Stratégies thérapeutiques du déprimé avec comorbidité anxieuse

Peu d’études se sont intéressées aux
stratégies thérapeutiques du sujet
déprimé avec comorbidité anxieuse
bien que cette condition soit pratique
courante en clinique.
EPIDÉMIOLOGIE
La prévalence de l’épisode dépressif
majeur est de 6,9 % sur 12 mois. La
prévalence des phobies spécifiques est
de 6,6 %, du trouble obsessionnel-
compulsif (TOC) de 0,7 %, du trouble
anxiété généralisée (TAG) de 1,7 % et
de la phobie sociale 2,3 % (11).
Les troubles dépressifs et anxieux
sont très fréquemment comorbides.
Soixante seize pour cent des patients
souffrant de TAG et 54 % des sujets
déprimés ont une pathologie psychia-
trique comorbide. Ce chiffre s’élève
à 87 % pour les patients souffrant
d’agoraphobie, en raison de l’associa-
tion entre trouble panique et agora-
phobie (1) (Fig. 1).
La comorbidité entre les troubles
anxieux et la dépression semble donc
être la règle plutôt que l’exception.
En effet, 33 à 85 % des sujets souf-
frant de dépression ont un trouble
anxieux comorbide : trouble panique
dans 37 à 54 % des cas, phobie socia-
le dans 15 à 37 % des cas. Inverse-
ment, 50 à 90 % des sujets souffrant
d’un trouble anxieux et 62 % des pa-
tients souffrant d’un trouble anxieux
généralisé ont une comorbidité dé-
pressive.
CONSÉQUENCES
DE LA COMORBIDITÉ
ANXIÉTÉ-DÉPRESSION
Les patients présentant un trouble
comorbide (dans le sens anxiété-dé-
pression ou dépression-anxiété) pré-
sentent une évolution de leur trouble
plus chronique, une invalidité plus
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
l’auteur a déclaré : essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur ou expérimentateur principal (laboratoire Lundbeck) ; Conférences : invitations en qualité d’intervenant (Laboratoires Lilly et BMS), invitations
en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise (Laboratoires Lilly et BMS) ; subvention en vue d’une année de recherche (Laboratoire Lundbeck).
La dépression : des pratiques aux théories 11
Service Universitaire de Psychiatrie Adulte,
Hôpital La Colombière,
39 avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier Cedex 5
Stratégies thérapeutiques
du déprimé
avec comorbidité anxieuse
D. Capdevielle
0
Analyse mise à jour (juin 2005) des données ESEMcD/MHEDEA 2000
20 40 60 80 100
Abus d’alcool 25,4
Alcoolisme 43,1
Phobie spécifique 26,4
Phobie sociale 50,0
Dépression majeure 54,2
ESPT 54,2
Trouble panique 69,0
TAG 76,0
Dysthymie 74,3
Agoraphobie 87,4
TAG = trouble anxieux généralisé
ESPT = état de stress post-traumatique
Abbréviations :
FIG. 1. — Comorbidité des troubles psychiatriques sur 12 mois (1).
marquée, un recours aux systèmes
de soins plus important et une
consommation médicale accrue. Le
risque suicidaire ainsi que les addic-
tions sont augmentés. Enfin, la quali-
té de la réponse thérapeutique est
moindre.
La péjoration du pronostic du trouble
anxieux semble liée à la comorbidité
dépressive. Une étude de Van Bal-
kom et coll. [9] a montré que les pa-
tients souffrant dun trouble anxieux
pur ou comorbide dun autre trouble
anxieux ont un meilleur pronostic
que les patients souffrant dun
trouble anxieux avec comorbidité
dépressive. La comorbidité dépressi-
ve a donc un impact sur le pronostic
du trouble anxieux (fig. 2).
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
DEVANT UNE DÉPRESSION
MAJEURE COMORBIDE
Dans la majorité des cas, les patients
consultent pour des symptômes dé-
pressifs et l’évaluation révèle lexis-
tence dun trouble anxieux.
Classiquement, les recommandations
de prise en charge sont les suivantes :
adopter une stratégie séquentielle ;
traiter la dépression par une psy-
chothérapie associée ou non à un
traitement médicamenteux en fonc-
tion de la sévérité de l’épisode ;
réévaluer l’état clinique et la
symptomatologie anxieuse après dis-
parition du syndrome dépressif. En
effet les symptômes anxieux peu-
vent appartenir au tableau dépressif
et les traitements proposés dans le
cadre dune prise en charge du
trouble dépressif auront aussi une ef-
ficacité sur le trouble anxieux ;
traiter la symptomatologie rési-
duelle de la dépression (troubles du
sommeil, troubles de la concentra-
tion, fatigue) car elle entraîne une al-
tération de la qualité de vie et un
moins bon pronostic (risque accru de
rechute, de récurrence, de suicide,
de survenue de maladie cardiovascu-
laire). Cest pourquoi il est parfois
nécessaire daugmenter les posolo-
gies dantidépresseurs, de réaliser
une association médicamenteuse
et/ou de mettre en place une prise
en charge psychothérapique en fonc-
tion de la nature des symptômes ré-
siduels.
Face à la double efficacité des traite-
ments (médicaments et psychothé-
rapie) à la fois sur le trouble anxieux
et dépressif, ne serait-il pas plus per-
tinent de prendre en compte la co-
morbidité demblée dans le choix de
la prise en charge ?
Quelles sont les données
concernant les traitements
antidépresseurs
et les benzodiazépines ?
Une étude de Silverstone et coll. (7)
a mis en évidence lefficacité dun
traitement médicamenteux par ven-
lafaxine chez des patients souffrant
dun trouble dépressif majeur avec
anxiété généralisée comorbide à
12 semaines. Le délai daction est al-
longé chez les patients porteurs
dune comorbidité anxieuse par rap-
port aux patients non comorbides,
aussi bien sur lanxiété que sur la dé-
pression (fig. 3).
Les benzodiazépines ont montré leur
efficacité dans le traitement des
symptômes anxieux, plus précisé-
ment dans le TAG, parfois en mono-
thérapie. Mais leur prise nest pas
dénuée dinconvénients. En re-
vanche, ces molécules ne sont abso-
lument pas recommandées en mo-
nothérapie dans la dépression. Dans
ce cas, elles ne sont utilisées quen
association avec un antidépresseur.
Une revue de Dunlop et coll. (2) a
rapporté certains avantages à la
prescription de benzodiazépines en
association avec un antidépresseur
en cas de comorbidité dépression-
anxiété:
contrôle plus rapide de certains
symptômes anxieux (attaques de pa-
nique, tension permanente) ;
diminution de lanxiété ou de lagi-
tation induite par lintroduction des
ISRS ;
amélioration de lobservance au
traitement antidépresseur ;
amélioration du contrôle des phé-
nomènes anxieux épisodiques ou si-
tuationnels ;
elles permettraient peut-être
daméliorer lobservance du traite-
ment antidépresseur
Mais ces effets sont à contrebalancer
avec certains inconvénients : effets
D. Capdevielle L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S37-S41
S 38
La dépression : des pratiques aux théories 11
3 mois 6 mois 12 mois
0 %
10 %
20 %
30 %
40 %
50 %
60 %
% rémission
Pas de comorbidité
n = 65
Comorbidité parmi
des troubles anxieux
n = 56
Comorbidité avec
troubles de lhumeur
n = 18
FIG. 2. La comorbidité dépressive et non anxieuse est un facteur prédictif
d’une évolution péjorative du trouble anxieux
(selon les scores à l’échelle Spielberger State-Trait Anxiety Inventory) (9).
secondaires classiques, risque
dabus/dépendance, aggravation de
symptômes dépressifs.
Donc, concernant les traitements
médicamenteux il nexiste que très
peu d’études qui se sont intéressées
de façon spécifique à la dépression
avec une comorbidité anxieuse. Il
pourrait paraître important de
prendre en compte directement la
comorbidité dans le choix de la mo-
lécule, cest-à-dire choisir une molé-
cule ayant démontré son efficacité
dans les deux pathologies. (par
exemple venlafaxine ou duloxétine
dans les dépressions avec comorbidi-
té TAG). Le délai daction est aussi à
prendre en compte. Parfois plus im-
portant dans les troubles anxieux il
pourrait masquer, dans un premier
temps lefficacité sur la symptoma-
tologie anxieuse. Les données
concernant limpact des comorbidi-
tés sur la qualité de lobservance
sont contradictoires.
Quelles données concernant
les psychothérapies ?
Dans les études, les protocoles de thé-
rapies cognitivo-comportementales
[TCC] sont développés et mis en pla-
ce pour un trouble bien spécifique.
Peu de données concernent limpact
des comorbidités sur lefficacité de
ces thérapies. Dans la TCC de la pho-
bie sociale, les patients présentant
une comorbidité dépressive conser-
vent une symptomatologie anxieuse
plus importante. Les symptômes dé-
pressifs sont négativement corrélés
avec lamélioration des symptômes
danxiété sociale. Probablement, ces
patients sont plus à risque dinter-
rompre la prise en charge.
Est-il nécessaire dadapter des
protocoles de prise en charge pour
les troubles anxieux avec symptômes
dépressifs ? Certains auteurs ont
présenté une approche psychosociale
séquentielle : session partielle de thé-
rapie cognitive pour les symptômes
dépressifs puis thérapie dexposition
pour lanxiété sociale. Mais la pré-
sence de symptômes danxiété socia-
le peut-elle avoir des conséquences
sur lefficacité de la thérapie cogniti-
ve de la dépression ?
Gibbons et coll. (4) ont évalué lim-
pact de la symptomatologie anxieuse
sur le déroulement et le résultat dune
thérapie cognitive pour la dépression.
Les patients déprimés avec anxiété
comorbide dont la thérapie sest plus
focalisée sur lanxiété présentent une
moins bonne amélioration des symp-
tômes dépressifs et anxieux compara-
tivement aux autres patients ayant
bénéficié dune thérapie de la dépres-
sion classique. On peut supposer que
la multiplication des objectifs dune
thérapie nuit à son efficacité.
Smits et coll. (8) nont pas retrouvé
de différence defficacité de la TCC
en terme de taux de participation, de
réponse et de rémission entre les pa-
tients souffrant dune dépression co-
morbide dune phobie sociale et les
patients non comorbides.
Moitra et coll. (5) se sont intéressés à
la comorbidité phobie sociale dé-
pression du fait de son fort taux de
prévalence. Ils ont montré que les
comportements d’évitement jouent
un rôle médiateur entre la phobie so-
ciale et les symptômes dépressifs.
Les thérapies interpersonnelles de la
dépression sont moins efficaces si le
patient présente des symptômes du
trouble panique. Ce résultat nest
pas retrouvé lorsque la comorbidité
est un TAG.
Donc, encore une fois très peu
d’études existent sur lefficacité des
psychothérapies chez les patients
présentant un trouble anxio-dépres-
sif. Ladaptation des protocoles théra-
peutiques en fonction des comorbidi-
tés peut sembler une piste
intéressante dans la mesure où la
thérapie garde ses spécificités qui ont
fait preuve de leur efficacité.
L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S37-S41 Stratégies thérapeutiques du déprimé avec comorbidité anxieuse
S 39
La dépression : des pratiques aux théories 11
Placebo Venlafaxine XRFluoxétine
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
0
10
20
30
40
50
60
70 HAM-D
Taux de réponse (%) en semaine 4
HAM-A
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
0
10
20
30
40
50
60
70 HAM-D
Taux de réponse (%) en semaine 8
HAM-A
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
Patients
comorbides
Patients non
comorbides
0
10
20
30
40
50
60
70 HAM-D
Taux de réponse (%) en semaine 12
HAM-A
Pourcentage de patients répondant à (A) semaine 4, (B) semaine 8 et (C) semaine 12 selon HAM-D et HAM-A
dans le cas de patients présentant des troubles dépressifs majeurs avec TAG comorbides et des patients sans TAG comorbides.
FIG. 3. Efficacité de la venlafaxine dans la comorbidité dépression-TAG (7).
Et dans la dépression bipolaire ?
86,7 à 92 % des patients souffrant
dun trouble bipolaire I présentent un
trouble anxieux comorbide. Il sagit
dun TAG dans 38,7 à 42,4 % des
cas, dune phobie sociale dans 47,1 à
51,6 % des cas, dun trouble panique
dans 29,1 à 32,9 % des cas et dun
PTSD dans 30,9 à 38,7 % des cas
(3). La présence danxiété prédit la
survenue de symptômes dépressifs
ou mixtes. Les patients ont un moins
bon devenir. Cette comorbidité pose
de nombreux problèmes thérapeu-
tiques.
Schaffer et coll. (6) ont retrouvé une
utilisation similaire des antidépres-
seurs chez les patients souffrant dun
trouble dépressif ou dun trouble bi-
polaire (fig. 4). Les symptômes
anxieux semblent être un symptôme
clé expliquant ces prescriptions.
Quelle stratégie thérapeutique pro-
poser à un sujet souffrant dun
trouble anxieux comorbide dun
trouble bipolaire ?
Peu de données sur lefficacité des
thymorégulateurs dans les troubles
anxieux sont disponibles : elles
concernent le valproate de sodium,
la carbamazépine, la prégabaline
pour le trouble anxieux généralisé.
Quelques données se sont intéres-
sées à lutilité des antipsychotiques
de seconde génération dans lanxiété
généralisée et le trouble panique.
Mais le plus souvent, ces traitements
sont proposés en association.
Les psychothérapies ont donc toute
leur place dans la prise en charge des
patients présentant un trouble bipo-
laire avec comorbidité anxieuse.
Stratégies de prévention
Dans la majorité des cas, le trouble
anxieux débute plus précocement
que le trouble dépressif (fig. 5).
Le risque de dépression secondaire
varie selon la nature du trouble
D. Capdevielle L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S37-S41
S 40
La dépression : des pratiques aux théories 11
Bipolaire
sans anxiété
Bipolaire
avec anxiété
Trouble dépressif
majeur sans anxiété
Trouble dépressif
majeur avec anxiété
Anxiété
uniquement
Aucun trouble anxieux
ou trouble de lhumeur
Tous groupes
0
10
20
30
40
50
60
70
Sujets, moyenne ± ET, %
FIG. 4. Pourcentage de patients bénéficiant d’un traitement antidépresseur
selon le trouble psychiatrique sur 12 mois (6).
Âge de début des troubles
0
5
10
15
20
25
30
35
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60
Incidence cumulée dépression
Incidence cumulée anxiété
FIG. 5. Age d’apparition des troubles anxieux et dépressifs (11).
OR
0 10 20 30 40
RC 2,68
22,5
1,76Phobie spécifique 15,5
Agoraphobie 3,01
27,1
4,2TAG 32,5
Trouble panique 2,6
24,1
2,1Trouble anxieux divers 16,3
Aucun trouble anxieux 1
7,9
FIG. 6. Risque de dépression secondaire
dans les troubles anxieux purs dans les 5 ans (10).
anxieux. En effet, le risque de dé-
pression à 5 ans est 1,76 fois plus im-
portant pour les patients souffrant de
phobie spécifique et 4,2 fois plus im-
portant pour les patients souffrant
dun TAG comparativement à une
personne ne présentant aucun
trouble anxieux (fig. 6) (10).
Le traitement précoce des attaques
de panique diminue le risque de dé-
velopper un épisode dépressif ma-
jeur secondairement. Il est donc im-
portant de dépister et prendre en
charge précocement les symptômes
anxieux quil ne faut surtout pas
banaliser.
CONCLUSION
La comorbidité signe la gravité des
troubles. Il faut traiter précocement
les troubles anxieux afin de prévenir
la survenue dun trouble dépressif.
Lefficacité des antidépresseurs est
reconnue tant dans le trouble
anxieux que dans le trouble dépressif.
Mais leur délai daction est majoré en
cas de trouble anxieux comorbide.
Dautre part, le choix de la molécule
doit prendre en compte les comorbi-
dités. Lefficacité des thérapies cogni-
tives et comportementales dans la
dépression et les troubles anxieux est
démontrée mais il est encore néces-
saire dadapter les protocoles de pri-
se en charge selon lexistence de co-
morbidités.
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