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L'égalité de fortune entre les citoyens sert bien certainement, je l'avoue, à prévenir les
dissensions civiles. Mais, à vrai dire, le moyen n'est pas infaillible : les hommes supérieurs
s'irriteront de n'avoir que la portion commune, et ce sera souvent une cause de trouble et de
révolution. De plus, l'avidité des hommes est insatiable : d'abord, ils se contentent de deux
oboles ; une fois qu'ils s'en sont fait un patrimoine, leurs besoins s'accroissent sans cesse, jusqu'à
ce que leurs voeux ne connaissent plus de bornes; et quoique la nature de la cupidité soit
précisément de n'avoir point de limites, la plupart des hommes ne vivent que pour l'assouvir.
ARISTOTE, Politique, IVe siècle AV.JC.
Le plus grand mal est déjà fait, quand on a des pauvres à défendre et des riches à contenir. C'est
sur la médiocrité seule que s'exerce toute la force des lois ; elles sont également impuissantes
contre les trésors du riche et contre la misère du pauvre ; le premier les élude, le second leur
échappe; l'un brise la toile, et l'autre passe au travers.
C'est donc une des plus importantes affaires du gouvernement de prévenir l'extrême inégalité des
fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d'en
accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le
devenir.
J.J. ROUSSEAU, Discours sur l’Economie politique, 1755
L’inégalité extrême comme obstacle à la démocrtie