MAXIM, MIHAI

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STUDIA CAROLIENSIA
2004. 3–4 .
SZÁM
53–61.
MIHAI MAXIM
UN DOCUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT LE PRINCE
FRANÇOIS RÁKÓCZI II
01. Le document que j’ai le plaisir de présenter ici * est tiré de
Başbakanlık Osmanlı Arşivi ( Les Archives Ottomanes près de la Présidence
du Conseil) d’İstanbul (en abrégé: BOA), les anciennes archives du Grand
Vizirat et, sans doute, les plus riches archives ottomanes du monde. Dans les
années 1970, on parlait de 100 millions de documents conservés ici, 1 mais
maintenant on parle de 150 millions 2 de pièces (plus précisément: d’unités
arhivistiques), dont seulement un tiers a été catalogué et mis à la disposition des
chercheurs. Je suis convaincu qu’un jour, non trop éloigné, on parlera de 200
millions d’unités archivistiques. L’accroissement accéléré du rythme de
classification des archives ottomanes est dû, sans conteste, à la « révolution
archivistique » qui a eu lieu dans les années ’80 du siècle passé, au temps du
mandat de premier-ministre (puis et de président) de Turgut Özal. Avec la
participation personnelle de celui-ci, on a organisé à İstanbul une grande réunion
des spécialistes, avec le Professeur Halil İnalcık, « le doyen des études
ottomanes dans le monde entier », en tête, et on a décidé de majorer le nombre
des archivistes engagés à BOA de 30 personnes à plus de 300 personnes (on
parle même des chiffres plus grands). On a procédé à l’introduction généralisée
de l’évidence computerisée. Comme résultat, un nombre imposant des
catalogues nouveaux (quelques dizaines) ont été mis à la disposition des
chercheurs (il s’agit d’une véritable « avalanche » de ces nouveaux catalogues).
*
1
2
D’autres documents ottomans nouveaux concernant les contemporains roumains du Prince
Rákóczi à savoir Constantin Brâncoveanu, le Prince de Valachie (1688–1714), Antioh
Cantemir, le Prince de Moldavie (1695–1700 et 1705–1707), et son frère, le fameux historien
de l’Empire ottoman, Dimitrie Cantemir, le Prince de Moldavie (1693, 1710–1711),
communiqués aux participants du Symposium, ont été déjà publiés dans: Mihai Maxim,
Romano-Ottomanica. Essays & Documents from the Turkish Archives, The ISIS Press,
İstanbul, 2001, pp. 173–197, et idem, « Brâncoveanu şi Cantemireştii. Documente noi din
arhivele turceşti (Brâncoveanu et les Cantemir. Nouveaux documents des archives turques) »,
in: Arta istoriei. Istoria artei. Academicianul Răzvan Theodorescu la 65 de ani (L’art de
l’histoire. L’histoire de l’art. Răzvan Theodorescu, membre de l’Académie Roumaine, à 65
ans), Editura Enciclopedică, Bucureşti, 2004, pp. 125–137.
Attila Çetin, Başbakanlık Arşivi Kılavuzu (Le Guide des Archives de la Présidence du Conseil),
İstanbul , 1979, p. XI.
İsmet Binark, in: Başbakanlık Osmanlı Arşivi Katalogları Rehberi (Le guide des catalogues des
Archives Ottomanes de la Présidence du Conseil), Ankara, 1993, pp. III et XX.
54
MIHAI MAXIM
La dernière grande réalisation des archivistes de BOA a été la classification des
documents compris dans le grand fonds Hariciye (du Ministère des Affaires
Étrangères), 3 qui contient toute la correspondance – pour la plupart en français!
– entre la centrale de ce Ministère et ses offices diplomatiques et consulaires de
l’étranger.
02. En travaillant des longues années (environ dix ans) dans ces archives
e
e
fabuleuses, spécialement sur les relations roumano-ottomanes des XVI – XVII
siècles, j’ai eu aussi la chance de trouver encore un nombre assez important des
e
e
documents des XVIII – XIX siècles. Voilà, par exemple, une pièce inédite,
que j’ai trouvée, par hasard, dans le fonds Âmedî, 4 et qui se réfère directement
au Prince François Rákóczi II. Le document n’est pas bien conservé: sept lignes
de celui-ci sont interrompues (plusieurs mots font défaut), à cause de la
destruction du papier, ce qui pose des problèmes de lecture et de traduction. Le
contenu même du texte n’apporte rien de spectaculaire sur le séjour du Prince
dans le territoire ottoman ou sur ses relations avec les Ottomans. Mais, quoiqu’il
en soit, je pense que chaque source nouvelle concernant cet héros de la guerre
hongroise d’indépendance doit être salutaire et, de ce point de vue, ce document
aussi doit être enregistrés par les historiens.
a) Le document a été émis par la chancellerie Âmedî, l’une de 8
chancelleries du Divan Impérial (Divân-ı Hümâyûn), à côté de la Chancellerie
du représentant du Grand Vizirat (Sadâret Kethüdası Kalemi), la Chancellerie
des lettres (Mektubî Kalemi), la Chancellerie du Reis ül-Küttâb, c’est-à- dire
du « chef des secrétaires », plus tard Reis Efendi, le ministre des affaires
étrangères (Reis ül-Küttâb Kalemi), la Chancellerie du Çavuşbaşı ( Çavuşbaşı
Kalemi), la Chancellerie du Beylikçi (Beylikçi Kalemi), la Chancellerie du
Protocole (Teşrifatçılık Kalemi) et la Chancellerie du cadastre (Defterhâne-i
‘Âmire Kalemi). À Başbakanlık Osmanlı Arşivi il y a deux séries
(collections) de cette chancellerie Âmedî: une série (organisée récemment par
dossiers, où j’ai trouvé la pièce se référant à Rákóczi) avec des documents émis
entre les années de l’Hégire 952–1186 / A.D. 1545–1772, et une autre («
normale ») pour les années de l’Hégire 1255-1341/ A.D. 1839–1923. 5 Le nom
de cette chancellerie Âmedî vient du persan âmed (« arrivé ») et indique la
mission principale de ce bureau, à savoir de s’occuper de la correspondance
arrivée au Grand Vizirat.Quant à notre document,qui,comme on le verra, est un
3
4
5
BOA, fonds Hariciye Siyasî Kısmı ( La Section Politique du MAÉ), codifié : HR.SYS et
Hariciye Hukukî Kısmı (La Section Juridique du MAÉ), codifié: HR.HKK.
BOA, fonds Amedî (codifié: A.AMD), dosya 1, doc. no. 77.
Başbakanlık Osmanlı Arşivi Katalogları Rehberi (Le guide des catalogues des Archives
Ottomanes de la Présidence du Conseil), Ankara, 1995, pp. 61, 64.
UN
DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT
55
rapport sommaire (telhîs) élaboré par le Grand Vizir, il a été classifié dans la
catégorie des documents appartenant à la chancellerie Âmedî, parce qu-il a été la
conséquence d’une lettre arrivée au Grand Vizirat de la part de Rákóczi.
b) La date du document n’est pas mentionnée dans le texte même du
document ce qui nous cause beaucoup de difficultés. Selon le catalogue de
BOA, le document date de l’année « 1132 » (A. H.), c’est-à-dire de l’intervalle
14.11.1719- 1.11.1720 (A.D.), sans d’autres explications (probablement, cette
date a été établie par comparaison avec les documents du même paquet). Or,
nous savons – grâce, par exemple, aux excellentes lettres de Mikes Kelemen, qui
faisait part de la suite du Prince – qu’à ce moment-là Rákóczi et sa suite
résidaient déjà, depuis environ deux ans, à Tekirdağ, sur les rives de la Mer de
Marmara (après Büyükdere, Yeniköy, Beykoz et, de nouveau, Yeniköy). 6 Il est
vrai, dans le texte il y a cette mention très importante: « hâlâ Edirne’de meks
üzere olan Krâlzâde Rakoçi Ferenc tarafından », c’est –à –dire :« de la part
du Prince Royal Râkóczi Ferencz qui maintenant est en train de séjourner à
Edirne » . Or, le Prince fut « en train de séjourner à Edirne » avant le 28 octobre
1717, quand il est arrivé de France, via Gallipoli (Gelibolu), dans cette ancienne
capitale ottomane, où il a résidé environ dix mois, jusqu’au 16 août 1718. Alors
il arrivait pour la première fois dans l’Empire ottoman, sur l’invitation ottomane
et muni d’une lettre impériale (nâme-i hümâyûn) émise à la fin de 1716, 7 en
pleine guerre habsbourg-ottomane. Même un dignitaire ottoman, Küçük Bahrî
Ağa, l’un des grands portiers (au sing. kapucıbaşı), a été envoyé en France, pour
louer un navire et s’occuper d’autres détails techniques et politiques, 8a afin
d’assurer le voyage en pleine sûreté du Prince, dont l’arrivée dans le territoire
ottoman était attendue et désirée, comme pièce importante contre les Habsbourg
Au contraire, la lecture de notre document laisse l’impression que cette visite du
Prince à Edirne fût cette fois-ci un événement imprévu, même indésirable, qui
pourrait créer des difficultés politiques. En tout cas, Rákóczi a demandé, selon le
notre document, un sauf-conduit (…‘ahd kâ’imesi), duquel il n’aurait pas
besoin s’il arriverait directement de France (il en avait une lettre impériale).
Conformément au même document,le Prince venait à Edirne « pour (régler) ses
6
7
8a
Mikes, Kelemen, Scrisori din Turcia (Lettres de Turquie), Editura Kriterion, Bucureşti, 1980,
p. 17–36.
Ahmed Refik (Altınay), Memâlik-i Osmâniyede Kral Rakoçi ve tevâbi-i (Le Roi Rákóczi et ses
sujets dans l’Empire ottoman), İstanbul , Hilâl Matbaası, 1333 (A.D. 1915), doc. no. 6, de la
première décade (evâil) du mois de Muharrem 1129/ 16.12. - 25. 12. 1716).
M. Tayyib Gökbilgin, « Rákóczi Ferenc II.ve Osmanlı Devleti Himâyesinde Macar Mültecileri
» (Rákóczi Ferenc II. et les réfugiés hongrois sous la protection de l’Empire ottoman), TürkMacar Kültür Münasebetleri Işığı Altında II.Rákóczi Ferenc ve Macar Mültecileri Sempozyumu
(31 Mayis- 3 Haziran 1976) İstanbul Üniversitesi Edebiyat Fakültesi/Rákóczi Ferencz II and
the Hungarian Refugees in the Light of Turco-Hungarian Cultural Relations (31 May-3 June
1976). University of İstanbul, Faculty of Letters, İstanbul, 1976, pp. 1–17.
8bis Voir infra la note 19.
56
MIHAI MAXIM
quelques affaires » (ba‘zı umûru içün). Or, en 1716–1717 les Ottomans savaient
très bien qu-il arrivait pour une opération politique et militaire importante, à
savoir la participation à la guerre contre les Habsbourg et, en cas de victoire, la
restauration du royaume de Hongrie, vassal à l’Empire ottoman. Le Prince luimême déclarait en mai 1718 qu’il est « venu ici pour exécuter un projet qui
intéressait toute l’Europe »
Donc, la critique interne du texte, coroborée avec conjoncture politique et
militaire de ces deux moments (1716–1717 et 1719–1720), nous conduit vers la
confirmation de la date établie par les archivistes de Başbakanlık Osmanlı
Arşivi ( « 1132 »/1719–1720). Pour anticiper mon opinion sur la signification du
document: on peut supposer que le Prince, isolé depuis deux ans à Tekirdağ,
pour ne déranger pas les Impériaux, après la signature de la paix de Passarowitz
(21 juillet 1718), a décidé de faire une sorte de « Blitzbesuch » à Edirne, pour
régler quelques affaires (personnelles), un projet qui a pris à l’improviste les
autorités ottomanes.
c) Notre pièce appartient à la catégorie des documents dits telhîs, c’està-dire des rapports-sommaires adressés au Sultan de la part du Grand Vizir, du
Grand Defterdar (responsable des Finances) ou d’autres hauts dignitaires
ottomans par l’intermède du Grand Vizir. Étant adressés à l’Empereur lui-même,
ils sont écrits en caractères très lisibles (en nesih ou, parfois, en divanî). On peut
les reconnaitre très facilement par la formule d’introduction: ‘arz- ı bende-i bîmikdâr budur ki (« le rapport de <cet> esclave insignifiant est le suivant ») et
aussi par la formule de conclusion: emr ü fermân şevketlü, kerâmetlü,
kudretlü (Efendim) âdişâhımuñdur (« l’ordre et le commandement
appartiennent à mon majestueux, généreux, puissant Seigneur, l’Empereur »).
Dans ce cas il s’agit d’un rapport adressé au Pâdişâh par le Grand Vizir,le
fameux Nevşehirli Damad Ibrahim Pacha (en fonction: 1718–1730), l’un des
plus grands hommes d’État de l’histoire ottomane.
d) Le contenu du document est extrêmement bref, mais, malgré cela,
difficile à lire et traduire en détail, vu le manque de plusieurs mots ou lettres
(signalé antérieurement), spécialement dans quelques passages essentiels.
Après des louanges adressées, en style oriental très coloré, au Padichah,
l’auteur du rapport fait l’exposé du problème concernant Rákóczi, en attendant
la décision impériale, quoi qu’il en soit.
Toujours comme dans les autres telhîs, en haut du document se trouve
cette décision, prise par le sultan Ahmed III (1703–1730), une décision
apparemment amicale et positive, en fait hésitante et, semble-t-il, conditionnée
par la réaction de l’ambassadeur autrichien.
UN
DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT
57
03. Mais voilà la translittération (en caractères latins) 8b et la traduction
du texte (en caractères arabes):
Translittération
« (1) ‘Arz-ı bende-i bî-mikdâr budur ki: şekvet(lü, kerâmetlü)*,
kudretlü, mehâbetlü Pâdişâhum, (2) Hakk-ı Sübhâne ve Te‘âla mübarek
vücûd-u hümâyûn(ları ...) * sâlim ve zill-i memdûd-u merhametleri kâffe-i
cihâniyân ile üzerimde dâ’im ve kâ’im eyliye (3), âmin bi’l-Nebi el-âmin,
şevketlü, kerâmetlü Efendim, hâlâ Edirnede meks üzere olan Kralzâde
Rakoçi Ferenc tarafından ( 4) ba‘zı umûru içün iltimâs ve ricâ-i ...* ‘ahd
kâ’imesi ma‘ruz-u Rikâb-ı müstetâb-ı cihândârıları kılındı (5) manzûr-u
hümâyûnları buyuruldukda ne yüzden fermân-ı hümâyûnları şerif sudûr
bulur ise olbâbda emr ü fermân (6) şevketlü, kerâmetlü, kudretlü Efendim
Pâdişâhımuñdur. »
La résolution du Padichah Ahmed III (en haut du document, à gauche):
« (1)….* zir âsaf-ı nazîr tarafına i‘lâm-ı hâl eyliyesüñ
(2) ne v(ecihle? )* cevâbı gelürse mücebince ‘amel idesüñ
(3)Kral-ı 9 mezküre cevâb olmak üzere “her mu‘avetiñizin
(4) tedâriki küllîsi Vezir-i Azam tarafından görülüb
(5) evâmir-i şerifleri gelmek üzeredir”diyü cevâb
(6) gönderesüñ. »
Traduction
« Le rapport(‘arz) de (cet) esclave insignifiant 10 est le suivant:
Mon majesteux,généreux,(puissant*),auguste Padichah (Pâdişâhum), 11
que Dieu très glorieux et très haut (conserve) en bonne santé Votre corps
sacré, que l’ombre prolongée de Votre compassion fasse grâce à tout le
monde et à moi !Amen (âmin) !Avec (la grâce du) Prophet amen!
Mon majesteux,généreux Seigneur (Efendim),
8b
Selon les normes de l’alphabet turc actuel.
* Manque des mots ou des lettres dans le texte.
9
Le padichah a écrit cet izâfet persan dans cette forme: kral-ı mezkür.
10
Le Grand Vizir Nevşehirli Damad İbrahim Paşa (en poste:1718–1730). Sur celui-ci voir İsmail
Hakki Uzunçarşılı, Osmanlı Tarihi (Histoire de l’Empire ottoman), IV. cilt, 2. kısım, 2. baskı,
TTK Basımevi, Ankara, 1983, pp. 310–316; M. Münir Aktepe, l’art. « Ibrahim Pasha,
Nevshehirli », dans Encyclopaedia of Islam. New edition, III, 1986, pp. 1002–1003.
11
Ahmed III (1703–1730). Voir H. Bowen, « Ahmad III », dans Encyclopaedia of Islam. New
edition, I, 1986, pp. 268–271.
58
MIHAI MAXIM
De la part du Prince Royal (Kralzâde) Rákóczi Ferencz (Rakoçi Ferenc),
qui est en train de séjourner (meks üzere) à Edirne, on a fait au bel Étrier (
Rikâb) du Monarque du Monde une pétition (ma‘ruz) concernant sa
sollicitation et requête (iltimâs ve ricâ) (de recevoir*) un sauf-conduit (‘ahd
kâ’imesi) 12 pour (régler) ses quelques affaires (ba‘zı umûru içün).
Quand Votre Majesté Impériale procédera à l’examen (du problème),
quoiqu’il en soit Sa Décision Impériale (fermân-ı hümâyûnları) à prendre,
l’ordre et le commandement appartiennent à mon majesteux, généreux, puissant
Seigneur l’Empereur (Efendim Pâdişâhımuñdur). »
La décision d’Ahmed III (en haut, à gauche):
« Tu informeras sur la situation le Ministre (âsaf) de l’autre côté
(nazîr) 13 et de quelle manière arrivera sa réponse, c’est ainsi que tu
procéderas. Pour répondre au-dit Roi, tu enverras (telle) réponse en disant:
”Tous les préparatifs concernant Votre assistance se font par le Grand Vizir et
les ordres sacrés (Impériaux) sont en train d’arriver”. »
04. Commentaire. L’importance du document comme source
historique sur les rapports entre Rákóczi et les autorités ottomanes après la
conclusion de la paix de Passarowitz.
À mon avis, le document relève d’une manière très claire la situation du
Prince dans l’Empire ottoman après Passarowitz: d’une part les Ottomans, le
Padichah en tête, ont continué de lui donner l’hospitalité et l’attention, en restant
fidèles à la conduite communiquée par Ahmed III lui-même au Prince au cours
de l’audience accordée le 4 janvier 1718 à Edirne: « Devlet-i Aliyeme gelen
musafirlere ri‘âyet olunagelmişdür, sana dâhi ziyâdesiyle olunacağı
mukarrerdür »(« Honorer les hôtes qui viennent dans mon Empire est devenue
une habitude, pour toi aussi on a décidé la même chose »). 14 On peut retrouver
cette attention dans notre document: le Sultan s’empresse de répondre au Prince,
par l’intermède du Grand Vizir, selon le protocole, dans une très longue
résolution (d’habitude les décisions impériales consistaient en un ou quelques
12
13
14
Voir J. Schacht, « ‘Ahd », dans Enc. of Islam. New ed., I, 1986, pp. 255; idem, « ‘Amân », dans
Enc. of Islam. New ed., I, p. 429–430; R. H. Davison, « Kâ’ime », dans Enc.of Islam. New ed.,
IV, p. 460.
Qui est placé dans la partie opposée, en face (nazîr). Il s’agit, semble-t-il, de l’ambassadeur
autrichien, qui était placé « dans la partie opposée » non seulement géographiquement (sa
résidence de Pera se trouvait en face de Topkapı, de l’autre côté du Corne d’Or), mais surtout
politiquement par rapport à la Porte et surtout à Rákóczi. Voir le Commentaire.
Hammer, GOR, VII, Pest, 1831, p. 227. Le Sultan ajoutait qu« il n’y a aucune doute qu’il (le
Prince) trouvera du respecte et de l’assistance dans mon Empire » ( ibidem).
UN
DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT
59
mots), en assurant Rákóczi qu’il appelle « Roi » (Krâl), tandis que le Grand
Vizir le nomme seulement « Prince Royal » (Krâlzâde), de toute l’assistance
ottomane, dont les préparatifs seront survéillés par son « représentant absolu »
(vekil-i mutlak), le Grand Vizir (« tous les préparatifs concernant Votre
assistance se font par le Grand Vizir »). Il lui fait aussi savoir que les ordres
impériaux formels, écrits, dans ce sens, sont en train de lui parvenir (« et les
ordres sacrés sont en train d’arriver »). De même, l’importance du personnage
(l’auteur de la supplique) et de l’affaire résulte du fait que le Padichah lui-même
écrit le projet de la réponse (ordinairement c’était le devoir du Grand Vizir d’en
faire ça).
D’autre part, la conclusion du traité de paix (pour 24 ans), qui stipulait
dans l’article 15 l’établissement de Rákóczi et d’autres « rebelles » (contre
l’Empereur de Vienne) dans un endroit « éloigné » de la frontière habsbourgottomane, 15 a obligé les autorités ottomanes non seulement à transférer les
réfugiés d’Edirne à Yeniköy et d’ici à Tekirdağ (Rodosto), mais aussi à procéder
à une sorte de surveillance permanente des actions et initiatives du Prince, afin
d’éviter l’irritation de la Cour de Vienne et des complications diplomatiques,
surtout après le changement de la conjoncture internationale (la formation de
l’alliance entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et l’Autriche ). 16 C’est
pourquoi ils ont même décidé de ne permettre au Prince de sortir des territoires
ottomanes et de partir pour la France, la Moscovie, etc, selon des projets
imaginés par cet « exilé forcé ». Témoigne (entre autres) les rapports de
l’ambassadeur français adressés à son Roi. Par exemple, le 20 septembre 1720,
de Bonnac, qui d’ailleurs, sur les instructions du Roi, approuvait une telle
décision, écrivait au Roi que les Turcs « ne laissent partir le Prince Rakoycy
pour la Moscovie » et que « Le Grand Visir s’est expliqué avec moy de manière
sur son Sujet que je suis persuadé que les Turcs retenant le Prince Rakoycy dans
leurs États par vanité ou par de vues éloignéez,ils ne permettront point qu’il en
sorte ». 17
En effet, les Ottomans retenaient Rákóczi non seulement « par vanité »
(tenir la parole donnée par le Padichah concernant l’honneur et l’hospitalité
accordées au Prince, par tous les moyens, y compris le paiement d’une pension
très consistante à lui personnellement et à sa suite 17 bis , et respecter
15
Voir L’Histoire (Tarih) de Raşid, à l’époque l’historien officiel (vak‘a nüvis) de la Cour
ottomane, dans Cronici turceşti privind Ţările Române (Chroniques turques concernant les
Pays Roumains), III (volum întocmit de Mustafa A. Mehmet), Bucureşti, Editura Academiei,
1980, p. 241.
16
K. Mikes, Türk Mektupları (Törökországi levelek), Sadettin Karatay tarafından tercüme
edilmiştir, Maarif Matbaası, Ankara, 1944, p. 92
17
Angyal Dávid, Adalékok II. Rákóczi Ferencz Törökországi Bujdosása Történetéhez. Franczia
Levéltári Közleményekkel, Budapest, Athenaeum, 1905, p. 86.
17 bis
Le 6 Juin 1718, Mikes Kelemen écrivait d’Edirne,où les réfugiés résidaient déjà depuis six
mois, que « notre Seigneur se trouve ici dans une grande estime; (le Grand Seigneur) nous
60
MIHAI MAXIM
l’engagement solennel écrit, en 10 articles, c’est-à-dire l‘ahidnâme octroyé à lui
le 12 Cemâzi II 1130 A.H./13 mai 1718 A.D., 18 quand le Grand Vizir le «
pressait … de le suivre en campagne ») 19 , mais aussi « par de vues éloignéez »,
imposées par la raison d’État. Or, il est évident qu’après Passarowitz, comme je
l’ai déjà dit, la Porte était intéressée de conserver la paix et, dans ce but, d’éviter
toute complication possible, surtout en ce qui concerne ses relations avec la Cour
de Vienne. 20 Selon William B.Slottman, « l’enthousiasme » ottoman pour
l’action de Rákóczi a diminué même depuis 1708–1709: « When the Rebellion
entered upon its last and most critical period in 1708, the Turks were in no
mood to risk the gains they had made in the years of peace on such a quixotic
venture. The time was long past for great political profit on a small military
investment, the Hungarian Rebellion was simply not a good risk. Moreover,
when Peter the Great’s victory at Pultava made him the only available
candidate for the role deus ex machina as far as the Rebellion was concerned,
the Turks began to lose the little enthusiasm they had once possessed for
Rákóczi. The role of the peaceable Ahmed III should not be underestimated.
Even at the very height of the crisis, he had managed to oppose any overt action
in favor of the Hungarians. For the rest, it suited him to be courted by the
18
19
20
donne l’argent suffisant; les Français nous ont donné dans six ans( autant d’argent) que (les
Turcs) nous donnent dans une seule année » (Mikes Kelemen, op. cit., édition roumaine, p. 34;
édition turque, p. 32). Cette générosité a continué même après la paix de Passarowitz, à
l’exception d’un bref intervalle (enregistré dans les raports du de Bonnac du 22 mars 1721 et du
26 février 1722), quand « la subsistance journalière » du Prince « avait été diminuée » de 66
piastres à 50 piastres, mais « rétablie » à l’ancien montant après la démarche de l’ambassadeur,
si en croire celui-ci (apud Angyal Dávid, op. cit., pp. 88 et 95). Selon de Bonnac, cette pension
ottomane n’était absolument vitale pour l’illustre éxilé (« le Prince Racoycy ayant des fonds
considérables en France qui lui aidaient à se soutenir dans ce pays-ci »: ibidem, p. 95).
Ce texte inédit a été récemment trouvé dans les Archives du Palais de Topkapı à İstanbul par
mon collègue et ami Sándor Papp, qui le 19 Novembre 2004, à Budapest, a eu l’amabilité de
me le montrer, pourquoi je lui suis très reconnaissant.
Voir le rapport de l’ambassadeur français du 20 mai 1718 (apud Angyal Dávid, op. cit., p. 75).
De Bonnac ajoute que le Prince « qui conduit ses affaires avec plus de hauteur que sa situation
présente ne le permet lui ayant déclaré qu’il ne le pouvait pas le suivre qu’il ne fut assuré de la
volonté du Grand Seigneur par un traité »; « Je lui ai dit naturellement qu’il me paraissait
qu’il devrait modérer ses demandes mais il m’a repondu qu’étant venu ici pour éxecuter un
projet qui intéressait toute l’Europe, il ne pouver rien rabattre de ses prétensions … » (ibidem).
Il faut admettre que cette discussion (ou « conférence que nous avons eu ensemble à la
proménade », comme l’appelle de Bonnac) a eu lieu en effet avant le 13 mai 1718, la date de
l’émission de l‘ahdnâme.
Voir Ivan Parvev, Habsburgs and Ottomans between Vienna and Belgrade (1683–1739), East
European Monographs, Boulder, distributed by Columbia University Press, New York, 1995,
passim.
UN
DOKUMENT OTTOMAN INÉDIT CONCERNANT
61
leading powers of Europe at the same time that his Empire slowly made its
convalescence from the disastrous war with the Holy League. » 21
Le Prince Rákóczi, comme homme d’État, comprenait lui-même ces choses.
Par exemple, le 20 mars 1720, quand le Grand Vizir a fait savoir au Prince qu’il
serra transféré d’Yeniköy dans un autre endroit (Tekirdağ), Mikes Kelemen
notait que « notre Seigneur a reçu cette nouvelle avec calme et ce changement
ne l’a pas surpris (…) ;il a compris que ce changement n’est pas venu de la part
de la Porte, mais de la part de cet ambassadeur (autrichien – M. M.) qui
travaille contre nos intérêts. » 22 D’ailleurs, l’ombre menaçant de l’ambassadeur
de la Cour de Vienne est toujours présent dans les lettres de Mikes 23 . À son
tour,de Bonnac écrivait au Cardinal Du Bois le 19 mars 1722 concernant
l’arrivée à Tekirdağ d’ « une espèce de courrier » de la part de la Princesse
Rákóczi, que « son arrivée aura donné sans doute quelques soupçons au
Résident de l’Empereur … ». 24 De même, la retenue par les autorités ottomanes
de l’illustre rebelle anti-Habsbourg était destinée à créer un instrument de
pression et de réserve dans l’atteinte d’une conjoncture favorable à la
révanche 24bis .
Dans ce contexte, donc, tous les projets du Prince d’aller en France, à
Moscou, en pélerinage à Jérusalem 25 ou même à Edirne (ainsi qu’il résulte de
notre document) étaient condamnés à échouer. L’échec du dernier projet,
probablement tenu secret par Rákóczi est confirmé par le fait que ni Mikes, ni
Rashid, ni de Bonnac n’en avaient connaissance.
Pour conclure : le nouveau document témoigne d’une intention inachevée
du Prince Rákóczi, probablement de l’an 1719–1720, vu la conjoncture politique
défavorable.
Rappelons que la Russie aussi a eu une conduite similaire envers le Prince
rebelle anti-ottoman Démètre Cantemir après 1711: une fois que la paix de Prut
avec la Porte a été signée, l’incomode « ami » a été transféré de Harkov à
Moscou,plus éloigné de la frontière ottomane, et d’ici à Sant-Petersbourg. « Il
n’y a pas des amis éternels,il y a seulement des intérêts éternels », disait Lord
Palmerston au XIXe siècle en se réferrant à la politique étrangère britannique.
Mots valables pour la politique de toutes les puissances guidées par la raison
d’État.
Explication pour les fac-similés:
21
William B. Slottman, Ferenc II Rákóczi and the Great Powers, East European Monographs,
(Boulder, distributed by Columbia University Press), New York, 1997, p. 366.
22
K. Mikes, Türk Mektupları, pp. 71–72.
23
Ibidem, p. 66, etc.
24
Angyal Dávid, op. cit., p. 96–97.
24bis
Ibidem, passim.
25
Ibidem, p. 95 (de Bonnac au Cardinal Du Bois, le 26 février 1722).
62
MIHAI MAXIM
Başbakanlık Osmanlı Arşivi (BOA) = Archives Ottomanes de la Présidence du
Conseil, İstanbul , fonds Âmedî (codifié: A. AMD), dosya 1, doc. no. 77,
probablement de l’an 1132/14. 11. 1719- 1. 11. 1720, concernant l’intention du
Prince Rákóczi de venir á Edirne « pour (régler) ses quelques affaires ».
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