STUDIA CAROLIENSIA 2004. 3–4 . SZÁM 53–61. MIHAI MAXIM UN DOCUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT LE PRINCE FRANÇOIS RÁKÓCZI II 01. Le document que j’ai le plaisir de présenter ici * est tiré de Başbakanlık Osmanlı Arşivi ( Les Archives Ottomanes près de la Présidence du Conseil) d’İstanbul (en abrégé: BOA), les anciennes archives du Grand Vizirat et, sans doute, les plus riches archives ottomanes du monde. Dans les années 1970, on parlait de 100 millions de documents conservés ici, 1 mais maintenant on parle de 150 millions 2 de pièces (plus précisément: d’unités arhivistiques), dont seulement un tiers a été catalogué et mis à la disposition des chercheurs. Je suis convaincu qu’un jour, non trop éloigné, on parlera de 200 millions d’unités archivistiques. L’accroissement accéléré du rythme de classification des archives ottomanes est dû, sans conteste, à la « révolution archivistique » qui a eu lieu dans les années ’80 du siècle passé, au temps du mandat de premier-ministre (puis et de président) de Turgut Özal. Avec la participation personnelle de celui-ci, on a organisé à İstanbul une grande réunion des spécialistes, avec le Professeur Halil İnalcık, « le doyen des études ottomanes dans le monde entier », en tête, et on a décidé de majorer le nombre des archivistes engagés à BOA de 30 personnes à plus de 300 personnes (on parle même des chiffres plus grands). On a procédé à l’introduction généralisée de l’évidence computerisée. Comme résultat, un nombre imposant des catalogues nouveaux (quelques dizaines) ont été mis à la disposition des chercheurs (il s’agit d’une véritable « avalanche » de ces nouveaux catalogues). * 1 2 D’autres documents ottomans nouveaux concernant les contemporains roumains du Prince Rákóczi à savoir Constantin Brâncoveanu, le Prince de Valachie (1688–1714), Antioh Cantemir, le Prince de Moldavie (1695–1700 et 1705–1707), et son frère, le fameux historien de l’Empire ottoman, Dimitrie Cantemir, le Prince de Moldavie (1693, 1710–1711), communiqués aux participants du Symposium, ont été déjà publiés dans: Mihai Maxim, Romano-Ottomanica. Essays & Documents from the Turkish Archives, The ISIS Press, İstanbul, 2001, pp. 173–197, et idem, « Brâncoveanu şi Cantemireştii. Documente noi din arhivele turceşti (Brâncoveanu et les Cantemir. Nouveaux documents des archives turques) », in: Arta istoriei. Istoria artei. Academicianul Răzvan Theodorescu la 65 de ani (L’art de l’histoire. L’histoire de l’art. Răzvan Theodorescu, membre de l’Académie Roumaine, à 65 ans), Editura Enciclopedică, Bucureşti, 2004, pp. 125–137. Attila Çetin, Başbakanlık Arşivi Kılavuzu (Le Guide des Archives de la Présidence du Conseil), İstanbul , 1979, p. XI. İsmet Binark, in: Başbakanlık Osmanlı Arşivi Katalogları Rehberi (Le guide des catalogues des Archives Ottomanes de la Présidence du Conseil), Ankara, 1993, pp. III et XX. 54 MIHAI MAXIM La dernière grande réalisation des archivistes de BOA a été la classification des documents compris dans le grand fonds Hariciye (du Ministère des Affaires Étrangères), 3 qui contient toute la correspondance – pour la plupart en français! – entre la centrale de ce Ministère et ses offices diplomatiques et consulaires de l’étranger. 02. En travaillant des longues années (environ dix ans) dans ces archives e e fabuleuses, spécialement sur les relations roumano-ottomanes des XVI – XVII siècles, j’ai eu aussi la chance de trouver encore un nombre assez important des e e documents des XVIII – XIX siècles. Voilà, par exemple, une pièce inédite, que j’ai trouvée, par hasard, dans le fonds Âmedî, 4 et qui se réfère directement au Prince François Rákóczi II. Le document n’est pas bien conservé: sept lignes de celui-ci sont interrompues (plusieurs mots font défaut), à cause de la destruction du papier, ce qui pose des problèmes de lecture et de traduction. Le contenu même du texte n’apporte rien de spectaculaire sur le séjour du Prince dans le territoire ottoman ou sur ses relations avec les Ottomans. Mais, quoiqu’il en soit, je pense que chaque source nouvelle concernant cet héros de la guerre hongroise d’indépendance doit être salutaire et, de ce point de vue, ce document aussi doit être enregistrés par les historiens. a) Le document a été émis par la chancellerie Âmedî, l’une de 8 chancelleries du Divan Impérial (Divân-ı Hümâyûn), à côté de la Chancellerie du représentant du Grand Vizirat (Sadâret Kethüdası Kalemi), la Chancellerie des lettres (Mektubî Kalemi), la Chancellerie du Reis ül-Küttâb, c’est-à- dire du « chef des secrétaires », plus tard Reis Efendi, le ministre des affaires étrangères (Reis ül-Küttâb Kalemi), la Chancellerie du Çavuşbaşı ( Çavuşbaşı Kalemi), la Chancellerie du Beylikçi (Beylikçi Kalemi), la Chancellerie du Protocole (Teşrifatçılık Kalemi) et la Chancellerie du cadastre (Defterhâne-i ‘Âmire Kalemi). À Başbakanlık Osmanlı Arşivi il y a deux séries (collections) de cette chancellerie Âmedî: une série (organisée récemment par dossiers, où j’ai trouvé la pièce se référant à Rákóczi) avec des documents émis entre les années de l’Hégire 952–1186 / A.D. 1545–1772, et une autre (« normale ») pour les années de l’Hégire 1255-1341/ A.D. 1839–1923. 5 Le nom de cette chancellerie Âmedî vient du persan âmed (« arrivé ») et indique la mission principale de ce bureau, à savoir de s’occuper de la correspondance arrivée au Grand Vizirat.Quant à notre document,qui,comme on le verra, est un 3 4 5 BOA, fonds Hariciye Siyasî Kısmı ( La Section Politique du MAÉ), codifié : HR.SYS et Hariciye Hukukî Kısmı (La Section Juridique du MAÉ), codifié: HR.HKK. BOA, fonds Amedî (codifié: A.AMD), dosya 1, doc. no. 77. Başbakanlık Osmanlı Arşivi Katalogları Rehberi (Le guide des catalogues des Archives Ottomanes de la Présidence du Conseil), Ankara, 1995, pp. 61, 64. UN DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT 55 rapport sommaire (telhîs) élaboré par le Grand Vizir, il a été classifié dans la catégorie des documents appartenant à la chancellerie Âmedî, parce qu-il a été la conséquence d’une lettre arrivée au Grand Vizirat de la part de Rákóczi. b) La date du document n’est pas mentionnée dans le texte même du document ce qui nous cause beaucoup de difficultés. Selon le catalogue de BOA, le document date de l’année « 1132 » (A. H.), c’est-à-dire de l’intervalle 14.11.1719- 1.11.1720 (A.D.), sans d’autres explications (probablement, cette date a été établie par comparaison avec les documents du même paquet). Or, nous savons – grâce, par exemple, aux excellentes lettres de Mikes Kelemen, qui faisait part de la suite du Prince – qu’à ce moment-là Rákóczi et sa suite résidaient déjà, depuis environ deux ans, à Tekirdağ, sur les rives de la Mer de Marmara (après Büyükdere, Yeniköy, Beykoz et, de nouveau, Yeniköy). 6 Il est vrai, dans le texte il y a cette mention très importante: « hâlâ Edirne’de meks üzere olan Krâlzâde Rakoçi Ferenc tarafından », c’est –à –dire :« de la part du Prince Royal Râkóczi Ferencz qui maintenant est en train de séjourner à Edirne » . Or, le Prince fut « en train de séjourner à Edirne » avant le 28 octobre 1717, quand il est arrivé de France, via Gallipoli (Gelibolu), dans cette ancienne capitale ottomane, où il a résidé environ dix mois, jusqu’au 16 août 1718. Alors il arrivait pour la première fois dans l’Empire ottoman, sur l’invitation ottomane et muni d’une lettre impériale (nâme-i hümâyûn) émise à la fin de 1716, 7 en pleine guerre habsbourg-ottomane. Même un dignitaire ottoman, Küçük Bahrî Ağa, l’un des grands portiers (au sing. kapucıbaşı), a été envoyé en France, pour louer un navire et s’occuper d’autres détails techniques et politiques, 8a afin d’assurer le voyage en pleine sûreté du Prince, dont l’arrivée dans le territoire ottoman était attendue et désirée, comme pièce importante contre les Habsbourg Au contraire, la lecture de notre document laisse l’impression que cette visite du Prince à Edirne fût cette fois-ci un événement imprévu, même indésirable, qui pourrait créer des difficultés politiques. En tout cas, Rákóczi a demandé, selon le notre document, un sauf-conduit (…‘ahd kâ’imesi), duquel il n’aurait pas besoin s’il arriverait directement de France (il en avait une lettre impériale). Conformément au même document,le Prince venait à Edirne « pour (régler) ses 6 7 8a Mikes, Kelemen, Scrisori din Turcia (Lettres de Turquie), Editura Kriterion, Bucureşti, 1980, p. 17–36. Ahmed Refik (Altınay), Memâlik-i Osmâniyede Kral Rakoçi ve tevâbi-i (Le Roi Rákóczi et ses sujets dans l’Empire ottoman), İstanbul , Hilâl Matbaası, 1333 (A.D. 1915), doc. no. 6, de la première décade (evâil) du mois de Muharrem 1129/ 16.12. - 25. 12. 1716). M. Tayyib Gökbilgin, « Rákóczi Ferenc II.ve Osmanlı Devleti Himâyesinde Macar Mültecileri » (Rákóczi Ferenc II. et les réfugiés hongrois sous la protection de l’Empire ottoman), TürkMacar Kültür Münasebetleri Işığı Altında II.Rákóczi Ferenc ve Macar Mültecileri Sempozyumu (31 Mayis- 3 Haziran 1976) İstanbul Üniversitesi Edebiyat Fakültesi/Rákóczi Ferencz II and the Hungarian Refugees in the Light of Turco-Hungarian Cultural Relations (31 May-3 June 1976). University of İstanbul, Faculty of Letters, İstanbul, 1976, pp. 1–17. 8bis Voir infra la note 19. 56 MIHAI MAXIM quelques affaires » (ba‘zı umûru içün). Or, en 1716–1717 les Ottomans savaient très bien qu-il arrivait pour une opération politique et militaire importante, à savoir la participation à la guerre contre les Habsbourg et, en cas de victoire, la restauration du royaume de Hongrie, vassal à l’Empire ottoman. Le Prince luimême déclarait en mai 1718 qu’il est « venu ici pour exécuter un projet qui intéressait toute l’Europe » Donc, la critique interne du texte, coroborée avec conjoncture politique et militaire de ces deux moments (1716–1717 et 1719–1720), nous conduit vers la confirmation de la date établie par les archivistes de Başbakanlık Osmanlı Arşivi ( « 1132 »/1719–1720). Pour anticiper mon opinion sur la signification du document: on peut supposer que le Prince, isolé depuis deux ans à Tekirdağ, pour ne déranger pas les Impériaux, après la signature de la paix de Passarowitz (21 juillet 1718), a décidé de faire une sorte de « Blitzbesuch » à Edirne, pour régler quelques affaires (personnelles), un projet qui a pris à l’improviste les autorités ottomanes. c) Notre pièce appartient à la catégorie des documents dits telhîs, c’està-dire des rapports-sommaires adressés au Sultan de la part du Grand Vizir, du Grand Defterdar (responsable des Finances) ou d’autres hauts dignitaires ottomans par l’intermède du Grand Vizir. Étant adressés à l’Empereur lui-même, ils sont écrits en caractères très lisibles (en nesih ou, parfois, en divanî). On peut les reconnaitre très facilement par la formule d’introduction: ‘arz- ı bende-i bîmikdâr budur ki (« le rapport de <cet> esclave insignifiant est le suivant ») et aussi par la formule de conclusion: emr ü fermân şevketlü, kerâmetlü, kudretlü (Efendim) âdişâhımuñdur (« l’ordre et le commandement appartiennent à mon majestueux, généreux, puissant Seigneur, l’Empereur »). Dans ce cas il s’agit d’un rapport adressé au Pâdişâh par le Grand Vizir,le fameux Nevşehirli Damad Ibrahim Pacha (en fonction: 1718–1730), l’un des plus grands hommes d’État de l’histoire ottomane. d) Le contenu du document est extrêmement bref, mais, malgré cela, difficile à lire et traduire en détail, vu le manque de plusieurs mots ou lettres (signalé antérieurement), spécialement dans quelques passages essentiels. Après des louanges adressées, en style oriental très coloré, au Padichah, l’auteur du rapport fait l’exposé du problème concernant Rákóczi, en attendant la décision impériale, quoi qu’il en soit. Toujours comme dans les autres telhîs, en haut du document se trouve cette décision, prise par le sultan Ahmed III (1703–1730), une décision apparemment amicale et positive, en fait hésitante et, semble-t-il, conditionnée par la réaction de l’ambassadeur autrichien. UN DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT 57 03. Mais voilà la translittération (en caractères latins) 8b et la traduction du texte (en caractères arabes): Translittération « (1) ‘Arz-ı bende-i bî-mikdâr budur ki: şekvet(lü, kerâmetlü)*, kudretlü, mehâbetlü Pâdişâhum, (2) Hakk-ı Sübhâne ve Te‘âla mübarek vücûd-u hümâyûn(ları ...) * sâlim ve zill-i memdûd-u merhametleri kâffe-i cihâniyân ile üzerimde dâ’im ve kâ’im eyliye (3), âmin bi’l-Nebi el-âmin, şevketlü, kerâmetlü Efendim, hâlâ Edirnede meks üzere olan Kralzâde Rakoçi Ferenc tarafından ( 4) ba‘zı umûru içün iltimâs ve ricâ-i ...* ‘ahd kâ’imesi ma‘ruz-u Rikâb-ı müstetâb-ı cihândârıları kılındı (5) manzûr-u hümâyûnları buyuruldukda ne yüzden fermân-ı hümâyûnları şerif sudûr bulur ise olbâbda emr ü fermân (6) şevketlü, kerâmetlü, kudretlü Efendim Pâdişâhımuñdur. » La résolution du Padichah Ahmed III (en haut du document, à gauche): « (1)….* zir âsaf-ı nazîr tarafına i‘lâm-ı hâl eyliyesüñ (2) ne v(ecihle? )* cevâbı gelürse mücebince ‘amel idesüñ (3)Kral-ı 9 mezküre cevâb olmak üzere “her mu‘avetiñizin (4) tedâriki küllîsi Vezir-i Azam tarafından görülüb (5) evâmir-i şerifleri gelmek üzeredir”diyü cevâb (6) gönderesüñ. » Traduction « Le rapport(‘arz) de (cet) esclave insignifiant 10 est le suivant: Mon majesteux,généreux,(puissant*),auguste Padichah (Pâdişâhum), 11 que Dieu très glorieux et très haut (conserve) en bonne santé Votre corps sacré, que l’ombre prolongée de Votre compassion fasse grâce à tout le monde et à moi !Amen (âmin) !Avec (la grâce du) Prophet amen! Mon majesteux,généreux Seigneur (Efendim), 8b Selon les normes de l’alphabet turc actuel. * Manque des mots ou des lettres dans le texte. 9 Le padichah a écrit cet izâfet persan dans cette forme: kral-ı mezkür. 10 Le Grand Vizir Nevşehirli Damad İbrahim Paşa (en poste:1718–1730). Sur celui-ci voir İsmail Hakki Uzunçarşılı, Osmanlı Tarihi (Histoire de l’Empire ottoman), IV. cilt, 2. kısım, 2. baskı, TTK Basımevi, Ankara, 1983, pp. 310–316; M. Münir Aktepe, l’art. « Ibrahim Pasha, Nevshehirli », dans Encyclopaedia of Islam. New edition, III, 1986, pp. 1002–1003. 11 Ahmed III (1703–1730). Voir H. Bowen, « Ahmad III », dans Encyclopaedia of Islam. New edition, I, 1986, pp. 268–271. 58 MIHAI MAXIM De la part du Prince Royal (Kralzâde) Rákóczi Ferencz (Rakoçi Ferenc), qui est en train de séjourner (meks üzere) à Edirne, on a fait au bel Étrier ( Rikâb) du Monarque du Monde une pétition (ma‘ruz) concernant sa sollicitation et requête (iltimâs ve ricâ) (de recevoir*) un sauf-conduit (‘ahd kâ’imesi) 12 pour (régler) ses quelques affaires (ba‘zı umûru içün). Quand Votre Majesté Impériale procédera à l’examen (du problème), quoiqu’il en soit Sa Décision Impériale (fermân-ı hümâyûnları) à prendre, l’ordre et le commandement appartiennent à mon majesteux, généreux, puissant Seigneur l’Empereur (Efendim Pâdişâhımuñdur). » La décision d’Ahmed III (en haut, à gauche): « Tu informeras sur la situation le Ministre (âsaf) de l’autre côté (nazîr) 13 et de quelle manière arrivera sa réponse, c’est ainsi que tu procéderas. Pour répondre au-dit Roi, tu enverras (telle) réponse en disant: ”Tous les préparatifs concernant Votre assistance se font par le Grand Vizir et les ordres sacrés (Impériaux) sont en train d’arriver”. » 04. Commentaire. L’importance du document comme source historique sur les rapports entre Rákóczi et les autorités ottomanes après la conclusion de la paix de Passarowitz. À mon avis, le document relève d’une manière très claire la situation du Prince dans l’Empire ottoman après Passarowitz: d’une part les Ottomans, le Padichah en tête, ont continué de lui donner l’hospitalité et l’attention, en restant fidèles à la conduite communiquée par Ahmed III lui-même au Prince au cours de l’audience accordée le 4 janvier 1718 à Edirne: « Devlet-i Aliyeme gelen musafirlere ri‘âyet olunagelmişdür, sana dâhi ziyâdesiyle olunacağı mukarrerdür »(« Honorer les hôtes qui viennent dans mon Empire est devenue une habitude, pour toi aussi on a décidé la même chose »). 14 On peut retrouver cette attention dans notre document: le Sultan s’empresse de répondre au Prince, par l’intermède du Grand Vizir, selon le protocole, dans une très longue résolution (d’habitude les décisions impériales consistaient en un ou quelques 12 13 14 Voir J. Schacht, « ‘Ahd », dans Enc. of Islam. New ed., I, 1986, pp. 255; idem, « ‘Amân », dans Enc. of Islam. New ed., I, p. 429–430; R. H. Davison, « Kâ’ime », dans Enc.of Islam. New ed., IV, p. 460. Qui est placé dans la partie opposée, en face (nazîr). Il s’agit, semble-t-il, de l’ambassadeur autrichien, qui était placé « dans la partie opposée » non seulement géographiquement (sa résidence de Pera se trouvait en face de Topkapı, de l’autre côté du Corne d’Or), mais surtout politiquement par rapport à la Porte et surtout à Rákóczi. Voir le Commentaire. Hammer, GOR, VII, Pest, 1831, p. 227. Le Sultan ajoutait qu« il n’y a aucune doute qu’il (le Prince) trouvera du respecte et de l’assistance dans mon Empire » ( ibidem). UN DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT 59 mots), en assurant Rákóczi qu’il appelle « Roi » (Krâl), tandis que le Grand Vizir le nomme seulement « Prince Royal » (Krâlzâde), de toute l’assistance ottomane, dont les préparatifs seront survéillés par son « représentant absolu » (vekil-i mutlak), le Grand Vizir (« tous les préparatifs concernant Votre assistance se font par le Grand Vizir »). Il lui fait aussi savoir que les ordres impériaux formels, écrits, dans ce sens, sont en train de lui parvenir (« et les ordres sacrés sont en train d’arriver »). De même, l’importance du personnage (l’auteur de la supplique) et de l’affaire résulte du fait que le Padichah lui-même écrit le projet de la réponse (ordinairement c’était le devoir du Grand Vizir d’en faire ça). D’autre part, la conclusion du traité de paix (pour 24 ans), qui stipulait dans l’article 15 l’établissement de Rákóczi et d’autres « rebelles » (contre l’Empereur de Vienne) dans un endroit « éloigné » de la frontière habsbourgottomane, 15 a obligé les autorités ottomanes non seulement à transférer les réfugiés d’Edirne à Yeniköy et d’ici à Tekirdağ (Rodosto), mais aussi à procéder à une sorte de surveillance permanente des actions et initiatives du Prince, afin d’éviter l’irritation de la Cour de Vienne et des complications diplomatiques, surtout après le changement de la conjoncture internationale (la formation de l’alliance entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et l’Autriche ). 16 C’est pourquoi ils ont même décidé de ne permettre au Prince de sortir des territoires ottomanes et de partir pour la France, la Moscovie, etc, selon des projets imaginés par cet « exilé forcé ». Témoigne (entre autres) les rapports de l’ambassadeur français adressés à son Roi. Par exemple, le 20 septembre 1720, de Bonnac, qui d’ailleurs, sur les instructions du Roi, approuvait une telle décision, écrivait au Roi que les Turcs « ne laissent partir le Prince Rakoycy pour la Moscovie » et que « Le Grand Visir s’est expliqué avec moy de manière sur son Sujet que je suis persuadé que les Turcs retenant le Prince Rakoycy dans leurs États par vanité ou par de vues éloignéez,ils ne permettront point qu’il en sorte ». 17 En effet, les Ottomans retenaient Rákóczi non seulement « par vanité » (tenir la parole donnée par le Padichah concernant l’honneur et l’hospitalité accordées au Prince, par tous les moyens, y compris le paiement d’une pension très consistante à lui personnellement et à sa suite 17 bis , et respecter 15 Voir L’Histoire (Tarih) de Raşid, à l’époque l’historien officiel (vak‘a nüvis) de la Cour ottomane, dans Cronici turceşti privind Ţările Române (Chroniques turques concernant les Pays Roumains), III (volum întocmit de Mustafa A. Mehmet), Bucureşti, Editura Academiei, 1980, p. 241. 16 K. Mikes, Türk Mektupları (Törökországi levelek), Sadettin Karatay tarafından tercüme edilmiştir, Maarif Matbaası, Ankara, 1944, p. 92 17 Angyal Dávid, Adalékok II. Rákóczi Ferencz Törökországi Bujdosása Történetéhez. Franczia Levéltári Közleményekkel, Budapest, Athenaeum, 1905, p. 86. 17 bis Le 6 Juin 1718, Mikes Kelemen écrivait d’Edirne,où les réfugiés résidaient déjà depuis six mois, que « notre Seigneur se trouve ici dans une grande estime; (le Grand Seigneur) nous 60 MIHAI MAXIM l’engagement solennel écrit, en 10 articles, c’est-à-dire l‘ahidnâme octroyé à lui le 12 Cemâzi II 1130 A.H./13 mai 1718 A.D., 18 quand le Grand Vizir le « pressait … de le suivre en campagne ») 19 , mais aussi « par de vues éloignéez », imposées par la raison d’État. Or, il est évident qu’après Passarowitz, comme je l’ai déjà dit, la Porte était intéressée de conserver la paix et, dans ce but, d’éviter toute complication possible, surtout en ce qui concerne ses relations avec la Cour de Vienne. 20 Selon William B.Slottman, « l’enthousiasme » ottoman pour l’action de Rákóczi a diminué même depuis 1708–1709: « When the Rebellion entered upon its last and most critical period in 1708, the Turks were in no mood to risk the gains they had made in the years of peace on such a quixotic venture. The time was long past for great political profit on a small military investment, the Hungarian Rebellion was simply not a good risk. Moreover, when Peter the Great’s victory at Pultava made him the only available candidate for the role deus ex machina as far as the Rebellion was concerned, the Turks began to lose the little enthusiasm they had once possessed for Rákóczi. The role of the peaceable Ahmed III should not be underestimated. Even at the very height of the crisis, he had managed to oppose any overt action in favor of the Hungarians. For the rest, it suited him to be courted by the 18 19 20 donne l’argent suffisant; les Français nous ont donné dans six ans( autant d’argent) que (les Turcs) nous donnent dans une seule année » (Mikes Kelemen, op. cit., édition roumaine, p. 34; édition turque, p. 32). Cette générosité a continué même après la paix de Passarowitz, à l’exception d’un bref intervalle (enregistré dans les raports du de Bonnac du 22 mars 1721 et du 26 février 1722), quand « la subsistance journalière » du Prince « avait été diminuée » de 66 piastres à 50 piastres, mais « rétablie » à l’ancien montant après la démarche de l’ambassadeur, si en croire celui-ci (apud Angyal Dávid, op. cit., pp. 88 et 95). Selon de Bonnac, cette pension ottomane n’était absolument vitale pour l’illustre éxilé (« le Prince Racoycy ayant des fonds considérables en France qui lui aidaient à se soutenir dans ce pays-ci »: ibidem, p. 95). Ce texte inédit a été récemment trouvé dans les Archives du Palais de Topkapı à İstanbul par mon collègue et ami Sándor Papp, qui le 19 Novembre 2004, à Budapest, a eu l’amabilité de me le montrer, pourquoi je lui suis très reconnaissant. Voir le rapport de l’ambassadeur français du 20 mai 1718 (apud Angyal Dávid, op. cit., p. 75). De Bonnac ajoute que le Prince « qui conduit ses affaires avec plus de hauteur que sa situation présente ne le permet lui ayant déclaré qu’il ne le pouvait pas le suivre qu’il ne fut assuré de la volonté du Grand Seigneur par un traité »; « Je lui ai dit naturellement qu’il me paraissait qu’il devrait modérer ses demandes mais il m’a repondu qu’étant venu ici pour éxecuter un projet qui intéressait toute l’Europe, il ne pouver rien rabattre de ses prétensions … » (ibidem). Il faut admettre que cette discussion (ou « conférence que nous avons eu ensemble à la proménade », comme l’appelle de Bonnac) a eu lieu en effet avant le 13 mai 1718, la date de l’émission de l‘ahdnâme. Voir Ivan Parvev, Habsburgs and Ottomans between Vienna and Belgrade (1683–1739), East European Monographs, Boulder, distributed by Columbia University Press, New York, 1995, passim. UN DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT 61 leading powers of Europe at the same time that his Empire slowly made its convalescence from the disastrous war with the Holy League. » 21 Le Prince Rákóczi, comme homme d’État, comprenait lui-même ces choses. Par exemple, le 20 mars 1720, quand le Grand Vizir a fait savoir au Prince qu’il serra transféré d’Yeniköy dans un autre endroit (Tekirdağ), Mikes Kelemen notait que « notre Seigneur a reçu cette nouvelle avec calme et ce changement ne l’a pas surpris (…) ;il a compris que ce changement n’est pas venu de la part de la Porte, mais de la part de cet ambassadeur (autrichien – M. M.) qui travaille contre nos intérêts. » 22 D’ailleurs, l’ombre menaçant de l’ambassadeur de la Cour de Vienne est toujours présent dans les lettres de Mikes 23 . À son tour,de Bonnac écrivait au Cardinal Du Bois le 19 mars 1722 concernant l’arrivée à Tekirdağ d’ « une espèce de courrier » de la part de la Princesse Rákóczi, que « son arrivée aura donné sans doute quelques soupçons au Résident de l’Empereur … ». 24 De même, la retenue par les autorités ottomanes de l’illustre rebelle anti-Habsbourg était destinée à créer un instrument de pression et de réserve dans l’atteinte d’une conjoncture favorable à la révanche 24bis . Dans ce contexte, donc, tous les projets du Prince d’aller en France, à Moscou, en pélerinage à Jérusalem 25 ou même à Edirne (ainsi qu’il résulte de notre document) étaient condamnés à échouer. L’échec du dernier projet, probablement tenu secret par Rákóczi est confirmé par le fait que ni Mikes, ni Rashid, ni de Bonnac n’en avaient connaissance. Pour conclure : le nouveau document témoigne d’une intention inachevée du Prince Rákóczi, probablement de l’an 1719–1720, vu la conjoncture politique défavorable. Rappelons que la Russie aussi a eu une conduite similaire envers le Prince rebelle anti-ottoman Démètre Cantemir après 1711: une fois que la paix de Prut avec la Porte a été signée, l’incomode « ami » a été transféré de Harkov à Moscou,plus éloigné de la frontière ottomane, et d’ici à Sant-Petersbourg. « Il n’y a pas des amis éternels,il y a seulement des intérêts éternels », disait Lord Palmerston au XIXe siècle en se réferrant à la politique étrangère britannique. Mots valables pour la politique de toutes les puissances guidées par la raison d’État. Explication pour les fac-similés: 21 William B. Slottman, Ferenc II Rákóczi and the Great Powers, East European Monographs, (Boulder, distributed by Columbia University Press), New York, 1997, p. 366. 22 K. Mikes, Türk Mektupları, pp. 71–72. 23 Ibidem, p. 66, etc. 24 Angyal Dávid, op. cit., p. 96–97. 24bis Ibidem, passim. 25 Ibidem, p. 95 (de Bonnac au Cardinal Du Bois, le 26 février 1722). 62 MIHAI MAXIM Başbakanlık Osmanlı Arşivi (BOA) = Archives Ottomanes de la Présidence du Conseil, İstanbul , fonds Âmedî (codifié: A. AMD), dosya 1, doc. no. 77, probablement de l’an 1132/14. 11. 1719- 1. 11. 1720, concernant l’intention du Prince Rákóczi de venir á Edirne « pour (régler) ses quelques affaires ».