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LA SPECIFICITE DU CAPITALISME LIBANAIS
Léonel MATAR- Professeur Associé à la FGM
Résumé :
Le capitalisme est différent d'un pays à l'autre. Chaque nation applique un système
adapté à son histoire et à son tissu socio-économique. Au vu de la petite taille du Liban et
de la complexité de lenvironnement politique et économique qui marque son histoire, le
capitalisme libanais a ses spécificités. Le régime économique, avec le Liban moderne,
se caractérise par une liberté totale d’entreprendre et une absence marquée de l’Etat. Le
capitalisme libanais a, certes, contribué à la croissance de l’économie, mais le
désengagement de l’Etat et la corruption endémique l’ont transformé en un système
inéquitable qui ne peut satisfaire aux besoins de la société. Si le capitalisme est supposé
assurer la prospérité et le bien-être, au Liban, il se trouve dominé par une élite
oligarchique mettant en danger le pacte social.
Mots clés : Liban, Capitalisme, Libéralisme, Entrepreneur, Mondialisation
Abstract
Capitalism is different from one country to another. Every nation adopts a system in line
with its history and socio-economic context. As a small country evolving in a complex
political and economic environment, the Lebanese capitalism is quite specific. Since the
birth of modern Lebanon, our country was characterized by total freedom of enterprise
and a notable absence of the state. Although our capitalism has certainly ensured relative
prosperity to our country, the disinterests of the state accompanied by endemic corruption
have transformed the Lebanese capitalism in an unfair system unable to meet the basic
needs of our society. Capitalism which is supposed to ensure prosperity and well-being,
found itself dominated by an oligarchic elite that is currently endangering the country's
social pact.
2
Key words: Lebanon, capitalism, liberalism, entrepreneur, globalization
1. INTRODUCTION
Avec l'essor de la mondialisation et l'ouverture économique de tous les pays de la
planète, certes à des degrés différents, nous remarquons, d'après le fonctionnement des
différentes économies, que le capitalisme est différent d'un pays à l'autre. Cette
différence a toujours existé, mais elle est de plus en plus visible aujourd'hui. Il y a
quarante ans, Alain COTTA
1
parlait de la diversité évidente du capitalisme. L’auteur
considère que le capitalisme des pays latins, le capitalisme français et celui des pays
saxons sont très divers et que les rôles dévolus aux diverses organisations qui les
composent ne sont pas identiques. Le capitalisme est incontesté et légitimé dans certains
pays alors qu’il est l'objet de critiques dans d'autres, critiques qui se manifestent par des
comportements individuels et collectifs (syndicalisme, corporatisme,...).
Si le capitalisme est répandu partout aujourd'hui, chaque pays, chaque civilisation et
chaque société applique un capitalisme différent. Le capitalisme chinois adopté par le
parti communiste qui cohabite avec un régime politique non démocratique n'est pas
semblable au capitalisme américain, même si la finalité est toujours la même. Michel
ALBERT
2
oppose dans son livre, Capitalisme contre Capitalisme, le modèle américain,
basé sur la finance et la réussite individuelle, au capitalisme rhénan caractéripar le
consensus social, le long terme et les relations durables entre les entreprises et les
salariés. Il y a autant de capitalismes que de pays ; ce sont plutôt les cultures nationales
et l'histoire des nations qui déterminent la spécificité et les aménagements du
capitalisme. Le dénominateur commun entre les divers capitalismes est le profit et la
liberté d'entreprendre, mais cette liberté varie en fonction des différents pays, des
différentes cultures et des différents systèmes de valeur.
Au Liban, petit pays de 10 452 Km carré et de 4 millions d'habitants vivant dans un
environnement très spécifique, le capitalisme s'est vu confié à des entrepreneurs dont la
1
COTTA, Alain,
Le capitalisme,
Paris: Presses Universitaire de France, 1979, 127
p., pp.
12-13.
2
ALBERT, Michel,
Capitalisme contre Capitalisme,
Paris: Editions du Seuil, 1998, 315 p
3
liberté d'entreprendre était l'élément moteur de réussite. Le capitalisme libanais a certes
ses spécificités qui sont en adéquation avec l’environnement du pays. L’analyse et
l’évolution du capitalisme libanais et de ses spécificités feront l’objet de la première partie
de cet article. Puis, nous nous penchons sur les limites de ce système et sur ces
dysfonctionnements lourds de conséquences surtout au niveau de l’inégalité de la
distribution des revenus.
2. LE CAPITALISME DANS LE CONTEXTE LIBANAIS
Le capitalisme libanais depuis sa naissance est caractérisé par une liberté totale
d'entreprendre. Le rôle de l'initiative privée et de l'entrepreneur sont les éléments majeurs
à la base de la liberté économique. Comme tous les systèmes, le capitalisme à la
libanaise a des avantages et des inconvénients. L'élite qui a voulu adopter la liberté
économique au Liban considérait que cette liberté est la mieux adaptée à la société,
à
l'environnement et
à
la culture du pays
3
.
Malgré toutes les critiques, certes fondées, la liberté sur le plan économique a été
fondamentale dans le processus de l'évolution de l'économie libanaise. La liberté donnée
à
l'entrepreneur de se livrer à l'investissement de son choix, dans les secteurs de
l’agriculture, de l’industrie, de la finance, du commerce et des services, a permis aux
marchés de réguler l'offre et la demande sans intervention majeure de la part de l'Etat. Le
désengagement prématuré de l'Etat et son absence marquée, depuis le début d'une
planification économique et malgré l'établissement d’un ministère du plan en 19542
4
, ont
laissé à l'entrepreneur une marge de manœuvre importante dans l'économie. Le fait que
l'entrepreneur soit libre dans le choix de son investissement a suscité une certaine
polémique concernant les motivations de l'entrepreneur libanais qui a préféré se
consacrer aux activités commerciales et de services plutôt
qu'aux activités industrielles
qui étaient (malgré les critiques) assez importantes avant la guerre. Il serait délicat de
blâmer l'entrepreneur libanais qui préfère les activités commerciales aux activités
3
CHIHA, Michel, Propos d'économie libanaise, Beyrouth: Fondation CHIHA, 1994,344 p
4
Le ministère du Plan n'existe plus au Liban. Le pays a eu trois plans en 1958, 1965 et 1972 ; ces plans avaient plus de
lignes directrices que de véritables politiques économiques ou sociales
4
industrielles. Cet entrepreneur va logiquement dans le sens du profit et essaye d'éviter
autant que possible les secteurs où le risque lui parait important.
SCHUMPETER fait l'éloge de l'entrepreneur qu'il considère comme une personne
courageuse qui combine esprit de décision et capacité à découvrir dans la masse des
innovations scientifiques celles qui permettront l'augmentation de la productivité et qui
satisferont une demande non encore révélée. La croissance économique résulte d'un
mécanisme de création - destruction, des entreprises obsolètes font faillite et cèdent la
place à celles dont les fondateurs ont conçu des produits nouveaux correspondants à
l'attente des consommateurs.
SHUMPETER, dont la famille possédait d'importantes usines textiles, n'associait pas
seulement l'entrepreneur à l'activité industrielle. Il considérait que la fonction de
l'entrepreneur est non seulement de créer et d'inventer mais d'accomplir, d'innover et
d'agir dans différents domaines
5
. En invoquant l'entrepreneur et l'innovation, il insiste sur
la volonté de l'entrepreneur de réaliser un profit qui ne peut se aliser dans un circuit
stationnaire, d'où la nécessité de la modification volontaire par l'entrepreneur des
conditions technologiques non seulement de la production mais aussi de la distribution
pour que se dégage le profit.
L’analyse de SHUMPETER pourrait s'appliquer à l'entrepreneur libanais qui n'a pas brillé
dans le domaine industriel (en dépit de quelques réussites qui méritent d'être citées) mais
qui a en revanche excellé dans les activités commerciales, de distribution et de services.
Il est tout
à
fait vrai qu'un pays qui a une capacité industrielle importante aura plus de
chance à améliorer la situation économique et la situation de l'emploi de ses citoyens,
mais l'argument qui aujourd'hui fait prer la production industrielle aux activités de
service devient de plus en plus contestable.
Sans être opposé à une activité industrielle sélective en adéquation avec la situation
sociale, économique, culturelle et environnementale du pays, nous considérons que le
marché est plus qualifié et mieux renseigné que les économistes et les politiciens dans
les choix industriels. D'ailleurs certaines réussites industrielles libanaises étaient dues à
5
SCHUMPETER, Joseph Alois, Essays on Entrepreneurs, innovations, Business Cycles and the Evolution of
Capitalism, London: New Brunswick, 1991,341 p.
5
l'existence d'entrepreneurs attentifs aux carences et aux opportunités du marché
beaucoup plus qu'à une politique industrielle volontariste de l'Etat. Nous pouvons citer, à
titre d'exemple, l'industrie de l'ameublement qui, dans les années soixante-dix, a connu
un essor important. La réussite de cette industrie, qui, certes, avait bénéficié d’avantages
douaniers accordés par l'Etat, est surtout le fruit d'une imagination et d'une ouverture
d'esprit de l'entrepreneur libanais. Il serait intéressant de noter que le Liban a entamé
précocement le passage à
l'économie tertiaire.
En effet, le capitalisme et l'entrepreneur libanais sont tournés essentiellement vers les
métiers des services sans pour autant négliger l'industrie qui représentait une part
importante du PIB à
la veille de la guerre. Il y a un courant de pensée au Liban qui critique
constamment l'orientation économique du pays en accusant le capitalisme libanais de ne
pas s'intéresser suffisamment aux métiers de production, en l'occurrence l'industrie.
Cette critique du capitalisme libanais qui peut parfois paraître justifiée, mérite d'être
analysée avec une argumentation sérieuse.
Le capitalisme libanais, qui est un capitalisme spécifique d'un petit pays situé dans un
contexte géopolitique déterminé, s'est développé de manière à permettre à l'entrepreneur
de courir le minimum de risque. Le Liban grâce à son système ouvert, s'en sort beaucoup
mieux que les pays qui étaient dans la même situation que lui. A la différence d'autres
pays, dont l'économie repose sur un ou deux produits, que ce soit dans les matières
premières (pétrole, minerai, ...) ou dans la production industrielle, le Liban a pu, grâce à la
liberté et à l'initiative privée, éviter la concentration de sa production nationale dans un
seul secteur. En effet, la prédominance des services et le rôle de l'entrepreneur privé ont
permis l'existence d'une hétérogénéité au niveau de la production économique qui s'est
avérée être une source de souplesse car le secteur des services au Liban est diversifié et
englobe la finance, le commerce, le commerce triangulaire, la distribution, le tourisme et
autres services.
Dans son livre 'L'Aventure de la Liberté'
6
, André CHAIB souligne que la finance est d'une
grande malléabilité et peut s'adapter aux situations les plus difficiles. La guerre du Liban
6
CHAIB, André, L
'aventure
de la
liberté ; E
ssai sur le libéralisme économique au Liban, Bevrouth :
Publishing and marketing house, cop., 1983, 103 p., p. 29
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