Microchimérisme foeto-maternel et auto

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Microchimérisme foeto-maternel
et auto-immunité
Thierry Schaeverbeke
CHU de Bordeaux, Université Victor Segalen Bordeaux 2
Qu’est-ce que le chimérisme ?
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présence chez un individu de cellules issues d’un autre individu
source de microchimérisme :
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transfusion sanguine
transplantation d’organe
grossesse
Comment a-t-on mis en évidence le
microchimérime foeto-maternel ?
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sclérodermie : sex ratio entre 3/1 et 15/1
pic de fréquence dans les années du postpartum (35 - 50)
la sclérodermie ressemble à une réaction du
greffon contre l’hôte
hypothèse : des cellules souches de l’enfant pourraient avoir été transférées à
la mère pendant la grossesse, donnant naissance à des cellules immunitaires
qui reconnaissent la mère comme un corps étranger !
Recherche de cellules foetales circulantes chez des
femmes sclérodermiques ayant accouché de garçon
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PCR qualitative du DNA Y positive chez :
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32/69 femmes avec SSc (46%)
1/25 des témoins (p<0.001)
PCR quantitative du DNA Y sur sang total :
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11,1/16 ml cellules fetales chez les femmes avec SSc
0,38/16 ml chez les femmes témoins saines
1,3/16 ml chez les sœurs saines
Artlett C, N Engl J Med, 1998
Nelson JL. Lancet 1998; 35: 559
Mais les choses ne sont pas si simples...
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PCR quantitative, présence de cellules mâles :
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chez 16% (0,07 - 0,29) des femmes avec SSc
21,7% (0,07 - 0,44) des femmes avec d’autres maladies auto-immunes
25% (0,14 - 0,40) des femmes saines
Le taux de cellules est similaire dans les 3 groupes...
Le microchimérisme existe également chez des femmes saines
il ne paraît ni plus fréquent ni quantitativement plus important en cas de
sclérodermie...
Gannagé M, Eur J Immunol, 2002
Mauvaise analogie entre GvHD et
sclérodermie
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présentation clinique cutanée différente
fibrose papillaire dans la GvHD scléreuse, sans atteinte péricapillaire
fibrose réticulaire engainant les vaisseaux dans la sclérodermie
dépôt granuleux d’IgM dans 86% des GvHD scléreuses versus 10 à
42% des sclérodermies
atteinte oesophagienne et rénale rare dans la GvHD
peu ou pas d’anticorps anti-topoisomerase I dans la GvHD
Mais... il reste à expliquer la
présence de ces cellules !
En fait... plusieurs microchimérismes
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•
microchimérisme foetal = transfert de cellules du
foetus ou du placenta à la mère
microchimérisme maternel = transfert de cellules
maternelles au foetus
microchimérisme gémellaire = transfert de cellules
entre jumeaux
transfusions
transplantations d’organes
cellules foetales
placenta
foetus mâle
•
Microchimérisme fetal :
pendant la gestation
Présence de cellules fœtales dans la circulation maternelle
pendant la gestation :
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Dès la 6° semaine de gestation
En nombre de plus en plus important jusqu’à l’accouchement
Chez 100% des femmes enceintes testées
En faible nombre : 1 à 6 cellules nucléées/ml
Ariga et al, Transfusion 2001
Microchimérisme foetal :
après la gestation
•
•
•
cellules foetales détectable chez 30-50% des femmes en
l’absence de toute pathologie
persistance des cellules foetales dans le sang circulant jusqu’à
27 ans après l’accouchement
persistance de cellules mésenchymateuses foetales dans la
moelle osseuse jusqu’à 50 ans après la gestation
Lambert et al, Blood, 2002
Bianchi et al, PNAS, 1996
O’Donoghue et al, Lancet, 2004
Microchimérisme maternel :
Transfert de cellules de la mère à
l’enfant
•
•
PCR d’haplotypes HLA maternels non partagés :
présence de cellules maternelles chez ≈ 50% d’adultes normaux
S. Maloney, 1999
Échanges placentaires de cellules
souches pendant la grossesse
placenta
mais aussi au moment de l’accouchement ou de la délivrance : exemple de
l’immunisation anti-rhésus
Quelle est la nature des cellules
transférées ?
•
caractérisation des cellules microchimériques dans le sang
circulant :
•
•
lymphocytes T, lymphocytes B, monocytes, cellules NK
pas de différence entre malades sclérodermiques et témoins
Suggère le transfert de cellules souches hématopoïétiques
à longue durée de survie
Certaines de ces cellules peuvent se différencier en cellules
immunitaires
Evans PC. Blood 1999; 93:
2033
Comment expliquer la persistance au
long cours de cellules “étrangères” ?
•
•
•
les cellules fœtales pourraient échapper au système immunitaire
maternel du fait des homologies HLA ou via la diffusion
(leakage) des antigènes paternels
les cellules foetales pourraient interagir avec les cellules Trégulatrices et induire des phénomènes de tolérance
les cellules maternelles présentent lors de la constitution du
système immunitaire de l’enfant pourraient être intégrées dans
le répertoire du soi
Synthèse
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•
•
•
le microchimérisme est un phénomène banal... physiologique ?
aboutit au transfert de cellules souches hématopoïétiques de
l’enfant à la mère et de la mère à l’enfant
ces cellules souches persistent au long cours
une femme :
•
•
transfère des cellules souches à ses enfants
véhicule des cellules souches :
•
•
de chacun de ses enfants
et de générations antérieures, transmises par sa mère
Phénomène physiologique ?
•
•
•
le fait que le microchimérisme soit très
fréquent n’exclue pas que ce transfert
cellulaire puisse être parfois à l’origine de
pathologies
pourrait être une des explications au fait
que les maladies auto-immunes soient
plus fréquentes chez la femme
pourrait également être impliqué dans
d’autres maladies...
Rôle potentiel dans des
pathologies dysimmunitaires
liées à la grossesse
Dermatose polymorphique gravidique
•
•
•
dermatose bénigne d'étiologie inconnue
0,5 à 2% des grossesses
papules rosées disposées selon les
vergetures abdominales
•
•
respect relatif de la région péri-ombilicale
présence de cellules Y dans l’épiderme
de femmes enceintes d’un garçon :
•
•
5/10 femmes ayant une DPG et
enceintes d’un garçon
0/13 femmes ayant une autre
dermatose ou une peau normale
(p<0.05)
Aractingi S, Lancet, 1998
Dermatose polymorphique gravidique
cellules intradermiques
foetales
chromosome Y en
fluorescence verte
Atrésie biliaire néonatale
biopsie hépatique d’un garçon / atrésie biliaire : chr Y en vert, chr X en rouge
•
•
•
hybridation XY sur biopsies
hépatiques de 8 garçons
présentant une atrésie
biliaire (AB) et 2 hépatites
néonatales (HN)
microchimérisme maternel
chez 7/8 AB vs 0/2 HN
PCR quantitative : 1-142
copies ADN maternel /
25.000 copies ADN patients
Suskind DL. BMC Gastroenterology 2004,
4:14
Rôle potentiel dans des
pathologies auto-immunes à
distance de la grossesse
Lupus
•
•
recherche post-mortem de
cellules microchimériques dans
48 organes provenant de
femmes LED vs 146 organes
sains de témoins sans maladies
auto-immunes appariés sur le
sexe et l’âge
organes : reins, foie, coeur,
poumons, rate, ganglions
Kremer ICL. Ann Rheum Dis 2007; 66: 1568–1573
Gougerot Sjögren
•
56 femmes présentant un Sjögren
•
•
27 échantillons de PBMC, 42 biopsies glandes salivaires et 9 lavages bronchoalvéolaires
identification du chromosome Y par PCR et fluorescence in situ
Kuroki M. Ann Rheum Dis 2002; 61: 1041–1046
Gougerot Sjögren
•
identification de cellules Y + dans la
BGS de 3 femmes Sjögren
Kuroki M. Ann Rheum Dis 2002; 61: 1041–1046
Polyarthrite rhumatoïde
•
•
•
20% des femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde n’ont pas de
groupe HLA de prédisposition (ni DR4, ni DR1)
hypothèse : ce groupe pourrait-il être transféré par microchimérisme ?
= hypothèse NIMA (non-inherited maternal HLA alleles)
Polyarthrite rhumatoïde
•
Prélèvements de cellules mononucléées (PBMC) extraites à partir
du sang de femmes atteintes de PR non porteuses des HLADRB1*04 (n = 43) ou de HLA-DRB1*01 (n = 33) et à partir du sang
de sujets témoins sans PR (n = 64 pour HLA-DRB1*04 et n = 46
pour HLA-DRB1*01)
•
•
Extraction de l’ADN
Typage génétique de HLA par technique SSO (single sequence
oligonucleotide)
Polyarthrite rhumatoïde
•
Les cellules microchimériques (cM)
HLA-DRB1*04 ou 01 sont plus
souvent présentes chez les
patientes atteintes de PR (sans
épitope partagé) que chez les
témoins
Le microchimérisme permet de
transmettre l’épitope partagé aux
patientes atteintes de PR n’ayant
pas de gènes HLA qui codent pour
cet épitope
Expression de cM
HLA-DRB1*04
Nombre de cM/million de PBMC
•
5%
500 000
PR (n = 43)
300 000
1%
Témoins (n = 64)
10 000
9 000
7 000
5 000
3 000
0,1 %
p = 0,031
1 000
800
600
400
200
0
= 1 patient
N. Lambert, 2008
Diabète de type 1
•
Cellules microchimériques maternelles
recherche d’ADN maternel chez
:
•
•
•
94 enfants et adultes
diabétiques : 51 % +
54 de leurs frères et soeurs non
diabétiques : 33 % +
17 témoins sains : 17 % +
Nelson, J. Lee et al. P. N. A. S. 2007; 104, 16371642
Diabète de type 1
• autopsie de 4 pancréas : 3 sujets sains et un diabétique
•
•
cellules productrices d’insuline porteuses d’ADN maternel dans les
4 cas
2 fois plus de cellules ß maternelles dans le cas de diabète...
suggère que les cellules maternelles soient venues
à la rescousse du pancréas défaillant
microchimérisme = acteur ou gardien de l’auto-immunité ?
Nelson, J. Lee et al. P. N. A. S. 2007; 104, 16371642
Rôle potentiel dans la
réparation tissulaire ?
Les cellules foetales sont pluripotentes
Hybridation in situ + immunomarquage pour étudier le phénotype cellulaire
Thyroïde
chromosome X : rouge
chromosome Y : vert
marquage en immunofluorescence
rouge par un anticorps anticytokératine
14 à 60% des cellules chimériques identifiées dans
des tissus épithéliaux sont cytokératine positifs
(marqueur épithélial)
Khosrotehrani, JAMA 2004
Les cellules foetales sont pluripotentes
Organes hématopoïétiques
(rate, ganglions)
90% des cellules chimériques expriment
CD45 (marqueur leucocytaire)
marquage en immunofluorescence
rouge par un anticorps anti-CD 45
Khosrotehrani, JAMA 2004
Les cellules foetales sont pluripotentes
Foie
4% des cellules
chimériques expriment
heppar-1 (marqueur des
hépatocytes)
marquage en immunoperoxydase par
un anticorps anti-heppar-1
Khosrotehrani, JAMA 2004
Différenciation des cellules chimériques
selon l’organe où elles gîtent
•
•
Chez des femmes ayant eu des grossesses antérieures, 4 à
60% des cellules fœtales microchimériques identifiées
expriment des marqueurs de différenciation hépatique ou
épithéliale dans des tissus comme la thyroïde, l’intestin, le col
utérin ou le foie.
A l’inverse, dans les organes hématopoïétiques (rate,
ganglions), les cellules expriment des marqueurs leucocytaires
dans 90% des cas
Khosrotehrani, JAMA 2004
Différenciation des cellules chimériques
selon l’organe où elles gîtent
•
•
des cellules fœtales multipotentes sont capables d’adopter
divers phénotypes tissulaires maternels : Pregnancy Associated
Progenitor Cells (PAPCs)
ces cellules fœtales pourraient participer à la réparation
tissulaire maternelle en cas de lésion tissulaire
Hypothèse 1
Hypothèse 2
femme hébergeant des cellules
souches provenant de son fils
garçon hébergeant des cellules
souches provenant de sa mère
lésion tissulaire
XX
XY
XY
Réaction de
rejet
XX
XY
XY
XY
XY
XY
XX
XX
XX
XX
recrutement de
cellules souches
pour réparer le
tissu lésé
Synthèse
•
•
•
•
•
de nombreuses études ont mis en évidence la présence de
cellules chimériques dans des tissus maternels (ou infantiles)
atteints d’une pathologie dysimmunitaire
ces cellules sont-elles pathogènes ?
ces cellules participent-elles à la réparation tissulaire ?
sont-elles de simples reliquats de la grossesse (bystanders...
“badauds”) ?
la signification de leur présence est-elle univoque ou peut-elle
varier d’une pathologie à l’autre - d’un patient à l’autre ?
Rôle potentiel dans des
pathologies tumorales
Cancers chez les transplantés
•
•
•
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cancers et lymphomes sont des complications fréquentes chez les
transplantés, et surviennent volontiers sur les transplants
étude d’une série de tumeurs cutanées de femmes greffées par des
reins de sexe masculin
trafic de cellules chimériques tant au sein des tumeurs malignes et
bénignes
mise en évidence chez une femme d’un carcinome dont la totalité de la
tumeur était composée de kératinocytes masculins
cette receveuse avait également à un autre site une lésion de dysplasie
précancéreuse qui comprenait certains kératinocytes masculins
les cellules chimériques qui dégénèrent échappent-elles plus
souvent au contrôle immunitaire ?
Aractingi et al, Cancer Res, 2005
Conclusion
•
•
•
•
la sagesse populaire prétend qu’un peu de nous persiste au
travers de nos enfants
la science vient confirmer ce concept, au moins pour les
femmes, grâce aux transferts cellulaires foeto-maternels
ces échanges cellulaires foeto-maternels sont très fréquents
les cellules souches échangées pourraient être impliquées :
•
•
•
dans les pathologies auto-immunes
dans la réparation tissulaires
dans le développement de cancers
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