elles-mêmes et pour leur bébé. Les notions de vie et de survie
peuvent devenir omniprésentes.
Le désir de sauver le bébé peut être parfois plus fort que
leur propre désir de survivre. Ainsi, la mère du petit Pierre,
victime d’un cancer ophtalmique diagnostiqué à 14 SA,
évoquait, dès la première séance, sa propre survie à travers
la mise au monde d’un enfant, mais aussi sa culpabilité du
fait de donner naissance à un enfant qui pourrait perdre très
tôt sa mère. Cela faisait écho à sa propre histoire, car sa
mère était décédée d’un cancer du sein lorsque la mère de
Pierre avait sept ans. Elle voyait dans cette répétition
transgénérationnelle une « empreinte cruelle du destin ».
Mère et enfant ont été adressés pour des difficultés
importantes d’intégration de Pierre à la crèche lorsqu’il
avait 15 mois. Les interactions précoces étaient marquées
par une tonalité anxieuse : mère et enfant semblaient se
surveiller mutuellement. L’expression symptomatique était
principalement cristallisée autour d’importantes difficultés
de séparation entre mère et enfant. Après quelques séances
centrées autour des symptômes de Pierre, les notions de vie
et de survie, de « sursis », sont venues dominer le discours
maternel. La mère a aussi évoqué sa culpabilité et même son
« égoïsme » dans son désir de préserver sa grossesse et de
devenir mère. Comme l’on observe habituellement au cours
des psychothérapies parents-bébé, Pierre était très sensible
à la tonalité du discours de sa mère : par moments
consolateur par ses sourires et ses vocalises, il pouvait
aussi passer de longs moments, concentré dans un jeu
autonome et laisser ainsi un temps de parole bénéfique à sa
mère. Un travail de différenciation psychique entre mère et
enfant a pu également se faire, l’enfant devenant plus
reconnu dans son individualité et moins soumis aux états
affectifs de sa mère. Par la suite, à mesure que les angoisses
liées à l’incertitude de l’avenir de la mère ont pu être mises
en mots, les interactions mère-bébé se sont visiblement
détendues, et les symptômes de Pierre n’ont pas tardé à
disparaître. La mère a alors entamé une psychothérapie
individuelle.
Le diagnostic de cancer pendant la grossesse produit
toujours un fort impact émotionnel, puisqu’il atteint des
personnes en âge de procréer, donc jeunes, qui traversent
une période hautement sensible, sans équivalent dans le
cours de la vie, des personnes qui s’apprêtent justement à
transmettre la vie [14]. Face à l’annonce, toujours brutale, la
future mère, le père et leurs familles se trouvent confrontés à
une situation qui oblige, en particulier la femme, à faire des
choix, avec une liberté souvent très relative (poursuivre ou
non la grossesse, commencer ou non tout de suite les
traitements et lesquels). Cette situation oblige donc à être
active, alors que la femme était en situation d’attente, de
maturation et de transformations somatiques et psychiques.
Il s’agit là d’une « crise dans la crise ». La femme devra
mobiliser fortement son énergie physique et ses ressources
psychologiques. Elle s’inquiète et se sent responsable pour
son fœtus mais doit aussi s’occuper d’elle-même. Au vécu
corporel particulier de la grossesse, avec l’étrangeté du
développement d’un être à l’intérieur de soi, viendra se
superposer la croissance cellulaire agressive d’un cancer.
Un combat contre le cancer devra donc s’engager, alors que
la future mère devrait simplement laisser libre cours au
travail psychique de la grossesse qui se fait en parallèle à la
croissance et à la maturation de l’enfant à venir.
La situation à laquelle peuvent être confrontés les parents
s’apparente, à plusieurs égards, à celle de pratiquer ou non
une interruption médicale de grossesse, mais dans ce cas,
d’un embryon ou d’un fœtus sain. Bien entendu, le choix ne
sera pas le même selon l’âge gestationnel et les caractéris-
tiques de la maladie maternelle, mais dans tous les cas, le
simple fait de devoir l’évoquer peut être considéré comme
potentiellement traumatique. En effet, même l’expérience
clinique de situations moins graves, n’engageant pas le
pronostic vital de la mère et où le choix de préserver la
grossesse a prévalu, atteste du caractère hautement
bouleversant et culpabilisant de telles situations [2] et de
leurs effets durables sur les relations parents-enfant.
Il est, par ailleurs, très difficile pour la femme enceinte
atteinte de cancer d’apprendre que l’interruption de sa
grossesse n’aura aucune incidence sur son pronostic,
incluant sa survie et le taux de récidives [15,16,22,24].
L’arrêt d’une grossesse, même à un stade très précoce,
constitue un deuil périnatal, car nous savons que le
processus de parentalité était déjà enclenché [23]. Il est
donc particulièrement important que la femme, et idéale-
ment le couple, puisse bénéficier d’une information
médicale claire et précise et d’un soutien psychologique
dans la prise de décision, quelle qu’elle soit.
Dans des cas particulièrement douloureux, le deuil de
l’enfant peut s’accompagner du deuil de la capacité à
enfanter, si une cryoconservation d’ovocytes n’est pas
réalisée ou réalisable, ou lorsque le cancer compromet de
façon définitive la capacité de porter un enfant, par exemple
en induisant une aménorrhée permanente ou l’ablation de
l’utérus. La femme se retrouve alors dans une situation
singulière : celle de pouvoir rester en vie, mais ne pouvant
plus la gérer ni la transmettre. Cela faisait évoquer à une de
nos patientes le caractère malin, « diabolique » de son
cancer, sorte de malédiction interminable ayant définitive-
ment atteint son corps. Elle parlait alors de sa « simple
survie », sa vie « limitée » dans le temps, mais surtout dans
le « sens ». Elle regrettait, par ailleurs, le « manque d’intérêt
patent » du corps soignant à l’égard de ces questions
existentielles essentielles pour elle.
Par ailleurs, la chimiothérapie, la radiothérapie pelvienne
et la chirurgie gynécologique en particulier peuvent avoir
non seulement un impact sur la fertilité future, mais aussi
sur le déroulement d’une grossesse survenant a posteriori.
Psycho-Oncol. (2009) 3:88-93 89