L`entrevue motivationnelle: une évolution dans la relation médecin

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L’approche motivationnelle:
un nouveau type d’entrevue en clinique
Dr. Élisabeth Rousseau
CHU Sainte-Justine
Université de Montréal
2010
Fondements historiques de l’entrevue motivationnelle
(EM) et définition
 Il s’agit d’un nouveau style
de communiquer, afin
d’aider une personne à
s’engager dans un
changement.
 Ce concept de “ discours–
changement “ a été élaboré
dans les années 80.
 L’EM ne se substitue pas à
notre mode de
fonctionnement habituel,
elle enrichit nos
compétences relationnelles.
Fondements de l’EM
 Dans la pratique clinique le médecin dans ses
consultations quotidiennes interroge, écoute, s’informe.
 Avec l’EM il va accompagner le patient dans son
cheminement, en s’appuyant :
- sur les désirs de celui ci
- ses capacités
- ses raisons
- ses besoins.
 Le rôle du médecin sera donc d’évaluer la motivation du
patient, de soutenir cette motivation.
« Je peux vous aider à résoudre ce problème par vousmême».
Postulats de l’EM
 La motivation extrinsèque peut générer une envie de
changement
ex: le patient cherche à fuir des situations menaçantes
(familiale, professionnelle, catastrophiques…)
 La motivation intrinsèque va pérenniser le changement
 La motivation ne peut s’imposer de l’extérieur
Postulats de l’EM
 La négation d’un problème peut être une réaction à





l’attitude confrontante des soignants, plutôt qu’un trait de
personnalité
La relation thérapeutique doit être plus un partenariat
qu’une relation expert / patient
Le fait d’être prêt au changement n’est pas un état
stable, mais il est la résultante fluctuante de la qualité du
lien thérapeutique, de traits de personnalité et d’autres
influences relationnelles
La résistance aux changements est une indication que
l’intervention thérapeutique s’enlise
L’ambivalence est un phénomène normal dans nombre
de situations, la personne hésite à renoncer aux
bénéfices de la situation actuelle
Les personnes ayant expérimenté plusieurs échecs ont
plus de mal à entrevoir la possibilité de réussir
Postulats de l’EM
 Ni la persuasion, ni le niveau de connaissances
ne sont efficaces pour résoudre l’état
d’ambivalence.
 Il appartient au patient et non au soignant de
résoudre ses propres ambivalences et de
trouver les moyens pour changer.
Postulats de l’EM
Quelle que soit la conviction du médecin de la
gravité de la situation et de la nécessité pour le
patient de modifier son comportement (cesser
de fumer, de boire, faire un régime, prendre ses
médicaments...), seule la motivation du patient à
changer son comportement aura des impacts
significatifs sur les résulats.
Les principales causes actuelles
de décès
 Cancers
 Diabète
 Maladies cardiovasculaires
Elles sont en grande partie attribuables à des
comportements à risque, par conséquent évitables
Parmi ces facteurs de risque
modifiables liés aux habitudes de vie,
il y a:
 l’alimentation malsaine
 la sédentarité
 le tabagisme et autres toxicomanies
Dans les enquêtes les gens expriment ouvertement le désir
de changer:
 53 % aimeraient améliorer leur alimentation
 61% être plus actifs
 72% des fumeurs voudraient cesser ou diminuer leur
consommation
Alors pourquoi a -t -on tant de non- adhésion
( de 50 à 75% des patients) aux conseils de prévention
et aux traitements des thérapeutes
REF: Enquête Ipso Read Canada 2009
Fondements de l’EM et définition
 L’EM est une façon de
guider un patient à
s’automotiver pour
changer un
comportement de santé,
un style de vie.
 L’EM incorpore les étapes
de changement du
modèle de Prochaska et
DiClemente, pour bien
identifier les moments
propices au changement
REF: Transtheoretical therapy: Toward a more integreting model of change
Psychotherapy: theory Research and practice 1982:19;276-88
Le modèle de Prochaska
Maintien
Rechute
Pré Contemplation
Action
Décision
Contemplation
Les stratégies de l’EM doivent s’adapter au stade de la motivation du patient
Les 6 étapes de changement

1- Pré- contemplation (pré- réflexion): phase précédant l’idée de changer,
où la personne ne perçoit aucun besoin de modifier son comportement.

2- Contemplation (réflexion): phase de prise de conscience du problème,
qui coïncide avec le développement d’un sentiment d’ambivalence en
regard du changement.

3- Détermination à changer (préparation, décision): phase d’orientation
vers la résolution de l’ambivalence et le désir de changer.

4- Action: phase où la personne prend des moyens pour changer.

5- Maintien: phase de persévérance de la personne dans son désir de
changer et dans l’adoption des mesures nécessaires à une action à long
terme pour éviter de retomber.

6- Rechute possible: phase où la personne retombe dans ses habitudes
antérieures et doit recommencer le processus de changement.
3 conditions sont nécessaires pour
modifier un comportements en matière
de santé
Information
Motivation
Habilités
Si un patient a les
informations et les
habilités requises et qu’il
n’adopte pas les conseils
proposés, c’est sur la
motivation qu’il faudra
travailler .
Comment fonctionne l’EM?
Aspect "technique"
Composante relationnelle :
 Collaboration
 Évocation
 Autonomie
Comment fonctionne l’EM?
Elle se base sur: un aspect ‘’ technique " :

qui vise à faire verbaliser par le patient un " discours
changement “
et

à diminuer ses résistances, en réduisant la
verbalisation du statu quo et les inconvénients du
changement
Exemple de travail sur
l’ambivalence face à l’exercice
Pour le statu quo
AVANTAGES
(à maintenir un mode de vie
sédentaire):
- Avoir plus de temps pour les
activités comme travail ,
cinéma, restaurant, télévision.
Pour le changement
AVANTAGES
- Se sentir plus en forme pour le
travail, pour les activités de
loisir
- Diminuer les symptômes
physiques: douleur, fatigue
- Mieux gérer le stress
- Se sentir plus heureux
INCONVÉNIENTS
- Éprouver vite une fatigue et
avoir moins de concentration
et d’énergie pour être efficace
au travail
INCONVÉNIENTS (par ex. si 3
fois par semaine 30 minutes)
- Avoir moins de temps pour
être en famille, travailler,
regarder la télévision
- Ne pas avoir de plaisir
Comment fonctionne l’EM?
2- Une composante relationnelle ou manière d’être
Quelle en est l’esprit ?
La collaboration
Par l’établissement d’un partenariat thérapeute / patient,
spécialiste de ses propres expériences de vie, de ses
réussites et de ses difficultés.
Comment fonctionne l’EM?
2- Une composante relationnelle ou manière d’être
L’évocation
Le thérapeute est un facilitateur et amène le patient à
présenter ses arguments, à exprimer lui même ses
motivations, ses solutions, ses buts, ses valeurs et sa
volonté de changement
Comment fonctionne l’EM?
2- Une composante relationnelle ou manière d’être
L’autonomie
Le thérapeute propose des pistes (approche non
directive et orientée, mais sans laisser- faire)
Il appartient au patient de choisir celle(s) à
suivre et quand le faire. Paradoxalement, le
respect de l’autonomie augmente les chances
d’obtenir des changements positifs
Principes de l’EM?
1- Faire preuve d’empathie
2- Faire verbaliser l’ambivalence
3- Éviter l’affrontement
4-Renforcer l’auto- détermination
Principes de l’EM?
1- Faire preuve d’empathie
Cette qualité d’écoute renvoie le message
qu’il est normal d’éprouver de
l’ambivalence à l’idée de modifier ses
habitudes.
Principes de l’EM?
2- Orienter l’entretien pour faire sortir les
divergences
ce qui permet à la personne de se
confronter elle- même à l’écart qui sépare
ses comportements, de ses valeurs et
objectifs personnels.
Le but est d’amener le patient à vaincre
l’inertie qui favorise le statu quo.
Principes de l’EM?
3- Éviter l’argumentation, l’affrontement
ou la menace.
 C’est contreproductif
- Pour le patient qui se persuade de son bon droit, se
sentant poussé à faire quelque chose
- Pour le thérapeute qui dans un réflexe ‘’correcteur’’
s’acharne à convaincre.
 ‘’Danser’’ avec la résistance. Après permission de la
personne, orienter les arguments et transformer la
résistance en un nouvel élan propice au changement.
Par ailleurs, quand la personne a l’air d’acquiescer trop
vite, c’est aussi suspect de résistance
Principes de l’EM?
4- Renforcer le sentiment d’efficacité
Faire confiance en les capacités d’une
personne à accomplir une tâche. Le
thérapeute doit avoir cette ‘’foi
inébranlable’’ dans le potentiel à changer
des individus.
Stratégie de l’EM
Comment cela se passe?
1- Questions ouvertes
2- Écoute réflective/ réflexive
3- Valorisation
4- Résumés
Stratégie de l’EM
Comment cela se passe?
1- On pause des questions ouvertes pour ‘’explorer’’
l’ambivalence et faire émerger le discours changement
On encourage la personne à parler de ses idées, de ses
pensées.
Ex. ‘’Si vous décidiez aujourd’hui de faire plus d’activité
physique, qu’elles sont les meilleurs choses qui
pourraient se produire ? ‘’
Ceci suscite des réponses en faveur des avantages au
changement
Stratégie de l’EM
Comment cela se passe?
2- On utilise l’écoute réflective/ réflexive en reformulant
les paroles
Cette approche donne l’occasion au patient d’entendre
son propre ‘’discours- changement’’ ce qui amplifie
l’effet.
C’est aussi une stratégie utile pour répondre aux
résistances et permet d’éviter les confrontations, tout en
faisant en sorte que la personne se sent écoutée et
comprise.
Cela renforce la relation thérapeutique et augmente les
chances de changement.
Stratégie de l’EM
Comment cela se passe?
3- On valorise la personne
En mettant l’accent sur ses forces et ses efforts.
4- On résume
À quelques reprises pendant l’entretien on
reformule, on récapitule les énoncés du patient
sur le changement, ce qui lui donne l’occasion
de les réentendre une 2e, 3e fois, et de décider
éventuellement de passer à une autre étape.
Comment savoir à quel stade se
trouve la personne
‘’Que pensez vous de…?’’
Exemples:
 prendre vos médicaments comme suggéré ?
 améliorer votre alimentation ?
 bouger davantage ?
 cesser de fumer, de boire…?
Quels sont les signes qu’un patient
n’est pas motivé?

Il n’exprime pas de désir, ni le besoin d’aide

Il ne se plaint pas de sa condition

Il blâme les autres de sa situation

Il refuse d’accepter le diagnostic

Il est en désaccord avec le thérapeute

Il se dit ‘’obligé’’ de consulter ( envoyé par l’école, son patron, le tribunal…)
Dans l’évaluation initiale le médecin explorera les connaissances, les
croyances, les causes de réticences et le répertoire des réalisations
antérieures
REF: S. Brehm Psychological reactance: Theory of freedom and control.
NY Academic Press 1981
Les tâches du thérapeute à chaque
étape






Pré contemplation: on favorise la prise de conscience et le doute
Contemplation: on discute des avantages ou désavantages d’un
changement et du statu quo, en donnant les informations
pertinentes (balance décisionnelle)
Détermination/ décision / préparation: on aide la personne à
déterminer les actions à faire
Action: on l’aide à faire les premiers pas et poser des gestes vers le
changement. On négocie et on établit un plan d’action et un agenda
déterminé
Maintien: on renforce l’engagement, on l’aide à identifier et à mettre
en pratique les stratégies de prévention d’une rechute
Rechute et interruption temporaire: on l’aide à reprendre les étapes
précédentes, tout en l’encourageant à se remémorer les succès
passés
Les 6 étapes de changements dans
les propres mots des patients
 Pré contemplation: ‘’ Non pas encore, je ne veux pas,
je ne peux pas’’
 Contemplation: ‘’Dans quelques temps je pourrai
peut -être ... Dans 6 mois, mais ...’’
 Préparation: ‘’C’est décidé je vais arrêter dans 1 mois’’
 Action: ‘’J’arrête aujourd’hui’’
 Maintien*: ‘’C’est fait j’ai réussi, je m’en suis sorti, cela
fait au moins 6 mois, 5 ans que...’’
 Rechute: ‘’J’ai recommencé, j’ai craqué..’’
* Nécessite un suivi serré
Le travail avec l’ambivalence et
les résistances
 Pour cela utiliser la règle comportant une
échelle de 0 à 10. C’est un moyen concret
d’évaluer l’état d’être prêt ou non à changer et
d’engager un processus de réflexion.
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Le travail avec l’ambivalence et les
résistances
Dialogue médecin –patient
Pour le niveau de conviction
«Q’est- ce que ça pourrait vous apporter de bon si vous décidiez de…?»,
« Quels avantages en retiriez-vous…?»
À classer de
0 pour «rien»
10 pour «je suis convaincu que cela me ferait…»
Pour le niveau de confiance en soi, avec la question qui vise à trouver les
solutions.
«Si vous décidiez de …. pensez vous être capable de le faire ? »
À classer de
0 pour «impossible, je me sens impuissant»
10 pour « j’ai totalement confiance que je réussirai, ce n’est pas un
problème »
D’une visite à l’autre on compare et mesure
Dialogue type d’une entente
négociée
 Médecin: «Cela me semble une très bonne idée,
pouvons-nous nous entendre sur ce plan d’action et voir
comment changer les choses d’ici le prochain rendezvous? »
 Patient: «Bien sûr. Je serai content de vous en donner
des nouvelles »
Le plan de changement ressemble à une prescription .
Il doit être adapté, approprié dans le temps et
acceptable.
propices aux
s
et encourage
, des études, un hobby valorisants
Les écueils et malentendus à éviter de la
part du médecin, qui empêchent le lien de
confiance





L’autoritarisme de l’expert avec ses réflexes correcteurs et son ton
moralisateur: ordre, menace, culpabilisation, confrontation,
infantilisation, déresponsabilisation
Les préjugés: jugement péremptoire, en apposant des étiquettes
Les contre- attitudes négatives: scepticisme, pessimisme par
rapport au succès de la démarche
Le manque ‘’d’outils’’ pour répondre aux questions du patient:
prise en charge dilatoire
Le manque de temps, on force les individus, alors qu’ils ne sont
pas prêts ( réactance psychologique)
Paroles de médecin
«Je perds mon temps, je tourne en rond, c’est
frustrant, il n’y a rien a faire.»
Les limites de l’EM
 Déficience intellectuelle
 Maladies Psychiatriques
 Différences culturelles
Les qualités essentielles du
thérapeute
Le médecin est directif sur l’entretien et non sur le
comportement à adopter.
 Empathie
 Chaleur
 Authenticité
 Respect
Les champs d’expertise de l’EM
 En médecine: tous les cas ‘’récalcitrants’’, surtout si on
les prend tôt
 Consignes d’adhésion et d’observance de traitements, de
vaccinations
 En prévention primaire et secondaire, directives nutritionnelles,
conseils anti-sédentarité, guidance pour les dépendances au
tabac, à l’alcool, aux drogues, councelling sur les
comportements sexuels à risque ...
 En éducation
 Dans le système pénal
REF:
1. Méta- analyse des études sur l’efficacité de l’EM, Ann Review of clinical
psycology 2005 Vol(1):91-111
2. Cochrane Review 2010 (Issue 3)
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