Diapo Espèce(s) d`Animateur

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Les actes du 08/11/2011
Espèce(s)
d’animateur
Super héros ou superflus
?
Le projet
« Espèce(s) d’animateur »
Le projet « Espèce(s) d’animateur » propose de réaliser rencontres et recherches sur
la diversité du métier d'animateurs, sur ce qui les réunit et sur la plus-value sociale et
culturelle de leurs actions.
Chaque année la thématique varie. Au banc des questions pour cette édition : les
animateurs prennent-ils soin de la démocratie ? La démocratie a-t-elle besoin des
animateurs ?
Onze interventions ont abordé ces questions sous différents angles.
C’est ceci qu’il vous est proposé de (re)découvrir dans la présente publication, entre
décembre 2011 et février 2012.
Les 11 interventions
Les interventions présentées dans ce document sont signalées par * juste avant le titre.
Les autres interventions sont à paraitre.
1. * L’animateur socioculturel, garant de l’application de la démocratie directe ?
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Par Emilie Jacquy et Antoine Thioux
L'expérience de la démocratie au Musée.
Par Laurence Bouvin
Quelle(s) culture(s) pour quelle démocratie ?
Par Roland de Bodt
* La question de la mixité et de l’intégration vécue par les scouts.
Par Jérôme Ramacker
Animation: méthodes pédagogiques, mouvements de critique sociale ou création
sociale et culturelle ?
Par Jean-Pierre Nossent
* Quel est le rôle et l’impact d’un centre d’art dans une dynamique sociale locale ?
Par Frédérique Versaen
* Autorité et éducation : mise en perspective.
Par Bernard de Vos
8. * Qu’est-ce qui fait marcher l’autorité ? A propos d’une prétendue crise dans
l’éducation
Par Antoine Janvier et Florence Caeymaex
9. * Autorité institutionnelle : force ou contrainte ?
Par Eugène Braet
10. L’éducation en IPPJ : tendre vers davantage de cohérence dans l’apprentissage
des limites.
Par Stéphane Magnien et Frédéric Miceli
11. * Pédagogie Nomade, une école de l'émancipation.
Par Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et Arnaud Baratto
L’animateur socioculturel,
garant de l’application de la
démocratie directe
par Emilie Jacquy et Antoine Thioux
(Centre de Jeunes Taboo)
LES INTERVENANTS : Antoine Thioux et Emilie Jacquy
Antoine et Emilie sont animateurs socioculturels au ‘Centre Jeunes Taboo’, le centre jeunes des
« Jeunes FGTB Charleroi ». Leur mission est d’informer, sensibiliser et de conscientiser les
jeunes aux missions du syndicat, aux enjeux de société et à la citoyenneté participative, avec
pour objectif principal de susciter le passage de la prise de conscience individuelle à l’action
collective pour une société plus juste, plus solidaire et plus démocratique.
Centre de Jeunes Taboo
Rue Basslé 8 – 6000 Charleroi
071/641.307 – [email protected]
LEUR INTERVENTION
Un petit mot d’abord sur le Centre Jeunes Taboo. Il porte deux casquettes : la casquette « maison
de jeunes » (non reconnue comme telle) et la casquette « syndicat pour jeunes ».
Nous travaillons sur un axe collectif et un axe individuel.
L’axe collectif met en avant des projets citoyens et des actions collectives qui visent la
transformation sociale.
L’axe individuel se définit comme un soutien au jeune en termes d’informations, de service social,
de défense de ses droits en tant que jeune mais aussi travailleur…L’approche individuelle est
souvent la porte d’entrée aux actions collectives : quand on parle avec un jeune, on se rend
compte que souvent le problème présenté n’est pas nécessairement isolé et qu’il a souvent un
rapport avec la structure de la société. Des pistes de solutions peuvent être trouvées et
construites par l’engagement collectif.
Notre rôle en tant que animateur socioculturel est de former des CRACS et ainsi de favoriser la capacité des
jeunes à s’interroger et critiquer le cas échéant la société et ses fonctionnements, ses mécanismes.
Notre objectif est de permettre aux jeunes de se mettre en mouvement et d’agir sur la société.
Pour favoriser l’implication des jeunes dans la société, nous tentons d’appliquer la démocratie directe dans
notre maison de jeunes dans tous les dimensions de nos projets.
On peut citer en guise d’exemples les projets suivants :
1/ Réalisation d’un Fanzine de A à Z par les jeunes : l’idée est qu’ils s’y expriment sur la société et qu’ils
s’approprient les outils d’expression qu’offre ce journal.
Les freins et blocages rencontrés :
- nous, les animateurs, nous voulions que les jeunes décident de tout : du fond et de la forme et qu’ils fassent
tout. Cela n’a pas été possible pour les premiers numéros. A cela plusieurs raisons. Il fallait concilier la
volonté d’une qualité de production et de résultat ainsi que de processus à tous les niveaux alors que
les jeunes n’étaient pas prêts pour l’assumer. Ils n’avaient pas tous les outils pour écrire, rechercher
l’info, mettre en page, construire leur positionnement… Il a fallu un temps pour que les jeunes
apprennent à écrire, mettent en forme et construisent leurs idées…
- A noter aussi que les animateurs ont été garants au début des règles (rappel des échéances, de la
participation régulière…) et que cela a induit autre chose qu’un rapport égalitaire entre jeunes et
personnel de la MJ
- la participation active des jeunes ne va pas de soi d’autant qu’ils n’ont pas spécialement l’habitude d’être
sollicités pour donner leur avis
- c’est le type de projet qui nécessite de travailler sur le long terme, cela nécessite patience et un équilibre à
trouver entre l’exigence de la tâche, compétences à développer par les jeunes, souplesse
organisationnelle, gestion individuelle et collective.
2/ Photographe dans la ville est un projet mené par la Maison Pour Associations de
Marchienne-au-Pont, en partenariat avec les MJ de Mons, Tourcoing et de Roubaix. L’idée
était que les jeunes donnent une représentation de leur ville et que cela soit débattu entre
eux et qu’ils puissent décider ensemble de ce qu’ils veulent montrer et donc photographier.
Découvrez ce projet en vidéo : http://telesambre.rtc.be/content/view/12333/166/
3/ Jeunes en lutte est un autre projet encore qui vise par le débat et l’organisation de
manifestations à permettre aux jeunes de construire des revendications à formuler
concernant l’emploi, les études…
Nos pistes de travail pour favoriser la participation de jeunes et le fonctionnement démocratique
au sein de notre MJ :
- travail sur le long terme et la durée
- accompagnement des jeunes dans la construction de compétences
- volonté de valoriser et de tenir comptes de leurs talents
- instauration d’une relation égalitaire entre animateurs et jeunes
- travail au quotidien et prise en compte des jeunes dans leur globalité : les jeunes ne sont pas à
réduire à des participants de projets, il nous semble fondamental de construire une relation
de qualité et de tenir compte de ce qu’ils vivent, pensent et ressentent
- respect de l’identité des jeunes quelles que soient nos différences et nos valeurs d’animateurs
- évaluation des activités avec les jeunes
auto évaluation de l’animateur : il doit être en capacité d’apporter un regard critique sur son
travail.
POUR POURSUIVRE LA REFLEXION…
Saul Alinsky « Le manuel de l’animateur social ».
La question de la mixité et de
l’intégration vécue par les
scouts
par Jérôme Ramacker
(Scouts et Guides Pluralistes)
L’INTERVENANT : Jérôme Ramacker
Baigné dans le Scoutisme Pluraliste depuis son plus jeune âge, Jérôme fut animateur d’enfants
puis de jeunes pendant sept ans. Après un projet en Roumanie et au Burkina, il participe à
l’organisation du Centenaire du Mouvement avec les fédérations scouts et guides,
francophones et flamandes, de Belgique. Passé de statut volontaire à salarié de l’association,
il est
aujourd’hui chargé de communication et de projets pédagogiques. Jérôme Ramacker est
également maître-assistant dans une Haute Ecole de Communication sociale.
Scouts et Guides Pluralistes asbl
Avenue de la Porte de Hal, 38/39 – 1060 Bruxelles
02/539.23.19 – [email protected]
SON INTERVENTION
Le Scoutisme et le Guidisme représentent 160.000 membres dans notre pays. Les Scouts et
Guides Pluralistes sont l’une des trois fédérations reconnues en Belgique francophone. Notre
pratique de la mixité et de l’intégration n’est qu’un exemple parmi d’autres. Nous faisons en sorte
que le jeune ait sa place, son identité dans le groupe et puis in fine dans la société.
Notre action repose sur différents principes :
•
Apprentissage par l’action : jeux, animations qui ont du sens tout en s’amusant ;
•
Co-éducation : mixité des groupes à tous les âges ;
•
Développement du cadre symbolique adapté à l’âge du jeune participant qui permet de lui
donner des repères ;
•
Expérimentation de la vie collective par l’organisation en équipes ;
•
Education par les pairs, transmission des compétences entre jeunes ;
•
Développement des responsabilités et participation aux décisions (notre AG est composée de
jeunes qui dirigent ainsi le Mouvement) ;
•
Pédagogie du projet ;
•
Importance de la promesse : engagement dans des attitudes tels que respecter les autres dans
leurs convictions, son environnement, la Nature,… ; être acteur de paix ;
•
Intégration et épanouissement dans le groupe : rencontre des différences, pluralisme actif ;
•
Soutien adulte bénévole pour aider à développer les méthodes des animateurs, outiller les
jeunes, transmettre les connaissances.
ECHANGE AVEC LA SALLE
Réaction de la salle
Est-ce que les scouts sont si mixtes que cela ? Touchent-ils autre chose que la population dite
aisée? Les jeunes précarisés et ceux issus de l’immigration participent-ils de manière notable à ce
Mouvement ?
Réaction de Jérôme :
Le Scoutisme est organisé en groupes locaux dans de nombreuses communes. Ces groupes sont
représentatifs des caractéristiques de la population de la commune d’implantation.
POUR POURSUIVRE LA REFLEXION…
•« Le Mag », notre magazine associatif qui permet finalement de mieux connaître notre
Mouvement et les projets (notamment d’intégration et de mixité) portés par nos membres.
•« Vivre les différences avec ta Section », des propositions concrètes d’animation et de réflexion
avec les jeunes, par tranches d’âges.
Nos publications sont téléchargeables sur notre site Internet : www.scoutspluralistes.be
Quel est le rôle et l’impact
d’un centre d’art dans une
dynamique sociale locale ?
par Frédérique Versaen
(Wiels – Centre d’Art Contemporain)
L’INTERVENANTE : Frédérique Versaen
Frédérique est responsable du service éducation et médiation des publics au centre d'art
contemporain « WIELS ».
WIELS - Centre d’art contemporain
Avenue Van Volxem, 354 – 1190 Bruxelles
02/340.00.50 - [email protected]
SON INTERVENTION
Le bâtiment du WIELS construit en 1932, témoin de l'architecture moderniste à Bruxelles, fait
partie du site des anciennes brasseries Wielmans-Ceuppens, fleuron de notre passé industriel. Il
est situé à Forest, en bordure du quartier St Antoine, très populaire, multiculturel,
douloureusement frappé par le chômage.
Le WIELS se définit comme un laboratoire international pour la création et la diffusion de l'art
contemporain. Mais à côté de cela, nous prenons à cœur notre mission éducative et voyons l’art
comme un moyen d’émancipation à mettre au service de tous.
Pour ce faire, il nous faut lutter avec les préjugés sur l’art contemporain, souvent considéré
comme élitiste et incompréhensible. WIELS mène aussi différents projets et partenariats « hors
les murs », pour aller à la rencontre des riverains. Il y a un vrai travail sur le terrain, beaucoup de
sensibilisations, discussions avec les enfants... Il y a mille et une portes d’entrées pour aborder
l’art contemporain et qui ne passent pas par la traditionnelle visite guidée.
Le WIELS mène aussi une réflexion sur son financement. En cette période de crise économique,
WIELS essaye d’être inventif et de ne plus dépendre des seuls pouvoirs publics. Cf. récupération
de mobilier et matériaux, soutiens « en nature », échanges de services, (mise à disposition de la
salle pour des événements en échange de services etc.). On essaye d’imaginer des alternatives
créatives.
Présentation de quelques projets concrets :
- Collecte de lustres auprès des habitants, installés ensuite dans l’espace public par l’artiste Anna
Rispoli
- Camping WIELS : les enfants de 2 écoles du quartier viennent dormir au WIELS
« Jardin Mille-semences Ceuppens » : Terrain vague transformé en jardin partagé et potager
collectif, avec la participation des voisins
Les différentes actions et orientations font du Centre d’art un véritable lieu de vie et de découverte
ouvert à tous, et en priorité aux habitants du quartier invités à prendre part activement au projet
WIELS. Cf. Volet insertion socio-professionnelle : WIELS emploie mensuellement une cinquantaine
de jeunes du quartier.
ECHANGE AVEC LA SALLE
Réaction de la salle
• «Je trouve cela très intéressant d’être créatif pour transformer certains coûts. Les lois sur le
marché public risque de paralyser les projets créatifs».
• Quelles sont les attentes des animateurs, de la direction du WIELS ? Et sur le long terme ?
Réaction de Frédérique
Quand on se plonge dans les projets temporaires, le processus est parfois plus important que le
résultat. Ce qui compte, c’est aussi la dynamique sociale que l’on influe.
Et oui pour le marché public c’est préoccupant. Le respect des procédures administratives oblige
parfois à rester dans les rails, alors que des solutions créatives pourraient être trouvées.
Mes attentes, j’ai dû les revoir pour ne plus être frustrée. On doit se contenter de petites victoires au
quotidien et ne pas « mettre la barre trop haut » sous peine d’être déçus.
Nous sommes dans un quartier qui a un passif (émeutes des années 90). Il nous faut trouver un
juste équilibre entre des actions artistiquement pertinentes et la dimension sociale, et ne pas vouloir
transformer chaque artiste en travailleur social. On travaille sur cette mince frontière entre deux
mondes, et c’est passionnant.
POUR POURSUIVRE LA REFLEXION
http://www.wiels.org/page.php?node_id=53&
Autorité et éducation : mise
en perspective
Par Bernard de Vos (délégué général aux droits
de l’enfant – Fédération Wallonie Bruxelles)
L’INTERVENANT : Bernard De Vos
Bernard est délégué général aux droits de l'enfant.
Organisation du Délégué général aux Droits de l’Enfant
Rue des Poissonniers 11-13 bte 5 - 1000 Bruxelles
02/223.36.99 - [email protected]
SON INTERVENTION
Le monde change très vite. La famille, par exemple, a fortement évolué depuis ces 20 dernières
années. Le changement se situe même au niveau de la façon de concevoir un enfant. Par contre,
l’école continue à fonctionner comme avant. Elle discrimine encore et toujours et produit une
Autorité identique.
A une autre époque, l’autorité était incarnée par le seul pater familias. De nos jours, trois autres
éléments font aussi autorité et sont :
1/ la dette publique : les enfants et les jeunes en sont d’ailleurs victimes ;
2/ la consommation : les enfants sont incités à consommer et en sont, encore une fois, victimes ! Ils
pensent même qu’on devient quelqu’un grâce aux achats effectués ;
3/ L’ «hypersexualité» : les stéréotypes s’en voient renforcés (l’homme fort et puissant,…). Par
exemple, certains jeunes pensent que des pratiques sexuelles vues dans des films classés X
sont de l’ordre de la normalité. Or, ces pratiques sont loin de constituer la norme et sont
dégradants pour la femme. Il est ainsi important pour l’adulte d’expliquer aux jeunes ce qui
est de l’ordre de la normalité pour ne pas se constituer des images erronées sur la sexualité.
Souvent, on entend dire que les jeunes d’aujourd’hui sont « pires » qu’hier. Sachons toutefois que
chaque génération estime que la génération qui suit est moins bonne que la précédente.
Pourtant, les jeunes sont les mêmes qu’hier à quelques éléments près.
Quand on parle du retour de l’autorité, on l’associe souvent à la répression. L’autorité pourtant
fait partie de l’éducation. Et celle-ci s’applique dès le plus jeune âge. Environ 80-90% de cette
éducation se base sur des « moyens » négociés (le dialogue, l’exemple, l’acceptation d’une
vision différente du monde, etc.) pris sur un ordre relationnel égalitaire. Et puis, à côté de ces
moyens négociés, une autre petite partie seulement des choses est imposée sur un ordre
relationnel hiérarchique. L’élément qui doit guider l’éducateur (professionnel ou parent) est la
question de savoir ce qui est bon pour le jeune, le petit, l’enfant. Dans certaines circonstances il
faut veiller à ne pas se mettre en danger, ni soi, ni autrui et c’est dans ces conditions que
l’autorité s’impose.
Il est évident que c’est lorsqu’on se trouve dans le rapport égalitaire qu’on apprend davantage.
On peut donc « reprendre quelqu’un », provoquer un « arrêt d’agir », mais il faut ensuite le
relancer dans une logique de relations égalitaires. Et c’est la responsabilité de l’éducateur de
repositionner l’enfant ou le jeune dans une disposition où il peut « grandir », dans le cadre
d’une relation mutuelle respectueuse avec l’adulte. Sans cela, le jeune risque bien de se
perdre et de ne plus comprendre ce qu’on attend de lui. Pour certains jeunes, notamment dans
les quartiers populaires, cette logique d’éducation semble compromise. Souvent, on se
retrouve face au tandem « punition-répression » qui est « bon » pour la société mais ne
rencontre que rarement l’intérêt du jeune. Car rencontrer l’intérêt du jeune ou celui de la
société, c’est fort différent ! A force d’arrêter non-stop des jeunes dans leurs démarches, sans
même expliquer le pourquoi, les jeunes s’enfoncent dans une spirale négative.
ECHANGE AVEC LA SALLE
A/ Demander à un ado de ranger sa chambre, même en négociant, relève parfois de l’impossible.
Que faire ?
B. De Vos : La chambre du jeune reste sa chambre. Est-ce que cela dérange vraiment si, par
ailleurs, il respecte les autres pièces ? Prenons l’exemple des légumes : si un enfant refuse d’en
manger après qu’on lui ait proposé trois fois, cela ne doit pas empêcher l’adulte d’en proposer
encore et encore. Qui sait, peut-être qu’à la vingtième demande, le jeune acceptera d’en goûter
à nouveau. Pourquoi ne pas attendre qu’un déclic se fasse ?
B/ L’école devrait changer. Mais pourtant, elle ne le fait pas… Où est-ce que cela coince ?
B. De Vos : Au niveau de l’enseignement, des choses ont été essayées. Beaucoup de
responsables politiques savent qu’il faut faire évoluer de nombreux points (par exemple, il fut un
temps où on ne mettait plus les points). Mais cela reste difficile de faire changer les mentalités…
Nombreuses personnes restent frileuses face au changement. Selon certains discours,
nombreux éléments sont très difficiles à appliquer une fois sur le terrain.
C/ On a l’impression que tout le monde se « refile » la patate chaude entre l’école, l’extrascolaire
et la famille. Comment équilibrer ces trois sphères ?
Selon B. De Vos, les familles qui vivent un plus grand décalage entre l’école et leur
fonctionnement sont les familles qui ont un accès difficile au langage. Pour les familles plus
aisées socialement, l’école amenait et continue à amener les enfants « loin ». Effectivement,
pour ces familles, les autres aspects (artistiques, culturels,..) que certains recherchent
pourtant à l’école sont rencontrés ailleurs. C’est pourquoi l’école semble plus convenir aux
familles aisées qu’aux familles précarisées.
D/ N’avez-vous pas cette impression négative que l’autorité ne vient plus des pères ? Qu’elle
n’est plus transmise ? Mais qu’à l’inverse, ce serait davantage le jeune/l’enfant qui la gère luimême ? De nombreux parents s’abstiennent de plus en plus de parler de certaines choses
aux enfants, par exemple, de la sexualité. Pourtant, les plus âgés ont des choses à
transmettre aux plus jeunes.
B. De Vos n’apprécie pas le concept d’enfant-roi et remercie une participante de ne pas avoir parlé
d’enfant roi.
POUR POURSUIVRE LA REFLEXION…
•Le site « En ligne directe » : www.enlignedirecte.be
•Interviews de Bernard De Vos pour le Ligueur : http://leligueur.citoyenparent.be/rubrique/enimages/interview-de-bernard-devos/
Qu’est-ce qui fait marcher
l’autorité ?
A propos d’une prétendue crise dans
l’éducation
Par Florence Caeymaex et Antoine Janvier
(chercheurs du F.R.S – FNRS)
LES INTERVENANTS : Florence Caeymaex et Antoine Janvier
L'unité de recherches en philosophie politique et philosophie critique des normes de l'Université de
Liège (URPPCN – ULg) rassemble chercheurs et enseignants en philosophie politique. On y
conjugue des travaux d'histoire de la philosophie pratique (philosophie morale, philosophie
politique, philosophie sociale, philosophie du droit, bioéthique, etc.) et l’analyse des
transformations, événementielles ou plus profondes, des normes en jeu dans le monde social.
Unité de recherches en philosophie politique
et philosophie critique des normes (ULg)
Département de philosophie, Place du 20 Aout, 7 – 4000 Liège
[email protected]
LEUR INTERVENTION
Les discours et les réflexions contemporaines sur l’autorité, souvent teintés de nostalgie, nous
parlent d’une « crise de l’autorité ». A cette crise, il s’agirait de répondre par la restauration de
l’autorité ; non pas l’autorité autoritaire, évidemment, mais une autorité compatible avec le type de
régime politique propre à nos sociétés, la démocratie. Il faudrait, nous dit-on, restaurer l’autorité
des règles collectives que la société se donne à elle-même, une autorité fondée, donc, sur la
participation de tous à la construction des règles en question : une autorité dé-personnalisée,
portée par certains dans la seule et unique mesure où ils représentent les décisions et les choix de
la collectivité. On peut néanmoins douter de la valeur de cette proposition. Ne donne-t-elle pas une
vision réductrice de la démocratie, à certains égards contradictoire avec l’idée même de
démocratie telle que les Modernes l’ont réinventée aux 18ème et 19ème siècles ?
La démocratie n’est pas d’abord un régime politique consistant à fonder l’autorité des
règles dans la possibilité pour tous de participer à leur constitution. Elle tient, plus
fondamentalement, à la manière dont une collectivité se rapporte à elle-même et se réfléchit : c’est
une collectivité qui accepte que la division, le conflit au sujet de ce qu’elle est et de ce qu’elle doit
être soit constitutif d’elle-même (voir, sur ce sujet : Claude Lefort, Essais sur le politique, Paris,
Seuil, Points, 1986). Dès lors, ce n’est pas l’assentiment plein et entier de la totalité du dèmos (le
peuple comme « majorité ») qui fait le caractère démocratique d’une décision collective mais bien le
fait qu’elle ait pu passer par le conflit, le débat, le dissensus qui empêche, par nature, qu’elle soit
définitive. On préférera donc parler de la légitimité de telles décisions, plutôt que de leur autorité,
dans la mesure où leur acceptation, en régime démocratique, repose sur la possibilité, toujours
ouverte, de leur propre contestation, c’est-à-dire : mise en question, critique, amendement, etc. La
légitimité des décisions collectives (et pour le collectif) est, pour cette raison, éminemment précaire.
Sans fondement ni certitude première, le fonctionnement démocratique comporte, en lui-même une
part constitutive d’instabilité.
On doit donc s’interroger sur le désir, souvent formulé, de retour ou de restauration de
l’autorité, même sous la forme paradoxale d’une autorité « démocratique » : soit l’expression ne veut
rien dire ; soit elle recouvre une volonté d’en finir avec une dimension essentielle à la démocratie
moderne : la conflictualité constitutive de sa légitimité – mais alors, au profit de quoi ?
Hannah Arendt, à laquelle on se réfère souvent pour parler de la « crise de l’autorité »,
n’entendait pourtant pas proposer le retour de l’autorité. Elle avait au moins l’honnêteté d’inscrire la
perte du sens de l’autorité dans le long processus historique de la Modernité et reconnaissait que,
« en pratique aussi bien qu’en théorie, nous ne sommes plus en mesure de savoir ce que l’autorité
est réellement » (« Qu’est-ce que l’autorité ? », dans La crise de la culture, 1961, Gallimard, Folio,
Paris, 1972, p. 122). L’autorité se définit comme une action entraînant l’obéissance sans l’exercice
de moyens de coercition ou de violence, ni la persuasion qui suppose des sujets égaux en raison ;
et l’autorité appartient aux régimes politiques fondés sur la référence à un fondement indiscutable et
indiscuté, extérieur aux régimes eux-mêmes — que ce fondement s’appelle Dieu ou les Anciens,
qu’il soit d’ordre religieux ou qu’il s’ancre dans la tradition. Pour cette raison, Arendt attirait l’attention
sur le fait que, à l’époque moderne, la volonté de re-fondation de la politique, qu’elle soit
révolutionnaire ou conservatrice, s’expose à l’usage démesuré de la violence, à une violence
autodestructrice, précisément parce qu’elle entend s’opposer à un mouvement historique
irréversible, à la perte irrémédiable de l’évidence du fondement traditionnel ou religieux.
On peut évidemment se plaindre de cette situation. On peut convoquer le « constat »
d’une société devenue anomique, sans règles fondatrices et donc sans repères symboliques. On
peut y voir un péril pour les institutions, et pour les individus qui doivent s’y inscrire positivement. On
peut enfin dénoncer la contradiction interne de la démocratie qui se retournerait contre elle-même
au profit d’un individualisme consumériste rampant.
Mais une relecture attentive du texte d’Hannah Arendt peut pourtant nous inviter au
contraire à y voir, in fine, une chance. Elle conclut en effet son texte sur l’autorité par la
détermination d’un enjeu, l’enjeu de la démocratie elle-même comme mise en œuvre de l’égalité et
de la liberté : « vivre dans un domaine politique sans l’autorité ni le savoir concomitant que la source
de l’autorité transcende le pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, veut dire se trouver à nouveau
confronté, sans la confiance religieuse en un début sacré ni la protection de normes de conduite
traditionnelles et par conséquent évidentes, aux problèmes élémentaires du vivre-ensemble des
hommes » (« Qu’est-ce que l’autorité ? », dans La crise de la culture, op. cit., p. 185). Assumer que
le vivre-ensemble des hommes est quelque chose qui pose problème, ne pas se satisfaire des
évidences quant à ce qu’il est et à ce qu’il doit être : c’est peut-être la définition la plus élémentaire
de l’exercice d’une égale liberté (d’une égaliberté, pour parler comme Etienne Balibar) qui refuse de
laisser à quelques-uns – gouvernants ou intellectuels, pouvoirs économiques ou pouvoirs
idéologiques, c’est-à-dire aux « autorités » – la capacité de penser et de décider de l’existence
collective et des devoirs moraux et sociaux des individus.
Soit, dira-t-on, pour la politique qui concerne le monde des adultes, citoyens
responsables et autonomes. Mais pour les enfants et les adolescents ? Ne faut-il pas, dans
l’éducation, mettre en œuvre cela même qui est banni de la sphère politique, un rapport d’autorité
justement ? L’autorité n’est-elle pas constitutive du rapport pédagogique ? Mieux, l’autorité n’est-elle
pas la condition de possibilité de sa propre suppression, c’est-à-dire de l’accession des individus à
la responsabilité et à l’autonomie ? Dès lors, la crise de l’autorité qui contamine la totalité des
rapports sociaux n’est-elle pas réellement menaçante pour la démocratie elle-même lorsqu’elle
atteint le champ éducatif ?
Commençons par deux remarques. La première, c’est qu’on a peut-être ici l’une des
réponses à la question posée tout à l’heure : que veut-on, en réalité, lorsque l’on parle de restaurer
l’autorité dans la sphère publique et politique ? N’est-ce pas une manière de considérer la hiérarchie
pédagogique comme condition et définition du lien social ? N’est-ce pas présupposer que le dèmos,
ou une partie, ou certaines catégories de la population, ne sont pas capables de participer aux
décisions et à l’exercice du pouvoir ? N’est-ce pas dès lors en réserver la possibilité aux personnes
autorisées parce que seules véritablement adultes, libres, responsables, autonomes ? N’est-ce pas
procéder à l’infantilisation des autres – pour les meilleures raisons du monde : leur manque
d’éducation, leur manque de culture, leur assujettissement à des intérêts immédiats et à des
passions, leur incapacité à faire usage de leur propre raison ? La seconde remarque, c’est qu’il
serait peut-être temps de se demander de quoi l’on parle au juste lorsqu’on se plaint de la crise de
l’autorité en éducation. Ou plutôt : quelle réalité on vise. Car enfin, l’autorité du professeur, quand
fut-elle assurée et garantie ? On relèvera que le texte d’Hannah Arendt sur la « perte du sens de
l’autorité » fut écrit … dans les années 1950 ; que déjà le philosophe et professeur Alain, dans les
années 1930, s’évertue à en justifier la restauration —dénonçant la confusion du rapport parental
fondé sur le sentiment affectif avec le rapport enseignant fondé sur une indifférence affective du
maître à l’égard des élèves (voir ses Propos sur l’éducation (1932), chapitre IX, Paris, PUF,
Quadrige, 1986, p. 26-28). Que, plus largement, des historiens ont montré que les chahuts d’élèves
et les révoltes lycéennes ne sont pas sorties de Mai 68 ou d’un oubli progressif du sens civique,
mais sont aussi anciens que l’institution scolaire elle-même — il apparaissent dès le 19ème siècle,
c’est-à-dire dès la mise en place de l’école au sens où nous l’entendons aujourd’hui (voir par
exemple « L’invention de l’adolescence », entretien avec Agnès Thiercé, Vacarme, n°33, Éditions
Amsterdam, automne 2005, en ligne à l’adresse suivante : http://www.vacarme.org/article633.html).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’autorité du professeur n’en finit pas d’être en crise, qu’elle
l’a peut-être toujours été. Il convient donc d’être prudent quand on parle de « perte » ou de « crise »
de l’autorité dans l’école, comme s’il y avait eu un âge d’or de l’exercice de l’autorité.
Mais enfin, dira-t-on, ce n’est pas seulement une question de fait. L’éducation peut bien
avoir été, historiquement, difficile, l’autorité peut bien avoir été, dans les faits, toujours contestée ou
problématique, l’éducation n’est-elle pas, justement, un devoir-être à réaliser, qui doit justement
s’opposer à la réalité telle qu’elle est donnée ? Que l’autorité soit en crise, ou même qu’elle l’ait
toujours été ne disqualifie pas l’exigence qu’elle soit mise en œuvre. Et c’est bien à titre d’exigence
ou de devoir plutôt que comme fait qu’il y a de l’autorité, et qu’il y en a eu. D’où vient l’autorité ? Une
autorité, dit-on souvent, c’est un pouvoir légitime – et en ce sens, ce n’est pas, comme le soulignait
Arendt, un simple pouvoir, un rapport de forces brut. L’autorité suppose un supplément, celui d’une
conscience qui la reconnaît et qui l’accepte comme autorité. Pas d’autorité sans reconnaissance de
l’autorité ; cela veut dire à l’inverse qu’il suffit de ne pas la reconnaître pour qu’elle ne fasse plus
autorité. On en conclura logiquement que l’autorité ne marche pas sans ceux qui la subissent, sans
ceux qui y sont soumis, sans des sujets qui s’y soumettent non seulement volontairement, mais
comme à un pouvoir qui doit être ce qu’il est. La question à poser est alors de savoir comment, à
l’école, les élèves peuvent être amenés à considérer que le pouvoir des professeurs doit être ce
qu’il est. Il est possible de dire que l’autorité pédagogique n’est rien d’autre qu’un pouvoir légitimé
par le savoir du savoir : le savoir du savoir à transmettre, des modalités de sa transmission, des
manières d’y faire accéder celui qu’on appelle justement l’élève (c’est par exemple la thèse de
Bernard Rey, dans Discipline en classe et autorité de l’enseignant, Bruxelles, De Boeck, 2009, p.
116-141). Mais c’est aller un peu vite. Pour deux raisons : d’une part la légitimité du pouvoir du
professeur n’est au fond rien d’autre que … ce pouvoir lui-même, le savoir du savoir s’identifiant à la
capacité ou la puissance du professeur à élever l’élève ; d’autre part ce savoir du savoir doit être luimême reconnu comme tel. La reconnaissance du pouvoir pédagogique suppose la reconnaissance
d’un savoir qui n’est que le pouvoir pédagogique lui-même dont on cherche à fonder la
reconnaissance… En termes simples : on tourne en rond. C’est que l’autorité pédagogique ne fonde
sa reconnaissance que sur elle-même. Il y a de l’autorité pédagogique parce qu’elle est reconnue ;
et elle est reconnue parce que c’est l’autorité pédagogique. Est-ce à dire que l’autorité à l’école se
résume à un phénomène magique ? En est-on réduit à en faire un attribut psychologique – le don
gracieusement offert à certaines personnes « naturellement dotées » d’autorité ? Ou, ce qui revient
au même, à la nature raisonnable et obéissante d’élèves tout aussi gracieusement dotés d’un «
respect » miraculeux envers les professeurs ?
Nous devons reformuler la question. A vouloir fonder l’autorité pédagogique — c’est-àdire établir en raison d’où elle vient —, on ne découvre que l’autorité elle-même. Peut-être s’agit-il
plutôt de demander comment elle fonctionne et à quelles conditions sa reconnaissance est possible.
Disons-le simplement. Il faut croire à l’autorité pour qu’il y ait de l’autorité. Mais dans quelles
conditions croit-on à l’autorité ? Spécifions : dans quelles conditions les élèves acceptent-ils de
reconnaître l’autorité du professeur — d’y croire ? On peut faire deux hypothèses non-exclusives.
La première touche aux conditions matérielles du rapport pédagogique moderne. L’école
comme institution séparée du monde socio-économique qui l’entoure n’a jamais existé que dans la
tête de ceux qui avaient intérêt à se la représenter en ces termes. Plusieurs travaux ont montré que
l’école pour les masses — d’abord l’école élémentaire obligatoire, ensuite la démocratisation du
parcours secondaire puis supérieur — qui s’élabore à la fin du 19ème siècle et au cours du 20ème
siècle trouvait son sens et sa fonction dans l’expansion du système capitaliste (voir aussi bien
Christian Baudelot et Roger Establet, L’école capitaliste en France, Maspero, Paris, 1971 que Anne
Querrien, L’école mutuelle, Les Empêcheurs de penser en rond/Seuil, Paris, 2005). Cela veut dire
que dans la mesure même où elle se donnait pour objectif les « savoirs purs », non-utilitaires,
l’éducation morale et l’instruction civique des enfants, l’école remplissait une fonction nécessaire au
mode de production capitaliste. La reconnaissance de l’autorité du professeur, ainsi que les échecs
de cette autorité, doivent être compris à partir de ce que l’école permettait de devenir et de faire à
ceux qu’elle accueillait : à partir de ce que les élèves éprouvaient quant à leur destin, quant aux
possibilités qu’elle leur offrait mais aussi quant aux limites et aux obstacles qu’elle leur opposait. Ce
type de questionnement doit être mis en œuvre aussi aujourd’hui.
La seconde hypothèse touche aux conditions symboliques du rapport pédagogique. S’il
faut éduquer, c’est parce qu’il y a de l’éducable, mais plus encore du « devant-être-éduqué », à
savoir : l’enfant. En ce sens, l’autorité pédagogique tire sa justification du fait qu’elle s’exerce sur un
enfant (ou un jeune) qui en a besoin. Il est utile ici de se rappeler que l’enfance n’est pas une
donnée anthropologique fondamentale qui traverse les âges de l’histoire, mais une invention
récente, qui remonte aux 18ème et 19ème siècles – soit corrélative au développement de
l’institution scolaire (voir Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Seuil,
Points, Paris, 1973). Bien sûr, il y eut toujours des enfants. Mais l’idée ou l’image d’un être qui a
besoin d’être protégé non seulement des puissances extérieures en raison de sa faiblesse naturelle,
mais de lui-même et de ses propres désirs, autrement dit d’un être qui a besoin d’un tiers entre soi
et soi-même pour se constituer est une image propre aux sociétés modernes. Peu importe ici la
question historique ; retenons que le terme d’« enfant » ne désigne pas une réalité naturelle, mais
renvoie à une image qui combine deux aspects : un être sans défenses auquel des soins sont
nécessaires et l’exigence d’une contrainte pour que cet être se contrôle lui-même. Cette image est
ce qu’en psychanalyse certains appellent un fantasme : une certaine façon de découper et de
mettre en ordre le réel, de lui donner du relief et donc du sens, et surtout d’y définir certaines
possibilités d’existence, d’y réaliser et d’y construire certains désirs. Maud Mannoni insistait sur la
pertinence d’une interrogation de « la représentation que l’adulte se donne de l’enfance » préalable
au travail mené sur les représentations des enfants eux-mêmes (voir Maud Mannoni, L’enfant, sa «
maladie » et les autres, Seuil, Paris, 1967). C’était dire que l’« enfance » est d’abord une projection
de l’adulte, et que les questions pédagogiques dépendent de cette projection première. Il ne s’agit
pas là d’une simple illusion, d’un simple voile qui nous cache le réel. Il ne s’agit pas de dire que les
traits caractéristiques que nous prêtons à l’enfance sont « faux » ou tellement « construits » qu’il
suffirait d’en décréter d’autres pour changer la réalité. « Re-présentation » signifie : une nouvelle
présentation du réel pour s’y donner une prise ; ce qu’on appelle « réalité », en ce sens, est d’abord
une certaine représentation du réel. Parler d’une « représentation de l’enfance » au sens du génitif
objectif (l’enfance comme objet de la représentation), c’est donc parler d’une certaine réalité de
l’enfance qu’il convient d’analyser : quelles possibilités d’existence recèle cette « réalité », tant pour
les adultes que pour les enfants ? Mais aussi : quelles impossibilités ? Quand on s’autorise de
l’enfance pour en appeler à la nécessité d’une autorité pédagogique sur les enfants, il serait bon de
s’interroger sur les désirs et sur les possibilités d’existence que cet appel autorise, pour ceux qu’on
appelle « enfants » comme pour ceux qu’on appelle « adultes ». L’autorité d’un professeur ne
fonctionne pas magiquement, mais par le biais des désirs de celui qui l’exerce et des désirs de ceux
qui la reconnaissent et par les possibilités d’existence qu’elle ouvre pour les uns et pour les autres.
En somme, nous proposons, plutôt que de tourner en rond dans la question de ce qui
fonde et autorise l’autorité, de demander comment ça marche, à quoi ça fonctionne, l’autorité. Dans
la langue des philosophes, cela se dit : à quelles conditions l’autorité est-elle possible ? Et il
apparaît alors que les conditions d’une autorité pédagogique se trouvent moins dans une fondation
rationnelle que dans le réel, c’est-à-dire dans les puissances qui passent à travers elles, que ces
puissances soient matérielles (socio-économiques) ou symboliques (affectives et désirantes).
Un mot pour conclure. Dans « La crise de l’éducation », Hannah Arendt semble déplorer la
dissolution du rapport pédagogique dans une vaste confusion nivelant la différence entre enfants et
adultes. Pour que le monde reste un monde commun, selon Arendt, il faut bien y conduire les
nouveaux arrivants, leur apprendre les contours et la nature de ce monde ; pour que ceux-ci
puissent y prendre part – et donc aussi le changer –, il faut bien qu’ils y soient donc initiés, guidés,
c’est-à-dire éduqués. Tenir d’emblée les enfants pour des habitants du monde des adultes, c’est,
selon elle, empêcher leur participation à un même monde. En ce sens, l’analyse d’Arendt faisait
fonctionner à plein le fantasme moderne de l’enfance. Mais elle ajoutait une clause qu’on a trop
souvent tendance à oublier. Les adultes ne transmettent le monde commun que s’ils s’en estiment
responsables, autrement dit si ce monde est bien leur monde, celui dans lequel ils agissent, dans
lequel ils peuvent exister parce qu’ils le font en se faisant. Si les adultes « refusent d’assumer la
responsabilité du monde dans lequel ils ont placé les enfants » de sorte que leur autorité s’en trouve
abolie, la première chose à faire est peut-être de trouver les moyens pour qu’ils puissent en
répondre à nouveau, et considérer que ce monde est leur monde (« La crise de l’éducation », dans
La crise de la culture, op. cit., p. 244). Avant d’exiger des futurs citoyens le « sens des
responsabilités », il faut peut-être veiller à ce que les citoyens actuels puissent les prendre. Au
minimum, les plaintes et les inquiétudes au sujet de la crise de l’éducation ou de la crise de l’autorité
à l’école méritent d’être soustraites aux évidences qui les soutiennent, et retournées contre leurs
auteurs pour être questionnées comme telles. En 1967, Maud Mannoni écrivait déjà : « La société
confère à l’enfant un statut puisqu’elle le charge, à son insu, de réaliser l’avenir de l’adulte : l’enfant
a pour mission de réparer l’échec des parents, voire de faire aboutir leurs rêves perdus. Les plaintes
des parents au sujet de leur descendance nous renvoient ainsi d’abord à la problématique des
adultes. » (L’enfant, sa « maladie » et les autres, op. cit., p. 7). Et donc de leur monde.
Autorité institutionnelle :
force ou contrainte ?
Par Eugène Braet
(Service Général d’Inspection de la Culture –
Fédération Wallonie-Bruxelles)
L’INTERVENANT : Eugène Braet
Eugène est inspecteur-directeur au Service général de l'Inspection de la Culture.
Fédération Wallonie Bruxelles – Direction générale de la Culture
Rue des Reines-Marguerites, 4 – Parc industriel – 5100 naninne
081/40.81.62 - [email protected]
SON INTERVENTION
Textes de référence
Le plan opérationnel du Service Général de l’inspection 2009-2014
>téléchargeable sur http://www.c-paje.net/documents_site/eugenebraet-charteassociative.pdf
La Charte associative
>téléchargeable sur http://www.c-paje.net/documents_site/eugenebraetplanoperationnelserviceinspection.doc
De l’exercice de l’autorité institutionnelle exercée par le pouvoir.
Dans le temps
L’origine se situe dans les droits régaliens qui levaient l’impôt, les armées, promulguaient le Droit,
la Justice.
Et la Culture, alors ?
Le Pouvoir s’est régulièrement doté d’un droit de regard et d’intervention sur la Culture à des fins
personnelles ou d’instrumentalisation, pour son propre profit.
Dans l’espace
L’autorité culturelle publique, en tant que telle, en tant que politique de développement culturel
est cependant un concept plus récent, présent chez nous, mais pas dans les pays anglosaxons, en l’occurrence, où cette autorité sera plutôt exercée par des mécénats privés ou des
pouvoirs locaux.
En Belgique, c’est la représentation populaire qui se traduira en actions culturelles au sein du
Ministère des Arts et des Lettres (Jules Destrée, en 1921 : loi sur la lecture publique, loi sur les
œuvres complémentaires à l’école …).
Dans les années 1970 se développera toute une législation sur le développement culturel
(apparition des Centres Culturels, des Maisons de Jeunes).
Cette législation sera fondée sur le principe de la contractualisation, dictant des conditions à
remplir pour être agrée, des modes de subventionnement.
Adoption du pacte culturel en juillet 1973
Objectifs : assurer par une loi sur la protection des minorités (politiques, mais pas explicitement
écrit dans le texte).
Cette loi impose des modalités de participation des usagers à la définition des politiques
culturelles qui les concernent, par exemple au travers des instances d’avis.
Echange avec la salle
Question de la salle
Quel est le rôle de l’inspection dans le soutien aux structures ?
Réponse d’Eugène Braet
L’inspection n’est que le bras qui applique et vérifie la conformité aux normes émanant du
Parlement, des décrets, des arrêtés.
Nous avons néanmoins une attitude de compréhension sans tomber dans la complaisance ; on
peut accepter des écarts tout en recommandant le retour à la norme.
Nous voulons être des facilitateurs, mais si nous sommes appelés à établir des critères, ils doivent
rester sur le champ du formel et non interférer sur les contenus (respect de l’autonomie
associative).
Pédagogie Nomade, une école
de l'émancipation.
Par Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et
Arnaud Baratto (École de Pédagogie Nomade)
LES INTERVENANTS : Benoit Toussaint, Kevin Strijkman et Arnaud Baratto
Benoit Toussaint est professeur de français à Pédagogie Nomade, micro-école secondaire de la
Communauté française, à la création de laquelle il a activement participé. Kevin et Arnaud sont
élèves à Pédagogie Nomade.
Périple en la Demeure scfs/asbl – Pédagogie Nomade
Rue Verte, 1 – 6670 Limerlée
080/51.10.13 – www.peripleenlademeure.be
INTERVENTION de Benoit
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a placé en première position l’affirmation que
les êtres humains naissent libres et égaux en droits. Jusqu’à nouvel ordre, les élèves, soumis à
l’obligation scolaire, sont des êtres humains. Pédagogie Nomade a relevé le défi, et proposé au
Ministre de l’Enseignement Christian Dupont d’oser penser l’école sur ce fondement. Cette école
secondaire a ouvert ses portes en septembre 2008, et la Ministre Simonet vient de décider, de
façon autoritaire et expéditive, sa fermeture brutale, en cours d’année scolaire.
Une quarantaine d’élèves, réputés en différend avec l’institution qui a pour mission de les
émanciper, ont donc été déplacés, et huit enseignants, passablement dégoûtés par le procédé,
ont choisi de démissionner de l’enseignement de la Communauté Française, ou en ont été
éjectés.
Les motifs de cette décision sont pourtant inscrits dans le fonctionnement même de Pédagogie
Nomade : donner aux élèves le droit à la parole, sans tabou, sans ménagement parfois, et surtout
sans facilité ni confort. Dans le cadre de cette pédagogie autogestionnaire, les élèves ont été
estimés en danger, parce que les sujets sur lesquels les AG butaient, c’était tout simplement des
menaces de fermeture de cette école qui réussissait son pari : réintroduire le désir dans le cadre de
l’obligation scolaire, ce désir sans lequel on n’apprend finalement pas grand-chose de durable. Au
cours de ces débats, ils introduisaient du « je veux » au cœur même du « tu dois » de l’obligation.
Deux données sont nécessaires pour éclairer la suite de la réflexion. La première a fait peu de bruit,
et pourtant elle est lourde de sens : un sondage a établi, dans le courant d’octobre, que plus de
quarante pour cents des Belges, toutes classes et origines confondues, estiment qu’il y a, tout de
même, du bon dans les idées nazies. La seconde est la publication récente d’une réécriture,
actualisée, et surtout documentée, de la Guerre des Boutons de Louis Pergaud. Des juristes, des
travailleurs sociaux, des policiers, des psychiatres, ont été consultés sur les pittoresques
impertinences des gamins de Longerverne et Velran, au début du vingtième siècle, narrées dans le
très subversif roman, volontiers lu à l’école par ailleurs. Le titre est sans équivoque : Lebrac, trois
mois de prison. Cela dit à souhait le progrès de notre société en termes de criminalisation ou de
médicalisation des comportements dérangeants.
Les élèves inscrits à Pédagogie Nomade se retrouvaient donc tous dans la catégorie du différend,
lié à l’autorité de l’institution scolaire. Cette notion d’autorité est double, et contient son contraire,
l’obéissance, sans laquelle elle est inopérante. La Boétie l’a établi, de façon encore inégalée, il y a
bientôt cinq siècles. Si tu n’obéis pas, donc, tu es disqualifié, même si l’ordre donné est injuste ou
vide de sens. Des élèves le vivent tous les jours en classe, mais aussi des adultes dans le cadre de
leur travail, par exemple. Assez logiquement, une école qui refuse ce mécanisme va en vivre les
effets avec son autorité de tutelle. Avoir dit à la Ministre : « vous faites une erreur d’appréciation » a
mis le collectif « Pédagogie Nomade » dans la situation de l’impertinent, irrémédiablement en faute,
et inaudible. Puisque l’impertinent est resté constant, la fermeture autoritaire et immédiate était donc
écrite.
La proposition des organisateurs de cette rencontre prévoyait des questions à poser au public, la
voici, déclinée sur deux niveaux.
Sommes-nous toujours au Moyen-âge, ou le Prince, infaillible, décide de la survie de ses sujets, ou
transforme un groupe humain en objet dont il dispose à sa guise ? Et dans ce cas, l’expression d’un
désaccord est-elle une faute coupable ?
Autrement dit, si à un groupe d’enseignants une Ministre peut dire, sans argumentation légale,
« vous commettez une faute », et que ces mêmes enseignants, libres et égaux en droits, rappelonsle, ne peuvent, argumentation juridique à l’appui, dire à la Ministre « vous commettez une faute »,
ne devient-il pas évident que le Prince n’est pas traité comme le peuple ?
En attendant, les centaines de témoignages de confiance et de respect, émanant des élèves, de
leurs parents, des chercheurs en éducation, de Belgique ou de l’étranger, pèsent peu de poids face
au caprice, ou plus précisément, à la décision de normaliser, de recadrer, une école dont la vocation
était, justement, de construire, par le questionnement, le sens dont tout le monde, et donc entre
autres les élèves, a besoin pour vivre et apprendre.
Victor Hugo s’indignait : « construisez des écoles, vous fermerez des prisons ». Voici qu’une école,
pensée pour et avec des jeunes révoltés ou dégoûtés, est fermée manu militari. C’est donc judicieux
que les intervenants suivants nous racontent comment fonctionne l’IPPJ de Braine le Château. On
reste dans la logique du poète en colère.
INTERVENTION de Kevin
Autogestion ou gestion de l’autorité.
En s’inscrivant dans le schéma égalitaire de la démocratie directe, PN nie l’autorité d’un tiers sur
masse, un groupe ignorant ainsi que sur l’ignorant isolé : pas de maître explicateur, pas d’autorité
punitive donnant fruit à une illusion de respect partagé via la sanction omniprésente. Ce n’est pas
pour autant qu’elle rejette le principe d’autorité, celui-là même incluant les termes de légitimité,
pouvoir et obéissance…
En effet, dans les grandes lignes de PN figurent les termes d’autonomie, d’autogestion,
d’émancipation. Les trois relèvent du principe d’autorité, celle de soi envers soi. La seule qui vaille
d’être appliquée à tout à chacun, avec la même détermination que suggère Sénèque dans son
invitation à la vie philosophique : elle n’est pas affaire d’instant, d’une heure par jour, trois fois par
semaine. Non, c’est une ligne ondulée qui doit nourrir chaque instant, afin que chaque instant puisse
être le dernier, il s’agit de vivre.
L’autorité introspective est la philosophie, donc l’acte de vivre. Celle-là est défendue par tous les
principes de PN.
Seulement pour l’appréciée et la commandée en orientant les voiles comme on le souhaite, il faut
s’émancipé du principe d’autorité extérieure, celle qui touche de près ou de loin à une autre
personne. La confiance en l’égalité des intelligences implique la confiance en chacun à pouvoir vivre
selon cette autorité personnelle, ou tout du moins savoir qu’elle existe dans le possible.
Cette autorité là n’est possible que dissociée de celle qui s’adresse et ordonne les masses. Elle
suggère la désobéissance, pas celle donnant lieu à des révoltes aveugles, mais plutôt l’idée
défendue par Thoreau, à savoir que la meilleur des désobéissance c’est celle qui se passe en nous
contre ce qui tente d’exercer son autorité sur nous, faisant de notre être l’objet d’une volonté de
diriger, l’instrument de l’ordre ainsi que sa conclusion. L’émancipation politique ne peut être que le
fruit de l’autorité introspective, ordonnée selon ses propres principes. Un groupe d’émancipés ne
sera jamais une masse distincte, mais un groupe parfaitement dissociable et momentanément uni,
telle sera sa fragilité ainsi que sa force.
Voilà comment prennent sens les termes d’autogestion( du grec « autos » : soi même, « gestio » :
gérer ), d’autonomie ( du grec « autos » : soi même, « nomos » : loi, règle. ), d’émancipation et de
volonté, celle sans qui rien de tout cela ne serait possible.
Ainsi se colle le puzzle qui, une fois composé, fait office de miroir.
A la question « Comment fais-tu pour visser avec tant de facilité autant de vis en si peu de
temps ? », un ami m’a répondu « J’ai vissé toute une vie ».
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