Notes du cours

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Histoire des États germaniques :
Le Saint-Empire
Huitième cours :
L’éclatement de l’empire
1 — La Suisse
— Soulignons un élément intéressant concernant la postérité politique du Saint-Empire : la grande variété des
systèmes de gouvernement qui se sont établis sur ses terres. D’une façon générale, les territoires orientaux ont
adoptés des formes de gouvernement plus centralisés et plus autoritaires, même si les monarchies absolutistes
de Prusse et d’Autriche présentent de nombreuses différences.
— À l’inverse, à l’ouest, les modèles politiques des États issus de l’empire sont nettement plus libéraux et
pluralistes. Cependant, ici aussi il y existe de grandes différences entre la monarchie constitutionnelle qui
s’imposera aux Pays-Bas et le système confédéral de la république helvétique.
— L’éclatement du territoire de l’empire est un lent processus dont le début est difficile à dater. Ses
premières manifestations sur le plan administratif remontent sans doute à la reconnaissance de l’hérédité des
possessions territoriales dès le XIIe siècle, mais tant qu’un empereur puissant est aux commandes, l’unité
pourra être maintenue.
— Mais les déboires de Frédéric II avec la papauté ont assurément accéléré le processus, surtout qu’avec la
fin des Hohenstaufen, les électeurs, et leurs considérations parfois très égoïstes, s’imposent.
— C’est dans la seconde moitié du XIIe siècle que le premier geste de rupture sera posé (même si à l’époque,
cela n’est pas évident), alors que certains territoires de l’actuelle Suisse décident de s’associer pour contrer
l’influence des Habsbourg.
— Sous l’influence des paysans libres (nombreux dans les Alpes) du canton d’Uri, qui obtint l’immédiateté
impériale sous Frédéric II pour son rôle dans l’aménagement du Col de Saint-Gothard, les cantons de
Schwytz et de Nidwald forment une alliance pour s’opposer aux volontés des Habsbourg (alors que Rodolphe
est empereur), qui cherchent à étendre leur influence et leur contrôle.
— C’est ainsi que nait politiquement ce qui deviendra la Suisse : un pacte qui ne sera découvert qu’au XVIIIe
siècle est alors signé entre les représentants des trois cantons (d’où le nom de Confédération des trois
cantons) en août 1291, auquel se joindra éventuellement un quatrième, le demi-canton d’Obwald, formant du
même souffle le canton d’Unterwald avec le Nidwald.
— Sans évidemment utiliser le mot de constitution, le pacte fédéral de 1291, fixe quelques éléments
concernant le droit, mais il s’agit avant tout un pacte militaire d’assistance mutuelle entre les signataires.
— Cette clause militaire sera par ailleurs rapidement mise à l’épreuve : en novembre 1315, dans la région de
Zurich, une force d’à peine 1 500 hommes libres des communes inflige une défaite à une armée de 3 000 à
5 000 hommes envoyés par Léopold 1 er d’Autriche, pour tenter de reprendre le contrôle politique de terres
dont il se dit le maître, alors que depuis 1309, les cantons ont obtenu l’immédiateté impériale. La légende de
Guillaume Tell, sans doute inspirée des événements, nait d’ailleurs à cette époque.
— Ce succès militaire remarquable entraine une consolidation de l’alliance, alors qu’est signé le 9 décembre
1315 le pacte de Brunnen entre les trois cantons. À la différence du texte de 1291, le pacte de Brunnen est
rédigé en allemand et il est le premier à utiliser le terme de Confédérés (Eidgenossen) pour caractériser les
membres du pacte.
— À partir de ce succès, d’autres cantons vont manifester leur désir de se joindre au pacte, soit par l’alliance
directe avec lui, soit par l’établissement d’alliance avec l’un des membres du pacte. De 1332 à 1481, l’union
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militaire va s’étendre pour devenir éventuellement la Confédération des huit cantons, qui englobe alors, en
plus des trois membres fondateurs, Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug et Berne.
— Dans la foulée de l’accroissement du nombre de membres et des luttes continuelles avec les Habsbourg,
d’autres actes légaux sont signés entre les membres de la Confédération, comme la charte des prêtres de
1370, qui poursuit la construction d’une entité politique commune très lâche et pose les bases, très novatrice
pour l’époque, de l’égalité juridique des habitants, nobles ou roturiers, en les soumettant à une uniformisation
des normes légales des membres.
— Au tournant du XVe siècle, les Habsbourg sont toujours maîtres de nombreux territoires jouxtant ceux de
la Confédération, mais les difficultés financières de Vienne vont permettre aux cantons d’accroître leur
domination des terres alpines.
— Par les armes, l’économie ou la diplomatie, les communes libres des cantons s’emploient à étendre leur
influence aux territoires environnants, comme Zurich, riche ville marchande, qui acquiert des terres pour
assurer sa sécurité alimentaire. D’autres unions locales, regroupant un ou plusieurs cantons, membre ou non
de la Confédération, s’établissent un peu partout
— Peu à peu, la Confédération, regroupant des États membres du Saint-Empire, en vient à constituer un État
dans l’État, avec ses propres normes juridiques et ses propres structures politiques. Mais l’opposition quasi
permanente des Habsbourg au pouvoir des cantons, allié au fait que le centre de gravité de l’empire penche
du côté des Habsbourg, va entrainer dès le XVe siècle un désir de se détacher d’un empire qui n’apporte rien.
— Les guerres de Bourgogne (1474-1477) vont voir les Confédérés devenir un facteur politique important,
alors qu’ils tentent d’imposer leur autonomie dans le cadre d’un chassé-croisé complexe réunissant le duc de
Bourgogne, Charles le Téméraire, le roi de France Louis XI, de même que le duc d’Autriche Sigismond.
— Dans une série de batailles locales, les Confédérés, dont la valeur militaire est exceptionnelle, parviennent
à imposer une « paix perpétuelle » en 1475 à l’Autriche, avant de défaire les armées bourguignonnes. Deux
traités (Fribourg et Zurich) sont aussi signés pour délimiter le territoire de la Confédération.
— L’adhésion de nouveaux membres à l’union donne naissance à une nouvelle mouture de l’organisation, la
Confédération des treize cantons, qui connait cependant une crise de croissance, alors que le développement
économique créé des distorsions entre les villes et les campagnes, pendant que la bourgeoisie accapare de
plus en plus le pouvoir politique au détriment des communes paysannes.
— En 1499, a l’issue de la guerre de Souabe (dont les causes demeurent aujourd’hui confuses — raisons
fiscales ou plus simplement territoriales) menée par les Confédérés contre la Ligue de Souabe, soutenue par
l’empereur Maximilien, la paix de Bâle fut signée, qui sans régler clairement le statut politique de la
Confédération, pavait la voie à son indépendance.
— Le territoire de la Confédération est alors peuplé d’environ 1,2 million d’habitants et le caractère
multiethnique du territoire est déjà affirmé. Cette multiethnicité (qui inclut aussi des populations italiennes)
sera par ailleurs la cause d’un conflit lorsque les cantons français prendront part au côté de la France aux
guerres d’Italie, alors que les cantons allemands défendront le Saint-Empire.
— La défaite de ces derniers, lors de la bataille de Marignan contre François 1 er, marque la fin de la
participation de la Confédération aux guerres européennes, les cantons se contentant de vendre leur force
militaire sous forme de mercenaires.
— C’est d’ailleurs la France, avec qui en 1516, est signée une paix perpétuelle, qui devient le principal client
des mercenaires suisses, alors que toute la Confédération, dans le contexte de l’affaissement politique de
l’empire, glisse dans la zone d’influence française, d’où elle ne sortira qu’à la faveur de la révolution.
— La réforme protestante donnera lieu ici à une guerre civile, appelée les guerres de Kappel, alors que les
cantons favorables à la réforme (menés par Zurich et par Zwingli) et ceux favorables au catholicisme
s’affrontent pour le contrôle des cantons mixtes. Le 16 novembre 1531, après la mort de Zwingli et grâce à la
médiation de la France, une seconde paix nationale est signée, qui met fin au conflit.
— Au cours des années 1530, ce sera au tour des cantons romans d’être happé par les conflits religieux, alors
que le calvinisme s’étend depuis Bâle. Cependant, cette fois, les armes ne parleront pas, pas plus d’ailleurs
lorsque la contre-réforme se manifestera la décennie suivante.
— De sorte que la petite Confédération suisse, très complexe sur le plan religieux (plusieurs confessions
protestantes et le catholicisme) restera miraculeusement à l’écart de la guerre de Trente Ans : la méfiance des
catholiques à l’endroit de Vienne et celle des protestants à l’endroit de la Suède permettra aux Suisses de
demeurer unis, même lorsque leur neutralité sera violée dans la foulée de la guerre.
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— Il est d’autant plus étonnant de voir le démon confessionnel agiter cette étonnante création politique qu’est
la Suisse plus tard au XVIIe et même au XVIIIe siècle, sans pourtant que ces guerres de Villmergen ne
remettent en question l’intégrité du pays.
— Entre temps, l’indépendance complète de la Confédération des treize cantons sera entérinée par les traités
de Westphalie, même si depuis 1499, les cantons ne siégeaient plus à la Diète d’empire. Cependant, malgré
cette séparation de longue date, et malgré la présence sur le territoire de minorités linguistiques importantes,
la Suisse est restée (pour sa partie alémanique, à tout le moins) une composante culturelle du monde
germanique.
2 — Les Pays-Bas
— Dans le cadre du traité de Verdun (843), les Pays-Bas actuels avaient été confiés à Lothaire, constituant la
partie la plus au nord de la Francia media, mais par le traité de Merseen (870), ces territoires furent confiés à
la Francia orientalis et conséquemment, intégrèrent l’empire lors de sa résurrection. Dans l’intervalle, les
territoires furent victime de la poussée continentale des Normands.
— La particularité de ces territoires, au tournant du millénaire, est leur très faible population, une part
considérable de la zone étant marécageuse. Cependant, l’ingéniosité et l’ardeur au travail des habitants
permirent en un ou deux siècles d’assécher de nombreuses zones marécageuses, afin de les rendre propres à
l’agriculture.
— Ce sens aigu de l’entreprise de la population explique peut-être la situation économique et sociale
particulière de ces territoires au sein de l’empire, alors qu’on y trouve de nombreuses exploitations agricoles
à l’extérieur des villages (donc des communes paysannes) et conséquemment indépendantes de ceux-ci. Dès
le XIIe siècle, cette zone contestée par les deux descendants de l’empire carolingien est mal contrôlée par
l’empire.
— La majorité de la population était encore frisonne à l’an mil, mais peu à peu d’autres populations
germaniques s’y installent, fondant de nombreuses villes, surtout en Flandre et dans le Brabant, dont l’activité
est basée sur le textile et le commerce. C’est l’une des premières zones de l’empire à connaitre
l’émancipation des villes, alors que les richesses de ces dernières leur permettent de s’imposer à leurs maîtres
territoriaux.
— Cependant, cette richesse, alliée à la situation politique de l’empire, n’a pas permis ici la consolidation de
ligues urbaines solides, mais bien au contraire favorisé la multiplication des guerres féodales par lesquelles,
étant incapable de jouer son rôle d’arbitre, l’empereur perd peu à peu le contrôle du territoire.
— Dans le contexte de la montée en puissance de la Bourgogne, les territoires des Pays-Bas suscitèrent la
convoitise des grands-ducs bourguignons, qui en prirent peu à peu le contrôle à partir de 1369, lorsque
Philipe le bon épousa la fille du comte de Flandre.
— Par mariage, héritage, achat ou conquête, la domination bourguignonne s’étend peu à peu sur les territoires
des actuels Pays-Bas, même si ceux-ci continuent de relever officiellement de l’autorité impériale.
— C’est au cours de la période bourguignonne que ces territoires se voient dotés d’une unité administrative,
alors que Charles le Téméraire tente d’unifier l’ensemble de ses possessions. Cependant, le fort esprit
d’indépendance de la région et le conflit entre Louis XI et Charles ne permettront pas la mise en place d’un
gouvernement central.
— Après la mort de Charles, le mariage de Maximilien et de Marie fit des territoires bourguignons la
propriété des Habsbourg, mais provoqua une guerre avec la France, qui se solda par un partage territorial,
alors que les territoires du nord furent maintenus sous souveraineté habsbourgeoise.
— Charles Quint, à la fin de son règne, divisa les territoires qu’il contrôlait en deux groupes : à son frère, il
laissa les terres autrichiennes, la Bohême et la Hongrie, alors qu’il confia à son fils l’Espagne, les territoires
italiens et les Pays-Bas, ces derniers relevant cependant toujours de la souveraineté de l’empereur.
— Unifiés administrativement avec le Luxembourg et les territoires belges contemporains au sein de ce que
l’on nomme les 17 provinces des Pays-Bas espagnols par la pragmatique sanction de 1549, les territoires du
nord, en majorité protestants (calvinistes et anabaptistes, surtout), rejetèrent rapidement la sujétion à la
couronne espagnole, catholique.
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— En 1567, un tribunal d’exception, le Conseil des Troubles, est mis en place pour poursuivre et sanctionner
les responsables des émeutes iconoclastes de 1566, lors desquelles des insurgés calvinistes pillèrent des
églises catholiques des Flandres.
— Ces événements entrainent de facto une division au sein des participants de la révolte des Gueux, menée
par Guillaume d’Orange, stathouder de Hollande, contre la mainmise espagnole sur les territoires du nord,
entre catholiques et protestants, et le déclenchement de la guerre de quatre-vingts ans, qui aboutira à
l’indépendance des provinces protestantes.
— Dans la foulée de ce long conflit, au cours duquel la lutte entre les armées du nord, périodiquement
appuyées par la France ou le Royaume-Uni, se juxtapose à une guerre civile religieuse opposant les
calvinistes aux catholiques, est signé le Traité d’Utrecht en 1579, considéré comme le premier acte de
naissance des Pays-Bas
— Parrainée par Guillaume d’Orange, cette union était la réponse protestante à la consolidation des
catholiques par la formation de l’Union d’Arras, réunissant des territoires plus au sud (autour de l’actuelle
Belgique) et proclamant leur fidélité à la couronne espagnole catholique.
— C’est sur la base du traité d’Utrecht qu’en 1581 fut élaboré l’Acte de La Haye, par lequel les États
généraux néerlandais proclamèrent leur souveraineté et l’indépendance des Provinces-Unies, confédération
des sept provinces (Hollande, Zélande, Gueldre, Overijssel, Frise, Groningue et Utrecht) protestantes du nord.
— Ces gestes politiques ne mirent bien sûr pas fin aux conflits avec la couronne espagnole, et il fallut
attendre la conclusion de la paix de Westphalie en 1648 pour que l’indépendance des Provinces-Unies soit
reconnue par l’Espagne et le Saint-Empire.
— Le système politique en place dès avant l’indépendance était basé sur les États généraux néerlandais,
assemblée représentant les classes dominantes, bourgeoises et nobles, des différents territoires du nord.
Chaque territoire disposait d’un pensionnaire devant assurer les fonctions gouvernementales, mais seul celui
de la Hollande était considéré comme interlocuteur légitime par les autres États d’Europe.
— Jusqu’au début du XIXe siècle, alors que le pays deviendra une monarchie constitutionelle, le système
politique connaitra une évolution saccadée, opposant les États généraux des diverses provinces au stathouder,
qui se prétend héritier du pouvoir central après l’Acte de La Haye.
— Dans cet ensemble, il convient de souligner la prépondérance politique, économique et culturelle de la
Hollande sur les autres membres, car grâce à sa situation géographique, le long des côtes de la mer du nord,
elle concentre les principales villes du territoire (Amsterdam, Rotterdam et La Haye, entre autres).
— Indépendamment des tribulations politiques et militaires, les XVIe et XVIIe siècles furent pour les
Provinces-Unies une période de grandes réalisations, grâce à la puissance de la bourgeoise commerçante.
Deux éléments (l’explosion artistique et la puissance coloniale) illustrent cette grandeur, qui doit beaucoup à
la situation géographique de ces territoires, excentrés par rapport à l’empire et bénéficiant d’un large accès
maritime.
— Cette combinaison permettra à la population, moins soumise à partir du XVe siècle aux guerres féodales,
de développer une puissance commerciale, puis militaire, capable de s’opposer aux grands états territoriaux
de la Renaissance, pour faire des Pays-Bas l’une des très grandes puissances européennes de l’ère moderne.
— Grâce à la richesse de ses grandes familles marchandes, qui peuvent alors se consacrer au mécénat, le
XVIe siècle voit l’émergence de l’école hollandaise en peinture, de Rembrandt à Reubens qui, s’appuyant sur
l’école primitive flamande (XVe siècle) va faire au nord de l’Europe ce que les écoles italiennes de la
renaissance feront au sud, soit déterminer toute l’esthétique de l’époque.
— Et il y a bien sûr l’empire colonial, à la fois conséquence et cause de l’indépendance politique des
territoires. Car avant même le traité de 1648, la puissance maritime des Pays-Bas, développée d’abord pour le
commerce et pour faire face à la puissance navale espagnole, trouve dans la projection coloniale un domaine
naturel d’expansion.
— Évidemment, compte tenu de sa faible population (quelques millions d’habitants au tournant du XVIIe
siècle), il n’est pas question pour les Pays-Bas de développer des colonies de peuplement et les autorités
politiques et commerçantes vont plutôt favoriser l’établissement de comptoirs commerciaux, même si dans
certains cas (Inde néerlandaise et Guyane Hollandaise, par exemple), le contrôle territorial prendra aussi des
formes politiques.
— La fondation en 1624 sur l’Hudson de la ville de Neue Amsterdam témoigne de même des grandes
capacités de projection économique des Pays-Bas.
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— Ce « siècle d’or » des Pays-Bas verra aussi une autre forme d’accroissement original du territoire, alors
que le pays, grâce à sa grande richesse commerçante, se couvre d’un autre symbole de l’esprit entrepreneurial
néerlandais, les moulins à vent.
— Manquant de terre, les habitants du pays gagneront au fil des siècles plus de 6 000 kilomètres carrés sur la
mer, grâce à la construction de 10 000 moulins à vent, qui ont pour fonction, entre autres, d’assécher les
berges de la mer du Nord, alors que des digues sont construites pour protéger ces nouveaux territoires, que
l’on nomme des polders.
— En perdant le contrôle en 1648 de ces terres riches d’une population depuis toujours très entreprenante,
l’empire se retrouve repoussé loin du centre commercial de l’Europe du XVIIe siècle, la mer du Nord, ce qui
l’empêchera de participer à cette époque à la poussée coloniale européenne, même s’il ne s’agit pas bien sûr
de la seule cause de cette absence dans la course coloniale.
— D’autant que le traité de Westphalie met fin à une domination politique devenue au fil des siècles très
théorique. Cependant, et même si les langues parlées sur les terres néerlandaises se distinguent au fil des
siècles de ce qui deviendra la langue allemande, les sonorités de celles-ci nous rappellent l’origine bien
germanique de ces territoires si particuliers.
3 — L’Autriche
— L’Autriche est sans aucun doute de tous les territoires germaniques celui qui a joué le rôle le plus
important dans l’évolution de l’empire, quoique ce rôle ne soit pas univoque, parfois positif, mais à terme
négatif, alors que la confusion des couronnes impériale et habsbourgeoise entrainera la subordination des
intérêts de la première à celui de la seconde.
— Avant la refondation impériale, le territoire de l’actuelle Autriche se trouve sous la domination de Tassilon
de Bavière. Une fois rattachée à l’empire, la Bavière (et donc l’Autriche) sera rapidement christianisée, grâce
à l’existence d’une civilisation urbaine précoce, qui témoigne de la forte influence sur ces territoires de la
civilisation romaine. Salzbourg est fondé en 791, Vienne quelques décennies plus tard.
— Au cours du IXe et du Xe siècle, le territoire autrichien est la proie de guerres opposant les populations
germaniques, slaves et hongroises, lesquelles se soldent par la mise en place en 976 d’une dynastie (les
Babenberg) qui régneront jusqu’à la fin du XIIIe siècle sur un territoire largement élargi à l’est et au sud.
— En 1276, à la mort du dernier duc de Babenberg, ses possessions sont disputées entre le roi de Bohême et
le roi de Hongrie, ce qui provoque une guerre aux termes de laquelle Ottokar II de Bohême s’impose.
— Celui-ci régnera sur la majorité du territoire de l’actuelle Autriche jusqu’en 1278, alors que l’empereur
Rodolphe parvient à le vaincre dans le cadre d’un conflit qui touche l’ensemble impérial. En 1282, Rodolphe
cède à son fils ainé Albert le contrôle du territoire autrichien, fondant la dynastie habsbourgeoise de
l’Autriche et du même souffle, les bases de la confusion des couronnes, même si Rodolphe lui-même, pour
protéger les domaines patrimoniaux des Habsbourg s’employa à distinguer les deux couronnes en ne
recommandant pas son aîné pour le trône impérial auprès des électeurs.
— De 1291 à 1411, sous la conduite des princes habsbourgeois, les territoires autrichiens s’étendent à
d’autres provinces pour former peu à peu ce qui devient la 2e plus vaste principauté du Saint-Empire.
L’Autriche s’impose ainsi graduellement comme l’un des centres politique et culturel de ce dernier, alors que
les princes successifs s’emploient à faire de Vienne une ville aussi importante que Prague.
— Après une division en 1411, entre les fils de Léopold IV, du territoire familial entre les trois fils de ce
dernier, qui donne naissance à trois branches distinctes des Habsbourg, Frédéric III parvient à réunifier au
cours de son règne les différents territoires et lègue à son fils Maximilien l’ensemble autrichien.
— À partir du règne de Maximilien, la maison habsbourgeoise s’étend bien au-delà de l’Autriche, alors que
ses mariages et ceux de ses enfants transforment le domaine habsbourgeois en puissance européenne, bien audelà des frontières du monde germanique.
— C’est aussi sous Maximilien que la confusion des couronnes devient particulièrement néfaste à l’empire,
alors que l’empereur utilise la couronne impériale pour lutter contre la France et défendre ses possessions
italiennes. De nombreux princes germaniques refusent alors de suivre l’empereur dans cette politique qui ne
concerne à leurs yeux que les intérêts habsbourgeois.
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— Il en est de même de l’extension, dans la foulée de la bataille de Mohács en 1526, du domaine des
Habsbourg aux territoires de Hongrie et de Bohême, qui fait de la maison des Habsbourg un voisin direct de
l’Empire ottoman.
— Même si en 1521, Charles Quint avait dissocié la couronne impériale de celle des Habsbourg en cédant à
son frère Ferdinand la souveraineté des territoires de l’est, le couronnement de celui-ci en 1556 rétablit la
confusion des couronnes, qui ne seront plus guère dissociées à partir de ce moment.
— Le XVIe et le XVII siècle voient la poursuite de la consolidation de la puissance autrichienne dans la
foulée de l’effacement de l’Empire ottoman. En 1683, une armée de 200 000 hommes assiège la capitale
impériale et habsbourgeoise qui résiste d’abord seule, abandonnée par les princes allemands qui considèrent
qu’il s’agit non d’un problème impérial, mais bien autrichien.
— Peu à peu, cependant, l’empereur Léopold parvient à convaincre non seulement certains princes
germaniques, mais aussi polonais, de lui venir en aide et ensemble, ils parviennent à repousser l’agression,
qui se transforme en contre-offensive.
— La poussée offensive se poursuivra jusqu’à Belgrade et jusqu’à la Transylvanie, en passant par Budapest,
qui est alors libérée. Le royaume de Hongrie est alors reconstitué sous la conduite des Habsbourg, mais sans
être intégré à l’empire.
— Même si cette reconquête favorise d’abord le pouvoir impérial, elle sera désormais essentiellement utilisée
par Vienne pour consolider sa puissance patrimoniale à l’extérieur de l’ensemble impérial.
— À la fin du XVIIe siècle, sous la conduite du brillant prince d’empire Eugène de Savoie, la couronne
d’Autriche poursuit son expansion balkanique et en 1697, après sa victoire à Zenta contre l’Empire ottoman,
il impose à celui-ci une paix qui couronne la poussée autrichienne dans les Balkans, le sultan reconnaissant
alors à la fois la domination habsbourgeoise en Hongrie et la souveraineté de Vienne sur la Transylvanie.
— Avec l’ajout de ces populations non germaniques, la couronne habsbourgeoise devient maitresse d’un
territoire multinational dans lequel l’élément germanique est de moins en moins important, même si bien sûr,
la subordination de ces vastes territoires à la couronne viennoise favorisera l’extension de l’influence de la
culture germanique.
— Une fois libérée temporairement de la menace turque à l’est, la famille habsbourgeoise sera confrontée à
une autre menace majeure, à l’ouest cette fois, alors que la mort sans enfant de Charles II d’Espagne
provoque l’extinction des Habsbourg d’Espagne et conséquemment, une guerre de succession.
— De 1701 à 1714, la maison d’Autriche utilisera les ressources qu’elle pourra puiser dans l’Empire, qui
n’est qu’indirectement concerné par le conflit, pour tenter de maintenir sa domination sur la péninsule
ibérique. Ces ressources seront gaspillées en pure perte, alors qu’à l’issu du conflit les Bourbons de France
s’empareront du trône d’Espagne.
— Profitant de ce qu’ils croient être un affaiblissement des Habsbourg, les Turcs relèvent la tête, provoquant
une nouvelle offensive d’Eugène de Savoie, qui cette fois pousse encore plus loin dans les Balkans, et en
1718, par le traité de Passarovac, la Porte doit abandonner la Serbie, le Banat et la Valachie à la couronne
autrichienne, qui s’installe alors profondément (quoique temporairement) dans les Balkans.
— Mais la puissance habsbourgeoise n’est pas alors que territoriale, car Vienne s’impose en ce début de
XVIIIe siècle comme le centre d’attraction culturel et intellectuel de l’Europe centrale, sous la conduite
d’Eugène de Savoie, qui tente, au nom de son empereur et roi, d’imposer une unité politique à l’ensemble de
ces territoires bigarrés, de moins en moins germaniques.
— De sorte qu’au moment où s’éteint la lignée dynastique directe des Habsbourg, laissant vacants de
nombreux trônes en Europe, l’Autriche, territoire périphérique au moment de la renaissance impériale en 800,
s’impose comme l’une des deux puissances à même de prétendre à la construction d’un État allemand
moderne. Mais sa grande diversité ethnique fera en sorte de permettre à une autre grande puissance de
l’Empire de se prétendre éventuellement l’héritière de ce dernier.
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4 — La Prusse
4.1 — Origine de la maison des Hohenzollern
— Tout comme les autres grandes dynasties, celle des Hohenzollern, qui sera appelée à jouer un rôle
fondamental dans l’histoire allemande, est originaire de l’ouest, mais ne deviendra puissante que grâce à ses
territoires de l’est.
— C’est en Souabe, à proximité du mont Staufen, que se trouve le mont Zollern, où on trouve encore
aujourd’hui le château familial, dont la construction originale remonte à plus de 1000 ans et c’est de là que
commença l’ascension de la dynastie.
— Le premier grand Zollern, Frédéric 1 er (1139-1200), proche de l’empereur, obtient par son mariage le
burgraviat de Nuremberg, en plus de procéder à l’acquisition de divers autres territoires. Compte tenu de sa
fidélité à Barberousse, Frédéric 1er sera éventuellement fait prince d’empire.
— Quelques années après sa mort, ses deux fils diviseront le domaine familial, le cadet conservant le comté
de Zollern et l’aîné obtenant le burgraviat de Nuremberg et les quelques territoires associés.
— Cette division fonde les deux branches de la famille Zollern. Celle du cadet, qui restera catholique, régnera
sur divers territoires de l’ouest de l’Allemagne contemporaine, ainsi qu’en Bavière. Elle se divisera à son tour
en différentes branches, dont l’une se poursuit aujourd’hui avec à sa tête Michel 1 er, qui prétend au trône de
Roumanie.
— C’est cependant la branche ainée, celle qui deviendra protestante, qui sera à l’origine de la puissance
prussienne. Proche de l’empereur Frédéric II, Conrad (1186-1261), à titre de burgrave de Nuremberg, a pour
tâche d’administrer les possessions de la couronne dans la région de la ville du même nom, dont Frédéric fait
l’une de ses principales bases d’opérations en Germanie.
— L’ascension de la famille se poursuit sous le règne de Frédéric III de Nuremberg (1220-1297), alors qu’en
récompense de son soutien, Rodolphe de Habsbourg confirme son titre princier à Frédéric, qui étend aussi un
peu les possessions familiales.
— Son premier fils étant mort sans enfant, son cadet, Frédéric IV (1287-1332) occupera par la suite la charge,
tout en restant très proche des différents empereurs, peu importe leur origine familiale. De sorte que Louis IV
lui confiera diverses fonctions (comme un vicariat impérial en Tuscie), accroissant l’autorité de la famille.
— Jena II (1320-1357) sera le premier Hohenzollern à établir des liens avec la marche du Brandebourg, alors
que Louis de Bavière, à qui appartient le territoire en question, lui demande de l’épauler dans le
gouvernement de ce vaste territoire.
— Après la mort de Frédéric V (1333-1398), premier burgrave de rang royal élevé à cette dignité par
l’empereur Charles IV, les possessions familiales sont divisées à nouveau entre les fils, le burgraviat étant
donné à Frédéric VI (1397-1440).
— Grâce à cette vieille proximité de la famille Zollern avec les institutions impériales, Frédéric VI obtient de
la part de Sigismond le margraviat du Brandebourg en 1415, devenu vacant à la suite de la mort d’un des
cousins de l’empereur. Frédéric devient alors Frédéric 1 er de Brandebourg et la base de la puissance familiale
est posée, d’autant qu’avec le territoire vient la dignité de prince électeur. Mais, opposé à la répression contre
les hussites, les relations de Frédéric avec Sigismond se tendent et l’électeur se retire dans ses terres.
— Après une suite de règnes sans grande envergure, mais qui voient néanmoins la poursuite de l’expansion
territoriale, quoique modeste, un coup de chance va favoriser la famille : sécularisée (et devenu duché de
Prusse) en 1525 sous les conseils de Luther par le dernier grand maître de l’ordre Teutonique (Albert de
Brandebourg-Ansbach, un cousin des margraves du Brandebourg), la Prusse tombe dans l’escarcelle de la
branche dominante des Hohenzollern en 1618.
— Par la suite, grâce à d’autres héritages, les maîtres de la Prusse et du Brandebourg obtiennent aussi
d’autres territoires, situés cette fois dans la région du Bas-Rhin (Clèves et Ravensburg), dont la situation
géographique avantageuse permettra à terme de combler une déficience de territoires de l’est, relativement
pauvres, car les terres sablonneuses du Brandebourg ne sont guères fertiles
— Au cours des XVIe et XVIIe siècles, les chefs de la maison de Hohenzollern vont s’employer à donner une
cohérence à un ensemble désormais très disparate et à reprendre aux noblesses locales, généralement pauvres,
les droits et les pouvoirs territoriaux que ces derniers ont au fil du temps usurpés.
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4.2 — Frédéric-Guillaume 1er de Brandebourg (1620-1688)
— Après plusieurs autres règnes sans couleurs, qui voient le Brandebourg se ranger du côté des protestants
pendant la réforme, Frédéric-Guillaume 1er de Brandebourg succède à son père en 1640, en pleine guerre de
Trente Ans. Neveu du roi suédois Gustave-Adolphe, l’électeur s’illustre alors comme un chef de guerre hors
pair, ce qui lui permet, à la conclusion du traité de Westphalie, d’obtenir de nombreux territoires à l’ouest du
Brandebourg (comme l’évêché de Magdebourg), comme à l’est (la Poméranie orientale).
— Calviniste, comme ceux qui le suivront, Frédéric-Guillaume, le premier grand Hohenzollern de Prusse, va
s’employer au cours de son règne à lutter contre les différents « États » de ses territoires, l’absolutisme ayant
le vent en poupe après la guerre. Maniant ruse, diplomatie et force, Frédéric-Guillaume parvient à imposer
son pouvoir absolu sur ses terres.
— Une fois écrasé ou éliminé les pouvoirs traditionnels, il réorganise ses possessions en imposant sur un
territoire complexe une organisation étatique centralisée, dont la manifestation la plus remarquable sera la
constitution d’une armée permanente de 30 000 hommes, une force considérable pour l’époque, alors que la
population de l’ensemble des territoires n’atteint pas encore le million d’habitants.
— Le développement de la puissance militaire de la Prusse est d’autant plus remarquable que dans la foulée
de la guerre de Trente Ans, le Brandebourg et de nombreuses autres possessions des Hohenzollern avaient été
particulièrement touchés par les destructions et la dépopulation.
— Cette puissance militaire lui permet une grande indépendance, à une époque où la puissance impériale
s’étiole et où la politique étrangère impériale n’existe plus que théoriquement. Soucieux des intérêts de ses
territoires avant tout, il met sa puissance au service du plus offrant, allié tantôt de l’empereur, tantôt de
l’ennemie de celui-ci, la France.
— Frédéric Guillaume est cependant avant tout préoccupé de la menace suédoise, la puissance du nord
conservant alors la Poméranie occidentale et d’autres territoires adjacents à ceux de la famille Hohenzollern
sur la rive sud de la Baltique.
— Une série de bataille victorieuse remportée contre la Suède permet à celui que l’on nomme désormais le
Grand Électeur de s’imposer comme la première puissance militaire de la région et de s’affranchir du roi de
Pologne, qui demeurait jusqu’alors son suzerain pour le duché de Prusse.
— Même si, par crainte d’une guerre avec la France qui défendit son allié suédois, il dut abandonner une part
des terres qu’il avait conquises des mains suédoises par la paix de Saint-Germain (1679), sa puissance lui
permet d’intégrer le jeu européen à titre d’État quasi indépendant.
— Le Grand Électeur n’était cependant pas préoccupé seulement par la guerre et il est aussi considéré comme
le père de la marine prussienne. Outre l’aspect militaire, son intérêt pour la puissance maritime avait des
origines économiques, alors que la traite des esclaves bat son plein.
— Homme de conviction tout autant que d’intérêt, le Grand Électeur tendra une main secourable à la
communauté huguenote de France, après que, par la révocation de l’édit de Nantes, ces derniers aient été
contraints d’abandonner ou leur culte, ou leur pays.
— Dès les semaines qui suivent cette révocation, par l’Édit de Potsdam, il invite ses coreligionnaires à
s’établir sur ses États et plusieurs dizaines de milliers de personnes s’établissent alors un peu partout, mais
particulièrement à Berlin, dont la population doubla alors.
— Appartenant pour une bonne part aux franges les plus entreprenantes de la bourgeoise citadine de la
France méridionale, les émigrés français jouèrent un rôle fondamental dans l’essor technique, industriel et
culturel de Berlin et du Brandebourg en général au cours des décennies suivantes.
— Lorsqu’il s’éteint en 1688, le Grand Électeur laisse à son fils un territoire dont la superficie a été
multipliée par quatre et dont la population approche désormais les deux millions d’habitants. En un règne, la
famille Hohenzollern s’est élevée au rang des grandes puissances européennes.
4.3 — Frédéric 1er (1657-1713), roi en Prusse
— Si, selon certains historiens, le règne du fils de Frédéric Guillaume 1 er, Frédéric 1er, fut pâle et sans
consistance, d’autres en revanche considèrent que, quoique très différents de ceux de son père, les intérêts de
Frédéric, plus intellectuel que son aïeul, en vinrent en compenser les faiblesses d’un État qui demeurait
essentiellement administratif et militaire.
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— Dépensier et ambitieux, il eut, malgré ses défauts, la bonne idée de laisser à son épouse, Sophie-Charlotte
de Hanovre, beaucoup d’initiative dans le domaine culturel et intellectuel.
— Car si Berlin est à la mort du premier Grand Électeur une ville populeuse et industrieuse, c’est en revanche
un désert culturel et c’est à Sophie-Charlotte que revient le mérite d’avoir transformé la capitale du
Brandebourg en un centre intellectuel important qui, s’il ne peut encore rivaliser avec la brillante capitale des
Habsbourg, posera les bases de l’explosion culturelle du XVIIIe siècle.
— Le grand philosophe germanique du XVIIe siècle, Gottfried Wilhelm Leibniz, proche ami et conseiller de
la brillante Hanovrienne, lui vint en aide pour la fondation à Berlin d’une Académie des beaux-arts (1696) et
d’une autre des sciences (1700).
— La consolidation territoriale et étatique du siècle suivant portant ses fruits et les États de Frédéric devenant
plus riches, le mécénat pratiqué par le couple royal en vint à attirer de grands artistes et de grands intellectuels
de l’époque, pendant que la ville de Berlin subit une cure architecturale pour la rendre digne de sa nouvelle
stature.
— La ville de Halle (Saale) devint de même un centre universitaire important, en même temps qu’un lieu
d’expérimentation sociale, alors qu’écoles et orphelinats surgissent, manifestation de l’incubation, au sein de
l’individualisme protestant, du souci très calviniste de l’implication sociale.
— La politique étrangère de Frédéric 1 er sera orientée vers une grande fidélité à l’empire, d’autant qu’en
1701, il obtiendra le titre de roi. Comme la loi impériale interdit le couronnement d’un roi territorial de
l’empire (à l’exception de la Bohême), Frédéric fera valoir à Léopold 1 er que sa Prusse ne faisant pas partie de
l’empire, cette limitation ne le concerne pas.
— Après hésitation et en échange de l’engagement formel de Frédéric de se tenir à ses côtés dans le cadre de
la lutte pour la succession d’Espagne, Léopold accepte de laisser le Grand Électeur du Brandebourg se
couronner lui-même à Königsberg le 18 janvier 1701, s’il consent à limiter ce titre au territoire prussien.
Frédéric devient alors roi en Prusse, et non roi de Prusse, car la majorité des possessions des Hohenzollern se
trouvent toujours sous l’autorité formelle de l’empereur.
— Moins militariste que ses prédécesseurs et ses successeurs, le roi en Prusse, continue cependant de faire de
l’Armée prussienne le fer de lance de son État et grâce à l’utilisation intelligente de celle-ci, il parvient à
poursuivre l’œuvre familiale en étendant son pouvoir à d’autres territoires (comme Neufchâtel, en Suisse
actuelle) qui lui permettent d’améliorer la cohésion territoriale de ses domaines.
4.4 — Le roi-sergent Frédéric Guillaume 1er (1688-1740)
— À la mort de Frédéric 1 er, son fils Frédéric Guillaume 1 er lui succède à la tête des nombreux territoires
familiaux. Le 2e roi en Prusse a laissé dans l’histoire une image très négative et c’est en bonne partie à son
règne qu’est associé le militarisme prussien.
— Colérique, despotique et violent, ce qui ne l’empêchait pas, bien au contraire, d’être très pieux, le roisergent, comme son beau-frère, le roi d’Angleterre l’appelait, partageait la passion de son grand-père pour la
puissance militaire, mais il n’avait pas la même envergure intellectuelle.
— Dès le début de son règne, le roi en Prusse augmenta considérablement sa puissance militaire, en faisant
passer celle-ci de 40 000 à 80 000 hommes et en la réformant pour en faire un instrument politique docile et
efficace. Non content d’enrôler des hommes de ses territoires, il s’employait à attirer chez lui, d’une façon
pas toujours légale, de partout d’Europe, des colosses qu’il soumettait à un entrainement violent et parfois
même sadique, pour en faire des machines de guerre.
— Le roi aimait tellement son armée qu’il évita le plus possible de la mettre en danger : son long règne ne vit
la participation active des forces prussiennes à un seul conflit, contre la Suède et en alliance avec la Russie de
Pierre le Grand, alors que tout danger était écarté, après la bataille de Poltava remportée par le tsar.
— Pour prix de sa participation, la Prusse obtient par le traité de Nystad de 1721 une partie de la Poméranie
occidentale depuis longtemps convoitée. En éliminant pratiquement la Suède de la rive sud de la Baltique, la
paix de Nystad permit de même à la Prusse de se débarrasser d’un compétiteur sérieux, ce qui permettra la
poursuite de l’expansion de l’État prussien.
— La passion militaire du roi en Prusse est si forte que toutes ses actions et ses réformes intérieures sont
tournées vers la consolidation de la puissance militaire. C’est de son règne que date la boutade selon laquelle,
en Prusse, ce n’est pas l’État qui a une armée, mais bien l’armée qui dispose d’un État.
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— Car Frédéric Guillaume transforme en effet la Prusse en caserne : il fut le premier dirigeant européen à
introduire une forme de conscription, obligeant tous les fils de paysans et d’artisans, à l’exception des aînés, à
servir dans les régiments de leur canton d’origine, les meilleurs étant par la suite versés dans les forces
armées « nationales ».
— Alors que les ouvriers des manufactures et les bourgeois étaient exemptés de ce service militaire, les fils
de la noblesse devaient servir comme cadets, porte-étendards ou officiers, selon leur capacité.
— L’économie de la Prusse est alors tout entière orientée vers la puissance de l’État et de son bras armé.
Appliquant la doctrine mercantiliste encore alors en vogue, le roi mit sur pied un Directoire général
s’apparentant à un ministère des Finances pour gérer l’économie des territoires prussiens, un trésor bien garni
étant vu comme une nécessité stratégique.
— Avare, Frédéric Guillaume réclamait que tout le monde mette l’épaule à la roue, de sorte que, par exemple,
une fois leur journée d’exercice terminée, les soldats rentraient dans leur caserne pour tricoter des chaussettes
pour leur usage et la vente au public, au profit du trésor...
— C’est donc de cet État militarisé, bien géré économiquement et déjà sur la voie du développement culturel
qu’héritera la personnalité allemande la plus fascinante du XVIIIe siècle : Frédéric II, roi de Prusse, en 1740.
5 — Les autres « États »
— À côté des ces territoires, qui formeront éventuellement la base des différents États du monde germanique,
d’autres, moins importants, seront ou bien intégrés dans l’un ou l’autre de ces États (la Bavière ou les duchés
saxons, par exemple), ou bien formeront aussi éventuellement leurs propres États, seul (le Luxembourg), ou
avec d’autres (la Belgique).
— La Belgique actuelle n’est qu’en partie liée historiquement au Saint-Empire, car le sud a presque toujours
été situé dans la sphère d’influence du royaume de France. En revanche, le territoire situé au nord a évolué
sous l’influence du monde germanique. Il en est de même du Luxembourg.
— En fait, jusqu’à la réforme luthérienne, ces territoires, peu importe leur souverain théorique et la langue de
leurs populations, évoluent d’une façon semblable à celle que l’on observe sur les territoires des futures
Provinces-Unies, alors que le commerce en fait des territoires très riches, dominés par une bourgeoise
puissante et très indépendante.
— La formation de l’Union d’Arras et celle de la Ligue d’Utrecht en 1579 met en place la première
différentiation, religieuse, entre les territoires au sud et au nord de la Belgique actuelle, ces derniers voyant
quelques villes rejoindre la Ligue d’Utrecht.
— Les traités de Westphalie, qui accordent l’indépendance aux sept Provinces-Unies, laissent entre les mains
des Habsbourg d’Espagne, puis de ceux d’Autriche, après la guerre de succession d’Espagne, les dix
provinces catholiques du sud, qui comprennent aussi le territoire du duché du Luxembourg. Cet ensemble
territorial changera par la suite fréquemment de mains, en tout ou en partie, jusqu’à la Révolution française.
— Plus à l’est, et appelées à intégrer l’Allemagne du XIXe siècle, la Bavière et la Saxe ont toutes deux
conservé longtemps une autonomie importante en s’appuyant sur la richesse patrimoniale des maîtres de ces
territoires.
— C’est l’adjonction de la Saxonie et de la Bavière au tournant du VIIIe siècle qui permet à Charlemagne de
fonder un empire se distinguant significativement territorialement de celui des Mérovingiens, ces deux
territoires situés à l’est disposant d’une population importante et dans le cas de la Bavière, d’une grande
richesse, allié à un niveau de développement supérieur à celui des autres territoires carolingiens, grâce à
l’influence romaine.
— Cependant, comme les autres grands duchés à l’origine de l’empire carolingien, la Bavière va connaitre
une série de modifications territoriales importantes, d’autant que son intégrité territoriale ne sera pas protégée
avant l’octroi de la dignité électorale en 1623.
— L’histoire de la Bavière depuis le moyen-âge est intimement liée à celle de la dynastie des Wittelsbach,
qui a dominé le territoire jusqu’au XIXe siècle et dont est issu l’empereur Louis IV, puis le célèbre Louis II,
roi de Bavière du XIXe siècle.
— Cette famille, qui est aussi étroitement liée à l’histoire du Palatinat, prend le contrôle de ce qui reste de la
Bavière dès 1180, lorsque Frédéric Barberousse confie le territoire à Otton de Wittelsbach. Inversant la
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logique de démantèlement territorial, les Wittelsbach de Bavière vont accroître considérablement leurs
possessions au fil des siècles, ajoutant à leur domaine la Hollande et le Tyrol, entre autres.
— La proximité des possessions des Habsbourg et des Wittelsbach provoquera entre les deux familles une
grande rivalité qui s’éteindra temporairement dans le cadre de la Réforme, les deux familles se retrouvant à la
tête du parti catholique et l’empereur pouvant compter sur l’appui de son puissant voisin.
— C’est en récompense à cet appui indéfectible que Maximilien de Bavière obtient en 1623 le titre
d’Électeur, originellement pour en priver l’électeur du Palatinat, Wittelsbach lui aussi, pour cause d’appui au
protestantisme.
— Malgré cette pause, la rivalité des deux familles ne s’éteindra jamais véritablement, ce dont témoigne le
rattachement de la Bavière à la fin du XIXe siècle à l’empire allemand des Hohenzollern, heureux rival des
Habsbourg d’Autriche.
— Les duchés saxons ont pour leur part connu une évolution très saccadée depuis le rattachement de la
Saxonie de Widukind à l’empire de Charlemagne. Ce terme de « duché de Saxonie » disparait d’ailleurs au fil
de l’émiettement territorial, alors que les territoires répondant à ce nom se trouvent par la suite éloignés du
littoral de la mer Baltique, où ils se trouvaient à l’origine.
— L’une des principautés héritières du duché médiéval de Saxonie, la Saxe-Wittenberg, est en 1356
transformée en Électorat de Saxe et conséquemment, son territoire sera dès lors protégé.
— Lorsque la dynastie d’Ascanie s’éteint en 1423, l’empereur Sigismond confie l’électorat de Saxe à la
dynastie de Wettin, dont les différentes branches peupleront de nombreux trônes d’Europe : les Windsor
britanniques en sont issus, ainsi que la famille régnante en Belgique depuis 1831, de même que, au long de
l’histoire, certains rois de Pologne, de Bulgarie et du Portugal.
— En Allemagne, les possessions des différentes branches des Wettin sont aussi très importantes, mais
aucune, malgré sa relative petitesse, ne l’est autant que l’Électorat de Saxe. Tout au long de la domination de
Wettin, les domaines familiaux se développent, ce qui permettra en 1485, à la mort de Frédéric II de Saxe, la
division du domaine familial, sans que bien sûr l’Électorat ne soit touché.
— La Saxe, on l’a vu, joua un rôle très important dans la réforme, Frédéric III ayant d’abord été le fondateur
de l’université de Wittenberg où enseigne Martin Luther, puis le protecteur personnel de ce dernier après sa
mise au ban de l’empire. Autant les Wittelsbach sont liés au parti catholique, autant les Wettin sont liés aux
protestants.
— Les successeurs immédiats de Frédéric s’illustreront par la suite comme les meneurs du parti protestant,
poussant Charles Quint en 1547 à retirer à Jean-Frédéric 1 er de Saxe (et à la branche aîné des Wettin) le
contrôle de l’Électorat, confié dès lors à la branche cadette, qui conservera le territoire et la dignité électorale
jusqu’en 1806.
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