La non-réalisation d`une coloscopie après un test positif de

Santé publique
2008,volume 20,3,pp. 249-257
ÉTUDES
Correspondance:C.dePauw Réception :24/10/2006 Acceptation :06/05/2008
La non-réalisation dune coloscopie
après untest positif dedépistage
ducancercolorectal:étude qualitative
Non-compliancewith having a colonoscopyasafollow upto
apositiveresultin colorectalcancer screening: a qualitativestudy
Caroline dePauw (1)
Résu:Cette étude qualitatives’intéresseaux motivationsdespersonnesqui, dansle
cadredudépistage organiséducancercolorectal,ont réaliséuntest Hémoccult ®au résultat
positif etquiarrêtentla démarche alors que lesbonnespratiquesdicalesdemandentla
réalisation dune coloscopie. Douze entretiens semi-directifsontétéréalisés.Ceux-ci
montrentque laqualitéde larelation médecin – patientest primordiale pour laréalisation
de la coloscopie etinsistent sur lacessairecapacitédudecin àtransmettreun message
non seulementrationnel maiségalementprenanten compte le sentimentd’incertitude que
peut provoquerl’annoncedun premier résultatpositif detest dedépistage decancer.Un
travail semble devoirêtre mené auprèsducorpsdical,quin’apasintégré le caractère
systématiquede la coloscopie suiteàuntest Hémoccult®positif :lanorme mémorisée par
grandnombrede médecins seraitde faireletest Hémoccult ® ,la coloscopie ne feraitpas
partie decette norme. Desrecommandations visantà améliorerl’acceptation parla
population decedépistage organisésontproposées.
Mots-cs:
Dépistage - cancercolorectal - norme sociale - sociologie - incertitude médicale.
Summary:
Thisqualitativestudyexamines the motivationsof people who had a positive
resultaspart of the colorectalcancer screening programme, andwho didnotfollow-upwith
further recommendedtests; whereasgoodmedical practicerequires the a colonoscopy
subsequent toapositiveHemoccult test.Twelvesemi-directedinterviews wereconducted.
The quality of the doctor- patient relationship stronglyinfluences the acceptance of having a
colonoscopy.Thisdatahighlights the necessary capacity of the doctor toconveyarational
message while alsotaking intoaccount the emotionalturmoil provoked by the uncertainty
andworry linkedtoreceiving afirst positiveresultin a cancer screening test.Working with
the medical profession toadvocate forasystematic colonoscopyasan essential follow-upto
apositiveHemoccult test iscritical. Formanyof thesedoctors, doing the Hemoccult test is
regarded as the screening standard, but in their viewasubsequentcolonoscopyisnot
currentlyapart of thisnorm. Recommendationsare proposed, aiming to improvethe
acceptance of the organizedscreening by the population.
Keywords:
Screening - colorectalcancer-social norm - sociology- medicaluncertainty.
(1) Coordinatricede l'URMEL(Union Régionale desMédecinsExerçantàtitreLibéral) Nord-Pas-de-Calais,
4avenueFoch,59000 Lille,France.
C.DE PAUW
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Introduction
Deuxième causede mortalité parcanceren France,pour leshommes
comme pour lesfemmes,le cancercolorectal est une prioritédesanté
publique. Son dépistage organiséaété généralisé en 2006.Ilconcerne
l’ensemble de lapopulation,hommesetfemmes, de 50à74ans.Alors que
le bien-fondédudépistage organiséducancerdu sein est remisen cause par
de nombreux intellectuels,généralistes,sociologues,decinsdesanté
publique[1,2], peud’écrits existent sur le dépistage organiséducancer
colorectal. Cedépistage organisécomporte pourtantdesparticularités:
–il est le premierdépistage organiséà concernerlesdeux sexes ;
–le patientdoit réaliserlui-même, à son domicile,le prélèvementdeselles
parle test HémoccultII®;
–ils’organise en deux temps:laréalisation du test HémoccultII®suivi,en
casderésultatpositif, dune coloscopie.
Ceséléments ontfaitl’objetdune recherche en 2006 [3]parl’Union
Régionale desMédecinsExerçantàtitreLibéral (URMEL)duNord-Pas-de-
Calais,en partenariatavecl’Association pour le Dépistage desCancers dans
le Nord(ADCN). Cette étudeaportésur despersonnesqui n’ontpas réalisé
la coloscopie alors que leur test HémoccultII®savéraitpositif.
Procéduredudépistage organiséducancercolorectal (daprèsle cahierdescharges
publié auJournalOfficiel du 21/12/2006 etla conférencedeconsensus de
1998) [4,5].
LADCN est lastructurede gestion chargée de mettre en œuvre le dépistage
organiséducancercolorectaldansle départementduNord.Cedépistage
concerne l’ensemble deshommesetfemmesâgéesde 50à74anset se
déroule de lamanièresuivante:
Envoi dune invitation à bénéficiergratuitementduntest dedépistage
HémoccultII® .Cedernierpeut êtredélivré parle médecin traitant,le
pharmacien,le médecin du travail oudans uncentred’examen desanté
sur présentation de l’invitation. Si le test n’est pas réalisé,une première
relance postale est effectuée àtroismois,etil est envoyédirectementau
domicile despersonnesaubout desixmois sicelui-ci n’atoujours pas
étéréalisé.
Réalisation du test HémoccultII®parlapersonne àson domicile. Il est
composédetroisplaquettesimbibéesderésine de gaïac.Al’aidedune
spatule,lapersonne prélèvedeux fragments desellesà appliquer sur la
plaquette. L’opération est renouvelée sur trois sellesconsécutives.
Letest réalisé,il est envoyé parlapersonne àl’aidedune enveloppe T
jointeau test.Ilseraludansle seulcentre homologué parl’ADCN,
l’Institut Pasteur (les recommandationsde la HauteAutoritédeSanté
relativeà cedépistage implique lalecturecentralisée des tests pardu
personnel formé pour permettreune lecturede qualité, avecuntaux de
tests positifsinférieur au seuil acceptable). Letest contient une
substancevégétale (le gaïac) quichange decouleur en présencede
l’hémoglobine quandon ajoutede l’eauoxygénée.
Les résultats sontnotifiésparl’ADCN audecin traitantetau
bénéficiaire:si le test est négatif (absencedesang dansles selles),une
nouvelle invitation àrenouvelerl’opération seraenvoyée deux années
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plus tard; si le test est positif (présencedesang dansles selles),le
bénéficiaire est invitéàréaliser une coloscopie. Il n’est pas recommandé
derenouvelerle test HémoccultII®en casde positivitédecedernier,
seule la coloscopie est indiquée.
Lannonce postale des résultats du test impose l’envoi duncourrier
recommandé lorsque le test savère positif,pour sassurerde l’identitédu
destinataire,etduncourrier simple lorsque le test est négatif.
La population ciblée parcedépistage est intéressante par son statut
interdiaire:elle n’est pasétiquetée « malade » puisqu’elle n’apas réalisé
la coloscopie qui poseraitle diagnostic, maisn’est pasnon plus exemptede
tout risque puisque le test a décelé une anomalie. Notretravail n’est ni une
étudedesmotivationsaudépistage organisé,ni une étudede prise en charge
despersonnesdontle canceraétédiagnostiquésuiteaudépistage. Ilsagit
duntravail compréhensif qui n’apaspour vocation d’êtrereprésentatif ou
exhaustif maisderepérerdeséléments d’explication possiblesau
phénomène. Nous nous sommesinterrogés sur l’existencede facteurs
sociaux induisant une interruption duprocessus dedépistage organisédu
cancercolorectal.
Méthode
Afin derencontrerdespersonnesayant réaliséuntest Hémoccultpositif
maisn’ayantpas réaliséune coloscopie,il aétédécidéde procéderàun
recrutementparquestionnaire envoyé par voie postale, aux personnesayant
eu undépistage positif suiteau test Hémoccult.LADCN ne connaîtpasles
personnes refusantderéaliser une coloscopie puisqu’elle ne dispose que
des résultats descoloscopies réalisées.
La population desdépistéspositifs s’élève,pour lapremièrecampagne de
dépistage, à plus desixmille personnesdansle départementduNord.Un
échantillonnage aétéréalisé en ciblantdeux secteurs :l’un plutôt rural,
l’autre plutôt urbain, comptantenviron troiscents patients (n = 302). Quatre-
vingt-dix-huitpersonnesont renvoyé le questionnaire,soit untaux de
réponsede32 %. Leretour decescourriers apermisd’identifierles
volontairespour un entretien abordantle vécududépistage ducancer
colorectalafin d’en améliorerle fonctionnementetderéaliser unclassement
préliminaire en fonction de quelques variables simples(sexe, âge,
profession,réalisation decoloscopie ounon). Sur les98 répondants,la
plupart avaientdéjàréalisé leur coloscopie (87%,n = 84),13% (n = 13)
d’entre eux ne l’avaientpaseffectuée ouétaienten attentede lafaire. Cinq
personnes seulementont refusé l’entretien.
Nous avons sélectionné l’ensemble despersonnesquiavaientindiqué ne
pasavoir réalisé leur coloscopie etquiavaientdonné leur accordpour un
entretien,soit9 personnes.Deux personnesprésélectionnéesn’ont
malheureusementpuêtrerencontrées,lapremière ne parlantpasfrançaiset
lasecondeayantfini par refuserl’entrevue. Septentretiensde personnes
ayanteu unHémoccultII®positif non suividune coloscopie ontdoncpuêtre
effectués.Afin de pouvoircomparerlesdiscours etappréhender une
éventuelle différence en fonction de l’attitudevis-à-visde la coloscopie,
5autrespersonnesayant réaliséune coloscopie suiteàundépistage positif
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ontétérencontrées,3ayanteu uncancerdiagnostiqué et 2 ayanteu un
polype enlevé. Cesontdonc12personnes,6hommeset 6 femmes,qui ont
étérencontréesindividuellement.Lesentretiensontétéréalisésde mars à
avril 2006, audomicile despersonnespour 11 d’entre elles,le douzième
s’est déroudansleslocaux de l’URMEL.
Les thèmesabordésétaientles suivants :
–lesmotivationspour réaliserle test dedépistage initial;
–lacceptation desmodalitésdecetest (prélèvements deselles);
–lattentedes résultats ;
–lannoncedu résultatpositif.
Nous avons recueilli en même tempsdesdonnéesd’ordre plus général, de
contexte, comme le rapport que lespersonnesont vis-à-visde leur propre
santé,leurs connaissancesetperceptions sur le cancercolorectal.
Lesentretiensontdurédune heureà deux heuresetdemie,ontété
enregistréset transcrits intégralementaprèsanonymisation dansle respect
de la confidentialité etdes règleséthiquesquisous-tendentcetype de
travail [6].
Analyse
Lanalyses’est attachée àrepérerdeséléments différenciantlespersonnes
ayantacceptéderéaliserla coloscopie decellesl’ayant refusée, au travers
des significationsde leurs discours etnotammentparlesoppositionset
contradictionsqu’ilscontiennent[7,8].
Lannoncedunrésultatpositif du test HémoccultII®est une mauvaise
nouvelle pour lapersonne :lamanièredontcerésultataétéannoncé puis
ressenti parle patientest un élémentimportantdans une démarche
compréhensive. La conduitesuiteà cetteannonce est cruciale,elle est le
thème centralde notrerecherche pour savoircommentles suitesontété
proposéesàlapersonne etquels sontlesfacteurs explicatifsdu
comportementquiasuivi.
Le parcours réalisé parlapersonne pour effectuercedépistage ouencore
son rapport àlasanté oudeson cadredevie,sontdeséléments essentiels
pour comprendre lasignification desmots utilisésetpermettreune analyse
qualitativeancrée danslaréalitédesenquêtés.
Résultats
Lanalysedesentretienspermetde faire émergerdes similitudesmais
égalementdesdivergencesentre lespersonnesqui ontacceptéderéaliser
une coloscopie etcellesqui l’ont refusé malgréuntest dedépistage positif.
L’inqutude,sentimentpartagé parl’ensemble desdépistés
L’inqutude est vécue parl’ensemble despersonnes réalisantle test de
dépistage. Elle ne commence quàlaréception du résultatpositif parcourrier
etnon lors de laréalisation du test.En effet,lespersonnesinterrogées
saccordentpour dire que,lors de laréalisation initiale du test HémoccultII® ,
il n’yapasd’inqutudesur le résultat,elles sontpersuadéesque les
résultats serontnégatifsetmontrerontqu’il n’yapasderisquedecancer.La
certitude quantàlanégativitédu test contribueàlesmotiver,saréalisation
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serait un moyen de prévention ducancer, d’oùlastupeur lorsque le résultat
n’est pascelui présupposé.
Desattentesdifférenciéesen fonction desdecinsconsultés
Parailleurs,ellesfont une différencedansleurs attentes vis-à-visdu
scialiste,le gastro-entérologue,etdudecin généraliste:le scialiste
est considérécomme un expert,il doitêtrecapable derépondreaux
questionslesplus pointues,laqualitéde larelation semble moins
importante;le généraliste est présentécomme le médiateur entre la
personne-profane [9]etle scialiste-expert.C’est queconfirme Fernandez[10]
en affirmant« (qu’)en réintégrantdans sespratiques trapeutiques une
connaissance intime sur lespersonneset sur leur cadredevie,(le médecin
de famille) n’est pasen rupturetotale avecles savoirs et savoir-faire
profanes. (…) (Le médecin généraliste) continueàjouerauprèsdesfamilles
unrôle d’interdiairevis-à-visdu système desoins». Lerôle attribué par
lesenquêtésaudecin traitantest essentiel caril doitclarifierles
messagesdu scialiste pour les rendrecompréhensiblesaupatient.Des
limitesdansla compétencedudecin généraliste peuventêtre perçueset
exprimées.Lecasécant,elles sontcontrebalancéesparlaqualitéde la
relation avecle médecin. Lespatients ont une acceptation différenciée des
rôlesdesdecins(généralistesetgastro-entérologues)dansle cadredu
dépistage organiséducancercolorectalalors qu’elle n’est ni scifiée dans
le cahierdescharges,ni demandée parlastructurede gestion. Au vu des
proposéchangésaveclespatients,le médecin généralisteaune double
mission vis-à-visdecesderniers :proposerle dépistage maiségalement
relayerlesmessagesdonnéspasle gastro-entérologue en casdecoloscopie.
Cela dansle but de faciliterl’acceptation desmodalitésdudépistage mais
égalementde gérerlasuitedesévénements lorsque le résultat sannonce
positif,« l’attentevis-à-visdudecin de famille est moinslaprise en
charge intégrale et unilatérale de lasanté (…) quune capacitéà agiren
conformitéavec desconceptionsetdesnormeslocalesdesanté etdesoins.
Ilsagitlà derespecterle pointdevue profane (…) dansles stratégiesde
soins»[10].
Lesdimensionsaffective et relationnelle comme moteurs danslanon-réalisation de
la coloscopie
Suiteaux entretiens, dune part aveclespersonnesne souhaitantpas
réaliserdecoloscopie malgréuntest HémoccultII®positif, dautre part avec
cellesl’ayant réalisé, desdifférences sontapparues.Lespremièresonteu
desexriencespersonnellesdouloureusesavecle corpsdical qui lesont
renduesméfiantes(erreurs dicalesetmanquedeconsidération). La perte
deconfiancesetraduitici parlanon réalisation de la coloscopie,malgré la
demandede leur decin traitantqu’elles sont toutesalléesconsulter.Les
personnesayant refuséderéaliser une coloscopie saccordent sur le faitque
leur decin le leur aproposé. Ellesontcependanteul’impression quecette
proposition n’étaitpasinvestie, comme si la coloscopie leur avaitété
proposée parprincipe, de manièreroutinière,sansconviction. Celaentraîne
undouble message perçuparle patient:« faites-le… mais sivous ne le faites
pas, ce n’est pasgrave ». Ces témoignagesexprimentle décalage entre le
discours attenduparlespersonnesetceluidélivré parle médecin, de
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