INFLAMMATION ET CERVEAU
Alain LEON, Claire LEPOUSE
Département d’Anesthésie Réanimation
Hôpital Robert Debré
51092 Reims cedex
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INFLAMMATION ET CERVEAU
Alain LEON, Claire LEPOUSE
En neuropathologie, la réponse inflammatoire est caractérisée par une cascade d’événements
consécutifs à l’activation leucocytaire et gliale, la libération de cytokines et de chemokines, de
facteurs du complément, et de la modification de la régulation des molécules de l’adhésion,
ayant pour conséquence la migration cellulaire, la prolifération et la phagocytose. Le système
nerveux central (SNC) a longtemps été considéré comme un « site immunitaire privilégié » en
raison de son isolement de la circulation périphérique par la barrière hémato-méningée.
Cependant, de nombreux arguments indiquent que, même à l’état physiologique, cette
séparation est loin d’être absolue et que des éléments cellulaires constitutifs du SNC, ont la
capacité d’initier une réaction d’ordre immunologique en sécrétant des médiateurs, en
exprimant des récepteurs et en séquestrant dans le compartiment intra-crânien des dérivés
sanguins immuns. L’abondance des données issues de la recherche dans le domaine des
processus immunologiques mis en jeu au cours des lésions neurologiques aiguës ou
chroniques a montré, que bien que chacune des pathologies ayant sa propre étiologie, toutes
connaissaient au cours du processus évolutif, à un moment donné, un événement d’ordre
immunologique conduisant au processus de neuroinflammation.
LA NEUROINFLAMMATION
L’inflammation constitue la réponse des tissus vivants à l’agression. Les quatre signes
cardinaux : rougeur, chaleur, œdème et douleur démontrent la mobilisation des défenses de
l’hôte. Celles-ci ont pour conséquence l’acheminement au site de l’agression ou de l’infection
de polynucléaires neutrophiles ou de monocytes. Les polynucléaires tuent les pathogènes et
débarrassent le site des débris ; les monocytes exercent le même rôle, mais en plus participent
à la réparation du site. Si l’agression persiste, ou l’infection, le système immunitaire est
sollicité pour poursuivre la lutte. La nature de cette réponse immunitaire doit être
minutieusement régulée, sous peine de voir des lésions tissulaires supplémentaires s’installer,
en cas de d’insuffisance ou d’hyperactivité.
Longtemps, l’inflammation dans le SNC a été restreinte aux pathologies d’origine
immunitaire comme la sclérose en plaque (SEP) et aux modèles animaux. La participation
possible d’une composante inflammatoire aux lésions rencontrées dans des situations comme
les lésions traumatiques (1,2), les lésions ischémiques (3,4), la démence du SIDA (5) et les
pathologies dégénératives comme la maladie d’Alzheimer (6), démontre l’intérêt qu’il y a
comprendre comment la réponse inflammatoire contribue à réparer le SNC ou aggraver les
lésions.
La discipline fait une distinction fondamentale entre l’inflammation aiguë et l’inflammation
chronique. L’inflammation aiguë comprend la réponse immédiate et précoce à l’agression. Il
s’agit avant tout d’une réaction défensive qui malgré tout prépare la réparation.
L’inflammation chronique persiste lorsque le facteur déclenchant ou la stimulation persiste.
En périphérie, l’inflammation est caractérisée dans sa forme aiguë essentiellement par une
infiltration leucocytaire, en particulier par des polynucléaires neutrophiles ; dans sa forme
chronique par une infiltration monocytaire, en particulier par des macrophages et des
lymphocytes.
La neuroinflammation aiguë : avant d’être appelée neuroinflammation, le terme « gliose
aigue » faisait référence à la réponse endogène du tissu cérébral à l’agression. La gliose
réactive correspond d’une part à l’accumulation de cellules gliales, passive, notamment de la
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microglie et d’astrocytes, immédiatement après l’agression. L’activation gliale correspond à
la libération par les cellules gliales de facteurs qui vont agir sur des cellules cibles de la même
façon que la réponse cellulaire immune périphérique. A la périphérie, l’activation cellulaire
d’origine immune aboutit normalement à l’infiltration leucocytaire des tissus agressés. Au
niveau cérébral cette infiltration est absente, sauf si la barrière hémato-encéphalique est lésée
ou détruite (7,8). Dans ce cas, la suite du scénario est identique à celle qui est connue pour la
réponse inflammatoire périphérique. En l’absence de rupture de la barrière hémato-
encéphalique, pour une agression limitée, il existe une réaction du système immun cérébral
intrinsèque et en particulier une activation des cellules gliales. Cette forme de réponse gliale
pure survient dans les lésions neuronales, soit par perte des afférences ou par perte des
efférences (9,10).
La neuroinflammation chronique : le concept est plus adapté dans le contexte de la
compréhension des pathologies cérébrales qui impliquent un certain degré de chronicité. Le
terme pathologie cérébrale est intimement lié au terme « chronicité ». La sclérose en plaques,
en anglais « chronic multiple sclerosis » en est le meilleur exemple. Même si la cause sous-
jacente n’est pas connue, il est permis de penser que la persistance de l’agression à minima
conduit à la neuroinflammation. Dans le cas particulier de la sclérose en plaques, une protéine
liée à la myéline n’est plus tolérée et devient immunogène. La persistance de cette protéine
immunogène aboutit à l’accumulation de cellules mononuclées comme dans d’autres
pathologies inflammatoires. La polyarthrite rhumatoïde en est un exemple. Un certain nombre
d’infections sont classiquement reconnues comme des pathologies par nature inflammatoire
touchant les méninges, les espaces péri-vasculaires et accompagnées par des infiltrations
leucocytaires d’origine périphérique. Il existe cependant des exceptions. Par exemple, au
cours de la rage, la réponse immune périphérique est lente et inadaptée et la réponse
inflammatoire pratiquement inexistante par rapport aux autres encéphalites. Pourtant il a été
décrit au cours de la rage une activation de la microglie (11). Ceci a pu être démontré
ultérieurement dans d’autres infections cérébrales d’origine virale. A l’heure actuelle, le virus
de l’immunodéficience humaine est le meilleur exemple de cause d’infection cérébrale
chronique. On retrouve au niveau cérébral les mêmes nodules de microglie activée (12). Les
infections à prion représentent une autre cause d’infection chronique du SNC. Dans ce cas, il
n’y a pas d’infiltration leucocytaire mais on observe essentiellement une activation
microgliale (13). Comme pour la rage, les prions échappent au système immunitaire
périphérique. Ceci pourrait expliquer l’aspect particulier des infiltrations cellulaires atypiques
et le profil cytokinique particulier (14).
LA REPONSE IMMUNITAIRE INNEE DANS LE CERVEAU
Le cerveau a longtemps été considéré comme un organe privilégié d’un point de vue
immunologique, puisque la barrière hémato-encéphalique (BHE) et ses jonctions serrées
empêchent la transmigration des cellules du système immunitaire périphérique. Toutefois, le
cerveau possède son propre système de défense. Celui-ci peut se mettre rapidement en état
d’alerte et à la moindre infection systémique. La réaction cérébrale s’amorce à partir des
organes périventriculaires (OPV) où les vaisseaux sanguins n’ont pas de jonction serrées
semblables à celles qui caractérisent la barrière hémato-encéphalique du tissu nerveux. Les
bactéries et les éléments de reconnaissance spécifiques (PAMP : pathogen-associated
molecular patterns) de celles-ci peuvent diffuser librement au travers de ces organes. Plusieurs
récepteurs des PAMP sont exprimés de façon constitutive dans les OPV. A la suite d’une
simple injection systémique de LPS, la transcription des cytokines pro-inflammatoires est
d’abord activée dans ces structures dépourvues de BHE. Le LPS circulant entraîne lui aussi
une forte augmentation de l’expression des gènes codant pour le CD14, le TLR2, plusieurs
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cytokines et chemokines ainsi que les protéines du système du complément dans les OPV et
progressivement dans l’ensemble du cerveau (15, 16). Cette vague inflammatoire via des
cellules microgliales du SNC se fait par le biais de molécules solubles qui prennent le relais
afin d’activer la population de cellules immunitaires du cerveau. Le TNF-α est responsable de
cette action et active la microglie du parenchyme cérébral. Injecté dans le ventricule latéral, il
stimule l’activité transcriptionnelle des gènes inflammatoires dans les cellules microgliales du
parenchyme cérébral (17). L’inhibition du TNF abolirait les effets du LPS systémique sur la
réponse immunitaire intra-cérébrale. Les récepteurs transmembranaires CD14 et TLR4 de la
surfacesdes cellules monocytaires, installées dans les régions non protégées par la BHE,
forment un complexe avec le LPS et une protéine My88 qui amorce la signalisation pro-
inflammatoire et l’activité transcriptionnelle dont le TNF-α. Ce dernier active en retour la
signalisation NF-κβ et la transcription de gènes dans les cellules microgliales adjacentes. La
production cérébrale de TNF-α est essentielle à l’activation des cellules microgliales du
parenchyme lors d’une endotoxinémie sévère. Cette réaction organisée et coordonnée des
cellules phagocytaires propres au cerveau pourrait être déterminante dans la protection des
différents éléments neuronaux au cours de l’infection.
LA DOUBLE REPONSE IMMUNITAIRE DANS LE CERVEAU
L’expression constitutive dans le cerveau du CD14 et du TLR2 dans les OPV et leur forte
induction dans le parenchyme cérébral après une injection systémique de LPS tendraient à
prouver que ces molécules jouent un rôle dans la protection des cellules neuronales contre les
PAMP. Les macrophages et la microglie sont positionnés de façon stratégique pour répondre
rapidement à l’endotoxine circulante ou aux bactéries. L’altération de la BHE durant les
infections sévères et les traumatismes cérébraux permet la diffusion de molécules qui
normalement n’auraient pas accès aux éléments du parenchyme cérébral. L’activation de la
microglie peur mener rapidement à l’élimination des PAMP, mais une activité soutenue des
cellules de la microglie peut avoir des effets néfastes pour certains éléments du cerveau. C’est
ce qui a été observé dans un modèle expérimental d’encéphalomyélite autoimmune chez la
souris où l’on observe une forte expression des gènes codant pour le CD14 et le TLR2 (18).
Cette maladie démyélinisante, modèle de sclérose en plaques, d’origine immunologique,
serait associée à une stimulation chronique en rapport avec la production de molécules
inflammatoires. Une induction de TLR2 a aussi été retrouvée après une lésion du cortex
cérébral, une méningite virale et au cours de la sclérose latérale amyotrophique (19). Les
gènes codant pour les protéines du système immunitaire ne sont pas seulement induits par les
PAMP, mais aussi par une lésion du cerveau ou bien par une maladie neurodégénérative.
L’expression des gènes immunitaires ne précède pas nécessairement les phénomènes de
dégénérescence mais pourrait faire suite à un traumatisme ou à la mort cellulaire.
Les effets neurotoxiques du LPS ont été rapportés dans certaines études (20). Cependant tous
les neurones n’ont vraisemblablement pas la même sensibilité (21). Il est possible que des
populations particulières de neurones soient plus sensibles aux molécules inflammatoires et
que les cellules microgliales et les facteurs qu’elles sécrètent soient néfastes pour certains
neurones. Ceci est particulièrement vrai lorsque le tissu cérébral est exposé à de fortes
concentrations de LPS comme au cours des méningites chez l’enfant. La réponse
inflammatoire et son expression est souvent très importante et le cerveau plus vulnérable à
l’agression. Ainsi, en présence de LPS, le cerveau de jeunes rats est plus vulnérable à de
courtes périodes d’hypoxie/ischémie, qui normalement n’entraînent pas de dommages
cérébraux (22).
Après une lésion du tissu nerveux, les cytokines sont produites très rapidement par les cellules
microgliales. Le TNF-α et l’IL-1β sont les deux principales cytokines produites par la
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microglie du parenchyme adjacent au site lésionnel. La sécrétion d’ IL-1β par la microglie a
pour effet de stimuler les astrocytes qui, en retour produisent des facteurs neurotrophiques :
NGF (nerve growth factor), CNTF (ciliary neurothrophic factor) et IGF-1 (insulin-like growth
factor 1) (23,24,25). Ces facteurs neurotrophiques interviennent dans le processus de
remyélinisation en facilitant la maturation des cellules souches du cerveau jusqu’au stade
d’oligodendrocyte. Le TNF-α n’interviendrait pas pour participer à la stimulation de la
sécrétion de tous les facteurs neurotrophiques. Celui-ci agirait sur la microglie de manière
autocrine et paracrine. Par ailleurs, il pourrait jouer un rôle néfaste en favorisant l’apoptose
des oligodendrocytes et en empêchant la remyélinisation. Cependant, des résultats
contradictoires montreraient que le TNF-α, s’il entraîne un important retard de
remyélinisation, exerce aussi des effets réparateurs par son action sur son récepteur TNFR2
(26).
Ainsi, les effets des cytokines dans les processus de demyélinisation et de remyélinisation
apparaissent complexes. Par exemple, dans un modèle de sclérose en plaques, le TNF agirait
en synergie avec d’autres cytokines, comme l’interféron γ, pour léser les neurones et d’autres
cellules (27).
LA MICROGLIE
La principale caractéristique des cellules de la microglie est la rapidité de leur activation en
réponse aux événements pathologiques mineurs intra-cérébraux (28). L’activation de la
microglie est un facteur clé dans le système de défense du parenchyme cérébral contre
l’infection, l’inflammation, les traumatismes, l’ischémie, les tumeurs et les pathologies
neurodégénératives. Son activation peut intervenir très précocement après une agression et
précéder toutes autres réactions cérébrales (29).
In vivo, l’activation de la microglie se fait par étapes successives. La section extra-crânienne
du nerf facial, expérimentalement, active la microglie sans activer les astrocytes (30). La
microglie prolifère et exprime plusieurs marqueurs moléculaires : des marqueurs moléculaires
d’origine macrophagique comme le récepteur C3 du complément, du TNF-α et des molécules
d’adhésion (31). Elle exprime aussi le précurseur de la protéine amyloïde (APP), suggérant
son rôle dans les processus de neurodégénérescence (32). Par ailleurs, celle-ci est capable
d’exprimer du mRNA pour le TGF-β1, cytokine qui joue un rôle dans les processus de
réparation cellulaire (32). Dans un deuxième temps, la microglie se transforme en cellules
phagocytaires, cellules appelées macrophages cérébraux dérivés de la microglie,
potentiellement cytotoxiques (33). Cet effet, cytotoxique vis-à-vis des neurones sains ou en
cours de régénération n’est pas démontré in vivo.
La transformation de la microglie en cellules potentiellement cytotoxiques est contrôlée et
intervient principalement en réponse à la dégénérescence neuronale et/ou terminale. Un
certain nombre de facteurs mitogènes de la microglie ont été identifiés : multi-CSF (IL3),
granulocyte-macrophage CSF (GM-CSF) et macrophage-CSF (M-CSF) qui peuvent
influencer la prolifération, la morphologie et la différenciation fonctionnelle (34). Les facteurs
intervenant comme signal inter-cellulaire ne sont pas connus précisément connus. Cependant,
le facteur de transcription NF-κβ intervient dans l’orientation de la transformation microglie-
macrophage au cours de l’encéphalite allergique (35).
Les cellules activées de la microglie ont pour principal but le nettoyage, mais elles jouent
aussi un rôle fondamental dans les processus de réparation et régénération neuronaux. La
microglie activée est capable de détruire les microorganismes, détruire les débris
potentiellement délétères, promouvoir la réparation cellulaire en sécrétant des facteurs de
croissance et faciliter le retour à l’homéostasie. La microglie activée est capable de sécréter
des substances cytotoxiques comme du NO, des radicaux libres de l’oxygène, des protéases,
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