Analyse du processus d’ajustement chilien des années 1980 Séminaire d’économie internationale Automne 2001 Le contexte international • De 1978 à 1981, l’Amérique Latine reçoit une part appréciable des « petrodollars » captés par les grandes banques internationales. • C’est le recyclage de la rente pétrolière (qui prend un plus grand élan à partir de 1979) Le contexte international • Plusieurs pays peuvent se financer à des taux réels négatifs • (ex.: en 1978, le taux LIBOR à 3 mois étaient d ’environ 8 % alors que le prix en dollars- des exportations des pays émergents augmentaient au taux de 15 % par année) • Les conditions de financement sont meilleures que jamais et plusieurs pays émergents contractent d’importantes dettes bancaires. Le cas particulier du Chili • La dette externe est dans la majorité des cas publique mais au Chili, elle est d’abord et avant tout privée. • En Amérique latine, le Chili est l’un des pays qui, toutes proportions gardées, reçoit le plus de fonds. Entrées de capitaux en % du PIB 0.10 0.08 0.06 0.04 0.02 0.00 -0.02 1976 1977 1978 Argentine Brésil 1979 1980 Chili Mexique 1981 Ventilation des entrées de capitaux au Chili de 1978 à 1981 10 9 8 7 En % du PIB 6 5 4 3 2 1 0 1978 1979 1980 1981 Année Investissement de portefeuille Investissement direct Investissement bancaire La politique économique chilienne de l’époque • A partir de 1975, le gouvernement dirigé depuis 1973 par le Général Pinochet met en place un programme de réformes structurelles obéissant aux principes suivants: – l’allocation des ressources doit relever à peu près exclusivement du secteur privé – les prix doivent être déterminés dans tous les secteurs par le libre jeu du marché – le marché national doit être intégré sans entraves à l ’économie internationale – l’État doit être neutre et impartial La politique économique chilienne de l’époque • On privatise (y compris dans le secteur bancaire). • On déréglemente les marchés internes. • On déréglemente et libéralise le commerce extérieur. • On fixe le taux de change (en juin 1979) à 39 pesos au dollar • On lève graduellement les obstacles aux entrées de capitaux. La réponse du secteur privé • L’étroitesse du marché national, la faiblesse de l’épargne intérieure et l’absence d’une réglementation et supervision strictes des institutions financières favorisent la constitution de groupes industriels et financiers. • Les institutions financières privées nationales empruntent à l’étranger pour ensuite prêter les liquidités ainsi obtenues à leurs actionnaires industriels et aux consommateurs. • L’investissement et la consommation privés sont en hausse Le miracle initial... • Le pays connaît une période d’euphorie économique en 1979 et 1980. – La croissance est forte – Le prix des actifs augmente et la consommation est en hausse. – Le taux de change est fixe – L’inflation est en baisse – Le pouvoir d’achat des Chiliens vis-à-vis des biens importés n’a jamais été aussi élevé est de courte durée Les difficultés se font sentir à partir de 1981. – Les entreprises sont endettées vis-à-vis des banques alors que les banques sont endettées vis-à-vis de l’étranger – L’appréciation réelle du peso chilien fait mal aux entreprises en concurrence avec la production étrangère – Le déficit de la balance courante atteint des niveaux inédits – Les taux d’intérêt augmentent à l’étranger – Le prix du cuivre est en baisse. – Le nombre des faillites augmente et celles-ci touchent le secteur bancaire. Taux de change réel 180 1/e 160 140 120 100 1978 1979 1980 Source: JP Morgan 1981 Prix du cuivre 140 120 100 80 60 40 78:01 78:07 79:01 79:07 80:01 80:07 81:01 81:07 La réponse initiale des autorités • Pour comprendre la réponse des autorités, il faut quelques éléments de contexte • L’équipe économique en place à l’époque est constituée de technocrates presque tous formés à l’Université de Chicago. • C’est pour cela qu’on les a appelé au Chili los Chicago boys. • A l’époque, être de Chicago a une signification très particulière: – On préconise une politique économique neutre et impartiale qui enlève à l’État à peu près toute forme d ’intervention discrétionnaire. Un cadre général pour l’analyse de la politique économique • La politique économique se caractérise par les objectifs qu’elle vise et les instruments qu’elle choisit pour les atteindre. • Parmi les objectifs, on fait la distinction entre: – objectifs finaux – objectifs intermédiaires • Nous avons alors le schéma suivant: Instrument Objectif intermédiaire Objectif final Hiérarchisation des objectifs • Il arrive que des objectifs entrent en conflit. – Il faut alors procéder à un arbitrage, à une hiérarchisation. • Il arrive aussi qu’un même instrument influence (de manière opposée) l’atteinte de plus d’un objectif – A défaut de procéder à la hiérarchisation des objectifs, il faut s’assurer de compter autant d’instruments indépendants de politique économique que d’objectifs poursuivis. Pérennité des objectifs – Les objectifs et instruments peuvent avoir un caractère plus ou moins permanent. – Moins les objectifs (incluant leur hiérarchisation) et instruments sont sujets à des changements discrétionnaires, plus ils revêtent un caractère structurel. – Idéalement, les objectifs et instruments devraient revêtir un caractère structurel mais • la fixation du niveau des instruments (ou l’intensité avec laquelle on les utilise) pourrait changer de manière discrétionnaire en fonction de la conjoncture économique et politique • à moins que les autorités ne s’astreignent à un ensemble de règles leur enlevant toute forme d’intervention discrétionnaire…. Un exemple avec un objectif unique Objectif final: Inflation modérée Objectif intermédiaire: Rythme de croissance de la demande globale Instrument: Taux d’escompte fixé de manière discrétionnaire en fonction de la conjoncture Autre exemple avec objectif unique Objectif final: Inflation modérée Objectif intermédiaire: Taux de change fixe Instrument: Le taux de change fixe adopté comme règle de fonctionnement implique que les autorités procéderont de manière passive aux achats et ventes nécessaires de réserves de change. Économie nationale Politiques économiques interprétation Marchés internationaux (choix des objectifs , des instruments et de leur caractère discrétionnaire) Résultats économiques et sociaux interprétation interprétation Objectifs Cohésion idéologique Apprentissage Autorités économiques Modèle de référence Orientations Fondamentales Contexte politique et historique Quelques citations... • Sergio de la Cuadra, alors vice-président de la banque centrale: – Well you know the Chicago school; if you go to the pure monetarist approach of Chicago you will find that the recommendation there is a fixed exchange rate (Euromoney, juillet 1978) – Chile is almost back to the gold standard. We are so monetarist we have reached a position where the central bank is hardly in control of the money supply any more. It controls itself. (The Economist, février 1980) Quelques citations... • Sergio de Castro (Ministre des finances de l ’époque): – The foreign debt that we had in the past was invested in things that were really very nonsensical. The economic model that we had did not allow people to know where it was good to invest and where it was bad to invest. The signals that the economy put up were erroneous, so that the investments has gone to non-productive sectors… Anyone who is lending to Chile now really knows that the investment will be productive and that it will produce sufficient revenue to pay the capital and the interest. (Euromoney, juillet 1978) La crise et l’ampleur de l’ajustement requis • Meller analyse le processus d’ajustement sur une période de huit ans (1980-1988). – 1980-1981: Création d’une situation insoutenable – 1982-1988: Ajustement • En moyenne annuelle, le service de la dette de la période 1982-1988 est le triple de celui de la période 1980-1981. • Dès 1982, les entrées de capitaux d’origine privée sont réduites à néant. 1/TCR (sd0-ec0) (sd1-ec0) (sd1-ec1) Ajustement additionnel lié à l’arrêt des entrées de capitaux 1/TCR0 Ajustement requis après la baisse du prix du cuivre si aucune entrée additionnelle de capitaux Ajustement additionnel lié au triplement du service de la dette xn0 Ajustement final requis xn = f (, Y0, 0) xn = f (, Y,1 ) xn L’ajustement en milliards de $ 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 Compte courant -4.733 -2.304 -1.117 -2.111 -1.329 -1.137 -808 -167 Exportations nettes -3.378 -492 534 -141 511 652 766 1.576 Mécanismes et politiques d’ajustement en théorie • « Expenditure reducing » – Politiques actives (austérité budgétaire) – Attitude passive (« ajustement automatique ») • « Expenditure switching » – Taux de change flottant (le marché provoque la dépréciation) – Taux de change fixe (le gouvernement procède à une dévaluation) – Le gouvernement peut être actif dans un cas comme dans l’autre pour promouvoir un redéploiement des ressources vers les secteurs susceptibles l’exporter. • En parallèle, on peut chercher à répartir le coût de l’ajustement sur une plus longue période en obtenant le financement nécessaire Les trois périodes de l’ajustement chilien • 1981et 1982 (jusqu’en juin) – Période dogmatique: on s’en remet au mécanisme d’ajustement automatique • Restant de l’année 1982 – Phase de transition décrite par Meller comme une période d’ajustement chaotique. Les autorités se cherchent. On dévalue, on adopte une parité à crémaillère compliquée par rapport à un panier de devises. On passe à un régime de change flexible sans interventions, puis avec interventions. La crédibilité est au plus bas. Les trois périodes de l’ajustement chilien • De 1983 à 1988 – Programmes d’ajustement avec financement du FMI et de la Banque Mondiale. Plans typiques mettant l’emphase sur: • Le paiement des frais d’intérêt et d’amortissement de la dette • La rigueur budgétaire • Dévaluation nominale avec un contrôle strict de l’inflation par la désindexation des salaires • Pendant cette dernière période, le gouvernement se fait plus actif en cherchant par tous les moyens à promouvoir les exportations et à ramener des capitaux frais au pays. Taux de change réel de 1978 à 1988 180 160 1/e 140 120 100 80 78 79 80 81 82 83 84 85 Source: JP Morgan 86 87 88 Consommation et investissement 110 100 1981=100 90 80 70 60 50 1980 1981 1982 1983 Consommation 1984 1985 Formation brute de capital 1986 1987 1988 Les coûts de l’ajustement • Meller fait la distinction entre les coûts primaires et les coûts secondaires: – Les coûts primaires: Associés à la réduction de l’absorption correspondant à l’écart initial entre la production et l’absorption. Ce coût est inévitable peu importe les mécanismes et politiques d’ajustement choisis. – Les coûts secondaires: Associés à la réduction de l’absorption (et de la production) allant au delà de ce déséquilibre initial. C’est ce que j’ai appelé l’ajustement récessif. Clairement, dans le cas chilien, les coûts secondaires ont été substantiels (Meller estime que la réduction de l’absorption a été deux fois plus importante que l’écart initial entre Y et A). Le PIB a chuté de 14 % au cours de la seule année 1982. Le taux de chômage a grimpé à 30 %. De plus, les écarts de revenu entre riches et pauvres se sont accrus de manière significative et les indicateurs de pauvreté absolue se sont détériorés de manière très importante. Les questions posées • Quelles sont les politiques les plus susceptibles de minimiser les coûts secondaires ? – L’expérience n’est clairement pas favorable au mécanisme d’ajustement automatique en régime de change fixe. • Comment mettre en place un programme d’ajustement efficace qui ne concentre pas la majeure partie des coûts sur les segments les plus pauvres de la population ? • Les programmes de financement traditionnels du FMI et de la Banque Mondiale ne tiennent pratiquement pas compte de ces questions. Devraient-ils le faire et comment ? • Peut-on prévenir de telles crises ? – L’expérience n’est pas favorable au laisser-faire Comment fonctionnerait l’ajustement automatique selon les autorités • En 1981, le Ministre des finances, Sergio de Castro s’adressait à la population chilienne en ces termes: – La réduction des crédits externes freinerait la création de monnaie au pays, et en tentant de financer à l’extérieur le déficit de la balance courante, le secteur privé provoquerait une perte initiale de réserves, ce qui entraînerait une contraction de l’offre de monnaie et une augmentation des taux d’intérêt, laquelle engendrerait une baisse des dépenses incluant les importations. La chute de la demande interne favoriserait l’apparition d’un surplus exportable, et en même temps le niveau élevé des taux d’intérêt attirerait de nouveaux capitaux de l’extérieur. En définitive, le déficit de la balance courante serait plus faible qu’initialement et il serait compatible avec le niveau effectif des entrées de capitaux. (Estado de la Hacienda Pública, 1981, ma traduction)