
2 cahier de FC de L’actualité pharmaceutique | mars 2012 | www.ProfessionSante.ca
⦁ Limiter les options de formulations liquides
pédiatriques à une seule teneur;
⦁ Éliminer les produits contenant de l’acétami-
nophène en association avec d’autres médi-
caments.
Ce comité a également émis des recommanda-
tions pour l’acétaminophène disponible avec
ordonnance médicale :
⦁ Favoriser une meilleure formation du public;
⦁ Améliorer l’étiquetage;
⦁ Utiliser des formats de conditionnement uni-
dose (p. ex., plaquettes thermoformées,
alvéolées);
⦁ Limiter la dose quotidienne maximale à
3250mg;
⦁ Limiter la teneur à 325mg pour les compri-
més à libération immédiate combinant l’acé-
taminophène avec d’autres médicaments
(p. ex., acétaminophène+opioïde).
En juillet 2011, la compagnie pharmaceu-
tique américaine McNeil-PCC a fait parvenir un
avis aux professionnels de la santé à propos de
leur plan de mise en œuvre progressive de nou-
velles mesures conçues pour réduire la possibi-
lité d’une surdose accidentelle d’acétamino-
phène pour leurs produits de marque TylenolMD10.
La première étape fut l’impression de nouvelles
instructions de dosage sur l’emballage de
TylenolMD Extra-Fort vendu aux États-Unis depuis
l’automne 2011, soit :
⦁ prendre 2 comprimés (1000mg) toutes les
6 heures (au lieu de 2 comprimés toutes les
4 à 6 heures);
⦁ ne pas prendre plus de 6 comprimés
(3000mg) en 24 heures, sauf si indiqué par
un médecin (au lieu de 8 comprimés, soit
4000mg, en 24 heures).
À compter de 2012, le fabricant compte éga-
lement réduire les dosages recommandés pour
ses autres produits contenant de l’acétamino-
phène.
Statistiques d’intoxications11,12
Au Québec, les statistiques d’intoxications
proviennent principalement des rapports
annuels du Centre antipoison du Québec
(CAPQ). Ces derniers sont produits à partir des
appels reçus directement du public et des pro-
fessionnels de la santé. Ces statistiques ne
sont donc pas absolues puisqu’elles ne consi-
dèrent que les appels reçus et sous-estiment
généralement le nombre réel d’intoxications
non déclarées au CAPQ. Par contre, elles peu-
vent nous donner une bonne idée de l’impor-
tance d’une problématique de santé publique
à l’échelle provinciale.
Le CAPQ a été consulté pour 1028075 cas
d’intoxications de 1989 à 2010. La répartition
des intoxications est la suivante : produits indus-
triels : 3,76% (n=38670); pesticides : 4,61%
(n=47443); produits domestiques : 46,92%
(n = 482 322); médicaments : 43,21 %
(n=444205).
Cela fait maintenant plus d’une vingtaine
d’années que l’acétaminophène est la première
cause d’intoxication au Québec. Depuis 2004, on
rapporte annuellement une moyenne de 4103
cas d’intoxications à l’acétaminophène, ce qui
représente environ 20% des intoxications d’ori-
gine médicamenteuse et près de 10% de toutes
les intoxications.
Les enfants de 0 à 5ans constituent le
groupe d’âge le plus fréquemment impliqué. Le
pourcentage des intoxications à l’acétamino-
phène dans ce groupe, qui était de 56% en
1990, a progressivement diminué pour s’établir
à 43% en 2009. Il s’agit d’ingestions acciden-
telles dans 82% des cas et d’erreurs thérapeu-
tiques dans 17% des cas. Heureusement, plus
de 85% des expositions à l’acétaminophène
rapportées dans ce groupe concernent des doses
ingérées inférieures à la dose toxique et ne
nécessitent donc aucun traitement. En effet, la
plupart des jeunes enfants ingèrent des formes
posologiques pédiatriques d’acétaminophène
qui contiennent, pour la plupart, des quantités
totales inférieures aux doses toxiques pour la
majorité des enfants et donnent rarement lieu à
des intoxications significatives.
Chez les enfants de 5 à 12ans, le CAPQ fait
état de 123cas rapportés en 2009, dont la
plupart étaient accidentels. On note cepen-
dant 15intoxications intentionnelles chez les
moins de 12ans.
La situation est beaucoup plus alarmante
chez les 12 à 25ans. En effet, les adolescents
et les jeunes adultes représentent 21% de
toutes les intoxications par ce produit et plus
de 75% de ces expositions sont intentionnel-
les. De fait, l’acétaminophène, un médicament
qui leur est facilement accessible, est en
cause dans près de 34% de toutes les intoxi-
cations médicamenteuses volontaires rappor-
tées dans ce groupe d’âge.
Le pourcentage d’intoxications chez les 25
à 64ans, qui était de 12,3% en 1990, a forte-
ment augmenté, pour atteindre 23,4% en
2009. Il s’agit d’ingestions intentionnelles
dans 69% des cas et d’erreurs thérapeutiques
dans 18% des cas. Contrairement aux exposi-
tions accidentelles de l’enfant qui sont, la
plupart du temps, bénignes, les intoxications
intentionnelles chez les adolescents et les
adultes nécessitent des soins en milieu hospi-
talier dans près de 64% des cas, alors que les
victimes d’erreurs thérapeutiques doivent
consulter dans plus de 40% des cas.
Parmi les 65 ans et plus, seulement
110 intoxi cations ont été rapportées au CAPQ
en 2009. Il s’agissait principalement d’inges-
tions intentionnelles dans 40% des cas et
d’erreurs thérapeutiques dans 37% des cas.
Depuis 2003, parmi les 31décès résultant
d’une intoxication à l’acétaminophène rappor-
tés au CAPQ, 9 (29%)sont survenus au cours
de 2009 seulement.
Physiopathologie13-16
Le métabolisme de l’acétaminophène s’effec-
tue essentiellement au niveau hépatique. Sa
biodisponibilité orale est d’environ 75 % sui-
vant le premier passage hépatique. Les deux
voies métaboliques principales qui sont impli-
quées dans le métabolisme de l’acétamino-
phène sont la glucuroconjugaison et la sulfo-
conjugaison (figure 1). La troisième voie
métabolique est catalysée principalement
par l’enzyme CYP2E1 (mais aussi CYP1A2 et
CYP3A4) du cytochrome p450. L’acétami-
nophène est ainsi métabolisé par désacétyla-
tion et N-hydroxylation.
Le métabolite N-acétyl p-benzoquinone imine
(NAPQI) est l’intermédiaire toxique de l’acétami-
nophène. À dose thérapeutique d’acétamino-
phène, le NAPQI est rapidement neutralisé par
une réaction avec le glutathion endogène, puis
éliminé dans l’urine à la suite d’une réaction de
conjugaison avec la cystéine et l’acide mercap-
turique. Lors d’une intoxication à l’acétamino-
phène, cette voie métabolique gagne en impor-
tance par saturation de la glucuroconjugaison et
de la sulfoconjugaison. Dans l’éventualité où les
concentrations de glutathion deviennent insuffi-
santes pour neutraliser le NAPQI, ce dernier peut
générer une toxicité cliniquement significative.
L’adduction du NAPQI aux protéines cellulaires a
pour conséquence de modifier les structures et
les fonctions de ces dernières. Ainsi, le NAPQI
perturbe l’homéostasie calcique, génère une
perte d’ATP et de l’œdème cellulaire, produit des
radicaux réactifs de l’oxygène et de la nitrotyro-
sine avec peroxydation lipidique. On assiste
ensuite à une augmentation de la perméabilité
des mitochondries, qui entraînera rapidement la
mort cellulaire. Cela entraîne ainsi une nécrose
centrolobulaire et, finalement, une hépatite cyto-
lytique. Une atteinte rénale découlant du même
mécanisme d’action est également possible.
Selon certains auteurs, les patients souf-
frant d’alcoolisme chronique, de malnutrition,
d’anorexie, de boulimie, du sida, de fibrose kys-
tique ou de jeûne prolongé pourraient présenter
des concentrations de glutathion endogène
plus faibles que la normale et être ainsi plus
susceptibles de réagir négativement à des
doses suprathérapeutiques d’acétaminophène.
Ces affirmations constituent cependant une
zone grise dans la littérature médicale. En
effet, d’autres recherches montrent plutôt un
glutathion cellulaire augmenté lors de mala-
dies hépatiques, accompagné ou non d’une
diminution de l’activité enzymatique des cyto-
chromes hépatiques. Étant donné l’ambiguïté
actuelle des données et jusqu’à ce que d’autres
études clarifient ces hypothèses, les toxicolo-
gues considèrent généralement ces facteurs
comme augmentant le risque d’hépatoxicité
lors d’une intoxication à l’acétaminophène.
Somme toute, trois mécanismes de toxicité ont
été proposés à propos de l’acétaminophène :
1 mécanismes de détoxication surchargés;
2 induction enzymatique (p. ex., prise régulière
d’isoniazide, prise chronique d’alcool);
3 circonstances favorisant la déplétion en glu-
tathion (p. ex., facteur génétique, intoxica-
tion, dénutrition, troubles des conduites ali-
mentaires ou alcoolisme chronique).
Signes et symptômes de
l’intoxication16,17
On peut classifier l’intoxication à l’acétamino-
phène en troiscatégories principales
1 ingestion unique : ingestion en une seule
dose ou ingestion de doses multiples durant
moins de 8heures;
2 ingestion échelonnée : ingestion de doses
multiples durant plus de 8heures, mais
moins de 24heures ou ingestion d’acétami-
nophène dont l’heure est inconnue ou suspi-
cion d’ingestion d’acétaminophène;
3 ingestion suprathérapeutique : ingestion
répétée de doses suprathérapeutiques durant
plus de 24heures ou ingestion répétée de
doses thérapeutiques à intervalles trop rap-
prochés durant plus de 24heures.
La symptomatologie de l’intoxication aiguë à
l’acétaminophène est résumée et présentée
dans le Tableau II.
Traitement
Le traitement de l’intoxication à l’acétamino-
phène se résume principalement en une décon-
tamination gastro-intestinale adéquate à l’aide
Tableau II
Stades d’intoxication aiguë à l’acétaminophène
Stade Durée après Effets observés
l’ingestion (h)
I < 24 h ⦁ Asymptomatique, nausées, vomissements, anorexie
(enfants surtout), diaphorèse
⦁ Début de l’augmentation des taux d’AST en premier, puis
d’ALT (18 à 24 heures après l’ingestion)
II 24 h à 72 h ⦁ Résolution ou non des symptômes initiaux
⦁ Douleur abdominale dans le quadrant supérieur droit,
tachycardie
⦁ Poursuite de l’augmentation des taux d’AST et d’ALT et,
dans des intoxications sévères, des taux de bilirubine
et du RNI
III 72 h à 96 h ⦁ Insuffisance hépatique et/ou rénale, pancréatite, ictère,
coagulopathie, hypoglycémie, encéphalopathie hépatique
progressive, acidose métabolique
⦁ Atteinte des taux maximaux en AST, ALT, bilirubine et RNI
⦁ Par contre on peut observer une diminution des taux d’AST
et d’ALT à la suite de la destruction des cellules hépatiques,
accompagnée d’une hausse du RNI.
IV > 120 h ⦁ Résolution complète des symptômes et des insuffisances
ou évolution vers une insuffisance de multiples organes
(parfois fatale)
Adaptation et mise à jour de la référence16.
NHCOCH3
OG
OOHOH
SG
OHOH
NHCOCH3
CYP2E1
Glucuronide Acétaminophène
Conjugé avec
glutation
NAPQI Hydroxyde
Sulfate
NHCOCH3
NHCOCH3NHCOCH3
NHCOCH3
OSO3
OH
OH
CYP2A6
1 %
25 %60 %
12-15 %
Figure 1
Voies métaboliques de l’acétaminophène
Reproduction autorisée par le Bulletin d’information toxicologique16.