chaque bande s'en allait en chantant
merveilleusement; ils signifiaient par là que, la prédication de la Croix du
Christ, renouvelée par Saint François, devait être portée par lui et par ses
Frères à travers le monde entier."
Le sermon aux oiseaux
Fresque
Giotto
XIIIe s.
Basilique Saint-François, nef supérieure
Assise
Rôle du clergé séculier
Le duc [de Pologne Boleslav III] offrit au pieux Otton son assistance et celle de ses
compagnons pour l'aider à traverser la vaste étendue inhabitée qui se présentait
immédiatement; la traversée dura sept jours sans interruption, Les bêtes sauvages
leur firent courir de graves dangers, mais, avec la protection divine, ils s'en sortirent
sains et saufs (…)
[Otton] vint à Pyritz, la première place forte en arrivant en Poméranie. Il y resta
quatorze jours à exhorter les habitants à la foi ; eux se montraient absolument rétifs,
poussant le serviteur de Dieu à gagner d'autres lieux, affirmant qu'ils ne pouvaient
s'engager dans cette loi nouvelle sans l'accord de leurs chefs et de leurs notables.
Finalement le pieux Otton formant pour leur salut d'incessantes prières, l'Esprit de
Dieu qui souffle où il veut et prend pitié de qui il veut, les toucha ; ils donnèrent leur
adhésion; soumettant leur nuque au joug de la foi, tous ceux-là furent baptisés qui
étaient prédestinés à la vie éternelle… A la Nativité de saint Jean-Baptiste, il arriva à
l'importante place forte appelée Gamin, résidence du duc [de Poméranie], Comme il y
demeura longtemps, quatorze semaines ou davantage, il y construisit des églises
avec des branches d'arbres, comme l'exigeait cette plantation alors toute jeune; luimême baptisait les enfants, ses collaborateurs, les hommes et les femmes, affluant
vers le Christ.
Ebbon, Vie d'Otton, évêque de Bamberg, trad. par Ch. de La Roncière, Ph.
Contamine, R. Delort, M. Rouche dans L'Europe au Moyen Age, Paris, A. Colin, 1969.
Rôle des ordres contemplatifs : la pastorale par le livre
copié
Autant de livres nous copions, autant de fois nous
semblons faire à notre place des hérauts de la vérité ; et
nous espérons du Seigneur une récompense, pour ceux
qui par ces livres auront été corrigés de l’erreur ou auront
progressé dans la vérité catholique, pour ceux aussi
qui se seront repentis de leurs péchés et de leurs vices.
Guigues Ier, Coutumes de Chartreuse
Moine chartreux et prieur de la Grande Chartreuse au XIe
s.
II- Diffuser
B- Les images participent à la production du
sacré et à sa diffusion
Jugement dernier. Tympan du portail droit de la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg
Le Tentateur et les Vierges folles
Piédroits du portail droit de la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg
Le Christ époux et les Vierges sages
Piédroits du portail droit de la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg
Suger a fait graver ce texte sur le portail central de
Saint-Denis en 1140.
Toi qui veux célébrer la beauté de ces portes,
N’admire pas l’or ni la dépense, mais plutôt la maîtrise
du travail.
L’œuvre resplendit d’une noble lumière. Que son éclat
Illumine les esprits afin que, guidés par des vraies
clartés,
Ils parviennent à la vraie Lumière, là où le Christ est la
vraie porte.
Suger, De administratione, XXVII.
Nef de la cathédrale de Strasbourg
Nef de la cathédrale de Strasbourg
Manières de prier selon saint Dominique
Enluminure
De modo orandi
Vers 1280
Vatican
Diptyque et crucifix sur un autel
Reliquaire de Jeanne de Navarre
1270-1280
Assise, Trésor de San Francesco
III- Exclure
A- Eradiquer les hérésies
La secte, l’hérésie et les partisans dévoyés des
Manichéens (=Cathares) reconnaissent deux Dieux ou
deux Seigneurs, à savoir un Dieu bon et un Dieu
mauvais. Ils distinguent donc deux créateurs, Dieu et le
Diable (…).
De même ils imaginent deux Eglises : l’une la bonne qui
est leur secte, disent-ils ; c’est elle, prétendent-ils, l’Eglise
de Jésus Christ ; l’autre, la mauvaise qui est selon eux
l’Eglise romaine (…). Ils en méprisent et déforment
toute la hiérarchie, les ordres, l’organisation, et les
statuts (…) et enseignent que personne ne peut être
sauvé dans la foi de l’Eglise romaine.
Bernard Gui, Manuel de l’Inquisiteur, 1323.
III- Exclure
B- Exclure les Juifs
Les juifs en Enfer
Enluminure (détail)
Hortus Deliciarum
Fin XIIe s, détruit
copie du XIXe s.
Judei (Juifs)
Les Pastoureaux et la foule envahirent alors le quartier des juifs.
J'étais dans ma chambre à étudier et à lire quand arrivèrent un
grand nombre de ces gens chez moi qui se mirent à hurler : "A
mort, à mort, fais-toi baptiser ou nous te tuons immédiatement",
Voyant la fureur de ce peuple et voyant qu'ils tuaient sous mes
yeux d'autres juifs qui refusaient d'être baptisés, je répondis
que j'aimais mieux cela que d'être tué. Ils se saisirent alors de moi,
me firent sortir de la maison sans me laisser prendre d'autres
vêtements ni quoi que soit, et m'emmenèrent tel que j'étais à la
cathédrale Saint-Etienne. Lorsque j'y fus arrivé, deux clercs me
montrèrent quelques cadavres de juifs devant l'église, me disant:
"si tu ne te fais pas baptiser, il te faudra mourir, comme tu vois".
Je me rapprochai alors volontairement de la pierre sur laquelle les
autres se faisaient baptiser, je me tins devant le curé et il fit tout ce
qu'on a l'habitude de faire lorsqu'on baptise, à ce que je crois…
On me donna le nom de Jean.
D'après J. Duvernoy, éd. et trad., Le registre d'Inquisition de
Jacques Fournier (évêque de Pamiers), 1318-1325, t. I. , Paris La Haye, 1977.
III- Exclure
C- Lutter contre les musulmans
Cantigas de Santa Maria, Alphonse X
Enluminure (détail), XIIIe s
Bibliothèque de l’Escorial, Madrid
III- Exclure
C- Lutter contre les musulmans
Santiago Matamauros
XIIIe s.
Qu’on donne à l’erreur mahométane le nom honteux d’hérésie ou
celui infâme de paganisme, il faut agir contre elle, c’est-à-dire
écrire. Mais les Latins et surtout les modernes, l’antique culture
périssant, ne savent pas d’autre langue que celle de leur pays natal.
Aussi n’ont-ils pu ni reconnaître l’énormité de cette erreur, ni lui
barrer la route.
Je suis donc allé trouver des spécialistes de la langue arabe qui a
permis à ce poison mortel d’infester plus de la moitié du globe.
Je les ai persuadés à force de prières et d’argent de traduire d’arabe
en latin l’histoire et la doctrine de ce malheureux et sa loi même
qu’on appelle Coran. Et pour que la fidélité de la traduction soit
entière et qu’aucune erreur ne vienne fausser la plénitude de notre
compréhension, aux traducteurs latins j’en ai adjoint un Sarrasin.
Voici les noms des chrétiens : Robert de Chester, Hermann le
Dalmate, Pierre de Tolède ; le Sarrasin s’appelait Mohamed. Cette
équipe, après avoir fouillé à fond les bibliothèques de ce peuple
barbare, en a tiré un gros livre qu’ils ont publié pour les lecteurs
latins.
Pierre le Vénérable, Lettre sur la traduction du Coran, 1142.
Deux mouvements complémentaires :
- dilatatio ou lutte contre les ennemis extérieurs
- purgatio ou purification dans la lutte intérieure
De multiples dynamiques sont à l’œuvre au sein de la
chrétienté.
Un élan d’ensemble qui conduit la chrétienté au-delà des
océans, en Amérique, jusqu’à Tenochtitlàn…
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