Impact d`un diagnostic de cancer maternel pendant la grossesse sur

Psycho-Oncol. (2009) 3:88-93
DOI 10.1007/s11839-009-0134-0
ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER
Impact dun diagnostic de cancer maternel pendant la grossesse
sur les interactions précoces parent-bébé
Impact of the diagnosis of maternal cancer during pregnancy on early
parentinfant interaction
J. Wendland
© Springer-Verlag 2009
Résumé Très peu détudes ont exploré limpact dun
diagnostic de cancer maternel pendant la grossesse sur la
femme, les interactions précoces mère-enfant et le devenir
psychologique de lenfant. Au-delà des effets du traumatisme
dune telle annonce au cours de la grossesse, un cancer
maternel peut avoir des répercussions néfastes et durables,
tant pour la mère dans sa parentalité, que pour le développe-
ment de lenfant à naître. Cet article analyse les effets dun
diagnostic de cancer maternel prénatal sur le couple parental
et les interactions précoces parent-bébé à partir de notre
pratique clinique en petite enfance et périnatalité.
Mots clés Cancer · Grossesse · Mère · Bébé ·
Interaction
Abstract Very few studies have explored the impact of a
diagnosis of maternal cancer during pregnancy on the
mother, early mother-infant interaction and the infants
psychological development. Beyond the traumatic effect of
receiving such news during pregnancy, a mothers cancer
may have harmful, long-lasting consequences both for the
mother, in her experience of motherhood, and for the
infants development. Based on our clinical experience in
the infancy and perinatal fields, this paper examines the
impact of a diagnosis of prenatal maternal cancer on the
parental couple and on early parent-infant interaction.
Keywords Cancer · Pregnancy · Mother · Infant ·
Interaction
Introduction
Les enjeux psychologiques de la rencontre singulière entre
grossesse et cancer constituent un thème très récent pour les
champs de la psychologie clinique et de la psychopatho-
logie. Il existe très peu détudes psychologiques sur les
femmes ayant reçu un diagnostic de cancer pendant la
grossesse. Une revue extensive de la littérature permet de
constater quà ce jour aucune étude na exploré limpact
psychologique de cette situation sur la femme, les
interactions précoces mère-enfant et le devenir psycho-
logique de lenfant. Dans notre pratique clinique dans les
domaines de la petite enfance et de la périnatalité, nous
avons suivi quelques mères et enfants ayant vécu situation.
Il sagit de dyades traitées dans le cadre de psychothérapies
parents-bébé. Dans cet article, nous examinons limpact
dun diagnostic de cancer maternel prénatal sur le couple
parental et sur les interactions précoces parent-bébé. Cet
impact débute, on le sait, dès lannonce du diagnostic.
Impacts du diagnostic : entre vie et survie
Toute pathologie grave intervenant au cours de la grossesse,
quelle soit somatique ou mentale, quelle atteigne lenfant
ou la mère, peut avoir des répercussions néfastes et
durables, tant pour la mère dans sa parentalité, que pour
lenfant à naître. Au premier plan se situe limpact du
traumatisme de lannonce dune maladie grave au cours de
la grossesse, période où la femme est demblée plus fragile
des points de vue somatique et psychologique. Nous
connaissons très peu limpact de la découverte dune
maladie grave chez la mère, telle un cancer au cours de la
grossesse. Les cas que nous avons pu suivre en psycho-
thérapie ont montré que cette découverte pouvait entraîner
une suspension des processus psychiques liés à la parentalité,
et parfois de linvestissement de lenfant, ainsi que
des difficultés dans les premières interactions. Ces mères
sont, avant tout, envahies par les doutes et la peur pour
J. Wendland (*)
Laboratoire de psychopathologie et de neuropsychologie cliniques
(EA 4057), université ParisDescartes, 71, avenue
Édouard-Vaillant, F-92774 Boulogne-Billancourt, France
Unité petite enfance et parentalité Vivaldi, service de psychiatrie
de lenfant et de ladolescent, hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
47-83, boulevard de l'Hôpital, F-75013 Paris, France
elles-mêmes et pour leur bébé. Les notions de vie et de survie
peuvent devenir omniprésentes.
Le désir de sauver le bébé peut être parfois plus fort que
leur propre désir de survivre. Ainsi, la mère du petit Pierre,
victime dun cancer ophtalmique diagnostiqué à 14 SA,
évoquait, dès la première séance, sa propre survie à travers
la mise au monde dun enfant, mais aussi sa culpabilité du
fait de donner naissance à un enfant qui pourrait perdre très
tôt sa mère. Cela faisait écho à sa propre histoire, car sa
mère était décédée dun cancer du sein lorsque la mère de
Pierre avait sept ans. Elle voyait dans cette répétition
transgénérationnelle une « empreinte cruelle du destin ».
Mère et enfant ont été adressés pour des difficultés
importantes dintégration de Pierre à la crèche lorsquil
avait 15 mois. Les interactions précoces étaient marquées
par une tonalité anxieuse : mère et enfant semblaient se
surveiller mutuellement. Lexpression symptomatique était
principalement cristallisée autour dimportantes difficultés
de séparation entre mère et enfant. Après quelques séances
centrées autour des symptômes de Pierre, les notions de vie
et de survie, de « sursis », sont venues dominer le discours
maternel. La mère a aussi évoqué sa culpabilité et même son
« égoïsme » dans son désir de préserver sa grossesse et de
devenir mère. Comme lon observe habituellement au cours
des psychothérapies parents-bébé, Pierre était très sensible
à la tonalité du discours de sa mère : par moments
consolateur par ses sourires et ses vocalises, il pouvait
aussi passer de longs moments, concentré dans un jeu
autonome et laisser ainsi un temps de parole bénéfique à sa
mère. Un travail de différenciation psychique entre mère et
enfant a pu également se faire, lenfant devenant plus
reconnu dans son individualité et moins soumis aux états
affectifs de sa mère. Par la suite, à mesure que les angoisses
liées à lincertitude de lavenir de la mère ont pu être mises
en mots, les interactions mère-bébé se sont visiblement
détendues, et les symptômes de Pierre nont pas tardé à
disparaître. La mère a alors entamé une psychothérapie
individuelle.
Le diagnostic de cancer pendant la grossesse produit
toujours un fort impact émotionnel, puisquil atteint des
personnes en âge de procréer, donc jeunes, qui traversent
une période hautement sensible, sans équivalent dans le
cours de la vie, des personnes qui sapprêtent justement à
transmettre la vie [14]. Face à lannonce, toujours brutale, la
future mère, le père et leurs familles se trouvent confrontés à
une situation qui oblige, en particulier la femme, à faire des
choix, avec une liberté souvent très relative (poursuivre ou
non la grossesse, commencer ou non tout de suite les
traitements et lesquels). Cette situation oblige donc à être
active, alors que la femme était en situation dattente, de
maturation et de transformations somatiques et psychiques.
Il sagit là dune « crise dans la crise ». La femme devra
mobiliser fortement son énergie physique et ses ressources
psychologiques. Elle sinquiète et se sent responsable pour
son fœtus mais doit aussi soccuper delle-même. Au vécu
corporel particulier de la grossesse, avec létrangeté du
développement dun être à lintérieur de soi, viendra se
superposer la croissance cellulaire agressive dun cancer.
Un combat contre le cancer devra donc sengager, alors que
la future mère devrait simplement laisser libre cours au
travail psychique de la grossesse qui se fait en parallèle à la
croissance et à la maturation de lenfant à venir.
La situation à laquelle peuvent être confrontés les parents
sapparente, à plusieurs égards, à celle de pratiquer ou non
une interruption médicale de grossesse, mais dans ce cas,
dun embryon ou dun fœtus sain. Bien entendu, le choix ne
sera pas le même selon lâge gestationnel et les caractéris-
tiques de la maladie maternelle, mais dans tous les cas, le
simple fait de devoir lévoquer peut être considéré comme
potentiellement traumatique. En effet, même lexpérience
clinique de situations moins graves, nengageant pas le
pronostic vital de la mère et où le choix de préserver la
grossesse a prévalu, atteste du caractère hautement
bouleversant et culpabilisant de telles situations [2] et de
leurs effets durables sur les relations parents-enfant.
Il est, par ailleurs, très difficile pour la femme enceinte
atteinte de cancer dapprendre que linterruption de sa
grossesse naura aucune incidence sur son pronostic,
incluant sa survie et le taux de récidives [15,16,22,24].
Larrêt dune grossesse, même à un stade très précoce,
constitue un deuil périnatal, car nous savons que le
processus de parentalité était déjà enclenché [23]. Il est
donc particulièrement important que la femme, et idéale-
ment le couple, puisse bénéficier dune information
médicale claire et précise et dun soutien psychologique
dans la prise de décision, quelle quelle soit.
Dans des cas particulièrement douloureux, le deuil de
lenfant peut saccompagner du deuil de la capacité à
enfanter, si une cryoconservation dovocytes nest pas
réalisée ou réalisable, ou lorsque le cancer compromet de
façon définitive la capacité de porter un enfant, par exemple
en induisant une aménorrhée permanente ou lablation de
lutérus. La femme se retrouve alors dans une situation
singulière : celle de pouvoir rester en vie, mais ne pouvant
plus la gérer ni la transmettre. Cela faisait évoquer à une de
nos patientes le caractère malin, « diabolique » de son
cancer, sorte de malédiction interminable ayant définitive-
ment atteint son corps. Elle parlait alors de sa « simple
survie », sa vie « limitée » dans le temps, mais surtout dans
le « sens ». Elle regrettait, par ailleurs, le « manque dintérêt
patent » du corps soignant à légard de ces questions
existentielles essentielles pour elle.
Par ailleurs, la chimiothérapie, la radiothérapie pelvienne
et la chirurgie gynécologique en particulier peuvent avoir
non seulement un impact sur la fertilité future, mais aussi
sur le déroulement dune grossesse survenant a posteriori.
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Les études montrent une augmentation du nombre de fausses
couches, de menaces daccouchement prématuré, de retards
de croissance intra-utérins et de décès périnataux, ce qui fait
que toute grossesse ultérieure sera à risque obstétrique mais
aussi psychologique [13,15]. Il est à noter également que
lallaitement est déconseillé en cas de chimiothérapie, ce qui
pourra frustrer la mère, ainsi quaffecter les premières
interactions et le lien dattachement [15].
Le cancer pendant la grossesse peut sapparenter à un
conflit opposant la vie de la mère à celle de son enfant.
Cette association est présentée par certains auteurs comme
un dilemme médical et psychologique, mais aussi éthique
[19]. La mère en particulier, mais aussi son entourage
familial et le corps soignant doivent faire face à des faits
diamétralement opposés et concomitants : donner la vie et
vivre une menace de mort. Pour Oduncu et al. [19], la
question du statut de lembryon/fœtus (est-il une per-
sonne ?) serait sous-jacente à toute décision thérapeutique.
Nous pouvons évoquer à ce sujet une situation que nous
avons pu suivre en psychothérapie mère-père-bébé. Il sagit
de lhistoire dune femme enceinte de quatre mois, attendant
son premier enfant, à lâge de 40 ans. Lorsque lon
découvre une tumeur cérébrale chez sa femme, le père se
voit annoncer par le médecin le choix que lui reste à faire :
« il faut réfléchir, Monsieur, nous pouvons essayer de
sauver la femme ou lenfant ». Nous ne savons pas sil
sagit des propos textuels du médecin, mais ils reflètent, en
tout cas, ce que le père a pu entendre lors de lannonce du
diagnostic. Bien que nayant pas, bien entendu, porté seul le
choix thérapeutique de poursuivre la grossesse en même
temps que le traitement de sa femme, ce père sest senti
« écrasé », selon ces propres dires, par le poids de ces mots
et sans doute de cette situation. La mère a été rapidement
opérée et a subi une radiothérapie pendant la grossesse. Son
état sest avéré moins grave quil napparaissait initiale-
ment. Après la naissance de son enfant, bien portant, sa
femme étant toujours sous traitement, le père sest trouvé
sévèrement handicapé dans ces fonctions parentales,
« écrasé » à son tour par lenfant, devenu tyrannique, et
mis à lécart par sa femme, engagée dans une relation mère-
enfant très fusionnelle. La famille a été adressée pour des
troubles du comportement de leur enfant Hakim, un garçon
alors âgé de 18 mois. Il apparaît très vite que mère et enfant
étaient vus par le père comme des survivants, des rescapés,
des êtres fragiles quil ne fallait pas déranger, pas frustrer.
Mère et enfant étaient « différents de lui », le père, qui
navait pas vécu la même épreuve dans son corps. Il est
intéressant de noter que, dans cette situation, le travail
thérapeutique a impliqué, au-delà des effets traumatiques de
la maladie sur la mère, son rôle parental et les interactions
parents-enfant, la restauration de la place psychique et du
sentiment de compétence parentale du père. Par ailleurs, il
est aussi remarquable que cette famille nait pas bénéficié
dune prise en charge psychologique pendant la grossesse et
les premiers 18 mois de lenfant, ce que les parents ont
regretté dans laprès-coup.
Cette situation attire également lattention sur la position
particulièrement difficile du conjoint, confronté au désir de
voir naître son enfant et de sauver sa femme, mère de
lenfant. Il devient alors essentiel de lui permettre dexpri-
mer ses craintes et ambivalences et de lui offrir un soutien
psychologique. Lorsque le pronostic de la mère à court terme
est mauvais, il devra très rapidement prendre en charge les
soins du bébé et des autres enfants éventuels, avec ou non
laide de personnes de la famille. À ce titre, le psychologue et
lassistante sociale doivent aider les parents à envisager les
modalités daides familiales, notamment un travailleur
dintervention sociale et familiale (TISF) à domicile et une
assistante maternelle pour la garde de lenfant.
Impacts dune maladie grave
en cours de grossesse
Outre ses effets sur la qualité de vie, la relation de couple, et
plus globalement sur létat psychologique du patient et de
son conjoint, la pathologie cancéreuse a la particularité
dengendrer des craintes de récidive et des incertitudes quant
àlavenir. Lorsque ce diagnostic intervient en cours de
grossesse, ou peu après laccouchement, se pose demblée la
question du devenir de lenfant si la mère venait à décéder.
De plus, lexpérience montre que les parents atteints de
cancer peuvent aussi ressentir la peur de transmettre à leur
enfant les gènes liés au risque de développer, un jour, la
maladie. Cette crainte peut être naturellement et particulière-
ment exacerbée lorsque la manifestation de la maladie
coïncide avec la conception de lenfant.
Les études sur le devenir psychologique des mères et des
enfants suite à un cancer pendant la grossesse sont très
rares. La plupart dentre elles se limitent à des recherches
médicales, souvent à court terme. Celles-ci sont centrées sur
lissue obstétricale (taux de prématurité, fausses couches,
retard de croissance intra-utérin, morts in utero, mode
daccouchement), la santé du nouveau-né (poids de
naissance notamment), le risque de survenue dun cancer
chez lenfant, y compris de métastase chez le fœtus en cours
de grossesse, et les effets nocifs des traitements subis par la
mère pour lenfant in utero ou après la naissance
[1,5,6,28,30]. Les effets à long terme des traitements subis
in utero restent mal connus, et linformation au couple ne
peut être complète et rassurante à ce sujet. Mathieu et al.
[15] regrettent labsence de suivis à long terme des enfants
nés de mères soignées pour un cancer gravidique. Dans une
revue de la littérature sur les enfants de parents atteints de
cancer, Visser et al. [27] trouvent à peine quatre études
incluant des enfants dâge préscolaire, mais leurs résultats
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ne décrivent pas les particularités de cette tranche dâge par
rapport aux enfants plus âgés et adolescents. Cela
sexplique par les méthodes dévaluation quantitatives et
qualitatives employées qui exigent souvent la maîtrise du
langage parlé et écrit [18,29]. Ainsi, les bébés et enfants en
bas âge, dont les premiers temps du développement, parfois
encore in utero, sont marqués par la présence de la maladie
et des traitements, en sont exclus. Plus récemment, Osborn
[20] confirme labsence détudes sur le comportement
parental et leurs effets sur lenfant dans ce contexte.
Conséquences de la maladie : dépression,
stress et anxiété pendant la grossesse
En absence détudes spécifiques, les connaissances dans le
domaine de la psychopathologie périnatale permettent
détudier les effets dune maladie grave chez la future
mère à partir des conséquences psychologiques générale-
ment engendrées par une telle situation, à savoir, notam-
ment une élévation des taux danxiété, de dépression et de
stress maternels. La découverte dun cancer au cours de la
grossesse est un événement stressant non seulement majeur
mais aussi durable (pouvant devenir chronique), car il
implique un suivi sur le long terme. La situation conjugue
en réalité deux événements de vie qui peuvent engendrer un
stress majeur : la menace de sa propre mort et celle de
perdre un enfant. De plus, nous pouvons la considérer
comme hautement anxiogène et dépressiogène.
À leur tour, lanxiété, la dépression et le stress prénataux
peuvent retentir sur le développement du fœtus, lissue
obstétricale et néonatale de la grossesse, les interactions
précoces mère-bébé, et enfin, le développement cognitif,
psychomoteur et affectif de lenfant, à plus ou moins long
terme. Le stress et lanxiété maternels durant la grossesse
peuvent induire une augmentation des mouvements, du
rythme cardiaque et du taux de cortisol chez le fœtus. Ces
facteurs sont aussi corrélés à une augmentation du risque de
fausses couches et de prématurité, à un faible poids de
naissance, à une diminution du périmètre crânien, ainsi quà
des difficultés cognitives et émotionnelles chez lenfant,
même à moyen terme (adolescence) [4,21,26].
Des effets similaires sont retrouvés par les études portant
sur limpact de la dépression prénatale. Les fœtus et les
nouveau-nés de mères déprimées pendant la grossesse
présentent, de plus, des altérations tant au niveau hormonal
(par exemple taux plus élevés de cortisol et de norépi-
nephrine, et plus faibles de sérotonine et de dopamine) que
neurocomportemental (par exemple moins bonnes capacités
dorientation visuelle, auditive, dhabituation et de régula-
tion des états déveil, plus irritables et plus difficiles à
consoler lorsquils sont examinés avec léchelle de
Brazelton) [7].
À leur tour, ces altérations auront des effets délétères sur
les interactions précoces et le développement de lenfant
déjà bien décrits, tout comme la dépression maternelle elle-
même [8,17].
Toutes ces connaissances tendent à montrer que lenfant
à naître serait, dès la naissance, moins apte à établir des
interactions harmonieuses avec ses parents. À leur tour, ces
interactions plus difficiles, avec un enfant moins gratifiant,
pourront renforcer la culpabilité et la dépression de la mère
[25]. Nous pouvons alors supposer que limpact dune
maladie grave, telle un cancer maternel gravidique, viendra
amplifier les effets néfastes que toute perturbation de létat
émotionnel de la femme peut avoir sur le processus de
parentalité de la mère, le devenir de sa grossesse et de
lenfant à naître.
Interactions précoces suite à un cancer
pendant la grossesse
Une maladie grave chez la (future) mère peut interférer à
plusieurs niveaux sur linstauration des interactions pré-
coces mère-bébé. Outre les difficultés déjà évoquées au
cours de la grossesse, une conséquence fréquente de la
nécessité de traitement médical du cancer maternel pendant
la grossesse est le raccourcissement du terme (par
déclenchement ou césarienne) et donc, la venue au monde
dun enfant prématuré. Lenfant naîtra ainsi plus fragile et
nécessitera des soins en néonatalogie, alors que la mère
devra subir très rapidement, après la naissance, des
traitements entraînant grande fatigue et mal-être physique
et psychologique. Ainsi, mère et bébé seront souvent pris en
charge dans des services différents et, de ce fait, séparés. Par
la suite, la disponibilité psychologique et physique de la
mère se trouvera diminuée par les traitements lourds et des
périodes dhospitalisation qui pourront signifier des sépara-
tions répétées. À ces difficultés peuvent sajouter la détresse
et les problèmes de garde des autres éventuels enfants du
couple.
À plus long terme, les situations que nous avons pu
suivre en psychothérapie impliquaient des difficultés que
nous pouvons qualifier de caractéristiques des situations où
les parents se sentent handicapés dans leur parentalité par la
maladie, quelle soit somatique ou psychiatrique. Ces
difficultés incluent souvent des troubles de lattachement,
avec limpossibilité pour le parent de se situer en tant que
parent suffisant, rassurant, et permettant à lenfant détablir
un lien affectif stable et sécurisant. En découlent des
difficultés de séparation : tout éloignement peut être vécu
comme menaçant pour lenfant et pour le parent, comme
dans la situation de Pierre évoquée précédemment ; toute
hospitalisation du parent peut être synonyme dabandon, de
disparition. Dans ce même ordre didées, les parents atteints
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de maladies graves, quelles soient aiguës ou chroniques,
présentent souvent des difficultés à gérer les comportements
provocateurs et agressifs de lenfant, à mettre des limites,
car toute réprimande peut renvoyer à la culpabilité, à
limage de parent défaillant, qui priverait ainsi davantage un
enfant déjà en souffrance, en manque, ce qui était
observable dans la situation de Hakim. En effet, le
sentiment de compétence parentale semble inévitablement
affecté par la maladie.
Par ailleurs, lenfant peut être vécu comme une revanche,
une victoire sur la menace de mort, mais il représente aussi
le témoin direct, le mémorial vivant dune situation
extrêmement douloureuse. Le travail thérapeutique doit
alors sefforcer de remettre lenfant et le parent du côté de la
vie et de dégager lenfant dune place mortifère. Le bébé
doit naître dans un contexte de vie, et les représentations
liées à lui ne doivent pas renvoyer à la maladie et à la mort
possible de sa mère.
Du côté de lenfant, il est connu que celui-ci reconnaît,
même très tôt, dès les premiers mois de vie, le statut fragile
du parent physiquement ou mentalement malade. On
observe dans certains cas une hypervigilance, une adapta-
tion et une maturité précoces de lenfant. Celui-ci réprime
lexpression de ses besoins pour ne pas solliciter et déborder
le parent, dont il sent les difficultés et lindisponibilité,
comme lon peut observer chez les enfants de parents
malades mentaux [3,12].
Cette hyperadaptation peut masquer une souffrance
psychologique et, en particulier, des éléments dépressifs, y
compris chez des très jeunes enfants [9,10]. Cette adaptation
accrue ainsi que lhypervigilance peuvent être dautant plus
marquées que le parent doit poursuivre des traitements et
une surveillance médicale pendant plusieurs années de vie
de lenfant, ce qui est le cas lorsque la mère est suivie pour
un cancer.
Àlinverse, certains enfants manifestent des troubles
plus bruyants du comportement. Chez les bébés et jeunes
enfants, ces troubles se traduisent par une agitation, une
hypertonicité (rendant parfois difficile le portage), des
difficultés de consolabilité, des comportements agressifs
envers les pairs, des difficultés dadaptation dans les
modes de garde et des troubles du sommeil. Enfin, dans
un autre registre, certains enfants présentent des somatisa-
tions touchant notamment la peau et lalimentation. Par
exemple, nous avons pu observer une pelade chez une
enfant de six mois dune mère atteinte dune tumeur de la
thyroïde pendant la grossesse et sévèrement déprimée
dans le post-partum. La complexité des manifestations
psychosomatiques pendant la petite enfance ne permet
pas, bien entendu, dy voir un lien étiologique direct entre
la pelade chez le nourrisson et le cancer maternel. Ce lien
passerait sans doute plutôt par les effets de la dépression
maternelle consécutive à la maladie. En effet, des
manifestations de pelade chez des nourrissons ont été
observées en cas de carence affective précoce et de
dépression maternelle [11].
Dans toutes ces situations, le soutien à la parentalité et à
lélaboration du traumatisme de la maladie et de ses
conséquences psychologiques, notamment la dépression,
est essentiel à linstallation dinteractions harmonieuses entre
la mère et son enfant. Le conjoint doit également bénéficier
de ce soutien au même titre que la mère, et des prises en
charge mère-père-bébé doivent être proposées aussi souvent
que possible.
Conclusion
Bien que le diagnostic de cancer pendant la grossesse soit
heureusement un événement rare, il suscite néanmoins de
nombreux questionnements et enjeux psychologiques pour
les parents et professionnels qui y sont confrontés. En tant
quévénement de vie stressant majeur et durable, il a un
impact certain sur létat psychologique de la mère et de son
conjoint, ainsi que sur les interactions parents-enfants. À
ce jour, aucune étude prospective ntémenéesurdes
femmes ayant reçu un diagnostic de cancer au cours de
leur grossesse, leur famille et leur enfant. Il sagit pourtant
dun champ aux retombées thérapeutiques et préventives
essentielles pour la mère, lenfant à naître, le couple
parental et lensemble de la famille. À ce titre, la formation
des professionnels à ces situations particulières, tant dans
les services de maternité et les unités de psychiatrie
périnatale que dans les centres de cancérologie, ainsi
quune bonne collaboration entre ces services sont
indispensables. Ainsi, les enjeux de la maternité et la
dynamique psychique particulière de la femme enceinte ne
peuvent pas être occultés en cas de maladie cancéreuse, et
cela même lorsquune interruption de grossesse simpose.
Toutes les situations que nous avons pu accompagner
montrent que létat de grossesse et, notamment la
conscience de la présence dun être en potentiel modifient
singulièrement le vécu de la découverte dune maladie
grave et potentiellement les interactions précoces qui sen
suivent.
Conflit dintérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit
dintérêt.
Références
1. Aviles A, Neri N (2001) Hematological malignancies and
pregnancy: a final report of 84 children who received
chemotherapy in utero. Clin Lymphoma 2:173177
2. Bitouzé V (2001) Le fœtus, un patient singulier. Seli Arslan,
Paris
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