Que désirent les habitants des villes et que peut

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Que désirent les habitants des villes
et que peut-on leur offrir ? Étude en
prospective urbaine dans le cadre
d’une démarche de planification
participative
Claire Poitras et Sandra Breux
Que désirent les habitants des villes
et que peut-on leur offrir ? Étude en
prospective urbaine dans le cadre d’une
démarche de planification participative
Claire Poitras et Sandra Breux
Rapport présenté à la Ville de Montréal
Service de la mise en valeur du territoire
Janvier 2013
Responsabilité scientifique : Claire Poitras
[email protected]
Institut national de la recherche scientifique
Centre - Urbanisation Culture Société
Comité de suivi à la Ville de Montréal : Nicolas Lavoie et Karim Charef
Diffusion :
Institut national de la recherche scientifique
Centre - Urbanisation Culture Société
385, rue Sherbrooke Est
Montréal (Québec) H2X 1E3
Téléphone : (514) 499-4000
Télécopieur : (514) 499-4065
www.ucs.inrs.ca
Projet de recherche financé par la Ville de Montréal
TABLE DES MATIERES
Rappel du mandat et présentation de la démarche .................................................... 1
Démarche méthodologique..................................................................................................... 4
Quelques constats préliminaires et préceptes ........................................................................ 5
Des tendances sociodémographiques lourdes dans la région de Montréal ........................... 9
Expériences et usages de l’espace urbain ................................................................ 11
Tendance 1 – Vers un urbanisme sensible, temporel et flexible? ........................................ 11
Des archipels fonctionnels à la ville «réenchantée» ............................................................. 11
Affirmer l’expérience sensible de l’espace urbain ................................................................ 13
La ville flexible ....................................................................................................................... 15
Regard critique: quelle ville pour demain ? .......................................................................... 17
Habiter la ville de demain ........................................................................................... 18
Tendance 2 – Individuation des modes de vie et nouvelles temporalités ............................ 18
Vers des «tiers-lieux» de travail? .......................................................................................... 18
Des espaces d’habitat écotonaux de transition au co-housing ............................................. 20
Regard critique : La rue, reflet de la ville ? ............................................................................ 21
Se déplacer dans la ville de demain .......................................................................... 23
Tendance 3 - Les déplacements et la mobilité. La multi-activité en mouvement et le rôle du
transport collectif .................................................................................................................. 23
Un rôle renouvelé pour les nœuds de transport................................................................... 23
Le transport actif ................................................................................................................... 27
Les nouvelles contraintes énergétiques et environnementales .............................. 29
Tendance 4 - Une ville résiliente, saine, éco-efficace et favorable à la biodiversité ............ 29
Le changement climatique et ses effets. Mieux gérer les eaux de ruissellement................. 30
Réinventer la présence de la nature en ville ......................................................................... 31
La demande sociale de nature en ville .................................................................................. 32
Pour conclure .............................................................................................................. 35
Annexe 1 ......................................................................................................................36
Liste de mots clés en français et en anglais ayant servi à constituer la bibliographie .......... 36
iv
RAPPEL DU MANDAT ET PRÉSENTATION
DE LA DÉMARCHE
Cet exercice de prospective urbaine s’inscrit dans le cadre d’une réflexion sur le
réaménagement du site de l’ancien hippodrome se trouvant au cœur de l’île de
Montréal. L’objectif de cette réflexion est d’explorer ce qui est souhaitable et possible,
tout en tenant compte des aspirations exprimées par les ménages et les usagers de la
ville. Soulignons aussi que, pour parvenir à anticiper les évolutions à venir, une
démarche de prospective urbaine exige de tenir compte de la multiplicité des acteurs en
présence : les instances fournissant les services publics et municipaux (transport, santé,
éducation, loisir, etc.), les professionnels de l’aménagement, les citoyens/habitants, les
représentants des mouvements associatifs, les entreprises qui fournissent des emplois
et qui souhaitent une bonne accessibilité et des environnements urbains de qualité, les
promoteurs immobiliers qui construisent des logements, les multiples entrepreneurs
commerciaux qui fabriquent le tissu marchand de la villes, etc.
Le site de l’ancien hippodrome est un vaste territoire de 43,5 hectares qui est accessible
bien que relativement enclavé et qui se trouve à proximité d’importants axes de
transport et de zones d’emplois. À titre de l’un des derniers grands sites vacants de
Montréal, il dispose de plusieurs opportunités en termes de réaménagement : en plus
d’être entouré de zones d’emplois de différents secteurs (santé et enseignement,
services à la consommation, services à la production), une station de métro et de
nombreux commerces s’y trouvent à proximité et les sols n’ont pas été contaminés par
la présence d’activités industrielles. Mentionnons aussi que la Ville de Montréal en est
actuellement l’unique propriétaire, ce qui lui procure une marge de manœuvre
importante pour définir les orientations et les objectifs en matière de planification et de
développement. Le tableau 1 résumé les opportunités et les défis auxquels les
aménagistes et les planificateurs devront répondre pour faire du site de l’ancien
hippodrome un nouveau milieu de vie pour les ménages.
1
Figure 1 - Vue aérienne du site de l'hippodrome et de son milieu environnant. Source : Ville de
Montréal, Projet Hippodrome
http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8977,100295844&_dad=portal&_schema=PORTAL
Bien que représentant des défis importants en termes de connectivité, d’aménagement
d’infrastructures et de services collectifs, de même que de verdissement urbain, le site
de l’ancien hippodrome bénéficie de conditions contextuelles favorables à l’élaboration
d’un projet de redéveloppement qui serait à prédominance résidentielle. Qui plus est, les
orientations auxquelles le réaménagement du site devra répondre visent à assurer un
tissu social diversifié, à concevoir un milieu urbain encourageant les déplacements à
pied et le transport collectif et à fournir un environnement sain notamment grâce à une
stratégie de verdissement urbain (parcs, arbres de rue, jardins, toits verts, etc.).
2
Tableau 1: Synthèse des opportunités et des défis du site de l'hippodrome et de
ses abords
Opportunités
Lieu possédant une histoire unique
Propriété publique permettant de doter le site d’une vision d’ensemble
Site immense inhabité et contenant peu de bâtiments
Site offrant une vue sur le mont Royal
Terrain situé au centre de l’île de Montréal et à proximité des grandes artères, du métro, de l’aéroport
international Pierre-Elliott-Trudeau et de la ligne de trains de banlieue
Situé à côté d’un pôle d’emplois industriel et scientifique et à proximité de quelques grands
propriétaires, dont le Canadien Pacifique
Site offrant une végétation arborescente en bordure du site et une végétation en prairie
Défis
Site quasi-enclavé par des voies ferrées très fréquentées, une autoroute et un secteur industriel
Site bordé par d’autres municipalités
Bruit et pollution importants causés par les voies ferrées et l’autoroute
Faible desserte en infrastructures et en services publics et commerciaux
Proximité d’îlots de chaleur
Faible capacité résiduelle du réseau d’égout à proximité
Source : Ville de Montréal, Mise en valeur du secteur de l’hippodrome de Montréal - Document préparatoire
au forum d’experts - 9, 10 et 11 décembre 2012, Direction de l’urbanisme et du développement économique
du Service de la mise en valeur du territoire de la Ville de Montréal.
http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/hippo_fr/media/documents/document_prep_forum_exper.pdf;
Ville de Montréal, Mise en valeur du secteur de l’hippodrome de Montréal - Document préparatoire au forum
d’experts - 9, 10 et 11 décembre 2012, Direction de l’urbanisme et du développement économique du
Service de la mise en valeur du territoire de la Ville de Montréal.
http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/hippo_fr/media/documents/document_prep_forum_exper.pdf
Les caractéristiques du quartier à construire
Montréal planifie pour les générations futures en visant :
● un quartier inclusif, offrant tous les services de proximité, conçu pour répondre notamment aux besoins
des familles avec enfants;
● un quartier imprégné d’une forte présence de la nature (parcs, jardins communautaires, toits verts, etc.);
● un quartier qui mise sur le transport actif et collectif
Source : Ville de Montréal, 2012, p. 5.
3
Démarche méthodologique
Pour alimenter la réflexion quant à la manière d’imaginer un nouveau quartier urbain et
d’anticiper les aspirations socioculturelles et les besoins auxquels il devra répondre,
nous avons réalisé une recension des écrits scientifiques publiés depuis 2005. Nous
avons repéré et documenté les principales tendances sociales et culturelles qui seront
importantes pour l’aménagement et la planification des villes. Il nous est aussi apparu
pertinent de prendre un peu de recul pour réfléchir plus globalement à l’avenir des villes.
Notre objectif n’est pas de proposer un concept d’aménagement. Il s’agit plutôt, d’une
part, de fournir des pistes de réflexion sur la manière dont les ménages voudront et
pourront vivre dans le futur et, d’autre part, de dégager les tendances émergentes quant
à la ville en devenir. Après avoir réalisé un premier examen des orientations que
prendront la vie en ville et les pratiques sociales des citadins, nous les avons
regroupées en grandes tendances qui seront déterminantes pour la planification et
l’aménagement des milieux urbains de demain. Elles sont liées :
1) à l’expérience et aux usages de l’espace
2) à l’individuation des modes de vie et aux nouvelles temporalités
3) aux déplacements et à la mobilité
4) aux nouvelles contraintes énergétiques et environnementales.
L’exploration des futurs possibles d’un territoire urbain appelle une analyse à différentes
échelles : logement, îlot, quartier, arrondissement, ville et région métropolitaine. À cet
égard, l’articulation des dimensions sociales et environnementales du développement et
de l’aménagement du territoire fait appel à la notion de justice environnementale. Cette
dernière nous amène à réfléchir aux polarisations sociales non pas à l’échelle du
quartier ou d’un secteur mais plutôt à l’échelle de la ville-centre, voire de la région
métropolitaine. Les enjeux de durabilité urbaine et de justice environnementale doivent
donc être traités à l’échelle de l’aire métropolitaine 1.
Notre approche s’appuie à la fois sur les tendances observées par le passé mais surtout
sur les éléments ou les facteurs de discontinuité ou de rupture. Par exemple, on peut
faire l’hypothèse que la question environnementale – c’est-à-dire la nécessité de tenir
1
Haas, T. (2012). «Sustainable Urbanism and Beyond», in T. Haas (dir.), Sustainable Urbanism and
Beyond. Rethinking Cities for the Future, New York, Rizzoli, p. 9.
4
compte de la nouvelle donne climatique, d’assurer un air de qualité en minimisant les
émissions polluantes, de mieux gérer les eaux usées et de ruissellement ainsi que les
matières résiduelles, etc. – deviendra capitale et forcera les différents acteurs de
l’aménagement à revoir leurs pratiques. De plus, la montée en puissance des réseaux
numériques offre la possibilité de créer de nouvelles sociabilités et contribue à redéfinir
l’organisation de la vie quotidienne, y inclus les manières dont on travaille, accède aux
services, communique, se divertit, etc. Il s’agit là d’une nouvelle réalité dont les effets
sur les usages des espaces publics et privés dans la ville se feront de plus en plus
ressentir.
D’une manière générale, la prospective urbaine vise à fournir des balises pour réfléchir à
l’avenir d’un territoire qui connaîtra une nouvelle vocation au cours des années à venir. Il
apparaît donc impératif de concevoir d’une manière plus globale le futur des milieux
urbains à partir des tendances sociales qui les façonneront. La prospective est un
instrument permettant de guider l’élaboration d’un projet d’aménagement ou de
réaménagement urbain. À cet égard, une tendance forte se dégage : elle concerne
l’inclusion des habitants dans la démarche de planification et surtout la prise en
considération de leurs besoins et de leurs pratiques. Autrement dit, il faut aménager la
ville d’abord et avant tout pour les gens 2.
Quelques constats préliminaires et préceptes
Comment expérimentera-t-on la ville et l’espace urbain dans le futur? À quelle demande
sociale en termes de services urbains et collectifs, de logement et de transport devra-ton répondre? De quelle manière les tendances sociales émergentes dans la ville à
plusieurs temps ou poly chronique vont-elles changer la vie urbaine? Comme le rappelle
François Ascher dans son ouvrage paru en 2005, la prospective «est en quelque sorte
l’art du plausible» 3. Cette définition vise à distinguer ce type de réflexion de l’utopie ou
de la prévision, cette dernière constituant une démarche scientifique. Ascher 4 soutient
que le contexte de la modernité avancée ou de l’hyper modernité est caractérisée par un
certain nombre de conditions qui influencent les pratiques sociales. Par exemple,
2
Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press.
Ascher, F. (2005). La société hypermoderne. Ou les événements nous dépassent, feignons d'en être les
organisateurs, Paris, Éditions de L’Aube.
4
Ascher, F. (2005). La société hypermoderne. Ou les événements nous dépassent, feignons d'en être les
organisateurs, Paris, Éditions de L’Aube.
3
5
l’individu hypermoderne fait face à de nombreux choix, il est de plus en plus autonome
et bénéficie de relations sociales choisies. La fluidité de la condition contemporaine –
que le sociologue Zygmunt Bauman appelle la «modernité liquide» 5 – fait en sorte qu’un
individu est désormais libre de se définir en toutes circonstances. Cet individu
individualisé a aussi développé des nouveaux rapports à l’espace et au temps grâce à
une mobilité accrue et une meilleure maîtrise du temps que peuvent fournir les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) 6. Ainsi, les avancées dans
le domaine des technologies de l’information et de la communication contribuent à
rendre la vie urbaine plus performante de différentes façons : accès en temps réel à des
informations contextuelles (temps d’attente des transports collectifs, disponibilité des
vélos en libre-service, cartes des voies de circulation saturées, restaurants ou services à
proximité, cartes géocentrées, etc.). Les NTIC sont dès lors fortement utilisées pour
résoudre des aléas de la vie quotidienne dans les régions urbaines. Mais en dépit de cet
accès accru à l’information instantanée, nos sociétés contemporaines demeurent
placées sous le signe de l’incertitude et du risque. En outre, cette incertitude se
répercute sur l’aménagement et le développement urbain des territoires. Dès lors, «les
doctrines ne sont pas définitivement fixées (…) et les stratégies sont durablement
conduites à arbitrer entre des contradictions, des tensions et des conflits.» 7
Nonobstant l’incertitude qui caractérise notre société urbaine contemporaine, comme
nous l’avons déjà souligné, d’après Jan Gehl 8, certains principes de base doivent être
pris en considération dans toute démarche de planification urbaine ou d’aménagement.
D’abord, il faut mettre l’accent sur la dimension humaine. Le rôle premier des
professionnels de l’aménagement est d’accompagner les futurs habitants d’un nouveau
secteur dans l’élaboration de leurs pratiques quotidiennes. Ensuite, un autre principe à
rappeler est que l’aménagement des villes est un exercice complexe qui exige de la
patience et du temps 9. Enfin, en aménagement et en planification urbaine, quatre
objectifs interreliés doivent être poursuivis et ils visent à assurer une ville vivante, sûre,
5
Bauman, Z. (2000). Liquid Modernity, Londres, Polity Press.
Maoti, P. (2012). «Modes et lieux de consommation», Territoires 2040, Des facteurs de changements,
Revue d’études et de prospective no 6, Paris, DATAR, La Documentation française, p. 31.
7
Berthier, E. (2010). «Introduction», Territoires 2040. Des facteurs de changement, Revue d’études et de
prospective no 2, Paris, DATAR, La Documentation française, p. 8.
8
Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press.
9
Greenberg, K. (2011). Walking Home. The Life and Lessons of a City Builder, Toronto, Random House, p.
347.
6
6
durable et en santé 10. Par conséquent, les acteurs de l’aménagement urbain accordent
de l’importance d’abord à la vie urbaine, ensuite à l’espace et enfin aux bâtiments. Selon
cette vision, le piéton est une figure particulièrement importante et la rue ne peut plus
être perçue et conçue strictement comme un espace de circulation pour les véhicules.
À partir de ces constats préliminaires sur la société urbaine contemporaine et les
principes de base devant guider l’aménagement de son espace habité, nous pouvons
avancer quelques hypothèses sur les changements à venir, ainsi que sur les
contradictions qu’ils seront à même de générer :
● les technologies numériques (c’est-à-dire les applications et les services offerts
notamment par les ordinateurs et les téléphones intelligents dont les livres numériques,
les films, etc.) vont continuer de transformer notre condition urbaine contemporaine et
future. En outre, grâce aux pratiques interactives qu’elles peuvent générer, les
technologies numériques permettent de créer les territoires d’une nouvelle géographie
électronique. Dans cette ville évanescente 11, les rapports sociaux seront de plus en plus
intermédiés 12. De plus, les commerces et les équipements publics traditionnels
(bibliothèques, cinémas, libraires, etc.) sont appelées à revoir leur vocation initiale et à
modifier leur offre. Ces transformations auront aussi des répercussions sur «l’inscription
spatio-temporelle du commerce, remettant en cause la suprématie du schéma des
achats dans les pôles commerciaux de périphérie le samedi après-midi au profit d’une
plus grande diversité des pratiques». 13
● malgré le fort potentiel de déterritorialisation que permettent les TIC, les qualités
matérielles des lieux et des espaces urbain (équipements collectifs, espaces publics et
cadre bâti, paysages) demeureront plus que jamais essentielles
10
Gehl, J. (2010). Cities for People, Washington D.C., Inland Press.
Altarelli, L. (2009). «Paysages de la ville électronique», Intermédialités : histoire et théorie des arts, des
lettres et des techniques / Intermediality: History and Theory of the Arts, Literature and Technologies, n° 14,
p. 82.
12
Robin, R. (2009). «La prolifération des signes. Tokyo : quelques propos introductifs à l’oeuvre d’Éric
Sadin, artiste multimédia», Intermédialités : histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques /
Intermediality: History and Theory of the Arts, Literature and Technologies, n° 14, p. 41.
13
Maoti, P. (2012). «Modes et lieux de consommation», dans Des facteurs de changements. Territoires
2040, Revue d’études et de prospective no 6, DATAR, La Documentation française, p. 31.
11
7
● dans nos sociétés contemporaines, le désir de nature et le désir d’urbanité ne sont
pas antinomiques et des arbitrages seront nécessaires pour les réconcilier
● une démarche de planification et de réaménagement doit permettre de construire une
ville à la fois «exemplaire et ordinaire» 14
● la flexibilité en matière d’aménagement urbain et d’urbanisme – c’est-à-dire la capacité
d’un espace et d’un environnement bâti de s’adapter à l’évolution des modes de vie des
citadins, de favoriser l’ajout de nouvelles activités, de valoriser la diversité fonctionnelle
et formelle, ou encore de permettre la spontanéité et le joyeux désordre – constitue
dorénavant une caractéristique incontournable 15. Cette particularité permet d’éviter le
sur-aménagement ou la sur-programmation des espaces urbains et d’assurer leur
évolution. En d’autres mots, un projet d’urbanisme souple ou flexible rend réalisables
des modifications qui tiennent compte des évolutions socioculturelles et économiques.
● pour construire une ville durable accessible à tous, il importe de mettre en œuvre une
approche urbanistique principalement sociale visant à travailler avec les usagers de la
ville. Cela signifie d’incorporer entre autres choses différents types d’initiatives que le
courant de l’urbanisme tactique ou le Do it yourself (DIY) urbanism permet en
expérimentant de nouveaux besoins et en adaptant l’espace public de la ville pour
encourager des interventions temporaires proposées par les gens d’un quartier ou des
groupes communautaires.
Finalement, l’urbaniste torontois Ken Greenberg 16 soutient que la ville du futur ne sera
pas radicalement différente de celle d’aujourd’hui car on ne fait pas table rase du passé.
Dès lors, la ville à venir combinera des éléments anciens et nouveaux: «Much would be
familiar, much would be recycled and hybridized, but this new, twenty-first-century city
would not be a facsimile of any other time or place.» 17
14
Barthel, P. A. (2009). «Faire la preuve de l’urbanisme durable. Les enjeux de la régénération de l’Ile de
Nantes», VertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 9, no 2, p. 3.
15
Greenberg, K. (2011). Walking Home, Toronto, Random House.
16
Ibid., p. 345.
17
Ibid.
8
Des tendances sociodémographiques lourdes dans la région de Montréal
Quant aux tendances sociodémographiques qui vont influencer la ville de demain et en
particulier Montréal, on peut souligner la poursuite de l’immigration internationale, le
vieillissement de la population, la diversification des modèles familiaux (familles
recomposées, monoparentales, multi-générations), l’accroissement de ménages solos et
les répercussions de la mobilité intra et interrégionale des ménages. Qui plus est, par
rapport au secteur spécifique qui nous concerne – l’ancien site de l’hippodrome –, il faut
noter l’importance de zones d’emploi (éducation, santé) s’y trouvant à proximité. Il s’agit
là d’un potentiel à explorer et à valoriser.
Finalement,
deux
tendances
marquantes
déjà
à
l’œuvre
dans
les
régions
métropolitaines nord-américaines vont sans doute se poursuivre et orienteront le
développement urbain futur. La première a trait à un changement de comportements en
termes de localisation résidentielle. Depuis les années 1980, la thèse du retour en ville
notamment des classes moyennes 18 alimente les débats urbanistiques et urbains. Or,
bien qu’après des années de décroissance les quartiers centraux des villes aient connu
un regain démographique au cours des dernières décennies, le mouvement migratoire
de la ville-centre vers les secteurs plus éloignés ne s’est pas essoufflé. Il reste que le
réinvestissement symbolique et culturel dont la ville-centre a fait l’objet au cours des
dernières décennies a donné lieu à des nouveaux comportements en termes de
déplacements, de choix de consommation, ou encore d’habitudes et de pratiques
quotidiennes.
La deuxième tendance ayant fortement touché les régions métropolitaines concerne le
développement de centres secondaires dans les zones suburbaines et périurbaines 19. À
cet égard, des recherches ont clairement démontré comment, grâce au potentiel de
proximité aux zones résidentielles dont ils disposent, les sous-centres ou les suburban
nodes peuvent devenir des milieux de vie complets 20. L’importance accrue des centres
18
Ulusoy, Z. (2010). "Back-to-the-City-Movement", in R. Hutchison (dir.), Encyclopedia of Urban Studies,
Londres, Sage.
19
Sur la région de Montréal voir : Sénécal, G. (dir.) (2011). L’espace-temps métropolitain, Québec, Presses
de l’Université Laval, 348 p.
20
Searle, G. et P. Filion (2011). "Planning Context and Urban Intensification Outcomes: Sydney versus
Toronto", Urban Studies, vol. 48, mai, p. 1419-1438; Filion, P. (2010). "Intensification and Sprawl.
9
secondaires n’est pas sans effet sur le dynamisme de la ville-centre et sur le caractère
distinctif d’activités qu’elle accueillait jusqu’à tout récemment (enseignement supérieur,
sièges sociaux d’entreprises, lieux de diffusion culturelle, etc.). Bref, des secteurs
suburbains disposent désormais de certains atouts de la vie urbaine.
Residential Density Trajectories in Canada’s Largest Metropolitan Regions", Urban Geography, vol. 31, no
4, p. 541-569.
10
EXPÉRIENCES ET USAGES DE L’ESPACE
URBAIN
Tendance 1 – Vers un urbanisme sensible, temporel et flexible?
Dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement, plusieurs tendances invitent
aujourd’hui à repenser la façon dont l’espace urbain est conçu. Pour certains,
l’étalement urbain, la densification et la fonctionnalisation de l’espace, l’utilisation des
technologies de l’information, etc. sont autant d’éléments qui agissent négativement tant
sur l’espace urbain que sur la définition de la citadinité et sur la façon dont celle-ci est
vécue.
Des archipels fonctionnels à la ville «réenchantée»
Les critiques de l’urbanisme contemporain reprochent aux pratiques actuelles de nier le
pouvoir créateur de la ville 21. L’étalement urbain transformerait la ville en une série
«d’archipels» de zones fonctionnelles entre lesquelles le citadin naviguerait 22. Le citadin
serait donc un consommateur d’espaces, consommation qui varierait au gré de ses
besoins. Pour d’autres, la densification des espaces urbains va à l’encontre de la
capacité d’innovation et de création intrinsèque à la ville : «l’option qui consiste à
rassembler de nombreuses réalités sur une faible étendue se traduit néanmoins par une
compacité qui nuit non seulement à la visibilité de ses potentialités mais aussi à sa
fluidité» 23.
Nombreux sont en effet ceux qui conçoivent la ville comme l’espace qui «ouvre plus de
possibles que les autres formes d’établissements humains» 24 ou «la ville, par l’intensité
des échanges qui peuvent s’y déployer, est un remarquable catalyseur de
l’innovation» 25 ou bien encore : «[la ville] est indissociablement un être vivant, se
21
Hammett, J. et K. Hammett (dir.) (2007). The Suburbanization of New York: Is the World’s Greatest City
Becoming Just Another Town?, Princeton, NJ, Architectural Press.
22
Gwiazdzinski, L. (2007). «Redistribution des cartes dans la ville malléable». Espace populations sociétés,
2-3, p. 398.
23
Beaude, B. (2010). «Espace de la carte, espace de la ville. Des analogies à la coexistence », dans
Hyperurbain 2, K. Zreik (dir.), Paris, p.1.
24
Ascher, F. (2010). «La ville, c’est les autres. Le grand nombre entre nécessité et hasard», dans A.
Masboungi et François Ascher. Grand Prix de l’urbanisme 2009, Paris, Parenthèses, p. 121.
25
B. Beaude. (2010). Ibid., p.1.
11
bâtissant, se transformant, évoluant au gré des initiatives de tous ceux – citoyens,
services publics, entreprises, etc. – qui en sont les habitants, les usagers, les
promoteurs et les acteurs» 26. Le morcellement de l’espace urbain en zones
fonctionnelles nuirait donc à cette capacité d’innovation de l’espace urbain en créant de
la ségrégation – notamment en ce qui a trait à la voirie –
27
et en ouvrant la porte à la
stigmatisation. Plus encore, les pratiques aménagistes actuelles seraient créatrices de
«non-lieux» 28, une forme d’homogénéisation des territoires qui empêcherait de «faire
société» 29. Un tel espace urbain ne permettrait plus l’inattendu et empêcherait toute
forme de sérendipité de s’exprimer.
Sérendipité
Pour certains, la sérendipité se définit comme la «capacité de la ville à produire des
rencontres et des découvertes inattendues et vertueuses» 30 pour d’autres, c’est «la
capacité de trouver ce que l’on ne cherche pas.»31
L’expression de cette sérendipité peut se réaliser de différentes manières. Il peut s’agir
d’une part d’affirmer l’expérience sensible du citadin ou d’associer l’évènement et
l’éphémère au quotidien de l’espace urbain d’autre part.
Figure 232. Park (ing) 33
26
Sueur, J.-P. (2011). Rapport d’information : Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du
monde ? (Enjeux), En ligne http://www.senat.fr/rap/r10-594-1/r10-594-10.html#toc3
27
Un exemple de cette ségrégation concerne la voierie : «trottoir pour piéton, rue pour véhicule automobile,
site propre pour tramway, voie pour bus et taxis, pistes cyclables et bientôt peut-être : voies pour rollers,
voies pour planches à roulettes». Gwiazdzinski, L. (2007). Ibid., p. 400.
28
Bédard M. et Breux S. (2011). «Grand projets urbains et non-lieux : une inéluctable équation ?
Perspectives théoriques et propositions analytiques», Annales de géographie 2011/2, no 678, pp. 135-156.
Notons que d’autres comme Ascher (non-daté, non paginé) considère que cette notion de «non-lieux» est
une vision pessimiste de la réalité et la conteste : «Il nous semble à l’inverse que les lieux ne se dissolvent
pas dans des non-lieux mais que de nouveaux lieux urbains se constituent et que précisément, les espaces
de la mobilité, du transit, du passage, sont particulièrement propices à la constitution de ces nouveaux
lieux».
29
Bourdin, A. (2010). L’urbanisme d’après crise. Paris, Éditions de l’Aube.
30
Beaude, B. (2010). Ibid., p. 13.
31
Ascher, F. (2010). «La ville hypermoderne» dans A. Masboungi (dir.), Organiser la ville hypermoderne,
Paris, Parenthèses, p. 123.
32
Pour respecter les droits d’auteur, les images ont été retirées de cette version du rapport.
33
Explications données sur le site web de Park(ing) : “One of the more critical issues facing outdoor urban
human habitat is the dearth of space for humans to rest, relax, or just do nothing. For example, more than
70% of San Francisco’s downtown outdoor space is dedicated to the private vehicle, while only a fraction of
that space is allocated to the public realm. Paying the meter of a parking space enables one to rent precious
downtown real estate. What is the range of possible occupancy activities for this short-term lease?
PARK(ing) is an investigation into reprogramming a typical unit of private vehicular space by leasing a
metered parking spot for public recreational activity. On November 16, 2005 we identified a site in an area of
downtown San Francisco that is underserved by public outdoor space and is in an ideal, sunny location
between the hours of noon and 2 p.m. There we installed a small, temporary public park that provided
12
Affirmer l’expérience sensible de l’espace urbain
Concevoir l’espace urbain comme le lieu d’expériences sensibles permettant de créer
l’imprévisible, c’est indirectement redéfinir les espaces publics en «lieux de sociabilité et
de créativité, accélérateurs de sérendipité» 34. Cette redéfinition peut se réaliser de
différentes façons. Pour certains, il s’agit d’aller à l’encontre des pratiques de
planification et de régulation contemporaines : «à la ville dense et étalée, nous
opposons les friches, les ‘tiers paysages’, espaces d’aventure non aménagés, capables
d’ancrer les imaginaires fertiles» 35. Plus encore, il s’agit par l’aménagement de créer
volontairement la désorientation et l’errance : «la désorientation peut devenir un état
créatif, l’errance un protocole d’innovation ouverte et la ville un formidable plateau de
créativité avec la sérendipité comme principe de base» (voir la figure 3).
Plus concrètement, certaines pratiques tendent aujourd’hui à aller dans ce sens. Il s’agit
par exemple de transformer le regard que le citadin ou le touriste porte sur la ville à
travers la réalisation de visites guidées à pied, où le guide, tout en rappelant les mythes
et légendes de la ville incorpore l’inattendu dans sa visite 36. Il est également possible de
développer un «urbanisme sensible», créateur de chronotopie :
l’hospitalité des espaces publics, des moyens de transport et du mobilier
urbain ; l’information face à un territoire mal appréhendé ; la qualité face à
un environnement difficile ; l’égalité face aux trop grandes disparités entre
centre et périphérie, individus ou groupes sociaux ; la sensibilité, la variété
face aux risques de banalisation, l’inattendu par l’invention ; l’alternance
ombre et lumière face aux risques d’homogénéisation ; la sécurité par
nature, seating, and shade. Our goal was to transform a parking spot into a PARK(ing) space, thereby
temporarily expanding the public realm and improving the quality of urban human habitat, at least until the
meter ran out. By our calculations, we provided an additional 24,000 square-foot-minutes of public open
space that afternoon. This simple two hours intervention has blossomed into an international event called
Park(ing) Day where people around the globe reclaim the streets for people, for fun, and for play. Date:
November 16, 2005, Location: 1st and Mission Streets, San Francisco, CA”. Source :
http://rebargroup.org/parking/, consulté le 11 janvier 2013.
34
Moriset, B. (2011). Tiers lieux de travail et nouvelles territorialités de l’économie numérique : les espaces
de coworking. En ligne : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/72/45/40/PDF/B-MORISET_ColloqueSET_Coworking-Version3.pdf
35
Gwiazdzinski, L. (2012). « Un possible manifeste. Éloge de l’errance et de la désorientation ». Proposition
catalogue de l’exposition « ERRE ». http://halshs.archivesouvertes.fr/docs/00/69/77/23/PDF/proposition_de_texte_L_espace-le_temps_29_avril_2011.pdf
36
Wynn, J. R. (2010). "City Tour Guides: Urban Alchemists at Work", City & Community, 9-2, p. 145-163.
13
l’accroissement du spectacle urbain et de la présence humaine plutôt que
par les technologies sécuritaires et l’enchantement par l’invention. 37
Chronotopie
Selon Thierry Paquot 38, la chronotopie c’est «l’articulation entre des temps et du lieu»,
c’est le «savant dosage entre le temps, pas si flexible que cela, et l’espace, pas si
modelable non plus »
Articuler le temps et les lieux, c’est indirectement repenser notre façon de faire de
l’urbanisme. Cette chronotopie urbaine peut s’exprimer ainsi, il s’agit non pas de faire du
«planning» mais davantage du «place-making». 39
Figure 3 : Showplace Triangle 40
Source : http://rebargroup.org/showplace-triangle/,consulté le 11 janvier 2013
Figure 4 : Une illustration de la chronotopie
Source : Bishop & Williams, 2012, p. 189.
37
Gwiazdzinski, L. (2009). « Chronotopies. L’évènementiel et l’éphémère dans la ville des 24 heures ».
BAGF, Géographies, 2009-3, p. 353.
38
Paquot, T. (2009). « Pour un urbanisme chronotopique ». Urbanisme, mars-avril 2009, no 365.
39
Barrie cité par P. Bishop et L. Williams. (2012). The Temporary City. London and New York, Routledge, p.
188.
40
Explications données sur le site web de Showplace Triangle : “San Francisco’s streets and public rightsof-way make up fully 25% of the city’s land area, more space even than is found in all of the city’s parks.
Many of our streets are excessively wide and contain large zones of wasted space, especially at
intersections. San Francisco’s new Pavement to Parks program seeks to temporarily reclaim these unused
swathes and quickly and inexpensively turn them into new public plazas and parks. Rebar designed
Showplace Triangle to be a neighborhood gathering space. Built entirely of reused or repurposed materials
– Recology debris boxes as tree planters, PUC sewer pipe as bollards, DPW granite curb as planting beds,
and Italian black granite once used on Market street for public seating – the project demonstrates that
ingenuous reuse can also be high style! Showplace Triangle was created in collaboration with the SF
Planning Department, SF PUC, Recology, Flora Grubb Nursery, California College of Arts, Wolfe’s Lunch
and Axis Cafe, Artist Ramad, and the skilled and talented workers at the San Francisco Department of
Public works. Date: Fall, 2009 ; Location: Potrero Hill neighborhood, San Francisco, CA ;Related: New York
Times coverage Babelgum video, New Urbanism ep 12: Pavement to Parks”. Source :
http://rebargroup.org/showplace-triangle/, consulté le 11 janvier 2013.
14
La ville flexible
La ville sensible c’est aussi la ville éphémère et évènementielle, c’est-à-dire l’ensemble
des éléments qui font de la ville un univers transformé :
L’évènement transforme la ville et la rue, enchante le quotidien, transfigure le
réel et humanise l’espace public : c’est la même ville et pourtant une autre
grâce à de sublimes artifices. Cette capacité d’enchantements et de mise en
désir donne des idées à l’élu et des envies à l’artiste citoyen associé. 41
L’évènement, intégré à la ville, engendre une redéfinition de l’espace public (figure 5).
La définition de l’espace public, support de ces transformations doit évoluer pour passer
à la notion d’espaces collectifs, espaces publics ou espaces extérieurs, constitués par
l’ensemble des lieux ouverts à tous. Ils sont généralement sous la responsabilité de
collectivités publiques ou parfois de droit privé. Ils sont le plus souvent en plein air, mais
peuvent être partiellement ou totalement couverts. Ce sont à la fois des espaces
formels, espaces en creux, définis par les bâtiments qui les bordent et des espaces de
vie et de socialisation où se déroulent les activités propres à la vie collective d’une ville.
L’espace collectif est le lieu organique essentiel de la cité, son âme. Il comporte aussi
bien des espaces minéraux (rues, places, boulevards, passages couverts) que des
espaces verts (parcs, jardins publics, squares, cimetières…). Il s’agit de lieux de
circulation et de stationnement, équipements collectifs, transports publics, abords
d’équipements, espaces verts, espaces culturels, espaces commerciaux, espaces
résiduels, espaces semi-publics, espaces électroniques, espaces verticaux. 42
41
Gwiazdzinski, L. (2009). «Chronotopies. L’évènementiel et l’éphémère dans la ville des 24 heures».
BAGF, Géographies, 2009-3, p. 353.
42
Ibid.
15
Figure 5 : Bubbleway43
Source : http://rebargroup.org/bubbleway/,consulté le 11 janvier 2013
Cette redéfinition de l’espace public sous-entend également la possibilité de redéfinir les
espaces au fil du temps. La ville flexible peut ainsi également se traduire par un
«ménagement urbain», c’est-à-dire par la capacité de prévoir en amont de tout
processus de construction, la reconversion éventuelle du bâtiment ou des fonctions
associées à un espace donné. C’est également une des idées que véhicule l’ouvrage de
Bishop et Williams :
A temporary land use is an intentional phase. The phase itself may be short
of long-lasting, but the time element is merely a unit of measurement. When
most buildings are planned or constructed, there may be an implicit
understanding that their life will be finite, but there is little or no discussion of
their longevity or any subsequent uses at the time. 44
Les écrits, mais également quelques expériences contemporaines, illustrent ces idées
(figure 6).
Figure 6. Tony’s Pizza Napoletana Parklet 45
Source : http://rebargroup.org/tonys-pizza-napoletana-parklet/, consulté le 11 janvier 2013
43
Explications données sur le site web : “Bubbleway is a modular, inflatable social furniture system
conceived and designed by Rebar and curated by Justine Topfer and Amanda Sharad for Laneways 2011.
Utilizing an inflatable system enclosed in a brightly colored ripstop nylon skin, Bubbleway create a fun and
inviting place to relax and play. Bubbleway are made in San Francisco in by messenger bag company
Timbuk2 and come in 5 different shapes and sizes. Modules can be reconfigured and adapted to support a
variety of uses from chill lounge spaces to festival furniture. Bubbleway was created to enhance public
space, and to support new forms of informal social interactions and play. Client: Sydney Laneways Art.
Location: Sydney, Australia”. Source : http://rebargroup.org/bubbleway/,consulté le 11 janvier 2013.
44
P. Bishop et L. Williams. (2012). The Temporary City. London and New York: Routledge, p. 5.
Explications fournies sur le site web : «A small pizzeria in Naples, Italy is the inspiration behind Tony
Gemignani’s story for Tony’s Pizza Napoletana. A fulfillment in his ever growing passion for pizza drew him
to self-content when he first tried an authentic Neapolitan pizza. Since then he was determined to learn this
art of pizza making and one day open a restaurant like no other. Tony has now extended this inspiration
towards the creation of a new public space in the street, adding seating for his patrons, as well as
neighborhood residents and visitors who pause to relax and chat on the parklet. The lively streets of Naples
served as inspiration for this parklet which creates a vibrant new social space in the street. Fabricated from
galvanized steel clad with bamboo decking, the parket is a model of sustainable construction. Rebar
customized this parklet to fit Tony’s unique aesthetic. Great food and great urban space go well together on
the streets of San Francisco. Want a parklet in your neighborhood? » Source : http://rebargroup.org/tonyspizza-napoletana-parklet/, consulté le 11 janvier 2013.
45
16
Regard critique: quelle ville pour demain ?
Selon Ascher, «la sérendipité est aujourd’hui particulièrement utile précisément parce
que dans une société hypermoderne l’innovation et la création sont plus nécessaires
que jamais» 46, il n’en demeure pas moins qu’il peut exister un certain nombre de limites
à la mise en place de la «ville malléable» 47. Il convient toutefois de préciser que
l’urbanisme temporaire ou tactique n’est pas en soi nouveau. Son importance s’accroit
en raison de nos modes de vie. Afin de créer l’imprévisible, d’éviter la «folklorisation» et
la thématisation de l’espace urbain 48 et de promouvoir l’urbanisme temporaire, il
convient de ne pas oublier que :
«The promotion of temporary use is still evolving as an approach to urban
development in which government initiates instead of regulating, pays more
consideration to what is on the land, takes smaller steps, gives more serious
consideration to the input of all players and focuses on process rather
product.» 49
46
Ascher, F. (2010). «La ville, c’est les autres. Le grand nombre entre nécessité et hasard», dans A.
Masboungi et François Ascher, Grand Prix de l’urbanisme 2009, Paris, Parenthèses, p. 123.
47
Gwiazdzinski, L. (2007). «Redistribution des cartes dans la ville malléable», Espace populations sociétés,
2-3, p. 398.
48
L. Gwiazdzinski (2007). Ibid.
49
Bishop P. et L. Williams (2012), The Temporary City. London and New York: Routledge, p. 187.
17
HABITER LA VILLE DE DEMAIN
Tendance 2 – Individuation des modes de vie et nouvelles temporalités
Si l’organisation de la ville influence les pratiques citadines, celles-ci ont également
grandement changé. Les rythmes de la vie quotidienne ne sont plus ceux d’avant, un
ensemble d’activités sont synchrones en fonction des professions, des âges, de la
situation familiale, des loisirs, etc. Comme le soulignent Jemelin et al. : «dans la ville
ouverte 24h/24h, travailler, se divertir et dormir sont des activités désormais synchrones,
ce qui nécessite de nouveaux organes de gestion et pose la question de la
spécialisation versus la mixité des espaces urbains». 50 Pour certains il convient
désormais de penser des espaces urbains aux usages flexibles prenant en
considération rythmes et besoins des citadins.
Vers des «tiers-lieux» de travail?
Dans le cadre de ses réflexions sur la société hypertexte, François Ascher souligne que
les technologies de l’information en raison de la banalisation et de la généralisation de
leur usage, donnent une valeur à ce qui :
«ne se télécommunique pas. Elles valorisent ce qui se médiatise peu, le
goût, le toucher, l’odorat, le multi-sensoriel, le face-à-face, le ‘en direct’,
l’expérience collective, l’être ensemble. Les télécommunications, loin de
prendre la place des transports, suscitent ainsi plus de mobilité physique
qu’elles n’en remplacent.» 51
Pour l’auteur, les télécommunications sont également un levier de sérendipité, pouvant
avoir des répercussions sur la vie urbaine.
L’utilisation des télécommunications permettrait à différentes sphères de nos activités
quotidiennes de se déplacer au sein de l’espace urbain. C’est notamment le cas des
50
Jemelin, C., Pfister-Giauque, B. et Vodoz, L. (2004). Les territoires de la mobilité : l’aire du temps.
Lausanne, Les Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 381.
51
Masboungi, A., dir. (2009). « Organiser la ville hypermoderne » dans François Ascher et A. Masboungi
(dir.), Grand Prix de l’urbanisme 2009, Paris, Éditions Parenthèses, p. 124.
18
activités reliées à l’emploi. Ainsi, «un nombre croissant d’individus [sont] en mesure de
travailler partout et à tout moment, en se connectant par les dispositifs évoqués cidessus à ce méta-réseau informationnel qu’est Internet» 52. La figure 7 illustre une telle
idée.
Figure 7: «The flexible office, multi-tasking in St James’Park»
Source: Bishop et Williams, 2012, p. 17.
Ces tendances dans le monde du travail donnent lieu à de nouveaux espaces que
certains nomment «co-working spaces» ou «tiers-lieux» de travail.
Les espaces de Co-working
«comme certains télécentres, l’espace de coworking ‘type’ se compose d’un openspace
et de quelques bureaux séparés, et d’un espace de convivialité (coin cuisine par
exemple), propres à accueillir à la journée, à la semaine, au mois, voire plus, des
télétravailleurs salariés ou indépendants (freelances) et des travailleurs nomades. La
structure de création et de gestion est souvent associative, les adhérents sont invités à
payer un loyer variable suivant les lieux et la fréquence d’occupation, mais en général
modéré, ce qui est un des avantages de cette sorte de co-location professionnelle.» 53
Pour certains, ces espaces sont en eux-mêmes des lieux de sérendipité. Ils permettent
de contourner l’isolement lié au travail à domicile, de rompre avec la sphère privée 54 tout
en rencontrant de nouvelles personnes :
«la recherche d’une convivialité durable, l’engagement dans un projet
associatif, semblent bien des moyens d’échapper à l’atomisation et à la
frénésie qui caractérisent la production, la consommation et les relations
humaines dans une société hypermoderne. La sérendipité que recherchent
52
Moriset, B. (2011). «Tiers-lieux de travail et nouvelles territorialités de l’économie numérique : les espaces
de co-working », Communication présentée au colloque Spatialités et modernité : lieux, milieux et territoires,
Pau, 13-14 octobre 2011, p. 1.
53
Ibid.
54
Bishop. P. et L. Williams. (2012). The Temporary City. London and New York: Routledge.
19
les coworkers n’est pas que du zapping pour créer des relations fructueuses
(et donc durables) socialement et économiquement.» 55
Il convient cependant de préciser que ces espaces de co-working ne concernent qu’une
partie des travailleurs, ceux qui généralement entrent dans la catégorie de la «classe
créative» telle que définie par Richard Florida 56 et que l’accès à la société hypertexte,
comme le souligne François Ascher demeure somme toute encore inégal. Cette
flexibilité des espaces et des usages peut-elle se répercuter sur l’habitat ?
Des espaces d’habitat écotonaux de transition au co-housing
Si la ville contemporaine révèle différentes formes d’habitat, un type d’habitat, celui des
communautés fermées, tend à faire débat. Longtemps décriées, certains portent
cependant un regard différent – dans certains pays du moins 57 – sur ces formes
d’habitat. Si ces communautés relèvent d’un désir d’être entre «mêmes», «entre-soi»,
pour certains, la clôture est cependant plus symbolique qu’autre chose. Pour Mager et
Matthey 58,
les
communautés
fermées
sont
des
espaces
polysémiques
et
polymorphiques, notamment en raison de la diversité du degré de leur caractère clos.
Par ailleurs, la création de telles communautés révèle la flexibilité des pouvoirs publics
qui ont permis leur aménagement et la privatisation des espaces qui les accompagne
généralement.
Un autre regard sur les communautés fermées
«des organisations intermédiaires sensibles aux espaces encadrants, mais aptes à en
contrôler les flux (passages, circulations, etc.) […] Ce ne sont donc pas la forme de la
clôture ou la morphologie des communautés fermées qui importent, mais les modalités
55
Moriset, B. (2011). «Tiers-lieux de travail et nouvelles territorialités de l’économie numérique : les espaces
de co-working», Communication présentée au colloque Spatialités et modernité : lieux, milieux et territoires,
Pau, 13-14 octobre 2011.
56
Florida, R. (2002). The Rise of the Creative Class and How It’s Transforming Work, Leisure, Community
and Everyday Life, New York, Basic Books.
57
La nuance est ici de taille. Le degré de fermeture des communautés fermées ainsi que la signification
qu’elle revête est bien sûr différent selon le contexte.
58
Mager C. et Matthey L. (2012). «Pour une géographie des espaces poreux. Polymorphie et polysémie des
communautés
fermées»,
Articulo,
Journal
of
Urban
Research.
8/2012.
En
ligne :
http://articulo.revues.org/2088
20
de leur fabrication en tant qu’espaces écotonaux, c’est-à-dire des espaces, qui posés ‘à
la limite’ sont aussi ‘en contact»59.
Pour d’autres, la ville dense passe par la mise sur pied d’expériences de co-housing :
«The ideals of collaborative living are today re-emerging in a number of collective
housing experiments. Defining features typically include the clustering of smaller-thanaverage private residences to maximise shared open spaces for social interaction;
common facilities for shared daily use; and non-hierarchical consensus-based resident
management.» 60
Si ces formes d’habitation font souvent l’objet de considérations négatives, pour d’autres
c’est une des pistes de réalisation de la ville durable de demain. Dans tous les cas, il
s’agit de rendre perméable la frontière entre l’espace public et l’espace privé. C’est
d’ailleurs ce que souligne Vuaillat 61 au sujet des rues privées : «les pouvoirs publics,
avec un discours ambigu laissent des marges de manœuvre à une négociation. À la fois
garant du domaine public, parties prenant dans la gestion des voies privées et fermées
ou compatissant aux désirs d’appropriation de l’espace par les résidents, ils initient une
gouvernance urbaine où s’entremêlent les intérêts publics et privés».
D’autres expériences, alliant les idées exposées précédemment, invitent à repenser
cette frontière entre l’espace public et privé, au sein des «espaces communs» 62 (figure
8).
Regard critique : La rue, reflet de la ville ?
Cette porosité des espaces invite à interroger la définition de l’espace public (ou de
l’espace commun) et de s’attarder également sur le devenir de la rue et de reposer les
questions déjà avancées par Ascher 63 : «Que devient la rue dans une société
hypertexte ? Comment organiser la coexistence des différentes fonctions de la rue ?
59
Ibid.
Jarvis. H. (2011). «Sharing space, sharing time: integrated infrastructures of daily life in co-housing»,
Environment and Planning A., vol. 43, p. 560.
61
Vuaillat, F. (2012). «Les rues fermées : du collectif à la collectivité. Regards croisés Nantes/Recife»,
Articulo, Journal of Urban Research. 8/2012. En ligne : http://articulo.revues.org/1925
60
62
Gwazdzinski, L. (2007). « Redistribution des cartes dans la ville malléable », Espace populations sociétés,
2-3, p. 398.
63
F. Ascher (2010). «La ville, c’est les autres. Le grand nombre entre nécessité et hasard», dans
Masboungi, A., et François Ascher. Grand Prix de l’urbanisme 2009. Paris, Parenthèses, p. 127-130.
21
Comment créer une gouvernance des rues qui prenne en compte tant les intérêts des
riverains que les intérêts des passants ?» Outre les initiatives qui permettent de faire de
la rue un lieu d’urbanité (figure 9), il est également nécessaire de laisser place à «des
zones de tolérance» (figure 10) : «Twenty-first century cities need small and responsive
‘zones of tolerance’, scattered throughout their neighbourhooods. These may be very
small indeed, perhaps covering just an individual building […] The could catalyse and
nurture temporary activities and new enterprise, and offer stimulation and delight.» 64
Figure 8 : Commonspace 65
Source : http://rebargroup.org/commonspace/
Figure 9 : Colonising the street
Source: Bishop et Williams, 2012, p. 196.
Figure : 10 Please Keep on the Grass
Installation réalisée dans le cadre du London Festival of Architecture en 2010
Source : Bishop et Williams, 2012, p. 212.
64
P. Bishop et L. Williams. (2012). The Temporary City. London and New York: Routledge, p. 218.
Explications fournies sur le site web : «San Francisco’s privately-owned public open spaces (“POPOS”)
have multiplied in the last twenty years, and as major new development is poised to begin downtown, they
promise to become even more common. Taking the form of courtyards, plazas, rooftop gardens, and
corporate atriums, fourteen POPOS have been created since 1985. San Francisco’s Downtown Plan
enabled developers to build high density commercial development in return for providing spaces that were to
be “open to the public” during certain hours and provide amenities such as restrooms, shade, and protection
from the sun and wind. However, what appears to be win-win for developers, citizens, and open space
advocates masks a deeper question: just how “public” are these spaces? All are under heavy surveillance;
some indicate this with signage, but many do not. Unlike traditional public spaces, where surveillance
efforts routinely spark a lively debate regarding the security concerns of the state, constitutional rights, and
civil liberty interests, surveillance in these sites goes without question. In San Francisco’s POPOS, the
debate appears to be wholly lacking. To what extent, then, should a public space under the unblinking eye of
private ownership be called “public” at all? To explore these questions, REBAR initiated the Commonspace
project. Starting in May 2006, REBAR set out to map, document and probe the explicit and unspoken rules
of San Francisco’s POPOS. First, REBAR gathered vital data on the fourteen sites and created a web-based
forum for publishing field reports from anyone visiting the sites. Next, in partnership with performance arts
group Snap Out of It, REBAR will activate the fourteen POPOS with a series of “paraformances”:
performance actions inspired by the field reports and designed to probe the spaces’ implicit social codes.
The paraformance–an intentional reframing of reality–often begins subtly, as a playful, “plausibly deniable”
action by a single individual, and can culminate in full scale, “flash mob”-style occupations that engage the
participation of their accidental audiences. The particular legal status of POPOS is, as yet, apparently
undetermined. What rights are protected there and how behaviors may be regulated, is not elucidated by the
any of the city’s municipal codes. Although they are legally required to be labeled “open to the public”, it is
not certain whether POPOS have the similar protection of rights as traditional public space. To what extent,
then, can these spaces be considered legally “public”? Further Reading SPUR (San Francisco Planning and
Urban Research) Report on POPOS Inspired by Rebar’s Commonspace project! SPUR (San Francisco
Planning and Urban Research) “Agenda for Change” Includes a discussion of POPOS as part of the fabric
of San Francisco’s public spaces. Kayden, Jerold. Privately owned public open space: The New York City
Experience. Author's web site, An exhaustive inventory of NYC’s POPOS, which preceded San Francisco’s
by about 20 years ». Source : http://rebargroup.org/commonspace/, consulté le 11 janvier 2013.
65
22
SE DÉPLACER DANS LA VILLE DE DEMAIN
Tendance 3 - Les déplacements et la mobilité. La multi-activité en
mouvement et le rôle du transport collectif
Dans la ville contemporaine, les motifs de déplacement sont nombreux : le travail, la
formation, les loisirs, l’accompagnement, les achats. De plus, ils varient selon les
journées de la semaine. En dépit d’un usage accru des technologies de communication
à distance, le nombre et l’intensité des déplacements n’ont pas diminué, au contraire. En
fait, les technologies comme les téléphones intelligents fournissent l’information en
temps réel et permettent de modifier au dernier instant son horaire. Ainsi, le citadin peut
changer la planification de ses activités initialement prévues. C’est dire que, lorsqu’il
quitte son domicile le matin, le citadin ne sait pas nécessairement comment se déroulera
sa journée. Quel type d’expérience le citadin en déplacement vivra-t-il et comment
l’aménagement des villes peut-il répondre aux exigences de l’accroissement et la
diversification des déplacements et favoriser une expérience multimodale performante ?
Au cours des dernières années, des chercheurs ont observé que les lieux de travail, de
consommation, de restauration, ou encore de loisirs ne cessent de se déplacer dans la
vie quotidienne des citadins 66. Or, cette instabilité sera porteuse d’un potentiel nouveau
pour les nœuds de transport dans la ville.
Un rôle renouvelé pour les nœuds de transport
L’importance des déplacements dans la vie quotidienne des ménages amènera à
repenser le rôle que peuvent jouer les nœuds de transports et les lieux où convergent
les flux de passagers. Ainsi, une tendance se dessine clairement quant à l’expérience
qu’on souhaite fournir aux gens en déplacement : la conception de lieux de qualité où
différents services sont offerts et où les usagers peuvent, par exemple, attendre le
prochain train ou bus tout en faisant leurs courses. Pour garantir des services de
transport adaptés aux déplacements programmés ou impromptus des citadins, les
agences responsables de leur gestion assureront plus d’inter-modalité (bus, co-
66
Masboungi, A., «La mobilité est plus que le transport», dans L. Théry, La ville est une figure libre, Grand
prix de l’urbanisme 2010, Parenthèses, Paris, 2010.
23
voiturage, auto-partage, vélo, métro, train de banlieue, navette fluviale, etc.) et les lieux
d’interconnexion sont appelés à jouer un véritable rôle de plaque-tournante.
Figure 11 : Projet de gare intermodale de Burnaby Transit, Simon Fraser
University, Victoria, Colombie-Britannique
Source: HCMA (http://hcma.ca/burnaby-mountain-transit-hub-planning-study/)
Une grande partie des déplacements sert à faire des achats. Que nous réserve le
proche avenir en termes d’offre commerciale pour répondre aux besoins et aux attentes
de l’individu individualisé et de la segmentation accrue des consommateurs? Le
consommateur qui cherche une expérience particulière va contribuer à la diversification
de l’offre de service. Quant au commerçant, il devra développer une relation privilégiée
avec le client pour assurer la fidélité de ce dernier. À moyen terme, on assistera au
déploiement du commerce de précision, c’est-à-dire qui tienne compte de la diversité
des attentes du client. En parallèle, pour répondre à la demande de masse, les
magasins à grande surface offrant des produits à bas prix resteront prédominants dans
le paysage commercial des régions urbaines. Cela dit, avec l’accroissement du
commerce en ligne, les consommateurs forceront les commerçants à développer de
«nouveaux concepts commerciaux en dur (les commerces sur les lieux de transit, les
distributeurs automatiques, les drives… le ‘commerce d’itinéraire’).» 67 Les nœuds de
transport auront donc une importance accrue et pourront offrir une diversité de services
et d’expériences en termes de socialisation. Le temps de transport sera donc utilisé pour
faire diverses activités. Cette idée doit être mise en lien avec la notion de hub de vie
proposée par Sonia Lavadinho.
Le hub de vie
Le hub de vie est «un sas de mobilité offrant des espaces ainsi que des temporalités de
transition permettant la médiation de la ville et la ponctuation de la vie quotidienne.» 68
Espace de transit, le hub de vie est aussi propice aux achats, aux rencontres, aux
loisirs, à la sociabilité, etc.
67
Maoti, P. (2012). «Modes et lieux de consommation», in, Des facteurs de changements 2. Territoires
2040, Revue d’études et de prospective no 6, DATAR, La Documentation française, p. 31.
68
Lavadinho, S. (2011). «Les hubs de vie. Quelle opportunité pour faire la ville au-delà de la mobilité»,
e
communication présentée au colloque « Interfaces et métropoles », Lausanne, 8 Rencontre franco-suisse
des urbanistes, UNIL, Lausanne, 8 juillet, p. 3.
24
Figure 12 : City Lounge, St-Gall, Suisse
Source: http://01liveproject2010.blogspot.ca/2010/10/altering-perceptions.html
Les transports représentent la première source de consommation d’énergie. Pour
encourager les gens à délaisser l’automobile individuelle, la fiabilité et la ponctualité des
services de transport collectif doivent aussi être assurées. Dans un proche avenir, la
diversification de l’offre et l’amélioration constante de la qualité et de la performance des
services de transport collectif et de leurs installations d’appoint (ascenseurs dans le
métro, abribus, etc.) pourront contribuer à inciter les gens à délaisser l’automobile
individuelle. Il est également établi qu’une offre extensive de services de transport
collectif dans les secteurs bénéficiant d’une bonne densité résidentielle justifiant cette
offre contribue à l’augmentation des valeurs foncières 69; ce qui est à considérer lorsque
les autorités publiques planifient le développement d’un nouveau secteur urbain. En
outre, les quartiers ou les secteurs qui sont bien desservis en transport collectif seront
toujours attrayants. Il s’agit là d’un atout indispensable dans un contexte où les coûts de
l’énergie vont en s’accroissant. Aussi, en offrant à tous les groupes et types de ménages
(familles,
personnes
âgées,
enfants,
adolescents,
travailleurs,
touristes,
élèves/étudiants) des équipements diversifiés comme les supports à vélo et des
installations de qualité (escaliers mobiles, ascenseurs), les agences de transport collectif
seront au premier plan de l’aménagement de la ville durable et d’un accès plus équitable
aux services publics. À cet égard, les innovations ayant été conçues pour faciliter les
déplacements des personnes souffrant d’un handicap ou à mobilité réduite s’avèrent
aussi bénéfiques pour d’autres types de personnes.
En plus d’être attractifs, conviviaux, efficaces et agréables, les services de transport
collectif sont appelés à renforcer leur fonction d’espace public et en particulier dans une
ville nord-américaine comme Montréal où, en 2006, la part modale pour les
déplacements domicile-travail arrivait au troisième rang derrière New York et Toronto 70.
On assiste de plus en plus à la réaffirmation de la vocation civique des lieux où se
croisent les gens en déplacement dans les villes. C’est le cas notamment à Paris où le
69
Cervero, R. et E. Guerra (2011). Urban Densities and Transit: A Multi-dimensional Perspective, Working
Paper, UCB-ITS-VWP-2011-6, UC Berkeley Centre for Future Urban Transport, 15 p.
http://www.its.berkeley.edu/publications/UCB/2011/VWP/UCB-ITS-VWP-2011-6.pdf
70
Agence métropolitaine de transport de Montréal (2011). Vision 20/20. Plan stratégique de développement
du transport collectif, Montréal, AMT. À noter, les villes du Mexique ne sont pas incluses dans l’échantillon.
http://plan2020.amt.qc.ca/Evolution+de+la+mobilite+dans+la+region
25
concept de métro ouvert a été récemment mis en avant. Ainsi, une station de métro peut
devenir la porte d’entrée d’un quartier utilisée et fréquentée par des milliers de citadins ;
d’où l’intérêt d’en faire un espace qui, tout en étant parfaitement fonctionnel, remplit
aussi un rôle civique et symbolique. À Paris, l’agence responsable du transport collectif
a invité des firmes d’architectes à proposer un nouveau concept de station de métro qui
est pensé comme un théâtre à ciel ouvert où se déroule la vie quotidienne des
citadins. 71 Certes, ce concept n’est pas adapté aux villes d’hiver comme Montréal mais
l’idée selon laquelle ce type d’équipement collectif puisse jouer un rôle civique est à
retenir.
Figure 13 : Nouveau concept du métro ouvert élaboré par la RATP à Paris. Foreign
Office Architects (FOA).
Source : RATP, Bulletin Osmose, http://www.ratp.fr/fr/ratp/c_12236/osmose-quelles-stations-de-metro-pourdemain-/.
Le métro ouvert
«L'équipe a cherché à placer le métro au coeur de la ville. Le "métro ouvert" est pensé
comme un théâtre à ciel ouvert. Il met l’accent sur la culture et le vivre-ensemble. Il
réunit le transport et l’urbain en intégrant le transport dans l’espace public créant ainsi
une continuité du quai à la ville. Cette ouverture est génératrice de nouveaux usages : le
sol devient une place publique et les façades abritent des équipements et des
commerces. Ce lieu accueille également des espaces verts, créateurs de paysage.» 72
Aux États-Unis, une vision similaire du rôle des nœuds de transport dans la ville est en
cours d’élaboration. Elle reprend notamment certaines composantes qui ont caractérisé
les grandes gares au début du XXe siècle. L’Open Transit 73 est composée des cinq
éléments clés suivants :
71
RATP, Bulletin Osmose, http://www.ratp.fr/fr/ratp/c_12236/osmose-quelles-stations-de-metro-pourdemain-/ Consulté en décembre 2012.
72
RATP, Bulletin Osmose, Quelles stations de métro pour demain ?
http://www.ratp.fr/de/ratp/c_12236/osmose-quelles-stations-de-metro-pour-demain-/print/
73
‘What we're calling "Open Transit Design" is a new way to explain the concepts underlying some
fairly long-established principles in station design that are re-emerging in an era of unprecedented
interest in city living. Just as the name suggests Open Transit is an inclusive design point of view that
incorporates a wider array of spaces and modes to create an iconic place. Great cities across the
world are defined by great places. If we are to make cities more sustainable we need to create transit
26
1) l’intégration de tous les modes de transports en usage
2) une stratégie visant le développement immobilier
3) une architecture qui contribue à créer des espaces remarquables, voire
emblématiques
4) l’intégration de la culture dans la conception des transports
5) la volonté d’attirer des non-utilisateurs des services de transport collectif
D’après Kenneth Greenberg 74, l’un des défis les plus difficiles à surmonter dans les
nouveaux secteurs urbains est celui que pose la mixité des fonctions urbaines. Ainsi,
une station ou une gare de transport collectif bien localisée et offrant des services
d’appoint peut devenir un espace public concentrant plusieurs types d’activités à
différents groupes (étudiants, habitants, travailleurs, touristes).
Le transport actif
Plusieurs recherches démontrent que le transport actif (marche, vélo) est favorable au
maintien d’une bonne santé, sans compter qu’il contribue à diminuer les émissions de
gaz à effet de serre. De plus, on retrouve plus d’usagers des services de transport
collectif dans les secteurs urbains denses et à fort potentiel piétonnier.
La valorisation de la marche comme moyen de transport
La marche à pied peut largement contribuer aux grands programmes publics de
développement durable et doit donc occuper une place centrale dans les politiques de
transport urbain. Faire de la marche une solution attrayante et complémentaire au
transport motorisé constitue une réponse essentielle aux défis soulevés par le
changement climatique, la dépendance aux énergies fossiles, la pollution, la mobilité
d’une population vieillissante, la santé, ainsi que la gestion de l’explosion de la
motorisation dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Parce que les tendances qui
places that will also sustain and enhance urban life. For the first time in more than two decades,
growth in town and city centers is outpacing suburban growth according to the U.S. Census (figures
reported in July 2011). Cities are re-marketing themselves around different amenities as the suburbs
lose popularity. Transit is an essential component to defining the difference between world-class cities
with vibrant 24-hour occupancy and the type of commuter city that empties out when work is over.’
Peter David Cavaluzzi, Open Transit Design: Why Stations Designed for Non-Transit Users Are Most
Successful, Planetzen, septembre 2012. http://www.planetizen.com/node/58529. Consulté le 15 janvier
2013.
74
Greenberg, K. (2011). Walking Home. The Life and Lessons of a City Builder, Toronto, Random House, p.
332.
27
sont définies aujourd’hui déterminent l’avenir des villes sur plusieurs décennies, il est
indispensable de prendre dès maintenant des mesures pour les villes durables de
demain. 75
Quelques défis…
Tenir compte des besoins et du confort des piétons – en particulier les plus
vulnérables – dans une démarche d’aménagement
Faire de la marche un mode de déplacement ludique, utile, sûr et intéressant
Assurer que l’architecture et l’aménagement des lieux d’interconnexion dont les gares et
les stations de transport collectif soient particulièrement soignés et remarquables pour
donner du prestige au service
Gérer la coexistence de deux formes urbaines dense et diffuse (i.e. Vienne par
opposition à Phoenix) typique des régions métropolitaines nord-américaines et la forte
différenciation des modes de transport (transport collectif et automobile) qui les
caractérise
Raccourcir les déplacements résidence-travail dans une région métropolitaine qui prend
de l’expansion spatiale et assurer une offre de transport collectif
75
OCDE. (2011). Piétons : sécurité espace urbain et santé, Rapport de recherche, document de synthèse.
Forum international des transports.
http://www.internationaltransportforum.org/Pub/pdf/11PedestrianSumF.pdf
28
LES NOUVELLES CONTRAINTES
ÉNERGÉTIQUES ET ENVIRONNEMENTALES
Tendance 4 - Une ville résiliente, saine, éco-efficace et favorable à la
biodiversité
À l’échelle locale et métropolitaine, l’objectif général de la réduction de la consommation
de l’énergie touche aux pratiques de mobilité et au fonctionnement des bâtiments
résidentiels, publics ou privés (entreprises, commerces, etc.). Dans l’avenir, les autorités
municipales seront au premier plan de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques
énergétiques localisées 76, le but étant entre autres choses de rapprocher les ressources
des gens. Ainsi, les autorités locales et régionales sont appelées à soutenir un «tournant
urbanistique» visant à assurer «la nécessaire maîtrise de la croissance spatiale par un
urbanisme réinventé, la préservation des ressources essentielles (eau, air, espaces
naturels), la réinvention d’un espace de vie à la fois sain, sûr et propice au
développement personnel et social» 77. Ce vaste programme implique notamment la
gestion des eaux (de ruissellement et usées), la réduction de la pollution atmosphérique
et l’accroissement de la biodiversité.
Le principe de l’hybridation des pratiques existantes et nouvelles s’avère approprié pour
élaborer des mesures permettant de réduire la consommation d’énergies nonrenouvelable. Par exemple, on peut prévoir une plus grande combinaison de la marche
et de l’usage de l’automobile (pas nécessairement individuelle). Quant aux habitations,
elles pourront être plus petites, à condition que des espaces publics, des services et des
équipements collectifs de qualité soient accessibles et ce, à la fois en termes de
proximité et d’horaire 78. Toujours par rapport aux habitations urbaines, certaines
surfaces comme les toits remplissent une vocation relativement limitée (protéger contre
les intempéries). Grâce à leur verdissement et leur aménagement, la fonction des toits
pourra être revue et contribuer à la réduction des îlots de chaleur urbains. Ce qui nous
renvoie à nouveau à l’idée de lieu flexible ou hydride.
76
Chevalier, J. (2006). «Défi énergétique et “tournant urbanistique”», Les Annales de la recherche urbaine,
no 103, pp.189-197.
77
Ibid.
78
Greenberg, K. (2011). Walking Home. The Life and Lessons of a City Builder, Toronto, Random, p. 345.
29
Le changement climatique et ses effets. Mieux gérer les eaux de
ruissellement
Dans son ouvrage sur la gestion des eaux de ruissellement, A. Karronen 79 signale à
juste titre la complexité des problèmes environnementaux et des solutions techniques à
mettre en place pour les résoudre. Les villes sont constituées d’importantes surfaces
imperméables : sol, toits, rues, bassins de rétentions. Dans l’avenir, l’eau en milieu
urbain doit être gérée comme une ressource de valeur et non plus comme un problème
à résoudre et à évacuer 80. Qui plus est, les solutions ne sont pas seulement techniques.
Elles impliquent des nouvelles formes de collaboration entre les pratiques sociales et la
culture technique du génie civil. La gestion décentralisée des eaux de ruissellement vise
à assurer une plus grande cohésion entre l’environnement bâti et le cycle de l’eau 81. En
outre, elle peut rendre les villes plus résilientes vis-à-vis les aléas du climat.
D’un point de vue socioculturel, cette manière de réintégrer l’eau à l’environnement
urbain nous amènera à développer des nouveaux imaginaires écologiques urbains (civic
imaginaries) 82 et à défaire les dichotomies modernes qui opposent l’urbain au rural, le
naturel à l’artificiel, l’humain au non humain et le factuel au normatif. Une telle approche
permettra de créer un paysage inédit où se rencontrent la ville et la nature. Il importe
aussi de valoriser une vision de la ville et de l’aménagement qui mette l’accent sur
l’hybridité, l’incomplet, le partiel et les connexions. En d’autres mots, les démarches de
planification urbaine de demain doivent être en mesure de prendre en compte les
aspects désordonnés de la société urbaine et de la nature. Une telle perspective
suppose l’établissement d’une nouvelle culture de l’aménagement qui brise le monopole
des experts techniques et qui exige une plus grande flexibilité quant aux normes
techniques. Le but est de tenir compte des situations et des conditions particulières des
milieux et de trouver des solutions qui leur soient adaptées. Par conséquent, ce type
d’approche implique que les acteurs acceptent de gérer l’incertitude dans le processus
de prise de décision et de remettre en question les procédures et les structures
79
Karvonen, A. (2011). Politics of Runoff Water. Nature, Technology and the Sustainable City, Cambridge,
MIT Press.
80
Karvonen, A. (2011). Ibid., p. 15.
81
Hoyer. J. et al. (2011). Water Sensitive Urban Design. Principles and Inspiration for Sustainable
Stormwater Management in the City of the Future, Berlin, Jovis.
82
Karvonen, A. (2011). Ibid., p. 188.
30
bureaucratiques 83. Pour revoir en profondeur la manière dont les eaux de surface sont
gérées dans les milieux urbains, il faut ainsi être ouvert à l’expérimentation et s’attendre
à des retombées et des résultats imprévus 84. On peut penser notamment à la
réhabilitation des anciens cours d’eau qui sont disparus des paysages urbanisés.
Figure 14 : Rue à Portland, Oregon
Source: http://biophiliccities.org/
Réinventer la présence de la nature en ville
Dans la ville contemporaine, désir de nature et désir d’urbanité ne sont pas
antinomiques. Comme en témoigne le fort attrait en Amérique du Nord pour la vie en
banlieue ou en milieu périurbain caractérisée par l’habitat pavillonnaire et la présence de
jardin individuel, il prévaut un désir de nature ou de proximité à la nature. Comment
pourrons-nous satisfaire à cette demande sociale pour une nature de proximité? Par
ailleurs, il faut habituer les citadins à concevoir autrement la nature en ville, cette
dernière étant largement domestiquée. Apprendre à «laisser faire la nature» 85 signifie
d’expliquer aux habitants et aux gestionnaires comment ils doivent repenser les normes
sociales et urbanistiques quant à l’apparence des espaces verts et des aménagements
paysagers. Certes, dans les régions urbaines, la conservation des restants de bois et la
protection des ruisseaux ou des milieux humides sont importantes. Mais plusieurs
éléments comme les jardinets, les haies, les arbres de rue ou les cours jouent aussi un
rôle important en contribuant notamment à assurer une stratification écologique plus
extensive (muscinale, herbacée, arbustive, arborée).
Une représentation de la nature en ville à redéfinir
«L’image de la nature en ville reste aujourd’hui encore très liée aux yeux des habitants
des villes à l’idée d’ordre et de propreté, une vision qui fait écho à la tradition horticole
d’entretien des jardins. L’image d’une végétation plus libre et diversifiée, plus naturelle et
moins normée, doit être expliquée afin d’être comprise puis admise. Une nécessité car
l’implication plus généralisée des habitants dans la conception mais aussi la
83
Karvonen, A. (2011). Ibid., p. 195.
Karvonen, A. (2011). Ibid.
85
Ségur, F. (2012). « Laisser faire la nature », revue M3, no 2, mars.
84
31
maintenance active de ces espaces de nature est une des conditions de réussite de ce
modèle.» 86
Dans la ville de demain, la présence de la nature ne se résumera pas aux espaces verts
ou encore aux coulées vertes. C’est que la ville est aussi «le théâtre d’une vie animale
et végétale qui colonise les berges des cours d’eau, les annexes d’une voie urbaine, les
interstices des sols et des murs, les anfractuosités des murs.» 87 Plusieurs chercheurs
soulignent qu’un changement de regard est en cours mais que les pratiques n’ont pas
encore pris le tournant 88. Avec la montée en puissance des préoccupations
environnementales, l’urbanisme végétal va occuper une place accrue dans le
développement urbain et il contribuera à «constituer l’espace public continu, accessible,
varié et partagé.» 89 La fonction première de l’urbanisme végétal est de changer nos
représentations de la nature. De plus, la présence d’une végétation intra-urbaine
contribue à réduire la pollution de l’air et à diminuer la chaleur urbaine. Selon cette
perspective, la densité du bâti, l’espace public et l’urbanisme végétal s’avèrent
intimement liés.
La demande sociale de nature en ville
Il est dorénavant démontré que l’importance du végétal en ville améliore la qualité de vie
et le bien-être des citadins. On parle ici d’une «ville-nature vécue dans sa quotidienneté,
sa sensibilité et ce, grâce à tous les sens. Il ne s’agit plus d’une «pelouse interdite»,
mais bien d’une nature que l’on peut sentir, voire ressentir.» 90 À l’instar des pratiques de
gestion des eaux de ruissellement, la manière dont les spécialistes de l’aménagement
urbain conçoivent la place et la forme de la nature en ville pourra faire l’objet d’un
nouveau modèle d’intervention au sein duquel ce qui a priori apparaît ordinaire et banal
soit reconsidéré.
Figure 15 : Le Champ des Possibles, Mile-End, Montréal, été 2011
86
Ségur, F. (2012). «Laisser faire la nature», revue M3, no 2, mars.
Marry, S. et M. Delabarre (2011). «Naturalité urbaine : l’impact du végétal sur la perception sonore dans
les espaces publics», VertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 11, n° 1, p. 4.
88
Younes, C. (2010). «La Nature et la ville, écologie et milieux urbains», Conférence Émission, Diffuseur
AURH, source Crévilles, En ligne.
89
Marry, S. et M. Delabarre (2011). «Naturalité urbaine : l’impact du végétal sur la perception sonore dans
les espaces publics», VertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 11, n° 1.
90
Marry, S. et M. Delabarre (2011). «Naturalité urbaine : l’impact du végétal sur la perception sonore dans
les espaces publics», VertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 11, n° 1. Les
auteurs citent ici Yves Chalat (1997). La ville émergente, Paris, Édition de l’Aube.
87
32
Source : Daphné Angiolini, Portes ouvertes au Champ des Possibles, Le Plateau, 13 juillet 2011.
http://www.leplateau.com/Actualites/Vos-nouvelles/2011-07-13/article-2650674/Portesouvertes-au-Champ-des-Possibles/1
Comme le rappellent Antoine Bailly et Lise Bourdeau-Lepage au sujet de l’attrait du
périurbain chez les ménages français et les manières de concilier et la protection de
l’environnement :
Le choix n’est pas entre ville dense et ville moins dense. La question est de
parvenir à une bonne articulation des hautes et faibles densités, de façon à la
fois à préserver l’environnement et à satisfaire ces deux besoins essentiels et
incontournables pour l’homme et la société : celui d’urbanité et celui de
nature. 91
Selon cette perspective, le défi est de créer des pratiques interterritoriales. Les auteurs
parlent de «ville accueillante», de «ville douce» ou encore de «ville aimable». Cette
dernière permet à ses habitants de prendre part à différentes activités qui, tout en étant
respectueuses de l’environnement, rendent la ville plus conviviale et ouverte à tous. À
cet égard, il s’agit d’aménager «des espaces de vie plus «aimants» où le végétal et le
vivant (humains et animaux) vivraient en plus grande harmonie». Selon les scientifiques
qui travaillent sur la ville durable, il faudra «articuler des échelles d’aménagement, des
densités, des rapports d’intensité entre le minéral et le végétal, favorables à la qualité
des lieux et des liens sociaux» 92. Des mesures relativement simples comme la désimperméabilisation, la limitation de l’imperméabilisation des sols de certains espaces
urbains et de nouvelles formes de gestion de l’espace urbain public peuvent également
aller dans ce sens. En ville, les espaces verts remplissent de multiples fonctions : des
lieux d’échanges sociaux, de convivialité, de détente, de promenade, de satisfaction du
besoin de verdure et de calme des urbains. Ils sont aussi des refuges temporaires de
certains animaux. Selon leur localisation, les espaces verts jouent des rôles différents en
termes de biodiversité et de préservation du monde animal. C’est pourquoi une gestion
différenciée de ces espaces apparaît nécessaire pour tisser les liens entre la nature et la
ville.
91
Bailly, A. et L. Bourdeau-Lepage. (2011). «Concilier désir de nature et préservation de l’environnement :
vers une urbanisation durable en France», Géographie, économie, société, vol. 13, p. 39.
92
da Cunha, Antonio. (2009). «La ville entre artifice et nature», Urbia. Les cahiers du développement urbain
durable, no 8, juin, p. 2.
33
Réfléchir à la ville de demain implique de réhabiliter la nature, de prendre en compte la
biodiversité urbaine – ou le potentiel de biodiversité – et d’établir les conditions et
d’élaborer les moyens pour l’intégrer 93. À l’instar de l’enjeu de la gestion des eaux de
ruissellement, la gestion de la biodiversité urbaine soulève des problèmes complexes
impliquant des dimensions écologiques, politiques, techniques, économiques, sociales
et psychologiques. 94 C’est la prise en compte de l’interaction et de la hiérarchisation de
tous ces systèmes fonctionnant à des pas de temps différents et concernant des
échelles territoriales différenciées qui peut permettre de repenser les façons de gérer la
nature dans la ville. 95
Pour terminer, l’articulation de la question environnementale à celle de l’avenir des
sociétés urbaines suppose également que les mesures visant à préserver les
ressources soient pensées à une échelle plus large comme le soulignent Bonard et
Thomann : «Si le concept de mixité n’a en effet de sens qu’à l’échelle du quartier, celui
de justice environnementale invite à penser les polarisations sociales au minimum à
l’échelle de la ville-centre, encore mieux, à celle de l’agglomération.» 96 La mise en
pratique de la durabilité urbaine passe donc par une compréhension régionale des
enjeux et des pistes de solution.
Quelques défis
Comment développer de nouveaux imaginaires écologiques urbains?
Comment encourager la reformulation de certaines normes techniques pour mieux gérer
les ressources naturelles en milieu urbain ?
Comment intégrer des aspects désordonnés de la nature dans une démarche de
planification ?
Comment gérer la question environnementale à l’échelle régionale ?
93
Arnould P. et al. (2011). «La nature en ville. L’improbable biodiversité», Géographie, économie, Société,
vol. 13, no 1, p. 45-68.
94
Ibid., p. 64.
95
Ibid.
96
Bonard, Y. et M. Thomann (2009). «Requalification urbaine et justice environnementale : quelle
compatibilité ? Débats autour de la métamorphose de Lausanne», VertigO. La revue électronique en
sciences de l’environnement, vol. 9, n° 2.
34
POUR CONCLURE
Au cours des années à venir, les avancées technologiques, les nouveaux modes de vie,
les rythmes urbains des citadins, les évolutions sociodémographiques et les impératifs
environnementaux auront des répercussions sur la manière de concevoir et d’aménager
les villes. Des enjeux sociaux spécifiques découleront des tendances présentées dans
ce rapport. D’abord, la mixité sociale demeure un objectif essentiel pour éviter la
polarisation sociale qui touche de nombreuses régions urbaines. Les pouvoirs publics
disposent de différents moyens pour assurer le maintien des populations traditionnelles
dans les quartiers en redéfinition, notamment l’appui au développement de types de
logements diversifiés, y inclus des logements abordables et sociaux pour des ménages
variés (nouveaux immigrants, personnes âgées, jeunes familles, personnes seules, etc.)
et une offre performante de services publics comme le transport collectif. La question du
maintien ou de l’attrait des familles dans les parties centrales de la région de Montréal
est particulièrement déterminante. À cet égard, l’offre de services sociaux et d’éducation
de qualité s’avère aussi primordiale pour attirer une diversité de ménages. Ensuite, en
plus de contribuer à la croissance économique, la présence de zones d’emploi et d’un
noyau commercial dans un secteur peut réduire les distances que les gens parcourent
pour se rendre au travail ou faire leurs courses. Enfin, pour relever le défi de la
protection de l’environnement et celui de la lutte aux changements climatiques, la
flexibilité et la capacité d’adaptation des espaces urbains seront des caractéristiques
incontournables.
35
ANNEXE 1
Liste de mots clés en français et en anglais ayant servi à constituer la
bibliographie
Thématique 1 - Expérience et usages de l’espace
Serendipité (i.e. la ville doit permettre les rencontres et le hasard, l’aléatoire, l’éphémère)
Urban serendipity / serendipity and cities
Tactical Urbanism, DIY Urbanism, interventions spontanées
Hubs de vie (ambiances), aseptisation, ville sensible ou interprétation sensible de la ville
Sensitive city, urban cleansing
Urban Ambiances, emergent urban atmospheres, architectural ambiances
Porosité des espaces (ex. le lieu de travail se déplace : à la maison, dans les cafés,
dans les transports)
Porous urban space, Heterotopia
Digital practices on the move, telecommuting, digital technologies in cafés, digital
technologies in transit systems
Revaloriser la nature en ville (nature de proximité)
Green city, small public urban green space
Valoriser les lieux des flux (rôle des nœuds de transport)
Space of flows
Urban Hubs / Urban Transit Hubs
Géocyberespace (mort de la distance), ville numérique, ville virtuelle, hyperville
Electronic city, digital city, death of space, real time lifestyles, virtual city
Thématique 2 - Individuation des modes de vie et nouvelles temporalités
Nouveaux espaces de vie où cohabitent les activités (habitation, travail, loisir)
Ville 24 heures (ville en continu, chronotopie, rythmes urbains, ville hypermoderne)
24 hour city/cities, city beat, hypermodern cities, urban beat/urban rhythms
New urban lifestyles
Tout pour la famille /intégration des générations, cohabitations, mobilités et partages
Cohousing, affordable housing, social mix, predicting housing needs, future housing
needs, intergenerational housing
Social solidarity and social inclusion; social equity
36
Espace privé/public (usage des toits) prolongement de l’intérieur vers l’extérieur
Private outdoor space (use of rooftops), extending living space outdoors
Thématique 3 - Les déplacements et la mobilité
La revanche du piéton (le retour de la ville piétonne) (trottoirs accessibles, chemins
pensés pour le piéton en premier lieu, i.e. diagonale), aménager des itinéraires
agréables
Services de transport collectif futurs
Partager l’espace
Shared urban space, shared space
Promouvoir l’accessibilité (aux services collectifs, travail, loisirs, achats, études, aux
aliments sains) et développer une culture de la proximité
Future transit cities
Physical accessibility and mobility
Future individual accessibility and mobility
Thématique 4 - Les nouvelles contraintes énergétiques et environnementales
Ville durable accessible à tous (contraire de Mazdar City)
Gérer les eaux de ruissellement
Réduire la consommation d’énergie et des ressources
Favoriser la compacité urbaine
Sustainable city/urban sustainability for all, urban storm water management, low energy
city, compact urban form
Nature en ville
Cities and nature
37
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