Analyse économique du changement climatique Jean-Michel Salles CNRS, UMR LAMETA [email protected] décembre 2015 Pourquoi une analyse économique des changements climatiques ? • Économie : une notion polysémique : – – – – • • • • • Un ensemble de phénomènes ou de secteurs d’activité Un art : faire des choix Une science positive : étudier des phénomènes Une science normative : étudier ce qui devrait être Une science de la société (parmi d’autres ?) Le postulat de rationalité des agents : pourquoi faire ? Des prédictions toujours fausses ? Économie / écologie : la similarité est-elle une coïncidence ? L’activité économique est souvent considérée comme la cause des problèmes => l’analyse économique de ces problèmes : - peut aider à mieux comprendre déterminants et dynamiques - peut aider à définir et justifier des choix collectifs (solutions) Plan du cours • • • • • • • • • L’économie et le climat Le GIEC Quels objectifs pour les politiques Le besoin de coordination internationale Quelles sont les options de politiques L’UNFCC Kyoto De Kyoto à Paris Les enjeux de Paris L’économie et le climat • Externalités – Lorsque l’action d’un « agent » (= centre de décision) à un effet (positif ou négatif) sur un autre agent, sans que cet effet fasse l’objet d’une compensation • Bien public (bien collectif) – Absence de rivalité d’usage – Impossibilité d’exclusion • Biens communs : – Pas d’exclusion, mais rivalité – Notion de tragédie des communs • Deux problèmes : Mettre en équivalence les coûts et les avantages des politiques de prévention des problèmes Trouver une mesure des externalités (un « équivalent-prix ») L’analyse économique du changement climatique • Le climat comme ressource commune – L’atmosphère est un milieu fragile, car ses équilibres sont très sensibles à des modifications de ses composants minoritaires (seulement 800 Gt de carbone sous forme CO2) – L’atmosphère régule les composantes des climats – L’atmosphère reçoit de multiples pollutions / gaz à effet de serre • La « Tragedy of the Commons » – Une asymétrie fondamentale : • chacun à intérêt à polluer librement • chacun à intérêt à limiter la pollution globale – On ne peut pas directement privatiser l’atmosphère – Sa « conservation » jusqu’à aujourd’hui ne résultait que de la faiblesse de nos capacités technologiques – La solution passe par la mise en place d’institutions nouvelles Quels objectifs pour les politiques • Une politique effective ne peut pas se fixer des objectifs impossibles • l’efficacité économique : minimiser le coût social du couple pollutiondépollution • Optimum de pollution : coûts et avantages des émissions de GHG Coûts marginaux Coûts de prévention Coûts des dommages Dommage résiduel Po Émissions Donner une mesure de la valeur des dommages • Le cadre conceptuel : notion de valeur économique totale – Les valeurs d’usage réel direct – Les valeurs d’usage réel indirect ( # services de régulation) – Les valeurs d’usage potentiel (prix et valeurs d’option) – Les valeurs d’usage passif ou de non-usage : traduisent altruisme envers les contemporains, valeur de legs, valeurs d’existence • Des méthodes éprouvées, plus ou moins précises – Méthodes basées sur des coûts observables (monétariser les dommages physiques, évaluer les coûts de restauration ou de remplacement, impacts sur la productivité…) – Méthode basées sur des « préférences révélées » (coûts de déplacement, prix hédonistes…) – Méthode basées sur des « préférences déclarées » (évaluation contingente, analyses conjointes, choice experiment…) Un modèle simple d’externalité dynamique (avec décideur myope) Coûts et bénéfices marginaux t=3 t=2 Courbes de dommage, indicées dans le temps t=1 t=0 CAMo Po Pollution Le besoin de coordination internationale • • • • • Un problème d’efficacité Un problème d’équité Qu’est-ce qu’une convention ? Qu’est-ce qu’un protocole ? La notion d’accord contraignant – La clause d’enforcement et la majorité qualifiée Diversité des situations des pays • Différences – émissions de référence (1990) – Émissions récentes (2012) • Contraste – Émissions totales – Émissions par habitant Quelles sont les options de politiques • L’atténuation (mitigation) • L’adaptation • Réguler, contrôler, inciter Taxes ou permis négociables • Historique – Avant Rio (convention climat), les économistes majoritairement favorables à la mise en place d’une taxe carbone (ou énergie) – Blocage politique à Rio sous pression des USA (no new taxes) – Mise en place de quotas dans la Convention Climat (UNFCCC) – Rigidité + accroissement des ambitions aboutissent à Tokyo à la mise en place d’instruments de flexibilité – COP suivantes permettent de préciser le fonctionnement pratique • Enjeux – Taxes nationales harmonisées simplifient les négociations : il suffit de s’accorder sur le taux et l’assiette – Mais impliquent harmonisations fiscales et perturbent les systèmes fiscaux nationaux – Permis négociables impliquent la fixation de quotas initiaux pour chaque entité (pays ou bulle) … ainsi que l’organisation et le contrôle des échanges La question des doubles dividendes • Définition La mise en place d’une éco-taxe bien calibrée a deux effets : – Elle modifie les prix relatifs des biens en incitant à renoncer aux comportements nuisibles (émission de GES) – Elle génère une recette (taux * assiette) qui peut être utilisée, soit pour un objectif spécifique (redevance de financement) soit pour le financement du budget de l’Etat en se substituant à d’autres prélèvements Si les prélèvement abandonnés étaient « distorsifs », alors il peut y avoir des effets bénéfiques sur l’activité ou le bien-être • On obtient ainsi deux « bénéfices » à l’instauration de la taxe : • – Un avantage environnemental (moindre pollution) – Un avantage économique (sur l’activité ou le bien-être ) Remarque sous certaines conditions, l’effet pourrait aussi exister avec des permis La Convention-cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) • Adoptée au cours du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 par 154 États + totalité des membres de la Communauté européenne • Elle est entrée en vigueur le 21 mars 1994 (. • En 2015 , elle était ratifiée par 196 pays • Objectif : "stabilize greenhouse gas concentrations in the atmosphere at a level that would prevent dangerous anthropogenic interference with the climate system" • Elle reconnaît trois grands principes : – le principe de précaution, – le principe des responsabilités communes mais différenciées, – le principe du droit au développement. • Elle a impliqué de produire des inventaires d’émissions (et de stockage) de gaz à effets de serre, nécessaires pour établir les benchmark (de 1990) • Les parties à la convention se réunissent tous les ans depuis 1995 dans des Conférences des Parties (COP) Le Protocole de Kyoto (COP3, novembre 1997) • Un accord ambitieux : engagement de limitation des émissions des 38 pays les plus industrialisés à hauteur moyenne de -5% • Un accord limité : pas d’engagement contraignant pour les pays en développement • Les instruments de flexibilité – échanges de droits à polluer entre les pays Annexe B (pays industrialisés) – Mise en œuvre conjointe – Mécanisme de développement propre L’analyse du dispositif juridique issu de Kyoto • Un objectif de limitation des émissions de 5,2% en moyenne pour les 34 pays les plus industrialisés (Annexe B) – Principe de » responsabilité conjointe mais différenciée » qui se retrouve dans des objectifs de « limitation » individualisés – Un débat complexe pour cette allocation initiale, mêlant acceptabilité, efficacité et équité (est-ce indépendant ? Compatible ? ) • Trois « mécanismes de flexibilité » : – échanges de permis entre les pays « annexe B » – Mise en œuvre conjoint pour les pays « annexe B » – Mécanisme de développement propre entre pays « annexe B » et pays non listés (en développement) • Un système d’observance et de sanction – Contrôle des données transmises par les pays au secrétariat du protocole par des experts « multilatéraux » – Mécanisme de sanction si dépassement (compensation sur la période suivante, majorée de 30%) Les Conférences des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques Une conférence des parties se réunit annuellement lors de conférences mondiales qui analysent les avancées de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et essaie de prendre des décisions pour atteindre les objectifs de lutte contre les changements climatiques. • • • • • • • • • • • Conférence de Berlin (COP1), en 1995 ; • Conférence de Genève (COP2), en 1996 ; • Conférence de Kyoto (COP3), en 1997, • qui a permis le Protocole de Kyoto ; • Conférence de Buenos Aires (COP4), en 1998 ; Conférence de Bonn (COP5), en 1999 ; • Conférence de la Haye (novembre 2000) puis • conférence de Bonn (juillet 2001) (COP6) ; • Conférence de Marrakech (COP7), en 2001 ; • Conférence de Delhi (COP8), en 2002 ; • Conférence de Milan (COP9), en 2003 ; • Conférence de Buenos Aires (COP10), en 2004 ; • Conférence de Montréal (COP11/CMP 1), en 2005 ; Conférence de Nairobi (COP12/CMP 2), en 2006 ; Conférence de Bali (COP13/CMP 3), en 2007 ; Conférence de Poznań (COP14/CMP 4), en 2008 ; Conférence de Copenhague (COP15/CMP 5), en 2009 ; Conférence de Cancún (COP16/CMP 6), en 2010 ; Conférence de Durban (COP17/CMP 7), en 2011 ; Conférence de Doha (COP18/CMP 8), en 2012 ; Conférence de Varsovie (COP19/CMP 9), en 2013 ; Conférence de Lima (COP20/CMP 10), en 2014 ; Conférence de Paris (COP21/CMP 11), en 2015 ; Conférence de Marrakech (COP22/CMP 12), en 2016 Les sources de gaz à effet de serre (≠ des facteurs, : démographie, croissance éco., technologies…) Uncertainty in Projections of Regional Carbon Dioxide Emissions and Emissions Intensity Note: All emissions are from fossil fuels. Source: Congressional Budget Office based on Department of Energy, Energy Information Administration, International Energy Outlook 2002, DOE/EIA-0484 (2002). . Évaluer les dommages du changement climatique (1) Le rapport Stern • • • Les coûts des dommages liés au changement climatique s’élèveraient à 5500 milliards de dollars Un scoop qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponse Est-ce beaucoup ? – Ça représente environ 10% du produit brut mondial 2006 • Qu’est-ce qui génère les coûts les plus importants – L’effet des catastrophes naturelles et des maladies sur le développement des pays pauvres, – les conflits liés à l’usage de l’eau dans les régions sèches, – le coût de l’adaptation des infrastructures lourdes à un climat changeant (urbanisme et bâtiments, protection des côtes, gestion des eaux...). • Quelle distribution dans l’espace ? – • Une plus grande vulnérabilité des pays du Sud ? Quelle distribution dans le temps ? – à quel moments s’imposeront-ils ? Avec quelle incertitude ? • Quelles catégories sociales vont supporter quels coûts ? Le rapport Stern : science et politique(2) • Pour estimer les coûts liés à la propagation des déséquilibres économiques régionaux ou à l’adaptation, il faudrait pouvoir répondre à de nombreuses questions aujourd’hui hors de portée : – Saura-t-on prévoir ou détecter à temps les changements locaux pour les anticiper et éviter une partie des dommages en s’y adaptant ? – Saura-t-on aider les pays en voie de développement à affronter cet obstacle supplémentaire à leur sortie de la pauvreté ? – Les pays pauvres pourront-ils compenser l’insuffisance éventuelle de leur production agricole par des achats sur les marchés mondiaux ? – L’épuisement des ressources conduira-t-elle à plus de coopération ou à plus de conflits ? • • Un message clair et bien perçu : « le changement climatique comporte des risques élevés pour nos sociétés et nos économies, ces risques justifient une action précoce pour les limiter » Ce message est sans doute robuste aux imperfections de l’analyse qui le sous-tend dans le rapport Stern Les coûts d’un changement des climats • Des questions méthodologiques, éthiques et philosophiques face auxquelles aucune technique ne fait consensus • Les derniers rapports GIEC/IPCC (2007 et 2013 ) ne proposaient pas d’évaluation globale du fait de l’importance des incertitudes : un montant est sans signification si l’on ne précise pas les méthodes et conventions de calcul • Changement des températures : des coûts faibles ? • Changement des régimes de précipitations (agriculture, conflits liés à l’usage de l’eau, sports…) • Modification de l’aire de développement de certaines maladies • Élévation du niveau des mers • Accroissement de la probabilité et/ou la gravité des catastrophes naturelles • Coût de l’adaptation des infrastructures lourdes à un climat changeant (urbanisme et bâtiments, protection des côtes, gestion des eaux...). Le bilan énergétique global : une affaire compliquée Le bilan énergétique global : une transition compliquée Après Kyoto ? • Aller plus loin – L’objectif de la Convention est de stabiliser les concentrations atmosphériques des GES à un niveau préservant les climats – Soit une division par deux des émissions globales – Avec une hypothèse démographique moyenne et en visant une convergence des niveaux d’émission par habitant : c’est une division par quatre des émissions pour la France • Un tel objectif, difficile, impliquera sans doute de préciser les arguments en termes d’efficacité, d’équité, d’acceptabilité • Un tel objectif implique une stratégie privé-public majeure d’innovation dans les domaines de la production et de la consommation d’énergie De Kyoto à Paris • L’échec de Copenhague • Quelques résultats ambigus à Durban : – L’UE et quelques autres vont prolonger Kyoto après 2012 (2017 ? 2020 ?) – Un engagement global incluant les USA, la Chine, le Brésil, l’Inde… pour mettre en place un cadre de négociation à 194 pays – L’agriculture fait une entrée dans la négociation… – Un fond « vert » pour l’adaptation des PED qui tarde à se concrétiser Les enjeux de la COP21 (Paris, décembre 2015) • Le rapport 2014 du GIEC et l’objectif des 2 degrés • Le premier accord universel et les rapports Nord-Sud – Vers un premier accord universel et contraignant visant à lutter efficacement contre le dérèglement climatique et impulser/accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone ; – l'accord, censé entrer en vigueur en 2020, devra à la fois traiter de l'atténuation — la baisse des émissions de gaz à effet de serre — et de l'adaptation des sociétés aux dérèglements climatiques existants et à venir. Il s'agira de trouver un équilibre entre les besoins et les capacités de chaque pays. La répartition de l'effort entre les émetteurs historiques et les économies émergentes est l'un des points sensibles de la négociation. – Pour préparer cet accord, chaque pays doit préparer et publier en amont de la COP21 une contribution qui présente un plan de travail concret à même de permettre à l’État concerné de faire sa part au sein de l’effort universel. – La COP21 doit également permettre aux pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, en partie via le Fonds vert pour le climat, afin d’aider les pays en voie de développement à lutter contre le dérèglement climatique • La tarification du carbone “From space we are privileged to see the beauty of Earth but also our impact on its environment” Scott Kelly @StationCDRKelly 30 nov. 2015