PPF Michel Capron 2
La responsabilité sociale d’entreprise
Le concept de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) appliqué à des discours, à des pratiques
managériales ou à un mouvement social d’envergure mondiale, ne peut être compris qu’à travers un
cheminement historique qui remonte, au moins dans sa gestation, à la fin du XIXème siècle. En effet,
si la locution n’apparaît, dans la langue française, que dans les années 1990, elle est plus ancienne en
anglo-américain sous l’expression «
corporate social responsibility
» qu’on rencontre dans la
littérature américaine dès les années 1950.
Si l’on considère qu’elle est l’expression des tensions entre les entreprises (et plus généralement les
activités économiques) et les sociétés civiles (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2004), on peut observer
que les préoccupations sont anciennes, puisqu’il s’agit de prendre en considération les conséquences
prédatrices de ces activités sur l’environnement social et naturel et de déterminer la part des coûts
qu’il incombe de faire respectivement prendre en charge par les entreprises et par les collectivités
publiques ou d’estimer la contribution des entreprises aux communautés humaines.
Si l’on se place du point de vue des entreprises, il s’agit, pour celles-ci, de prendre en compte les effets
et les impacts de leurs activités, d’intégrer ces préoccupations dans le management stratégique et d’en
rendre compte aux tiers concernés. En termes managériaux, « la RSE constitue les modalités de
réponse de l’entreprise aux interpellations sociétales en produisant des stratégies, des dispositifs de
management, de conduite de changement et des méthodes de pilotage, de contrôle, d’évaluation et
de reddition incorporant de nouvelles conceptions de performances » (Capron, Quairel-Lanoizelée,
2007, p. 16).
Depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, on peut distinguer trois vagues successives de conception
d’une RSE explicite qui se sont partiellement recouvertes et mélangées et qui correspondent à des
contextes économiques et sociaux, voire géopolitiques : une conception fondée sur l’éthique, une
conception utilitariste et une conception de « soutenabilité ».
1. La conception « éthique »
La conception « éthique » est héritée du paternalisme d’entreprise du XIXème siècle. Fondée sur des
valeurs morales et religieuses, elle a vu le jour aux Etats-Unis dans les années 1950. Elle fait appel à
l’éthique personnelle du dirigeant d’entreprise : l’entreprise qu’on assimile à un « être moral » doit
faire le « bien », c’est-à-dire répondre aux préceptes bibliques, d’une part en mettant en œuvre une
gestion responsable de la propriété respectant la destination universelle des biens (ne pas nuire aux
droits des autres) et d’autre part en s’obligeant à venir en aide aux personnes démunies (principe de
charité).
Cette conception est fortement empreinte de l’esprit protestant, du contexte états-unien et de celui
de l’après 2ème guerre mondiale. Le texte fondateur de cette vague revient à Bowen (1953) qui écrivit
un livre pour répondre à la demande d’Eglises protestantes voulant se doter d’une doctrine sociale
susceptible de faire contre-poids à celle de l’Eglise catholique datant de l’Encyclique Rerum
Novarum de 1891 (Gond, Igalens, 2008). Elle répond par ailleurs à des caractéristiques culturelles et