CHAPITRE VII LA FACE, LA CAVITE BUCCALE ET LE PHARYNX 7.1. Formation de la face Les parties supérieures de la face proviennent de bourgeons mésenchymateux qui apparaissent à l'extrémité crâniale de l'embryon. Ce sont le processus frontonasal, les deux processus maxillaires et les deux processus mandibulaires. Ces derniers dérivent de l'arc mandibulaire qui donne la partie inférieure de la face (figure 7.1). Le processus frontonasal forme progressivement un renflement circulaire autour chaque placode olfactive. Ces renflements repoussent les placodes en profondeur. dépression qui en résulte se transforme en fosse, la fosse nasale, puis en cavité nasale. formation de ces renflements divise le processus fronto-nasal en ses composants : processus frontal, un processus nasal médial et un processus nasal latéral (figure 7.2). de La La un Les deux processus nasaux médiaux fusionnent en un septum dont la cicatrice s'observe chez l'adulte au niveau de la lèvre supérieure. Ce septum médian se prolonge en profondeur pour séparer les deux cavités nasales. Il donne naissance à l'os vomer. D'autre part, ces deux processus nasaux médiaux fusionnent avec les deux processus de l'arc maxillaire pour former la région sous-nasale de la face (os incisifs, os nasaux, lèvre supérieure, ailes du nez,...). Au point de fusion du processus nasal latéral et du processus maxillaire correspondant persiste une ligne ectodermique qui se creuse en canal par la suite : le canal lacrymo-nasal qui relie l'angle nasal de l'orbite à la cavité nasale correspondante. Les processus nasaux latéraux fusionnent également avec le bord supérieur des processus maxillaires et forment ensemble les os latéraux de la face (zygomatique, lacrymal, ...). Des variations de la forme de la face s'observent chez nos animaux domestiques. Le mouton a la lèvre supérieure fendue, les carnivores ont une gouttière médiale au niveau de la lèvre supérieure et les chevaux et les bovins ont une lèvre supérieure lisse. D'autre part, nos animaux domestiques sont dolocéphales (crâne allongé) alors que les primates représentent l'autre extrême avec un crâne brachycéphale. 1 7.2. La cavité buccale La cavité buccale est initialement formée par une invagination de l'ectoderme. Cette première invagination est nommée bouche primitive ou stomodeum. Elle se situe entre la saillie de la vésicule cérébrale et celle du cœur. Le stomodeum s'agrandit pour former progressivement la cavité buccale de l'adulte grâce à l'allongement des processus maxillaire et mandibulaire. Le fond de cette dépression ectodermique est en contact avec l'extrémité crâniale de l'intestin primitif au niveau de la membrane pharyngienne (cf. chapitre III). Cette membrane pharyngienne ou bucco-pharyngienne se rupture assez tôt (17 à 20 j.p.c. chez le porc) établissant une communication entre la bouche et le pharynx. L'épithélium buccal (et les glandes associées) sont d'origine ectodermique et l'épithélium pharyngien (et ses glandes associées), d'origine endodermique. 7.3. Les dents (figures 7.3 à 7.5) Chaque dent se développe à partir d'une ébauche binaire, ectodermique et mésodermique. La partie ectodermique qui dérive de l'épithélium buccal produit l'émail et contrôle la forme de la dent tandis que l'ébauche mésodermique fournit la dentine, la pulpe et le cément. Il n'existe pas de différence fondamentale entre le développement de la dent lactéale et celui de la dent adulte. De l'épithélium de la cavité buccale un prolongement, la lame dentaire, s'avance dans le mésoderme sous-jacent au sein duquel elle présente bientôt un nombre précis d'épaississements ou ébauches dentaires. Le nombre de ces épaississements correspond au nombre de dents chez l'adulte de l'espèce. Ce mouvement ectodermique est provoqué par un inducteur synthétisé par le mésoderme maxillaire et mandibulaire(1). (1) La présence de cet inducteur à été notamment mise en évidence en greffant une pièce d'ectoderme mandibulaire de foetus de poule sur un morceau de mésoderme mandibulaire fœtal de souris. Le tout a été transféré dans la chambre antérieure de l'œil d'une souris adulte (endroit immunodéprimé pour éviter le rejet de greffe). Le mésoderme de souris induisit la formation d'une dent reptilienne par l'ectoderme de poule. Cette expérience montre que i) l'inducteur est non spécifique puisqu'un signal de souris induit une réaction chez un tissu de poule; ii) que les poules n'ont pas de dent par absence de signal inducteur mésodermique car leur ectoderme buccal a conservé la propriété de former des dents comme celles portées par les ancêtres reptiliens des oiseaux (150 millions d'années pour l'archéoptéryx, oiseau(?) denté, ± 60 millions d'années pour les premiers oiseaux sans dents) et que iii) c'est bien l'ectoderme qui règle la forme de la dent puisque c'est une dent reptilienne et non mammalienne qui a été produite. 2 Chaque épaississement ectodermique prend la forme d'une cloche à double paroi nommée organe de l'émail. La paroi externe n'a aucune fonction spéciale alors que les cellules de la paroi interne se différencient en adamantoblastes qui produiront l'émail. Entre les deux parois de la cloche se trouve la gelée de l'émail. Si la dent en formation est destinée à être une dent lactéale (ex. incisives, canines), une seconde ébauche dentaire apparaît en marge de la première. Elle formera la dent adulte. Le mésoderme placé sous l'organe de l'émail se différencie en cellules odontoblastes chargées de produire la dentine. Les odontoblastes viennent se placer en vis-à-vis des adamentoblastes de manière à ce que l'émail recouvre exactement la dentine. Au fur et à mesure de la production de la dentine, l'odontoblaste "recule" en laissant un fin canal bientôt colonisé par une fibre nerveuse. La présence de ces fibres nerveuses rend toute agression de la dentine particulièrement douloureuse. L'émail est insensible. Au centre du massif mésodermique de la dent en formation se trouve la pulpe dentaire. Elle est colonisée par le système vasculaire et nerveux (fibres sensitives). L'ensemble est entouré par un tissu conjonctif plus dense : le sac dentaire. Les cellules du sac dentaire se différencient en ostéoblastes qui élaborent une structure de type osseux autour de la racine de la dent : le cément. Enfin, le mésoderme adjacent au sac dentaire forme l'alvéole osseuse et le ligament alvéolo-dentaire qui unira fermement la dent adulte à sa mâchoire. 7.4. Les glandes salivaires (figure 7.6) Les glandes salivaires prennent naissance de l'épithélium ectodermique de la cavité buccale. Elles débutent par une invagination en doigt de gant au sein du mésoderme sousjacent. Ce premier cordon plein se ramifie ensuite et les extrémités des ramifications ultimes se transforment en acini pendant que les divisions du cordon se creusent d'un canal. L'acinus est donc un cul-de-sac bordé de cellules glandulaires et relié à la cavité buccale par les canaux excréteurs de diamètre croissant. L'endroit où le canal excréteur débouche indique l'endroit où la glande a pris naissance. Le fait que la glande sublinguale possède plusieurs canaux excréteurs montre qu'elle est constituée de plusieurs cordons épithéliaux. Le mésoderme fournit le tissu de soutien de la glande, à savoir la caspule qui entoure la masse glandulaire et les septa conjonctifs qui séparent les lobules. Eux-mêmes sont divisés par de minces cloisons conjonctives qui séparent les acini. Ce tissu de soutien comprend également la vascularisation et l'innervation sympathique. En règle générale, ces glandes n'entrent en fonction qu'après la naissance. 3 7.5 L'hypophyse (figures 7.7 et 7.8) L'hypophyse est une structure ectodermique à double origine, en ce sens qu'elle provient de deux ébauches embryonnaires distinctes mais toutes deux ectodermiques : l'ectoderme de la cavité buccale pour l'adénohypophyse et le diencéphale pour la neurohypophyse. Le primordium de l'adénohypophyse est une évagination du toit de la partie caudale du stomodeum : la poche hypophysaire ou poche de Rathke. Cette évagination est induite par le mésoderme sous-jacent et croît en direction du diencéphale pour rejoindre et s'aplatir contre un diverticule du diencéphale : le bourgeon neuro-hypophysaire. L'évagination se sépare de l'épithélium stomodéal et donne naissance à l'adénohypophyse. Sa configuration est variable d'une espèce à l'autre. La partie la plus éloignée de la neurohypophyse forme la pars distalis et la pars tuberosis. La partie accolée à la neurohypophyse donne la pars intermedia. La neurohypophyse se forme à partir d'un diverticule ventral du diencéphale (un des renflements du tube neural à l'origine du SNC). Ce diverticule maintient le contact avec le cerveau par un pédicule : la tige pituitaire. Cette tige est creusée d'un prolongement du troisième ventricule : le récessus infundibulaire. La partie distale de la neurohypophyse est compacte et constitue la pars nervosa de la glande. 7.6 La langue (figure 7.9) Embryologiquement la langue est une structure pharyngienne bien qu'elle se situe dans la cavité buccale chez l'adulte. Elle provient de plusieurs bourgeons mésodermiques qui apparaissent sur la plancher du pharynx. Ces bourgeons croissent rostralement dans la cavité buccale et fusionnent ensemble. Ces bourgeons primordiaux comprennent une paire d'élargissements de l'arc mandibulaire appelés les gonflements linguaux ou bourgeons linguaux distaux et un renflement médian appelé le bourgeon lingual médial. A ces trois bourgeons, vient s'ajouter une crête reliant les portions ventrales des deuxièmes arcs appelée la copula ou bourgeon lingual proximal. La croissance et la fusion de ces structures forment les différentes parties de la langue. Le bourgeon médial et les deux bourgeons distaux forment le corps de la langue (partie mobile et libre recouverte d'un épithélium ectodermique). La copula forme la racine de la langue rattachée à l'os hyoïde (lui-même dérivé de l'arc mandibulaire) et recouverte d'un épithélium endodermique. Les différents types de papilles linguales dérivent soit de l'épithélium ectodermique (papilles filiformes du corps) soit de l'épithélium endodermique (papilles vallées et foliées de la racine). Le massif mésenchymateux des bourgeons donne les muscles et la vascularisation. L'innervation est sensorielle (sens du goût), sensitive (sensibilité thermique, tactile et douloureuse) et motrice (muscles). 4 7.7 Le pharynx (figure 7.10) Le pharynx constitue la partie rostrale de l'intestin primitif ou archentéron. Il est initialement fermé crânialement par la membrane bucco-pharyngienne dont la disparition met le pharynx et la cavité buccale en large communication. Le pharynx est limité latéralement et ventralement par cinq paires de colonnes mésodermiques qui se rejoignent ventralement : les arcs branchiaux. Le plancher du pharynx élabore crânialement la copula (cf. formation de la langue). Immédiatement en arrière de la copula apparaissent deux élevures symétriques : les bourgeons laryngés. Entre ces gonflements se creuse une gouttière, première ébauche de l'arbre respiratoire. Au niveau des deux premiers arcs brachiaux, l'endoderme du plancher pharyngien s'invagine et prolifère en une masse compacte de cellules : la thyroïde. Cette masse migre en région ventrale du cou et se sépare de l'endoderme du pharynx. Elle se divise en deux lobes qui acquièrent progressivement la disposition histologique de la glande thyroïde (follicules bordés de cellules glandulaires qui y déchargent leur sécrétion). Entre deux arcs branchiaux successifs ainsi que derrière le dernier arc, l'endoderme s'évagine pour former une poche branchiale. A la surface de l'embryon, l'ectoderme forme également des dépressions en regard de celles formées par l'endoderme : les sillons branchiaux. Chez les mammifères il y a en principe 5 paires d'arcs branchiaux et le même nombre de poches et de sillons branchiaux mais seuls les trois premiers arcs sont facilement identifiables. Chaque arc est traversé par une artère ou arc aortique. On en distingue 6 (le dernier arc aortique chemine en arrière du cinquième arc branchial). Ces structures endodermiques (arcs et poches) et ectodermiques (sillons) donnent naissance à plusieurs structures dérivées. A) Dérivés des poches branchiales Poche I - tube auditif interne - cavité tympanique - membrane tympanique (épithélium interne) Poche II - tonsille palatine Poche III - parathyroïde externe - thymus (l'essentiel de la masse) Poche IV - parathyroïde interne - thymus (une faible partie) Poche V - corps ultimo-branchial associé à la thyroïde (cellules C parafolliculaires qui produisent la calcitonine) 5 B) Dérivé des sillons branchiaux Sillon I - conduit auditif externe - glandes à cérumen - membrane tympanique (épithélium externe) Sillon II - sinus cervical (structure transitoire) Sillon III - sinus cervical (structure transitoire) Sillon IV - pas de dérivé Sillon V - pas de dérivé C) Dérivés des arcs branchiaux Arc I enclume (incus). - deux des os de l'oreille moyenne : marteau (malleus) et mandibulaire - le bourgeon mandibulaire qui fusionnera avec l'opposé. - la musculature ptérygoïdiens) de la mastication (masséter, temporal, - une partie de la musculature hyoïdienne (mylohyoïdien) - corps et surtout racine de la langue Arc II hyoïdien - le troisième os de l'oreille moyenne : l'étrier (stapes) - l'essentiel de l'appareil hyoïde (os et muscles) - muscles cutanés de la tête et du cou Arc III - corps et grandes cornes de l'hyoïde - musculature de la partie antérieure du pharynx Arc IV - peu développé. Participe à la formation des cartilages et de la musculature du larynx Arc V - idem arc IV 6 7.8 Anomalies de la face, de la bouche et du pharynx 7.8.1. Les fentes Rares chez nos animaux à l'exception de la fente palatine. La fente labiale (cheiloschisis ou "bec de lièvre") : défaut ou non fusion des deux proéminences nasales médiales (fente centrale ou bec de lièvre classique) ou défaut de fusion avec le bourgeon maxillaire correspondant (fente décentrée, plus rarement deux fentes décentrées). Ce processus a une base génétique chez le porc, le chat, le chien et les ruminants. La fente palatine (palatoschisis). Elle est primaire si le défaut de fusion concerne les processus nasals médiaux (bec de lièvre) et se prolonge en profondeur par une absence de fusion des os incisifs. Elle est secondaire si elle résulte d'une absence de fusion des deux processus palatins des os maxillaires. La face est normale, mais la cavité buccale est en communication avec les cavités nasales au niveau du palais dur. Cette anomalie semble avoir également une composante génétique. Les fentes faciales : elles résultent d'un défaut de fusion entre le processus nasal latéral et le bord supérieur du bourgeon maxillaire. Elles s'étendent donc de la narine à l'angle nasal de l'orbite. Très rares. 7.8.2. Anomalies du conduit nasolacrymal Il s'agit soit d'une atrésie (absence de développement) décrite chez le chien et le cheval, soit de la présence de canaux surnuméraires, ectopiques qui débouchent sur la face (bétail). 7.8.3. Anomalie de la mandibule Un défaut complet de développement mène à une agnathie. Un développement insuffisant des bourgeons mandibulaires mène à un raccourcissement de la mandibule ou brachygnathie inférieure. 7.8.4. Anomalies du maxillaire supérieur Un sous-développement de la face et du maxillaire supérieur est classiquement observé chez certaines races de chiens (bulldog, boxer, pékinois,...) et de chats (persan, birman) et mène à une brachygnathie supérieure (ou encore brachycéphalie). Elle s'accompagne d'un prognatisme inférieur. 7 7.8.5. Anomalies du nombre de dents Il peut s'agir de dents surnuméraires (souvent les prémolaires) suite à la formation de bourgeons dentaires supplémentaires. Les dents surnuméraires apparentes s'observent lorsque le bourgeon dentaire de la dent adulte n'est pas situé directement en dessous de celui de la dent lactéale. La dent adulte pousse alors devant ou derrière la dent lactéale (le plus souvent au niveau des incisives et des canines). L'anodontie est l'absence de dents. L'anodontie totale est rare. Chez les chiens, elle concerne le plus souvent les prémolaires et chez le chat les incisives. Il s'agit probablement d'un défaut de formation de l'organe de l'émail. L'hypoplasie de l'émail par un développement trop faible de l'épithélium des adamantoblastes. L'émail est défectueux voire absent. S'observe chez les chiens atteints de la maladie de Carré avant la naissance et chez le bétail Holstein (composante héréditaire) 7.8.9. Anomalies de la langue La "langue d'oiseau" est le résultat d'une croissance anormalement rapide du bourgeon lingual médial. La langue est petite, fine, pointue, ressemblant à une langue d'oiseau. Cette tare héréditaire observée chez le chien est létale car le chiot ne peut têter. Le pronostic est donc mauvais. La macroglossie est un développement anormalement accusé de la langue observé chez le bétail blanc bleu belge. Cette malformation s'opère chirugicalement, le pronostic est bon. 8