La perspective sociologique

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Individu et société. Introduction à la sociologie est la traduction de Sociology. The Points of the Compass
de Robert Brym et John Lie. © 2009. Nelson Education Ltd. Tous droits réservés. Traduit de l’anglais
avec la permission de Nelson Education Ltd.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’Aide
au Développement de l’Industrie de l’Édition (PADIE) pour nos activités d’édition.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Brym, Robert J., 1951 Individu et société : introduction à la sociologie
Traduction de : Sociology: the points of the compass.
Comprend des réf. bibliogr. et un index.
Pour les étudiants du niveau collégial.
ISBN 978-2-89650-120-5
1. Sociologie - Manuels d’enseignement supérieur. 2. Individu et société – Manuels d’enseignement supérieur.
3. Sociologie – Québec (Province) – Manuels d’enseignement supérieur.
I. Lie, John. II. Titre.
HM586.B79214 2010
301
C2010-940616-8
Groupe Modulo est membre de
l’Association nationale des éditeurs de livres.
Équipe de production
Éditeur : Sylvain Garneau
Chargée de projet : Nathalie Larose
Révision linguistique : Nicole Blanchette
Correction d’épreuves : Alexandra Soyeux
Montage : Nathalie Ménard, Pige communication
Coordination de la mise en pages : Nathalie Ménard
Maquette : Pige communication
Couverture : Marguerite Gouin
Recherche photos : Julie Saindon
Gestion des droits : Gisèle Séguin
Indexage : Ghislain Morin
Individu et société. Introduction à la sociologie
© Groupe Modulo inc., 2011
5800, rue Saint-Denis, bureau 1102
Montréal (Québec) H2S 3L5
CANADA
Téléphone : 514 738-9818 / 1 888 738-9818
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Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2010
Bibliothèque et Archives Canada, 2010
ISBN 978-2-89650-120-5
L’éditeur a fait tout ce qui était en son pouvoir pour retrouver les copyrights.
On peut lui signaler tout renseignement menant à la correction d’erreurs ou d’omissions.
Il est illégal de reproduire ce livre en tout ou en partie, par n’importe quel procédé,
sans l’autorisation de la maison d’édition ou d’une société dûment mandatée.
Imprimé au Canada
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MOT DE L’ÉDITEUR
Si nous avons choisi de traduire et d’adapter la première édition du manuel canadien Sociology. The Points of the Compass, publié par Nelson Education, c’est
que cet ouvrage nous a été fortement recommandé par des professeurs de sociologie du réseau collégial, de même que par Jean-Philippe Warren, sociologue
de renom, professeur associé au Département de sociologie et d’anthropologie
de l’Université Concordia et titulaire de la Chaire d’études sur le Québec. Monsieur Warren a participé à la version originale canadienne de ce manuel et signe
d’ailleurs une section dans le premier chapitre du présent ouvrage.
L’une des préoccupations des auteurs et des adaptateurs était de bien présenter
les concepts de sociologie aux étudiants qui, pour la première fois, suivent un
cours dans cette discipline. Les textes, à la fois accessibles et riches sur le plan
théorique, de même que la mise en pages dynamique renforcent l’engagement
et la motivation des étudiants à l’égard du contenu de cet ouvrage.
Il a fallu un véritable travail d’équipe pour traduire et adapter la version originale
de Individu et société. Nous tenons à remercier les adaptateurs et les réviseurs
scientifiques pour le rôle primordial qu’ils ont joué dans ce processus, de même que
tous les professeurs qui, de près ou de loin, ont été impliqués dans la réalisation
de ce projet.
Nous voulons également remercier la chargée de projet, Nathalie Larose, qui s’est
révélée être une collaboratrice de tous les instants, et Dominique Lefort, pour la
supervision de la traduction et de la production éditoriale.
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AVANT-PROPOS
Il y a près de 150 ans, la sociologie est apparue pour rendre compte, de manière
à la fois rationnelle et critique, des bouleversements suscités par la révolution
industrielle. Ce faisant, elle a contribué à la compréhension des transformations
que vivaient alors les sociétés occidentales, de même qu’à orienter leur développement, tant bien que mal, vers des idéaux plus humanistes. Aujourd’hui, à
l’aube des années 2010, ce sont toutes les sociétés de la planète qui se retrouvent
à nouveau à la croisée des chemins. Certains bouleversements sont similaires
à ceux que Comte, Marx, Durkheim et Weber ont connus : pensons à l’accroissement des inégalités, à la marchandisation continue des rapports sociaux et
du monde, aux interrogations sur la place de la religion dans l’espace public,
par exemple. D’autres, sans être en rupture complète avec la marche antérieure
de l’Histoire, sont néanmoins profondément différents : développement d’une
économie et d’une culture planétaires, émergence de moyens de communication
qui transforment les relations sociales, remise en question du politique dans sa
capacité à orienter la société, mutations de l’individualisme, multiplication des
références identitaires, crise écologique aux impacts anticipés considérables. Ces
bouleversements interpellent les étudiants qui entrent au collégial et appellent,
forcément, un renouvellement de l’explication sociologique qui leur est présentée.
C’est ce que l’ouvrage Individu et société cherche à faire. Si les perspectives
sociologiques « classiques » (fonctionnaliste, marxiste, interactionniste) y sont
fortement mises à contribution, cet ouvrage prend également acte du fait que
les étudiants, qui sont aussi des citoyens en devenir, ont besoin de nouvelles
idées et intuitions pour saisir des transformations tout aussi radicales que celles
qu’ont connues les pionniers de la discipline sociologique. La quête d’émancipation qui a animé de nombreux sociologues depuis plus d’un siècle est aussi
une quête pour la connaissance et la pensée critique. Cet ouvrage souhaite modestement s’inscrire dans cette lignée et vise à être un outil de compréhension
du monde plutôt qu’un répertoire encyclopédique de définitions et de données.
L’approche retenue s’inspire du concept d’imagination sociologique développé
par le sociologue américain C. Wright Mills. Mills a posé que l’une des principales tâches des sociologues est de définir et d’expliquer la relation entre les
difficultés personnelles des gens et les structures sociales dans lesquelles ils
vivent. Ce concept nous apparaît extrêmement pertinent pour une introduction
à la perspective sociologique. D’abord, il permet de rejoindre ceux qui débutent
dans la discipline en leur montrant que les mouvements globaux des sociétés se manifestent dans leur vie quotidienne. Ensuite, il permet d’éviter des
oppositions trop dualistes (individu et société, libre-arbitre et déterminisme,
conscience et structure) et invite, d’une certaine manière, à faire l’expérience
d’une sociologie dialectique selon laquelle les forces sociales à l’œuvre dans
nos vies, bien que déterminantes, ne sont pas pour autant immuables. Enfin, il
permet de faire comprendre que la sociologie elle-même n’est pas une discipline
aride et aseptisée qui accumule froidement des statistiques, mais plutôt l’œuvre
de penseurs interpellés par le contexte social et historique dans lequel ils vivent.
C’est pourquoi, dans chaque chapitre, une section Pour maintenir le cap, tout
en synthétisant les enjeux soulevés par le chapitre, cherche à réactualiser la
tension entre liberté et contrainte qui anime toutes les sociétés, mais qui agit
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d’une nouvelle manière dans les sociétés contemporaines. Les rubriques Politiques
sociales : votre avis et Médias de masse et société, pour leur part, questionnent
les étudiants sur des sujets complexes reliés aux thèmes du chapitre. De cette
manière, les étudiants découvrent la pertinence de l’approche sociologique pour
aborder des débats concrets et importants. Ils apprennent également à développer
leur propre avis sur ces questions. La rubrique La sociologie au cinéma illustre,
par un film récent ou moins récent, québécois ou étranger, des notions abordées
en ces pages. Les étudiants y constateront que des cinéastes et des documentaristes, par leurs personnages ou leurs recherches, ont parfois des interrogations
très semblables à celles des sociologues, même si le langage qu’ils empruntent
peut être différent. Enfin, la rubrique L’univers social et vous invite les étudiants
à observer leurs propres comportements et valeurs afin d’évaluer de quelle manière
ils se conforment aux attentes de leur milieu social ou s’en écartent. Toutes ces
rubriques comportent des questions de raisonnement critique pour faciliter la
discussion en classe ou la rédaction de textes par les étudiants.
Enfin, si les transformations sociales évoquées plus haut sont souvent globales,
elles ne se déroulent pas pour autant dans un univers abstrait : elles s’incarnent
aussi localement de manière spécifique. Dans le cas du Québec, cela prend une
importance capitale, étant donné la particularité de l’aventure québécoise en
Amérique du Nord. C’est pourquoi l’ensemble du manuel a été mis à jour et
adapté au contexte québécois.
Nous vous souhaitons une très bonne lecture et des cours passionnants.
VI
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TABLE DES MATIÈRES
Mot de l’éditeur .
Avant-propos .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
III
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
PREMIÈRE PARTIE
Les fondements
1
Chapitre 1
MAINTENIR LE CAP
GRÂCE À LA SOCIOLOGIE
Introduction
La sociologie au cinéma
Gaz Bar Blues (2003) et
l’imagination sociologique
. . . . . . . . . . . . . . .
3
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
Pourquoi il faut un outil d’orientation
dans un monde sans cesse en changement
La perspective sociologique
5
.6
. . . . . . . . . . . . .
Politique sociale : votre avis
Le suicide et les Innus du Labrador .
Une société dynamique ou anomique ?
L’imagination sociologique
4
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’explication sociologique du suicide
. . . . . . . . . . . .
8
9
12
. 12
. . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’origine de la perspective sociologique
Les théoriciens et les théories
sociologiques . . . . . . . . . . . . . . .
Le fonctionnalisme
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
15
. 16
. 17
. 19
. . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La théorie du conflit
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’interactionnisme symbolique
. . . . . . . . . . . . . . . .
Sociologues et société : le cas du Québec
. . . . . . . . .
L’application des trois perspectives théoriques :
le problème de la mode . . . . . . . . . . . . . . . . .
La recherche
. . . . .
24
. 25
Le cycle de la recherche
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour maintenir le cap .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
Les origines et les composantes de la culture
Les symboles, les normes et les valeurs
Les sanctions, les tabous, les mœurs
et les traditions populaires . . . . . . .
La langue
. . . . . . . . . . . . .
La sociologie au cinéma
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36
37
. 37
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Into the Wild (2007)
35
. . .
. . . . . . . . . .
26
33
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La culture comme résolution de problèmes
22
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
DEUXIÈME PARTIE
Les processus sociaux élémentaires
Chapitre 2
LA CULTURE
13
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
39
La culture comme source de liberté
et de contrainte . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
40
La culture et l’ethnocentrisme :
une analyse fonctionnaliste de la culture
. . . . . . . . . .
40
. . . . . . . . . .
42
La culture comme source de liberté
La production culturelle
et l’interactionnisme symbolique
42
43
. 43
. . . . . . . . . . . . . . . .
La diversité culturelle au Québec .
. . . . . . . . . . . . . . .
L’épineuse relation des Québécois avec l’immigration
La révolution des droits : une analyse
de la culture selon la théorie du conflit
. .
. . . . . . . . . . .
44
40
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La sociologie au cinéma
Politique sociale : votre avis
Les mutilations génitales féminines :
quelles sont les limites du relativisme culturel ?
. . . .
45
C.R.A.Z.Y. (2005) .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
76
. . . . . . .
78
La resocialisation et les institutions totalitaires .
De la diversité
à la mondialisation
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Médias de masse et société
. . . . . . . . .
47
. . . . . . . . . . . . . . . .
49
L’anglais, la mondialisation et Internet
Les aspects du postmodernisme
La culture comme source de contrainte
La rationalisation
Le consumérisme
51
. 51
. 54
. . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
54
. . . . . . . . . . . .
55
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
56
De la contre-culture à la sous-culture
Pour maintenir le cap .
Chapitre 3
LA SOCIALISATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
L’isolement social et la socialisation
La cristallisation de l’identité du moi
60
. 61
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .
La socialisation et le contrôle
des armes à feu . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Gilligan et les différences entre les sexes
Des différences entre les civilisations
Les agents de socialisation
. . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La classe, l’appartenance ethnique
et la théorie du conflit . . . . . . . .
68
. 68
. 68
69
. 70
. 71
. 73
. 74
78
79
80
. 81
. . . . . . . . . . . . . . . .
L’émergence de l’enfance et de l’adolescence
. . . . . . .
Les problèmes de socialisation de l’enfance
et de l’adolescence aujourd’hui . . . . . . . . .
. . . . . . . .
81
. . . . . . . . . . . .
82
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
84
Votre socialisation à l’adolescence .
Pour maintenir le cap .
Chapitre 4
DE L’INTERACTION SOCIALE
AUX ORGANISATIONS SOCIALES . . . . . . . 87
L’humour et les fondements
de l’interaction sociale . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
89
. 89
. . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
L’univers social et vous
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les théories de l’échange et du choix rationnel .
L’interactionnisme symbolique .
. . . . . . . . . . . . . . . .
90
. 92
. . . . . . . . . . . . . . . . .
94
. . . . . . . . . . . . .
96
Médias de masse et société
Le problème de la domination .
93
. . . . . . . . .
La communication verbale et non verbale .
Les théories du pouvoir et du conflit
dans l’interaction sociale. . . . . . . . .
90
. . . . .
La sociologie au cinéma
La grande séduction (2003)
88
. . . . . . . . . . . . . . .
97
. . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les groupes de pairs
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les médias de masse
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’autosocialisation
64
. 64
. 65
. 66
. 67
. 67
. . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’effet Pygmalion
62
. . . . . . . . . . . . .
L’interactionnisme symbolique de Cooley
L’école
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les dilemmes de la socialisation
durant l’enfance et l’adolescence
La lutte pour l’attention .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La famille
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’identité du moi et Internet .
La rivalité et l’échange par l’interaction
. . . . . . . . . . . . . . .
Les théories sur la socialisation
durant l’enfance . . . . . . . . . . . . .
Mead
La socialisation des adultes
et la personnalité flexible . .
Les modes d’interaction sociale .
Politique sociale : votre avis
Freud
La socialisation dans le parcours de vie
L’univers social et vous
L’univers social et vous
J’annonce, donc je suis
46
75
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les rôles sexuels, les médias de masse
et l’approche féministe de la socialisation .
. . . . . . . . .
74
Les réseaux, les groupes
et les organisations . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’influence des groupes sociaux
sur les actions des individus . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Politique sociale : votre avis
Une affaire de loyauté ou de trahison ?
. . . . . . . .
100
100
101
VIII
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Les réseaux sociaux
La valeur de l’analyse de réseaux
Les réseaux urbains
Les groupes
104
. 105
. 106
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
107
108
. 108
. 110
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les groupes primaires et secondaires
La conformité au groupe
La pensée de groupe
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’inclusion et l’exclusion :
endogroupe et exogroupe
. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour maintenir le cap .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le pouvoir et la construction sociale
de la criminalité et de la déviance . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Faut-il voir dans la violence
au hockey un comportement criminel,
déviant ou normal ? . . . . . . . . . . . . .
Un profil de la criminalité
. . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les théories motivationnelles
. . . . . . . . . . . . . . . .
116
Les théories de la contrainte .
. . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre 5
LA DÉVIANCE ET LA CRIMINALITÉ . . . . 119
120
. 120
La différence entre la déviance et la criminalité
. . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
136
136
. 136
. 138
Les buts de l’incarcération
La peine de mort
. . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La panique morale
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
140
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
141
121
145
Chapitre 6
LA STRATIFICATION SOCIALE :
PERSPECTIVES NORD-AMÉRICAINE
ET MONDIALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
La stratification est-elle inévitable ?
Trois théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La stratification sociale :
naufrages et inégalités . .
La mobilité sociale
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des constantes de l’inégalité sociale.
Le revenu
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
149
. 149
. 152
. 156
Politique sociale : votre avis
La redistribution du revenu et l’impôt
148
. . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La pauvreté
139
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
D’autres pistes de solution
TROISIÈME PARTIE
Les inégalités
La richesse
126
129
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour maintenir le cap .
La sociologie au cinéma
124
130
. 130
. 132
L’univers social et vous
. . . . . . . . . . . .
123
. . . . . .
113
Les origines de l’emprisonnement
Les ordres (1974)
. . . . . . . . .
La déviance et la criminalité expliquées
Les sanctions
La définition et la construction
sociales de la déviance . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .
122
Politique sociale : votre avis
L’évaluation de la criminalité
111
. 112
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les groupes et l’imagination sociale
La bureaucratie .
. . . . . . . . . . . .
Les sanctions
. . . . . . . . .
La théorie marxiste du conflit
La théorie fonctionnaliste de Davis et Moore
Le compromis de Weber
161
161
. 162
. 163
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La sociologie au cinéma
Titanic (1997)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le prestige et le goût
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La politique et les perceptions
à l’égard des inégalités de classes
. . . . . . . . . . .
164
165
167
169
160
IX
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Les inégalités dans le monde
. . . . . . . . .
171
. . . . . . . . . . .
172
Les théories sexuelles qui expliquent
les différences basées sur le sexe . . .
Des degrés et des constantes en matière
d’inégalités à l’échelle mondiale . . . . . .
Médias de masse et société
Internet et la stratification sociale
171
Chapitre 8
LA SEXUALITÉ ET LE GENRE
. . . . . . . . . . . . . .
L’essentialisme
La théorie de la modernisation :
une approche fonctionnaliste . .
. . . . . . . . . . . . . . .
174
. . . . . . . . . . . . . . . . .
174
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
177
La théorie de la dépendance :
une approche du conflit . . . .
Pour maintenir le cap .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une définition de l’ethnicité
Les relations ethniques
L’identité
. . . . . .
. . . . . . . . . . . . . .
187
. 187
. 187
. 188
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le racisme et le colonialisme interne
Les Autochtones
182
. 184
. 185
. . . . . . . . . . . . . . .
L’ethnicité, la culture et la structure sociale
Les ressources et les possibilités
. . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le peuple invisible (2007)
Les Noirs
. . . . . . . . . . . . . . . . .
189
190
. 192
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Québec-Montréal (2002)
et Horloge biologique (2005)
L’avenir de l’ethnicité
206
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . .
Les médias de masse, l’image corporelle
et l’hypersexualisation . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
214
Les interactions hommes-femmes
L’inégalité entre les sexes
. . . . . . . . . . . . . .
196
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
199
. . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
198
217
219
219
. 223
. 225
. . . . . . . . . . . . . . . . .
L’agressivité masculine à l’égard des femmes
Pour maintenir le cap .
. . .
. . . . .
216
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
194
Devons-nous payer pour les erreurs du passé ?
210
213
Médias de masse et société
L’écart salarial
208
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Politique sociale : votre avis
Pour maintenir le cap .
. . . . . . . . . . . . . . . .
La réussite scolaire des garçons
Le mouvement féministe
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des avantages de l’ethnicité
206
Politique sociale : votre avis
Toujours plus mince
205
. . . . . . . . . . . .
Le constructivisme social
et l’interactionnisme symbolique
194
Votre niveau de racisme
. . . . . . . . . . . . . . .
Le fonctionnalisme et l’essentialisme
Vers l’égalité
L’univers social et vous
204
. 204
La sociologie au cinéma
La transformation des normes sexuelles
La sociologie au cinéma
Les Québécois
181
203
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une critique de l’essentialisme
selon la perspective du conflit
Chapitre 7
L’ETHNICITÉ
. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
227
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
229
X
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QUATRIÈME PARTIE
Le changement social
231
Chapitre 9
LA TECHNOLOGIE, L’ENVIRONNEMENT
ET LES MOUVEMENTS SOCIAUX . . . . . . . 233
La technologie : notre salut ou notre perte ?
La technologie et les gens font l’histoire
Comment la technologie de pointe
devint une grosse affaire . . . . . . .
Le réchauffement planétaire
La pollution génétique
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
242
243
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
246
La distribution sociale du risque
Le marché et les solutions
de la technologie de pointe
La solution coopérative
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les mouvements sociaux
. . . . . . . . . . . . . . . .
246
. 248
. 248
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
La théorie de la rupture :
un compte rendu fonctionnaliste
250
. . . . . . . . . . . . . .
250
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
267
Bibliographie
Index
. . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les limites du productivisme
Glossaire
237
239
. 241
. . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
La construction sociale des problèmes
environnementaux . . . . . . . . . . . . . . . .
Que faire ?
234
. 236
. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
275
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
297
Crédits photographiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La théorie de la solidarité :
l’approche du conflit . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
251
Politique sociale : votre avis
La surveillance des manifestations par
les forces policières et les agents provocateurs
. . .
254
La contribution de l’interactionnisme symbolique
. . .
255
. . . . . . . . . . . .
256
La sociologie au cinéma
Le monde selon Monsanto (2008)
Les nouveaux mouvements sociaux
258
259
. 259
. . . . . . . . .
Les objectifs
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les effectifs
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’univers social et vous
. . . . . . . . . . . . . . . .
260
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
261
Les associations étudiantes
Un potentiel mondial
Médias de masse et société
. . . . . . . . . .
262
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
262
La première révolution postmoderne
Pour maintenir le cap
307
XI
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PREMIÈRE PARTIE
Les fondements
chapitre 1
Maintenir le cap
grâce à la sociologie
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1
chapitre
chapitre 1
Maintenir le cap
grâce à la sociologie
Introduction
pourquoi il faut un outil d’orientation dans
un monde sans cesse en changement
La perspective sociologique
L’explication sociologique du suicide
une société dynamique ou anomique ?
L’imagination sociologique
L’origine de la perspective sociologique
La théorie du conflit
L’interactionnisme symbolique
sociologues et société : le cas du québec
L’application des trois perspectives théoriques :
le problème de la mode
La recherche
Le cycle de la recherche
Pour maintenir le cap
Les théoriciens et les théories sociologiques
Le fonctionnalisme
OBJECTIFS
Vous apprendrez dans ce chapitre que :
• les motivations du comportement humain
reposent en partie sur les modèles de relations
sociales qui entourent les individus et qui imprègnent leurs vies ;
• la sociologie est l’étude des processus complexes
qui structurent la vie en société et qui font que
les êtres humains sont des êtres sociaux ;
• la motivation des sociologues à faire des recherches émane souvent du désir d’améliorer
la vie d’autrui ; en même temps, les sociologues
ont recours à des techniques scientifiques de
recherche pour valider leurs idées ;
120_Chapitre_01_F2.indd 3
• les sociologues ont développé une variété
de théories pour expliquer le comportement
humain. Ils évaluent la validité de ces théories
en déterminant la mesure dans laquelle elles
correspondent aux données recueillies en cours
de recherche ;
• les fondateurs de la sociologie ont examiné, au
xixe siècle et au début du xxe siècle, les transformations majeures qu’a entraînées la révolution
industrielle et ont proposé des façons de surmonter les problèmes sociaux découlant de ces
transformations. La révolution postindustrielle
et la mondialisation posent des défis similaires
aux sociologues d’aujourd’hui.
10-03-19 09:33
chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
Introduction
pouRquoi iL Faut un outiL d’oRientation
dans un Monde sans cesse en changeMent
C’était le meilleur et le pire de tous les temps,
le siècle de la folie et celui de la sagesse ; une
époque de foi et d’incrédulité ; une période
de lumières et de ténèbres, d’espérance et
de désespoir, où l’on avait devant soi l’horizon
le plus brillant, la nuit la plus profonde ; où l’on
allait droit au ciel et tout droit à l’enfer.
Si Dickens parle ici de la fin du xviiie siècle, il n’en brosse
pas moins un portrait prophétique de notre époque.
Nous nous trouvons à l’aube d’un nouveau millénaire,
à une époque dont nous ne pouvons parler qu’au superlatif, à une époque d’incertitude.
L’Union soviétique a été officiellement dissoute le
21 décembre 1991. Nous avons alors appris que
même une présumée superpuissance pouvait s’effonBref, c’était un siècle si différent du nôtre
que, suivant l’opinion des autorités les plus
drer et voler en éclats du jour au lendemain. Un émimarquantes, on ne peut en parler qu’au
nent historien a écrit que le xxe siècle s’était terminé
superlatif, soit en bien, soit en mal.
avec la chute de l’URSS pour entrer dans un nouveau
siècle d’indétermination grandissante (Hobsbawm,
Charles Dickens, Le marquis de Saint-Évremont ou
1994). Comme pour lui donner raison, des scientiParis et Londres en 1793
fiques annonçaient, le 26 juin 2000, le parachèvement
du séquençage du génome humain et lançaient ainsi
une nouvelle ère de percées scientifiques. Or, peu de temps après, les Nations Unies
pronostiquaient la mort de 85 millions de victimes du sida avant 2020, histoire de
nous convaincre (comme si nous n’étions pas déjà convaincus) qu’en dépit des remarquables progrès de la médecine, nous ne sommes pas à l’abri des fléaux. Puis, le
11 septembre 2001, des terroristes attaquaient le World Trade Center et le Pentagone,
tuant ainsi quelque 3000 personnes. En une journée, l’humeur du monde et son
horizon politique et économique passaient de l’optimisme à l’incertitude.
Le monde est un lieu imprévisible. Il est particulièrement déroutant pour les étudiants qui entrent dans l’âge adulte. Nous avons écrit ce livre pour vous montrer
que la sociologie peut néanmoins vous aider à comprendre votre vie, aussi incertaine qu’elle puisse paraître. Nous espérons qu’il vous aidera à vous orienter dans
ce monde sans cesse en changement. Par ailleurs, nous montrons que, loin d’être
seulement un exercice intellectuel abstrait, la sociologie peut aussi être une activité pratique libératrice. En présentant les possibilités et les contraintes qui nous
attendent, la sociologie peut nous aider à prendre les commandes de notre vie,
nous apprendre à nous connaître et à voir notre potentiel dans le contexte social
et historique particulier qu’est le nôtre. Si nous ignorons ce que l’avenir nous réserve, nous pouvons à tout le moins déterminer les choix qui s’offrent à nous et les
conséquences probables de nos actions. La sociologie peut nous aider à façonner le
meilleur avenir possible. C’est ce qui a toujours été sa principale raison d’être, et ce
l’est encore aujourd’hui.
Ce chapitre vise trois objectifs :
1 Puisquelasociologiecherche,entreautres,àcomprendreetàexpliquerlesprocessuscomplexes
quistructurentlavieensociétéetquifontquelesêtreshumainssontdesêtressociaux,nous
commençonsparillustrerlepouvoirqu’alasociologied’aideràvoirplusclairementlaréalité
sociale. À cette fin, nous examinons un phénomène qui, à première vue, semble résulter
uniquementd’unéchecdufonctionnementindividuel:lesuicide.Nousmontronsqu’enfaitles
relationssocialesexercentuneinfluenceconsidérablesurletauxdesuicide.
2 Nousmontronsensuiteque,depuissesorigines,larecherchesociologiquedécouled’undésir
d’améliorer l’univers social. En fait, la sociologie n’est pas qu’une démarche universitaire
hermétique, mais aussi un moyen d’orienter la société dans une meilleure direction. Nous en
faisonsladémonstrationparunebrèveanalysedestravauxdesfondateursdeladiscipline.
4
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10-03-19 09:33
première partie
3 Enfin,nousposonsl’hypothèseselonlaquellelasociologiepermetàl’individudecomprendreson
siècle, tout comme elle l’a fait pour ses fondateurs. L’humanité est témoin aujourd’hui de
transformations sociales aussi importantes que déroutantes. Comme leurs prédécesseurs du
XIXesiècle,lessociologuesd’aujourd’huitententdecomprendrelesphénomènessociauxetde
suggérer des façons crédibles d’améliorer la société. En promettant de rendre la sociologie
pertinenteàvosyeux,cechapitrevousinviteàreleverlegranddéfidelasociologie.
Avant d’examiner comment la sociologie peut vous aider à comprendre et à améliorer votre monde, jetons un bref regard sur la question du suicide. Cet examen vous
aidera à voir de quelle manière la perspective sociologique peut clarifier et parfois
renverser certaines croyances répandues.
La perspective sociologique
L’analyse sociologique du suicide permet de vérifier la
prétention selon laquelle la sociologie offre une perspective unique, étonnante et éclairante sur les événements
sociaux. Après tout, le suicide apparaît comme le parfait
acte antisocial ou asocial. D’abord, à peu près tous les
membres de la société le condamnent. Ensuite, ceux qui
le commettent le font habituellement seuls, loin du regard inquisiteur du public. Troisièmement, le suicide est
relativement rare : au cours des dernières années, il y a
eu au Canada environ 13 suicides par 100 000 habitants.
Ce taux de suicide situe le Canada à peu près au milieu
de la liste des pays qui publient des statistiques à ce sujet
(voir la figure 1.1). En revanche, nous verrons plus loin
dans ce chapitre que le Québec se distingue quelque peu
à cet égard. Enfin, lorsque les gens s’interrogent sur les
motifs qui poussent un individu au suicide, ils s’attardent
davantage sur son état d’esprit que sur l’état de la société.
40
30
20
10
Mexique
Philippines
Italie
Brésil
États-Unis
Royaume-Uni
Allemagne
Suède
Canada
Corée du Sud
Pologne
Chine
Australie
Japon
France
Ukraine
0
Russie
Suicides par 100 000 habitants
50
Pays
FiguRe 1.1
taux de suicide de certains pays
Source : organisation mondiale de la santé (2002a). Reproduit avec la permission de l’organisme.
5
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
Autrement dit, ils s’intéressent habituellement aux aspects de la vie de l’individu
qui ont pu entraîner une dépression ou une colère assez grave pour l’inciter au
suicide. Ils pensent rarement aux modèles de relations sociales qui pourraient
encourager ou empêcher ces gestes en général. Si la sociologie peut révéler les
causes sociales cachées d’un phénomène en apparence asocial et antisocial
comme le suicide, alors elle en vaut certainement la peine !
L’explication sociologique du suicide
À la fin du xixe siècle, le sociologue français Émile Durkheim, l’un des pionniers de
la discipline, a démontré que le suicide est beaucoup plus qu’un acte de désespoir
individuel découlant d’un trouble psychologique, comme le voulait la croyance de
l’époque. Durkheim a montré que des forces sociales exercent une grande influence
sur le taux de suicide (Durkheim, 1951).
Pour ce faire, Durkheim a d’abord cherché des corrélations entre le taux de suicide
et le taux de troubles psychologiques chez différents groupes sociaux. Selon lui,
l’idée voulant que les troubles psychologiques soient une cause de suicide ne tenait
que si le taux de suicide avait tendance à être élevé au sein des groupes qui présentaient un taux élevé de troubles psychologiques, et à être faible au sein des groupes
qui présentaient un faible taux de troubles psychologiques. Or, l’analyse qu’il a faite
des statistiques gouvernementales, des dossiers d’hôpitaux et d’autres sources n’a
rien révélé de tel. Durkheim a observé qu’il y avait un peu plus de femmes dans les
établissements psychiatriques, mais que pour chaque femme qui se suicidait, quatre
hommes en faisaient autant. Les juifs présentaient le taux le plus élevé de troubles
psychologiques parmi les principaux groupes religieux en France, mais ils avaient
aussi le plus faible taux de suicide.
De toute évidence, il n’y avait pas de corrélation positive entre le taux de suicide
et l’incidence des troubles psychologiques. En fait, il semblait même y avoir une
corrélation négative. Pourquoi ? Durkheim a affirmé que l’intégration sociale des
individus, c’est-à-dire la possibilité ressentie et vécue de se sentir membre à part
entière d’une communauté et d’être estimé pour le rôle qu’on y joue, constituait
une variable explicative fondamentale du phénomène du suicide. En effet, selon ce
grand sociologue, le défaut d’intégration pousse au suicide parce que l’homme, à la
différence de l’animal, a une vie psychique qu’il doit au fait d’être un être social :
« C’est la société qui donne sa vitalité à la conscience individuelle en la traversant
d’idées, de sentiments, de représentations, et c’est elle qui en est le fondement. Si
l’individu s’en détache excessivement […], se tournant vers lui seul, il réalisera que
sa conscience ne repose plus sur rien, qu’elle flotte sur un abîme, et donc que la vie
n’a plus aucun sens. » (Caron-Malenfant, 2001, p. 20-21)
Durkheim a donc postulé que le taux de suicide variait en fonction du degré d’intégration sociale présent dans les diverses catégories de la population. Par exemple,
sur la base de l’appartenance religieuse, les statistiques européennes disponibles à
l’époque montraient que les protestants, suivis des catholiques, se suicidaient davantage que les juifs pratiquants. Durkheim a interprété ce fait de la façon suivante :
les protestants sont en quelque sorte des « individualistes religieux » moins soumis
aux dogmes et aux autorités religieuses que les catholiques et surtout les juifs qui,
eux, constituent des communautés plus intégrées. En d’autres mots, Durkheim s’attendait à ce que les groupes très soudés présentent un taux de suicide moins élevé
que les groupes qui ne l’étaient pas (voir la figure 1.2).
Pour étayer son raisonnement, Durkheim a montré que les adultes mariés sont deux
fois moins susceptibles de se suicider que les adultes non mariés du fait que le
mariage crée un lien social et constitue une sorte de ciment moral qui lie les individus à la société. De même, les femmes ont moins tendance à se suicider que les
hommes parce qu’elles s’investissent davantage dans les relations intimes de la vie
familiale. Selon Durkheim, les juifs risquent moins de se suicider que les chrétiens
6
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première partie
suicide anomique
et égoïste
suicide altruiste
Taux de suicide
élevé
faible
faible
FiguRe 1.2
Intégration sociale
élevé
La théorie de Durkheim sur le suicide
La théorie de Durkheim sur le suicide pose que le taux de suicide décline puis monte
à mesure qu’augmente l’intégration sociale. Durkheim qualifie d’altruistes les suicides
commis dans un cadre de grande intégration sociale. Le suicide altruiste survient quand
les normes sociales exercent une puissante influence sur le comportement. Le soldat qui
renonce sciemment à la vie pour sauver celle de ses compagnons d’armes est poussé par
un sens aigu de patriotisme et de loyauté à commettre un suicide altruiste. À l’opposé,
les suicides commis dans un environnement où il y a peu d’intégration sociale ont plutôt tendance à être de type égoïste ou anomique. La personne qui commet un suicide
égoïste n’a pas réussi à s’intégrer dans la société en raison de l’absence de lien social
avec autrui. Une ou un célibataire sans emploi est par conséquent plus susceptible de se
suicider qu’une personne mariée et possédant un emploi. Le suicide anomique survient
lorsque des normes imprécises gouvernent le comportement. Le taux de suicide anomique
est susceptible d’être élevé dans les sociétés dépourvues d’un code moral respecté par la
majorité.
parce que des siècles de persécution ont fait d’eux un groupe plus uni et plus prompt
à se défendre. Enfin, les personnes âgées ont plus tendance à se suicider que les
jeunes et les adultes parce qu’il leur arrive plus souvent de vivre seules, d’avoir perdu
un conjoint, de ne pas travailler et
de ne plus avoir beaucoup d’amis.
En général, a écrit Durkheim, « le
suicide varie en raison inverse du
degré d’intégration des groupes
sociaux dont fait partie l’individu »
(Durkheim, 1951 : livre II, p. 69).
Bien sûr, sa généralisation ne révèle
en rien les raisons qui poussent un
individu donné à s’enlever la vie.
Cette question relève de la psychologie. Cependant, elle nous indique
que la probabilité qu’une personne
se suicide est d’autant plus faible
que cette personne est bien intégrée dans la société. Cela jette un
éclairage sociologique étonnant et
unique sur les mécanismes et les
causes de la variation du taux de
suicide entre les groupes (voir la
figure 1.3 et la rubrique « Politique
sociale : votre avis »).
7
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
45
Suicides par 100 000 habitants
40
Hommes
35
Femmes
30
25
20
15
10
5
0
10–14
15–19
20–24
25–29
30–34
35–39
40–44
45–49
50–54
55–59
60–64
65–69
70–74
75–79
80–84
85–89
90+
Cohorte d’âges
FiguRe 1.3
Le suicide selon l’âge et le sexe au Canada, en 2003
Comme dans la France de l’époque de Durkheim, les hommes au Canada sont aujourd’hui quatre fois plus susceptibles
de se suicider que les femmes. Cependant, le suicide chez les jeunes au Canada est beaucoup plus répandu aujourd’hui
qu’il ne l’était en France au XIXe siècle.
Source : statistique canada (2006a, 2006b).
poLitiQUe SociaLe
votre avis
Le suicide et les Innus du Labrador
Les peuples autochtones possèdent les taux de suicide
les plus élevés au canada. Le taux de suicide est quatre
fois plus élevé chez les amérindiens qu’au sein de la
population canadienne (santé canada, 1999a). parmi
ces derniers, les innus du Labrador, qui représentent
quelque 2000 personnes, affichent le taux de suicide
le plus élevé. ils constituent aussi l’un des peuples le
plus à risque du monde, avec un taux de suicide presque
13 fois supérieur à celui des canadiens (Rogan, 2001 ;
samson et coll.).
La théorie de durkheim contribue à expliquer la tragique
propension au suicide des innus. au cours des 50 dernières années, ce peuple a assisté à la disparition de ses
normes et valeurs traditionnelles. il en résulte donc
une communauté en voie de désintégration sociale, qui
peine à offrir aux innus des modèles stables significatifs
et gratifiants d’interaction sociale.
comment en sont-ils arrivés là ? historiquement, les innus
étaient des nomades qui vivaient de la chasse et de la
trappe. or, au milieu des années 1950, peu après que
terre-neuve et le Labrador ont intégré la confédération,
les gouvernements provinciaux et fédéral étaient impatients de prendre possession du territoire ancestral des
innus aux fins du développement économique. Les fonctionnaires voulaient mettre en place des routes, des
mines, des exploitations forestières, des projets hydroélectriques et des installations aéroportuaires permettant la formation au vol à basse altitude pour les forces
aériennes de l’otan. pour ce faire, ils souhaitaient voir
les innus s’établir dans des communautés permanentes
et apprendre les compétences pratiques et culturelles
associées à la société industrielle moderne. par conséquent, les gouvernements ont exercé d’énormes pressions sur les innus afin qu’ils renoncent à leur mode
de vie traditionnel et s’installent dans des lieux comme
davis inlet et sheshatshiu.
au sein de ces nouvelles communautés, les lois canadiennes, l’école et l’église ont découragé les innus de
chasser, de pratiquer les rites associés à leurs croyances
et d’éduquer leurs enfants comme ils l’avaient toujours fait. Le règlement sur la chasse a restreint l’accès
des innus à leur moyen de subsistance ancestral. des
prêtres ont infligé des sévices corporels à des enfants
8
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10-03-19 09:34
première partie
leurs pratiques de chasse traditionnelles jusqu’à sept
mois par année voyaient leur état de santé s’améliorer de façon spectaculaire. ils menaient une vie saine
en plein air, ils cessaient de consommer de l’alcool et
s’alimentaient mieux, et leur environnement affectif et
social se stabilisait et reprenait un sens. Le suicide disparaissait de leur réalité (samson et coll., 1999).
qui s’absentaient de l’école ou de l’office religieux pour
aller chasser. ce faisant, ils ont introduit la violence
interpersonnelle dans une culture où elle n’avait jamais
existé. Les enseignants ont transmis la culture et des
compétences nord-américaines et européennes, souvent en dénigrant au passage les pratiques innues. en
même temps, il y avait peu d’emplois de rechange dans
les nouvelles communautés. La plupart des innus ont
fini par vivre de l’aide sociale. sans travail et privé des
influences stabilisatrices de sa culture traditionnelle,
ce peuple reconnu pour son attitude pacifique et son
esprit de coopération a connu des problèmes généralisés d’éclatement familial, d’agression sexuelle et d’alcoolisme. aujourd’hui, à sheshatshiu, au moins 20 % des
enfants cherchent à échapper à la réalité en inhalant
régulièrement des vapeurs d’essence. À davis inlet, 60 %
des enfants le font.
une étude menée en 1984 a montré que les innus qui
retournaient vivre dans la nature et renouaient avec
Malheureusement, un obstacle d’ordre politique empêche
l’ensemble des innus de reprendre son mode de vie traditionnel. Les gouvernements du canada et de terreneuve-et-Labrador le leur interdisent. un retour massif
au mode de vie traditionnel des innus entre en conflit
avec les projets de développement économique publics
et privés. par exemple, le projet d’aménagement hydroélectrique du cours inférieur du fleuve churchill (le
deuxième en importance dans le monde) et la mine de
nickel de voisey’s Bay (où se trouve le plus important
gisement de nickel au monde) se trouvent au beau milieu
des territoires traditionnels de chasse et des lieux de
sépulture des innus. ces derniers tentent avec énergie
de reprendre le contrôle de leurs terres. ils veulent aussi
déterminer eux-mêmes quand et comment ils utiliseront
les services de santé, les moyens de formation et les
autres services qu’offre le gouvernement canadien.
Questions de raisonnement critique
• Selon vous, l’intérêt des Innus entre-t-il
nécessairement en conflit avec celui
des gouvernements fédéral et provincial ?
• Y a-t-il une façon de concilier les intérêts
des parties ? Si oui, laquelle ?
• Imaginez que l’on sollicite votre aide
pour résoudre le conflit entre les Innus
et les gouvernements du Canada et
de Terre-Neuve-et-Labrador. Quels types
de politiques recommanderiez-vous pour
satisfaire les intérêts de toutes les parties ?
une société dynaMique ou anoMique ?
Les idées de Durkheim s’appliquent-elles aux changements sociaux qui ont marqué
l’histoire du Québec ? En 2000, le taux de suicide du Québec plaçait ce dernier en
première position des provinces canadiennes et dans le peloton de tête des pays
industrialisés, lui qui s’était trouvé à la queue de ce palmarès pendant toute la première moitié du xxe siècle. En 1950, le taux de suicide au Québec était environ deux
fois plus faible que celui de l’Ontario. En 1990, il en représentait presque le double.
Le taux de suicide chez les Québécois nés entre 1941 et 1946 était alors de 22,3 par
100 000 à l’âge de 20 à 24 ans, en comparaison de 45,4 chez ceux qui étaient nés
entre 1966 et 1971 (Gauthier et coll, 1998).
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
En 2003, le suicide est la cause de 2,7 % des décès survenus au cours d’une année
au Québec, mais compte pour près de 40 % des décès chez les hommes âgés de 15
à 39 ans, ce qui en fait la principale cause de mortalité chez cette cohorte d’âge et
de sexe (Dongois, 2003) (voir la figure 1.4). Un phénomène aussi catastrophique ne
peut s’expliquer par un seul facteur ; il reste encore à comprendre toutes les dimensions de cette réalité complexe. Cela dit, l’anomie est, selon certains analystes, un
facteur clé de la tendance à la hausse du taux de suicide depuis la Seconde Guerre
mondiale.
En 2006, le taux ajusté de décès par suicide par 100 000 habitants était de 23,4 chez
les hommes, de 6,4 chez les femmes et de 14,8 pour l’ensemble de la population.
Ce taux constitue le taux le plus bas enregistré au Québec au cours des 25 dernières
années. Cette baisse est observée depuis le début des années 2000. Elle s’explique
principalement par la diminution du nombre de suicides chez les hommes. Le taux
catastrophique de 35,9 pour 100 000 personnes en 1999 a reculé de 35 % (voir la
figure 1.5).
Malgré ces signes encourageants, le Québec a, par rapport à d’autres provinces ca­
nadiennes, les taux les plus élevés de suicide tant chez les hommes que chez les
femmes. Les écarts observés tendent cependant à s’amoindrir depuis 2000. Si l’on
compare le Québec aux pays de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), il se situe malheureusement encore parmi les populations qui
présentent les taux de mortalité par suicide les plus élevés. C’est dans la population
active que les suicides surviennent encore le plus fréquemment. Les deux tiers des
suicides touchent les personnes âgées de moins de 50 ans (St-Laurent et Gagné, 2008).
L’urbanisation rapide est une des forces sociales ayant contribué à l’anomie grandissante des Québécois. La construction d’autoroutes modernes, de gratte-ciels
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20
18
Taux par 100 000 habitants
16
Québec
14
Ontario
12
Les autres
provinces
10
8
6
4
2
0
1926
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995 1998
Années
FIGURE 1.4
Taux de suicide par 100 000 habitants au Québec, en Ontario et dans les autres
provinces, 1926-1996
Source : Michel Dongois, « Taux de suicide élevé au Québec. Des données qui font mal. Le suicide, fruit de la désintégration sociale. La Révolution tranquille
a été plus meurtrière que la Révolution française », L’Actualité médicale (2 juillet 2003).
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première partie
35
30
25
26,7
24,8
Total
20
Hommes
17,6
Femmes
15
15,7
Graphique final à
venir
10
9,0
6,9
5
0
1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
1. Taux ajustés selon la structure par âge, sexes réunis, de la population du Québec en 2001.
2. Moyennes mobiles calculées sur des périodes de trois ans.
FIGURE 1.5
Taux ajusté de mortalité par suicide selon le sexe, ensemble du Québec, de 1997 à 2006
Source : MSSS, Fichier des décès de 1981 à 2005 et Fichier du Coroner de 2006. MSSS, Perspectives démographiques basées sur le recensement de 2001.
Reproduction autorisée par Les Publications du Québec.
imposants et de banlieues tentaculaires a marqué les années 1960. Le Québec n’était
plus une province rurale, et les citadins ne pouvaient plus garder une mentalité de
paysans.
Le déclin du catholicisme constitue une autre force sociale qui a accru l’anomie. À
l’époque où le clergé était tout-puissant au Québec, les Canadiens français éprouvaient un sentiment d’appartenance à la communauté catholique. La hiérarchie du
clergé ancrait la population dans un monde de certitudes. L’éclatement de l’Église
catholique provoqué par la Révolution tranquille a laissé un sentiment de vide chez
les Québécois. Il leur est devenu difficile de composer avec les attentes de la vie
moderne.
Dans l’ensemble, le Canada français a vécu comme une nation assiégée pendant
un siècle (de 1860 à 1960). Dans une certaine mesure, ses habitants manifestaient
à l’époque les caractéristiques que Durkheim attribuait aux Européens juifs du
xixe siècle. Durkheim soutenait que la nécessité « de lutter contre une animosité
générale, l’impossibilité même de communiquer librement avec le reste de la population ont obligé [les juifs] à se tenir étroitement serrés les uns contre les autres.
Par suite, chaque communauté devint une petite société, compacte et cohérente,
qui avait d’elle-même et de son unité un très vif sentiment » (Durkheim, 1897). En
raison de leur formidable cohésion sociale, selon Durkheim, les juifs ont manifesté
une plus grande immunité au suicide que tout autre groupe religieux d’Europe. On
constate la même chose chez les Canadiens français d’avant la Révolution tranquille.
Toutefois, lorsque le Québec a perdu sa mentalité d’assiégé, que la taille de ses familles a fondu comme neige au soleil, que la vie urbaine a remplacé l’esprit rural
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
et que les Canadiens français ont déserté les églises, l’anomie a monté en flèche. Il
n’était dès lors plus question de porter sa croix passivement : il fallait choisir sa vie.
Or, les nouveaux besoins qu’ont entraînés ces décisions ont émergé alors que s’effondrait la vieille société et que le nouveau modèle n’avait pas encore été construit.
Le tumulte a été profond et durable.
L’imagination sociologique
Vous savez depuis longtemps que vous vivez en société. Cependant, vous n’avez
peut-être pas encore pris la pleine mesure de la société qui vit en vous. Des formes
de relations sociales, notamment le degré d’intégration sociale, affectent vos pensées
et vos émotions les plus secrètes, influencent vos actions et contribuent à façonner
votre personne. Les formes relativement stables de relations sociales sont ce que les
sociologues appellent les structures sociales.
Il y a 50 ans, le célèbre sociologue étatsunien C. Wright Mills (1959) a nommé
« imagination sociologique » l’aptitude à voir ces relations. Il a avancé que l’une
des principales tâches des sociologues consiste à définir et à expliquer la relation
entre les difficultés personnelles des gens et les structures sociales dans lesquelles ils
évoluent. Pour accroître la conscience de cette relation, une première étape consiste
à reconnaître les trois niveaux de structures sociales qui entourent et imprègnent
l’individu. Voyez-les comme des cercles concentriques irradiant de l’individu :
1.Les microstructures sont des modèles de relations sociales intimes formées lors
d’interactions face à face. La famille, les cercles d’amis et les collègues de travail
sont des exemples de microstructures.
2.Les macrostructures sont des modèles de relations sociales qui existent à l’extérieur et au-delà du cercle des relations intimes et des connaissances. Elles concernent la société à laquelle vous appartenez. Le patriarcat, ce système traditionnel d’inégalités économiques et politiques entre les hommes et les femmes, et
observable dans la plupart des sociétés, est une macrostructure importante. Les
institutions religieuses et les classes sociales en sont deux autres.
3.Les structures globales constituent le troisième niveau de structure sociale et
ont une dimension internationale. Les multinationales, les déplacements et les
communications à l’échelle de la planète ainsi que les relations économiques
entre les pays en sont autant d’exemples. Ces structures gagnent en importance,
car le faible coût des déplacements et des communications permet une liaison
étroite entre toutes les régions du monde sur les plans culturel, économique et
politique1.
Les problèmes personnels ont un lien avec les trois niveaux de structures sociales.
Qu’il s’agisse de trouver un emploi, de préserver une relation de couple ou de déterminer la meilleure façon de mettre un terme à la pauvreté dans le monde, la connaissance des structures sociales améliore la compréhension du problème et suggère des
lignes de conduite appropriées (voir la rubrique « La sociologie au cinéma »).
L’origine de la perspective sociologique
La perspective sociologique n’a pas 150 ans. Bien qu’en des temps plus anciens des
philosophes aient écrit sur la société, leur réflexion n’était pas proprement sociologique. Certains croyaient que Dieu et la nature régissaient la société. Leurs conclusions sur le fonctionnement du monde reposaient sur des conjectures plutôt que sur
des faits avérés. La perspective sociologique est apparue après que trois révolutions
1. Certains sociologues distinguent aussi les « mésostructures », c’est-à-dire des relations sociales qui se situent entre
les microstructures et les macrostructures (voir le chapitre 4, p. 99).
12
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première partie
modernes ont poussé les gens à voir la société sous un jour inédit : les révolutions
scientifique, démocratique et industrielle.
La révolution scientifique
La révolution scientifique a commencé vers 1550. Elle reposait sur l’idée voulant
qu’une conclusion, pour être fiable, doive se fonder sur des preuves solides et non
seulement sur des spéculations.
Peu à peu, l’observation rigoureuse et méthodique du réel a remis en question les
préjugés communs et les explications religieuses et philosophiques des phénomènes
naturels et sociaux. Ainsi, lorsqu’en 1609 il pointa son tout nouveau télescope vers
le ciel, Galilée fit quelques observations prudentes et montra que ses observations
concordaient avec la théorie de Copernic. C’est l’essence même de la méthode scientifique : se servir de preuves pour documenter un point de vue particulier.
La révolution démocratique
La révolution démocratique s’est amorcée au Siècle des lumières (xviiie siècle). Elle
a permis de voir que les gens avaient la responsabilité d’organiser la société et que
l’intervention humaine pouvait par conséquent résoudre des problèmes sociaux.
Peu de gens voyaient les choses ainsi avant la révolution démocratique. La majorité
croyait que l’ordre social relevait de Dieu. La Révolution américaine (1775-1783) et
la Révolution française (1789-1799) ont contribué à ébranler cette idée. Ces bouleversements politiques démocratiques ont montré que la société pouvait connaître
d’importants changements sur une courte période. Ils ont prouvé que les peuples
avaient le pouvoir d’écarter des dirigeants insatisfaisants et semblaient remettre la
société entre les mains du peuple. La portée de cette transformation sur la formation de la perspective sociologique était considérable car, si l’intervention humaine
était en mesure de changer la société, une science de la société pouvait jouer un
rôle important. La nouvelle science pouvait aider les gens à trouver des façons de
surmonter les problèmes sociaux, à améliorer le bien-être des citoyens. L’essentiel de
l’argumentaire pour la sociologie en tant que science a pris forme dans la foulée des
révolutions démocratiques qui ont ébranlé l’Europe et l’Amérique du Nord.
la sociologie
au cinéma
Gaz Bar Blues (2003) et l’imagination sociologique
L’histoire de Gaz Bar Blues se déroule en 1989. François
Brochu (Serge Thériault) est propriétaire d’une petite
station-service (ou « gaz bar ») dans un quartier populaire de la ville de Québec. Veuf, il tente tant bien que
mal d’assurer le bon fonctionnement de son petit commerce, en dépit du parkinson qui l’afflige, des faibles
entrées d’argent, des vols à main armée et de sa famille
quelque peu dispersée.
En effet, François a trois fils qu’il emploie au « gaz bar »,
mais le plus vieux, Réjean, et le cadet, Guy, rêvent d’une
autre vie. Réjean part à Berlin au moment où, sous les
assauts de la population, le mur séparant l’Allemagne
de l’Ouest capitaliste de l’Allemagne de l’Est dite communiste tombe, entraînant avec lui la chute du régime
est-allemand. Pour sa part, Guy quitte fréquemment la
ville pour jouer de l’harmonica au sein d’un petit groupe
de blues. Reste Alain qui, à 14 ans, rêve d’occuper une
plus grande place dans le « gaz bar », et quelques vieux
garçons sans emploi pour qui la station-service est un
lieu privilégié de rencontre et de discussion.
À travers la vie quotidienne presque banale de ses personnages, le cinéaste Louis Bélanger invite le spectateur
à faire preuve d’imagination sociologique, c’est-à-dire
à relier les difficultés et les espoirs des individus à la
vaste trame historique du monde qu’ils habitent. C’est
surtout à travers le personnage de Réjean et de ses photos (qui sont en fait celles du cinéaste lui-même) que
Louis Bélanger propose un tel lien.
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
la place aux relations marchandes plus anonymes véhiculées par les grandes entreprises. quand un habitué du
« gaz bar » proclame joyeusement que bientôt, « tout va
marcher à l’informatique », un autre lui rétorque : « tu
parles comme ton journal mais tu vois pas plus loin que
le bout de ton nez. Le quartier au complet vient ici !
[...] où est-ce que tu vas passer tes journées quand ils
vont remplacer la place par une boîte de 3 pieds par
3 pieds avec un enfant assis en arrière de ton jésus-marie
d’ordinateur ? » autrement dit, alors qu’en allemagne
les Berlinois de l’est se retrouvent dépossédés de leurs
quartiers du jour au lendemain, ici, c’est le « gaz bar » de
François Brochu qui résiste mal aux pressions des libreservice moins coûteux des grandes chaînes. La « grande
histoire » et la « petite histoire » se confondent : à la fin
du XXe siècle, c’est la vie de tous qui est appelée à être
transformée par le capitalisme triomphant.
d’abord enthousiasmé à la vue d’un Berlin en pleine
effervescence révolutionnaire, Réjean se désillusionne
rapidement. selon lui, les Berlinois de l’est ont le sentiment de s’être fait avoir pendant 40 ans : « et là, on leur
dit qu’on passe à autre chose. Moi, je sais pas comment
je réagirais si on me disait que ma vie avait servi à
rien », écrit-il dans une lettre. alors que ses premières
rencontres se font avec des Berlinois de l’ouest, il passera de plus en plus de temps de l’autre côté du mur :
« L’est, finalement, ça ressemble au “gaz bar” ». L’alcool
et le désenchantement lui feront perdre la carte, jusqu’à
son retour à québec où, dégrisé, il explique sa vision des
choses à son père : « Berlin, c’est comme une stationservice. À l’ouest, c’est le gros libre-service moderne et
à l’est, c’est broche à foin comme ton “gaz bar”. et c’est
les gros libre-service qui vont gagner. »
voilà ce que c. Wright Mills cherche à dévoiler par le terme
« imagination sociologique » : les grandes mutations économiques et politiques des sociétés ne se font pas dans
un univers abstrait, mais se manifestent à travers le vécu
concret des membres de ces sociétés. de même, les soucis et les rêves avec lesquels les gens mènent leur vie
intime font partie de la grande marche de l’histoire. Bref,
il n’y a pas « le système » ou « la société » d’un côté, et
des individus isolés et indépendants de l’autre, mais des
relations sociales qui les traversent constamment. L’imagination sociologique permet à chacun de comprendre
son existence à la lumière d’un contexte sociohistorique
plus large et d’agir en conséquence.
À travers cette métaphore, Louis Bélanger lance une
invitation à porter un regard rétrospectif sur les bouleversements économiques que les sociétés occidentales
ont connus à partir de la chute du mur de Berlin jusqu’à
aujourd’hui. en quelque sorte, le film de Bélanger propose que les relations de familiarité et de proximité que
permettent souvent les petits commerces doivent céder
Questions de raisonnement critique
• Avez-vous déjà tenté de replacer
des événements de votre vie dans leur
contexte historique et sociostructurel ?
• L’exercice vous a-t-il aidé à mieux
comprendre votre vie ? A-t-il enrichi
votre vie ?
La révolution industrielle
La révolution industrielle a commencé vers 1775. Il en a découlé une vaste gamme
de problèmes sociaux aussi graves qu’inédits qui ont attiré l’attention des penseurs
sociaux. Le développement de l’industrie a amené une multitude de gens à quitter
la campagne pour la ville, pour y travailler de nombreuses et interminables heures
chaque jour dans des mines et des usines bondées et dangereuses. Ces gens ont
perdu la foi dans leur religion, se sont butés à des bureaucraties anonymes et ont
réagi à l’indignité et à la pauvreté de leur existence par des moyens aussi divers
que des grèves, des crimes, des révolutions et des insurrections. Les philosophes
n’avaient jamais eu un tel laboratoire vivant sous les yeux. D’abord, la révolution
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première partie
démocratique avait ouvert la porte à une science de la société. La révolution industrielle fournissait maintenant aux théoriciens de la société un ensemble de problèmes
sociaux criants. De là émergea la perspective sociologique.
auguste comte et le diffi cile arrimage entre la science et les valeurs
Le théoricien français Auguste Comte (1798-1857) a inventé le terme « sociologie »
en 1838 (Comte, 1975). Il a tenté de définir les fondements scientifiques de l’étude
de la société. Il disait vouloir comprendre l’univers social tel qu’il était et non tel
que lui ou quiconque imaginait qu’il devrait être. Or, ses travaux révèlent un conflit :
si Comte était tout disposé à adopter la méthode scientifique pour étudier la société, il était aussi un théoricien prudent, farouchement opposé à la transformation
rapide de la société française, comme en témoignent ses écrits. Lorsqu’il quitta sa
petite ville natale pour Paris, Comte fut témoin des forces démocratiques qui déclenchèrent la Révolution française, des débuts de l’industrialisation et de la croissance
rapide des grandes villes. Ce qu’il vit le choqua et l’attrista. Le changement social
rapide détruisait à peu près tout ce qu’il chérissait, particulièrement le respect de
l’autorité traditionnelle. Il recommanda donc le ralentissement des changements et
la préservation de tout ce qui avait trait à la vie sociale traditionnelle.
À des degrés divers, nous relevons les mêmes tensions dans les travaux de trois penseurs marquants des débuts de la sociologie : Karl Marx (1818-1883), Émile Durkheim
(1858-1917) et Max Weber (1864-1920). Ces trois hommes ont été témoins des divers stades de la déchirante
transition vers le capitalisme industriel, et ce, sur une
période d’un peu plus d’un siècle. Ils ont voulu expliquer la formidable transformation de l’Europe et suggérer des moyens d’améliorer la vie des gens. Comme
Comte, ils adhéraient à la méthode de recherche scientifique. Cependant, les idées qu’ils ont développées ne
sont pas seulement des outils diagnostiques desquels
il nous est toujours possible d’apprendre, mais, à l’instar de nombreux autres concepts de sociologie, elles
constituent aussi des prescriptions pour combattre les
maux de la société.
Les idées de Durkheim, de Marx et de Weber sont à
l’origine des principales traditions théoriques de la
sociologie : le fonctionnalisme, la théorie du conflit et
l’interactionnisme symbolique. Vous constaterez, au
fil de cet ouvrage, qu’il existe de nombreuses autres
théories. Or, parce que ces dernières ont joué un rôle
déterminant dans le développement de la sociologie,
nous proposons une description concise de chacune.
Les théoriciens et les théories
sociologiques
Le FonctionnaLisMe
Les forces démocratiques
déclenchées par la Révolution
française ont révélé que les
peuples pouvaient intervenir
dans l’organisation des sociétés
et que, par conséquent,
l’intervention humaine pouvait
résoudre des problèmes
sociaux. Ainsi, la démocratie
devenait une des pierres
angulaires de la sociologie.
Émile Durkheim
La théorie du suicide de Durkheim est un exemple avant la lettre de ce que les sociologues appellent maintenant le fonctionnalisme. Les théories fonctionnalistes
comportent quatre dimensions.
15
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
1. Les théories fonctionnalistes posent que des formes stables de relations sociales, ou structures sociales, gouvernent le comportement humain. Par exemple,
Durkheim a souligné la façon dont le degré d’intégration sociale influe sur le taux
de suicide. Les fonctionnalistes s’intéressent habituellement aux macrostructures.
2. Les théories fonctionnalistes montrent comment les structures sociales préservent
ou minent la stabilité sociale. C’est pourquoi les fonctionnalistes sont parfois qualifiés de fonctionnalistes structuraux ; ils analysent la façon dont les parties de la
société (les structures) s’harmonisent et la contribution de chacune à la stabilité
de l’ensemble (sa fonction). Ainsi Durkheim a-t-il argué qu’une grande intégration sociale contribue à préserver l’ordre social. Toutefois, le développement industriel et urbain de l’Europe au xixe siècle a réduit le degré d’intégration sociale
et contribué ainsi à l’instabilité sociale.
Émile Durkheim (1858-1917)
a été le premier professeur de
sociologie en France ; plusieurs voient en lui le premier
sociologue moderne. Dans
Les règles de la méthode
sociologique (1895) et Le
suicide (1897), il avance que
le comportement humain est
façonné par de puissantes
contraintes sociales. Durkheim
s’intéressait aussi vivement
aux conditions favorisant
l’ordre social dans les sociétés
primitives et modernes, conditions qu’il étudie en profondeur
dans La division du travail social
(1893) et dans Les formes
élémentaires de la vie religieuse
(1912).
3. Les théories fonctionnalistes soulignent que les structures sociales reposent principalement sur des valeurs communes. Par exemple, pour Durkheim, c’est surtout
l’intégration morale, c’est-à-dire la forte adhésion des membres d’une société à
des valeurs communes, qui constitue la réelle protection contre le suicide.
4. Le fonctionnalisme semble indiquer que le rétablissement de l’équilibre est la
meilleure solution à la plupart des problèmes sociaux. Durkheim disait qu’il était
possible de rétablir la stabilité sociale dans l’Europe de la fin du xixe siècle en
créant de nouvelles ententes entre employeurs et travailleurs, qui réduiraient les
attentes de ces derniers à l’égard de leur vie. Le fonctionnalisme représentait donc
une réponse conservatrice au chaos social généralisé.
La théoRie du conFLit
Une deuxième grande tradition théorique de la sociologie s’intéresse au rôle central
du conflit dans la vie sociale. Elle comporte les quatre dimensions suivantes.
1. La théorie du conflit concerne généralement les grandes macrostructures, comme
les rapports de domination, de soumission et de lutte opposant les représentants
des classes sociales supérieures et inférieures.
2. La théorie du conflit montre que les grands modèles d’inégalité sociale produisent la stabilité sociale dans certaines circonstances et le changement social
dans d’autres.
3. La théorie du conflit pose que les membres des groupes privilégiés essaient de
maintenir l’avantage qu’ils détiennent tandis que les groupes qui leur sont subordonnés luttent pour obtenir le leur. Selon ce point de vue, les conditions sociales
à un instant donné sont l’expression d’une lutte de pouvoir constante entre les
groupes privilégiés et les groupes subordonnés.
Karl Marx (1818-1883) était
un penseur révolutionnaire
dont les idées ont influencé
le développement de la sociologie et le cours de l’histoire
mondiale. Il soutenait que les
grands changements sociohistoriques découlent de conflits
entre les principales classes
sociales. Dans son œuvre phare,
Le capital (1867-1894), Marx
affirme que le capitalisme entraînerait une telle misère et la montée d’une telle force collective
au sein des ouvriers que ceux-ci
finiraient par prendre le pouvoir
et créeraient alors une société
sans classes, où la production
serait fonction des besoins
humains plutôt que du profit.
4. La théorie du conflit laisse habituellement supposer que la diminution des privilèges réduira le niveau de conflit et accroîtra le bien-être de l’humanité.
Karl marx
La théorie du conflit est issue de l’œuvre du théoricien social Karl Marx. Une génération avant Durkheim, Marx a observé l’indigence et le mécontentement que produisait la révolution industrielle et a proposé une théorie radicale sur le développement
des sociétés (Marx, 1968 ; Marx et Engels, 1972). La lutte des classes, c’est-à-dire
les conflits entre les classes qui tentent de résister à l’opposition des autres classes
et de la surmonter, est au cœur de sa théorie.
Marx a fait valoir que les propriétaires industriels sont impatients d’améliorer l’organisation du travail et d’adopter de nouveaux outils, de nouvelles machines et de
nouvelles méthodes de production. Ces innovations leur permettent d’accroître la
productivité, de réaliser de plus grands profits et de conduire à la faillite les concurrents qui ne sont pas à la hauteur. Cependant, la recherche du profit pousse aussi les
capitalistes à concentrer leur main-d’œuvre dans des établissements de plus en plus
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première partie
grands, à maintenir les salaires le plus bas possible et à investir le moins possible
dans l’amélioration des conditions de travail. Marx a donc constaté que la classe
des ouvriers pauvres grandit sans cesse alors que la classe de riches propriétaires
rétrécit d’autant.
Marx croyait que les travailleurs finiraient par se rendre compte qu’ils faisaient tous
partie de la même classe opprimée. C’est ce qu’il a appelé la conscience de classe.
Il était d’avis que la conscience de la classe ouvrière favoriserait la montée du communisme, définie comme un système où la propriété et la richesse sont des biens
communs que chacun utilise selon ses besoins, et où la propriété privée n’existe pas.
max Weber
Si certaines des idées de Marx ont pu être adaptées à l’étude de la société contemporaine, ses prédictions quant à l’inévitable effondrement du capitalisme ont été mises
en doute. Max Weber, un sociologue allemand qui a produit ses plus importants
travaux une génération après Marx, a été l’un des premiers à souligner certaines
faiblesses dans l’argumentaire de Marx (Weber, 1946). Weber avait remarqué la
croissance rapide du secteur de l’économie consacré aux services, qui embauchait
de nombreux travailleurs non ouvriers (des cols blancs) et des professionnels. Il a
donc posé qu’un grand nombre de ces travailleurs stabiliseraient la société parce
qu’ils jouissaient d’un plus grand prestige et d’un meilleur revenu que les ouvriers
du secteur manufacturier. Weber a aussi montré que la lutte des classes n’est pas la
seule force motrice de l’histoire. À ses yeux, la politique et la religion représentaient
également des sources importantes de changement historique. D’autres auteurs ont
souligné que Marx ne mesurait pas à quel point l’investissement en technologie permettrait aux ouvriers de travailler moins longtemps dans des conditions moins accablantes. Marx n’avait pas non plus prévu que des salaires plus élevés, de meilleures
conditions de travail et les bienfaits de l’État providence contribueraient à apaiser les
ouvriers. Ainsi Weber et d’autres sociologues ont-ils remis en question de nombreux
éléments de la théorie de Marx.
L’inteRactionnisMe syMBoLique
Weber et l’éthique protestante Dans la description de la théorie du conflit, nous indiquons que Weber a formulé
des critiques à l’égard de l’interprétation marxiste du développement du capitalisme. Entre autres choses, Weber a affirmé que les premiers progrès du capitalisme
ne découlaient pas seulement de circonstances économiques favorables. Selon lui,
certaines croyances religieuses ont favorisé la croissance robuste du capitalisme.
Les protestants du xvie et du xviie siècle, en particulier, croyaient pouvoir nourrir
leur foi religieuse et demeurer en état de grâce divine s’ils travaillaient diligemment
et vivaient modestement. Weber a appelé cette croyance l’éthique protestante. Il
estimait qu’elle avait un effet involontaire : les gens qui adhéraient à l’éthique protestante épargnaient et investissaient plus que les autres. Ainsi, selon Weber, le
capitalisme s’est développé avec plus de vigueur dans les régions où l’on adhérait
à l’éthique protestante. Il en a conclu que le capitalisme ne répondait pas à la seule
impulsion des forces économiques, comme Marx le croyait, mais qu’il dépendait
plutôt en partie de la signification religieuse que les individus attachaient à leur
travail (Weber, 1958 [1904-1905]). L’ensemble de la recherche de Weber souligne
l’importance de bien comprendre les motifs des gens et le sens qu’ils accordent aux
choses pour saisir la signification de leurs actions. Il a nommé cet aspect de son
approche de la recherche sociologique la « méthode compréhensive » (de l’allemand
Verstehen, « comprendre »).
Max Weber (1864-1920),
un grand sociologue allemand,
a exercé une profonde influence
sur le développement de la
discipline à l’échelle mondiale.
Engagé dans un éternel
« débat avec le fantôme de
Marx », Weber soutenait que
les circonstances économiques
à elles seules ne peuvent
pas expliquer la montée
du capitalisme. Comme
il le montre dans L’éthique
protestante et l’esprit du
capitalisme (1904-1905),
les développements survenus
dans le domaine religieux
ont eu des conséquences
involontaires, mais propices
au développement du capitalisme
dans certaines régions de
l’Europe. Il a aussi affirmé que
le capitalisme ne céderait pas
nécessairement la place au
socialisme. Il voyait plutôt dans
la croissance de la bureaucratie
et la « rationalisation » générale
de la vie des caractéristiques
déterminantes de l’ère moderne.
Il développe ces thèmes
dans Économie et société
(1971).
L’idée voulant que l’interprétation subjective et les motivations entrent en ligne de
compte dans toute analyse sociologique complète n’est qu’une des contributions
de Weber à la théorie sociologique. Weber était aussi un important théoricien du
conflit, comme il en est question plus loin dans cet ouvrage. Pour l’instant, il suffit
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
de retenir que l’importance qu’il a accordée à l’interprétation subjective a trouvé un
terreau fertile en Amérique du Nord à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle,
parce que ses idées ont eu une profonde résonance dans la culture individualiste
nord-américaine. Il y a un siècle, la plupart des gens croyaient que le talent personnel et l’initiative permettaient d’accomplir à peu près n’importe quoi. La sociologie
nord-américaine a donc largement consacré ses débuts à l’individu ou, plus précisément, à la relation qu’entretient l’individu avec la société.
Quelques sociologues s’intéressent à la dimension subjective de la vie sociale. Ils
travaillent dans le champ de l’interactionnisme symbolique, une école de pensée
qui doit son nom au sociologue Herbert Blumer (1900-1986), qui eut George Herbert
Mead (1863-1931) pour professeur à l’Université de Chicago. Cette école de pensée
comporte quatre dimensions.
1.L’interactionnisme symbolique s’intéresse à la communication interpersonnelle
dans les microstructures sociales, et se distingue à cet égard du fonctionnalisme
et de la théorie du conflit.
2.L’interactionnisme symbolique pose que la vie en société est uniquement possible parce que les gens accordent une signification aux choses. Par conséquent,
l’explication adéquate du comportement social passe par la compréhension de
l’interprétation que les gens font de leurs propres circonstances sociales.
3.L’interactionnisme symbolique souligne que les gens contribuent à créer leurs
situations sociales plutôt que de simplement y réagir. Erving Goffman (1922-1982)
a été l’un des interactionnistes symboliques les plus influents du xxe siècle. Son
approche « dramaturgique » de l’interactionnisme symbolique lui a valu une réputation internationale. Cette approche met l’accent sur la façon dont les gens se
présentent à des inconnus et gèrent leur identité de manière à produire l’impression
voulue sur leur « auditoire », comme le font les acteurs. Pour Goffman, l’interaction
sociale se rapproche d’une pièce de théâtre, avec sa scène, ses coulisses, ses rôles
définis et ses accessoires. Dans cette pièce, l’âge, le sexe, l’origine ethnique de même
que d’autres caractéristiques de la personne peuvent contribuer à orienter ses
actions, mais il reste néanmoins une grande place à la créativité (Goffman, 1959).
4.En s’intéressant à l’interprétation subjective que font les gens dans des circonstances
sociales courantes, les interactionnistes symboliques arrivent parfois à valider des
points de vue impopulaires ou non officiels. Cette démarche aide à comprendre
et à mieux tolérer les gens qui peuvent sembler différents.
Le tableau 1.1 indique le niveau d’analyse, l’intérêt principal et la question principale des trois traditions théoriques sur la société.
TABLEAU 1.1
Trois traditions théoriques sur la société
Tradition
théorique
Principaux
niveaux d’analyse
Intérêt
principal
Principale
question
Fonctionnalisme
Macro
Valeurs
Comment les institutions
sociales contribuent-elles
à la stabilité et à l’instabilité
sociales ?
Conflit
Macro
Inégalité
Comment les groupes privilégiés cherchent-ils à préserver
leurs avantages et les groupes
subordonnés, à améliorer les
leurs, souvent en provoquant
des changements sociaux ?
Interactionnisme
symbolique
Micro
Interprétation
Comment les individus
communiquent-ils pour donner
un sens à leur environnement
social ?
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première partie
Sociologues et société : le cas du Québec
La sociologie est née en Europe dans le sillage des révolutions scientifique, industrielle et démocratique. Durkheim, Marx et Weber ont ainsi réfléchi, chacun selon
sa perspective, sur leur société et sur les transformations qu’elle subissait. Plus tard,
les sociologues canadiens-français puis québécois se sont à leur tour penchés sur la
société dont ils étaient issus. Découvrons quatre de ces sociologues, en prenant soin
d’inscrire leurs réflexions dans le contexte social et historique qui les a vus naître.
La sociologie doctrinale des pionniers et la promotion d’un ordre social catholique (1920-1945)
À l’aube du xxe siècle, la société qu’on appelait alors le « Canada français » était, à
tous points de vue, dépendante et précaire. C’était une nation conquise qu’on avait
intégrée à l’État fédéral canadien en 1867. C’était un petit peuple secoué par l’industrialisation de son voisin américain capitaliste. (Entre 1840 et 1930, près d’un
million de Canadiens français ont émigré en Nouvelle-Angleterre.) La population
du Canada français était composée essentiellement de paysans peu scolarisés et de
nouveaux citadins contraints de travailler en usine pour subvenir aux besoins de
leur famille. Cependant, c’était aussi une collectivité fortement soudée par le catholicisme, la première moitié du siècle ayant été marquée par la domination de l’Église
catholique, une religion qui lui conférait une unité et une identité très fortes.
Dans un tel contexte, des membres du clergé, des regroupements de la jeunesse catholique et du mouvement nationaliste se sont efforcés de faire de la science sociale
naissante un outil scientifique pour contrer la misère des travailleurs. Il s’agit alors,
selon Jean-Philippe Warren (2002), d’une sociologie dite « doctrinale » qui reposait
en grande partie sur la doctrine sociale de l’Église catholique. L’enseignement et la
diffusion de la sociologie se sont donc faits, dans un premier temps, à l’extérieur
des cadres universitaires. Les buts de cette sociologie étaient l’action sociale et la
promotion d’un ordre social catholique.
La sociologie réformiste de la première génération de sociologues
diplômés et la thèse de la folk society (1945-1960)
Cette période a d’abord été marquée par l’institutionnalisation de la sociologie dans
le milieu universitaire. C’est en 1943 que le père Lévesque — pour qui « Dieu [était]
le plus grand sociologue » — a mis sur pied une première faculté des sciences sociales
à l’Université Laval. Toute une génération de sociologues formés dans des universités américaines ou européennes, dont Jean-Charles Falardeau (1914-1989), Fernand
Dumont (1927-1997), Guy Rocher (né en 1924) et Marcel Rioux (1919-1992), s’est
alors affairée à fonder départements, revues et associations, à établir des alliances
avec la communauté savante internationale, à enseigner et à s’engager dans des recherches sur le Canada français. Prenant leurs distances avec la sociologie doctrinale,
ces maîtres se sont notamment inspirés des monographies du village de Saint-Denis
(Horace Milner, 1939) et de la ville de Drummondville (Everett C. Hughes, 1943).
Il en a résulté un premier portrait sociologique du Canada français appréhendé comme
société globale. On parlait alors de la folk society, c’est-à-dire d’une société traditionnelle (simple, archaïque, paysanne), souffrant d’un retard considérable sur les
autres sociétés nord-américaines. Une culture conservatrice caractérisée par sa peur
du changement et par un manque d’esprit d’entreprise. Il va sans dire que ce constat
d’une société retardataire a inspiré tout un programme de réformes. Une bonne part
d’entre elles se sont réalisées au cours de la décennie suivante.
La sociologie « modernisatrice » d’une société devenue « québécoise » (1960-1970)
Pendant cette décennie, véritable âge d’or de l’intelligentsia du progrès social, des
spécialistes des sciences sociales, des écrivains, des chansonniers et des essayistes
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Maintenir le cap grâce à la sociologie
ont contribué à transformer non seulement les représentations que se faisaient
d’eux-mêmes les Canadiens français — qui devenaient des « Québécois » —, mais
aussi les institutions qui les définissaient jusqu’alors. C’est ce qu’on a appelé la
Révolution tranquille (1960-1970). En l’espace de quelques années, on a assisté à
la transformation des structures sociales et de la mentalité collective, une transformation qui s’était par ailleurs lentement amorcée dès les années 1940. Ainsi l’État
québécois, intervenant dans toutes les sphères de la vie collective, a-t-il pris le relais
de l’Église, devenant le nouveau mode d’action de la société sur elle-même.
Des sociologues ont alors intégré la fonction publique ou, comme Marcel Rioux et
Guy Rocher, ont siégé à d’importantes commissions d’enquête et élaboré des réformes majeures, celle du système d’éducation, notamment. D’autres ont milité
dans des mouvements sociaux ou des partis politiques.
Guy Rocher (1924- )
Marcel Rioux (1919-1992)
Fernand Dumont a quant à lui multiplié les interventions publiques dans les médias
pour donner la parole aux gens du milieu ouvrier dont il était issu. Selon ce grand
auteur, qui fut à la fois chrétien engagé, humaniste, poète, philosophe et sociologue,
la science trouve sa légitimité dans la construction d’un monde qui a du sens, audelà des clivages de classes et de revenus. (Dumont, 1969)
Alors que le catholicisme se voyait fortement ébranlé et ne suffisait plus à rassembler les Québécois, Dumont a craint que la Révolution tranquille n’amène une
« désintégration des cultures » au profit d’une culture de masse véhiculée par la publicité et les médias. Il a traité de cette perte de tradition et de mémoire, d’une déshumanisation et d’une dépolitisation du monde dans son livre le plus important, Le
lieu de l’homme (Dumont, 1968). Il a alors élaboré une théorie de la culture dont
se sont inspirées des générations de sociologues et de philosophes tellement que
les interrogations qu’on y trouve sont justes, universelles et encore terriblement actuelles. Cette période d’intenses changements a produit un second portrait du
Québec comme société globale, celui que résume Marcel Rioux dans La question
du Québec (Rioux, 1969) : une société colonisée et aliénée dans un système fédéral
canadien refusant de reconnaître la nation québécoise.
De la question nationale à la question des classes sociales (1970-1980)
Avec les bouleversements idéologiques de la Révolution tranquille, le nationalisme
culturel et conservateur a cédé le pas à un nationalisme progressiste, davantage
d’ordre politique et économique. Lorsque le mouvement nationaliste a pris son essor
au début des années 1970, les sociologues se sont attardés davantage à la question
nationale et aux causes de l’aliénation collective des Québécois. Et si la grande majorité des sociologues était sympathique à la cause de l’indépendance nationale, plusieurs d’entre eux ont cependant fait valoir la primauté de la question sociale sur la
question nationale en s’appuyant sur une grille d’analyse marxiste. À cette époque
est venu s’ajouter à l’idéal indépendantiste celui d’un « socialisme d’ici et à visage
humain ». Comparativement à ses deux confrères, Marcel Rioux s’est beaucoup inspiré de la tradition sociologique marxiste.
Fernand Dumont (1927-1997)
Guy Rocher, lui, était moins un militant qu’un professeur de vocation. Diplômé
de Harvard, il possédait une vaste culture qu’il a transmise au fil des années à des
milliers d’étudiants. Son importante Introduction à la sociologie générale, publiée
en trois volumes en 1969 et traduite ensuite dans plusieurs langues, constitue un
éloquent témoignage de ses exceptionnelles aptitudes pédagogiques.
Au lendemain de l’élection du Parti québécois, en 1976, René Lévesque a confié à
Rocher et à Dumont une lourde tâche : la rédaction du Livre blanc sur la culture, lequel
sera à l’origine de la Charte de la langue française et de la désormais célèbre loi 101.
Les années 1970 ont ainsi vu la pratique sociologique se professionnaliser définitivement et prendre une ampleur inédite : les sociologues, jamais aussi nombreux,
se sont retrouvés partout dans l’appareil public et parapublic : cégeps, syndicats,
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première partie
mouvements sociaux et organismes communautaires. Ils ont fondé des revues savantes, mais aussi des magazines culturels et sociopolitiques. En conséquence, la
production sociologique a été imposante et diversifiée, et elle s’est principalement
définie en rapport avec la tradition marxiste. Le portrait du Québec qui ressort de
cette période mouvementée est celui d’une société opposant moins des nations que
des classes sociales antagonistes.
La sociologie contemporaine : entre utilitarisme et humanisme (1980-)
À partir des années 1980, la société québécoise est entrée dans une nouvelle ère.
D’une part, la première défaite référendaire au Québec et le puissant vent de droite
qui a balayé tout l’Occident ont marginalisé les idéaux nationaliste et socialiste de
libération nationale et de justice sociale. D’autre part, la révolution des droits individuels et le phénomène de la mondialisation ont remis en question le rôle de l’État
et du politique dans l’organisation et l’orientation de la société. La sociologie et les
sociologues n’en sont pas sortis indemnes.
C’est que les sciences sociales ont pour but, comme le soulignait Dumont, d’éclairer
des projets politiques et de rechercher une vérité générale sur la nature de la société et de la vie en société. Or, non seulement tout un pan de la sociologie avait-il
abandonné depuis longtemps ce dessein, mais, pire encore, les conditions sociales
permettant de le poursuivre étaient alors nettement défavorables. La sociologie s’est
retrouvée, à l’image des sociétés occidentales, dans une période de crise.
Un des symptômes les plus aigus de cette crise est la domination du caractère utilitariste de la sociologie. La sociologie renonce, en effet, à définir son objet (la « société »)
et se transforme en une sorte de technologie sociale, un savoir spécialisé, efficace
et « utile ». Les sociologues deviennent des ingénieurs sociaux chargés de résoudre
des problèmes : le décrochage scolaire, les failles du service de santé, la violence
familiale, le profilage racial, etc.
Est apparu à la fin des années 1980 un second courant dit « herméneutique et critique ». L’herméneutique consiste à étudier la société à travers le discours qu’elle
entretient sur elle-même. Par exemple, dans L’histoire en trop. La mauvaise conscience
des souverainistes québécois (2002), Jacques Beauchemin « ne cite aucun chiffre,
ni aucune réalité objective quantifiée. Il ne traite que de référence collective, de
fondement éthique, de récit identitaire et de normes du vivre-ensemble » (Warren,
2006, p. 241). Par critique, on entend un questionnement moral et politique, et
un retour à certaines valeurs humanistes (justice, liberté, solidarité et démocratie).
Ainsi, dans Le monde enchaîné (1999), Éric Pineault analyse le discours économique
d’un ensemble d’organisations internationales (Organisation de coopération et de
développement économiques, Fonds monétaire international, Banque mondiale) en
pourfendant une mondialisation au seul service d’une nouvelle classe dominante.
Dans cette dernière perspective, il faut présenter un dernier sociologue qui a influencé
les travaux de nombreux chercheurs en sciences sociales depuis la fin des années 1980 :
Michel Freitag. Québécois d’origine suisse, l’auteur de Dialectique et société (1986)
veut renouer avec la pensée théorique générale et synthétique qui était celle des
premiers grands sociologues. « On ne peut baisser les bras devant l’exigence de penser
le monde, affirme-t-il. Il n’est pas plus déplacé de vouloir comprendre la société
actuelle dans sa spécificité et ses orientations historiques que ça l’était pour les classiques du xixe et du début du xxe siècle. » (Baillargeon, 1992)
Freitag a donc travaillé à construire un modèle d’interprétation de l’histoire des
sociétés humaines et une théorie critique des transformations des sociétés contemporaines. Plus précisément, il a élaboré une typologie des sociétés (primitive, archaïque, traditionnelle, moderne et postmoderne) et il a décrit la façon dont les
sociétés assurent leur cohésion et leur reproduction dans le temps. Il en a conclu
que les sociétés occidentales du xxie siècle sont engagées dans une forme inédite
d’organisation sociale : la postmodernité.
Michel Freitag, (1935-2009)
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Maintenir le cap grâce à la sociologie
Dans la société postmoderne, ce n’est plus l’institution politique qui a seule la tâche
de formuler des normes communes et d’orienter la société. Au cours des dernières
décennies du xxe siècle, on a assisté à une érosion du pouvoir législatif de l’État
et à l’émergence de puissances privées comme les corporations transnationales.
Les changements ne se font plus en fonction de grands idéaux comme la justice,
la liberté et l’égalité, mais en fonction d’objectifs particuliers comme la rentabilité
ou l’efficacité, etc. C’est probablement la rupture la plus importante avec la société
moderne.
Freitag, comme Dumont, Rocher et Rioux, n’a donc pas tourné le dos au but que se
sont donné les sciences sociales à l’origine : chercher à comprendre, par un effort de
réflexion rationnelle, cette totalité qu’on appelle une « société ». Il tente ainsi d’infléchir les normes qui la guident afin que celles-ci ne soient pas indignes de ce que la
meilleure part de l’humanité a fait de nous, êtres humains.
L’application des trois perspectives théoriques :
le problème de la mode
En 2002, le Wall Street Journal entrevoyait le retour possible du grunge (Tkacik,
2002). Depuis 1998, le style Britney Spears — ventre exposé, mèches blondes, large
ceinture, sac à main à paillettes, chaussures à semelles compensées ou baskets d’entraînement Sketchers — constituait l’une des principales modes parmi les préadolescentes et les adolescentes de la classe moyenne blanche. Or, en 2002, une nouvelle
star, Avril Lavigne, a pris d’assaut le palmarès de la musique pop. Mise en nomination pour le prix Grammy de la découverte de l’année en 2003, la jeune planchiste
punk de Napanee, en Ontario, affichait à 17 ans un style dépenaillé et décoiffé.
Lavigne affectionne les vieux t-shirts et les maillots portés sous des chemises à carreaux et à boutons à pression du plus pur style années 70, les jeans à taille basse et
les pantalons amples, qu’elle accessoirise de cravates, d’un portefeuille fixé à une
chaîne et, en guise de chaussures, des baskets Converse Chuck Taylor. Le style rappelle l’allure grunge du début des années 1990, à l’époque où Nirvana et Pearl Jam
faisaient les beaux jours de MTV et où Kurt Cobain régnait sur la scène musicale.
Pourquoi les tendances éblouissantes de l’ère pop ont-elles cédé une part de marché au néo-grunge ? Qu’est-ce qui, en général, explique les changements de mode ?
La perspective sociologique propose plusieurs points de vue intéressants sur la
question (Davis, 1992).
Jusque dans les années 1960, le fonctionnalisme était l’approche sociologique usuelle
pour examiner les fluctuations de la mode. L’optique fonctionnaliste voyait la mécanique de la mode de la façon suivante : chaque saison, les grands couturiers de
Paris, Milan, New York et Londres présentaient de nouveaux styles. Certains, parmi
ces derniers, trouvaient preneurs auprès de la clientèle exclusive des maisons de
haute couture. Le principal intérêt de porter des vêtements signés et hors de prix
consistait, pour la clientèle riche, à se démarquer de ses concitoyens moins fortunés. La mode remplissait ainsi une fonction sociale importante. En permettant aux
gens d’un autre rang social de se distinguer, la mode contribuait à préserver l’organisation sociale selon la classe. À partir du xxe siècle, cependant, la technologie a
permis à l’industrie du vêtement de se moderniser, si bien que les copies à bon prix
ont mis peu de temps à envahir le marché et à descendre les échelons jusqu’aux
classes populaires. Il devenait donc nécessaire de renouveler fréquemment la mode
afin qu’elle continue à remplir son rôle de régulateur des classes sociales. Voilà qui
expliquait les fluctuations de la mode.
L’analyse proposée par la théorie fonctionnaliste offrait une lecture plutôt juste
du fonctionnement des modes vestimentaires jusque dans les années 1960. Or, à
cette époque, la mode s’est massifiée. Paris, Milan, New York et Londres sont toujours d’importants pôles de l’industrie de la mode. Toutefois, les nouvelles modes
proviennent de plus en plus des classes inférieures, des minorités raciales et des
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première partie
groupes ethniques, ou encore de personnes qui méprisent la haute couture. Les
classes supérieures sont presque aussi susceptibles d’adopter des modes provenant
d’à peu près n’importe où, y compris des classes inférieures. Par conséquent, la
théorie fonctionnaliste n’offre plus d’explication satisfaisante aux cycles de la mode.
Certains sociologues ont trouvé dans la théorie du conflit une autre vision de l’univers de la mode. Les théoriciens du conflit voient généralement dans les cycles de
la mode des moyens, pour les propriétaires de l’industrie, d’engranger d’énormes
profits. Les maîtres de l’industrie lancent de nouveaux styles et déclarent les vieux
styles démodés parce qu’ils font plus d’argent lorsqu’une majorité de consommateurs est incitée à renouveler sa garde-robe plus souvent. De plus, les théoriciens du
conflit jugent que la mode distrait les gens des nombreux problèmes sociaux, économiques et politiques qui pourraient, autrement, les inciter à exprimer leur mécontentement à l’égard de l’ordre social, voire à se rebeller. Comme les fonctionnalistes,
ils croient que la mode contribue au maintien de la stabilité sociale. Contrairement
à ces derniers, cependant, ils estiment que la stabilité sociale accorde des avantages
aux grands industriels aux dépens, bien sûr, des autres.
Les théoriciens du conflit ont raison sur un point. La mode est effectivement une
énorme machine à dollars. Les propriétaires d’entreprises de mode lancent bel et
bien de nouveaux styles pour faire plus d’argent. Ils ont notamment créé le Color
Marketing Group (ou CMG, que les initiés associent à une mafia de la couleur), un
comité dont les membres se réunissent régulièrement pour contribuer à changer la
palette des préférences chromatiques pour les produits de consommation.
Selon un membre du comité, le CMG veille à ce que les médias de masse, les magazines de mode, les catalogues, les foires d’exposition consacrées à l’habitation
et les grandes chaînes de vêtements présentent tous les mêmes choix de couleurs
(Mundell, 1993).
Cela dit, le CMG et autres groupes d’influence de l’industrie de la mode ne sont pas
tout-puissants. Il suffit de se rappeler Elle Woods, le personnage qu’incarnait Reese
Witherspoon dans Legally Blonde, déclarant, après avoir convaincu Cameron Diaz
de ne pas acheter un abominable pull angora : « Celui qui a dit que l’orangé était le
nouveau rose est gravement perturbé. » Comme beaucoup de consommateurs, Elle
Woods rejetait les conseils de l’industrie de la mode. D’ailleurs, certains courants
lancés par l’industrie n’ont jamais percé, l’exemple le plus éloquent étant celui de la
robe midi (dont l’ourlet descendait jusqu’à mi-mollet) mise sur le marché au milieu
des années 1970. Malgré l’énorme campagne publicitaire dont elle a fait l’objet, la
plupart des femmes ont refusé de l’acheter.
Cette analyse souligne l’un des principaux problèmes que pose l’interprétation selon
la théorie du conflit : elle suppose — à tort — que les décisions en matière de mode
viennent d’en haut. La réalité est bien plus complexe. La mode est en partie orientée
par les consommateurs. On comprend mieux cette idée en considérant le vêtement
comme une forme d’interaction symbolique, une sorte de langage non verbal qui
permet d’exprimer son identité et de se renseigner sur les autres.
Si les vêtements parlent, le sociologue Fred Davis est sans doute celui qui, à notre
époque, a le plus contribué à décoder leur langage (Davis, 1992). Selon Davis, l’identité d’une personne n’est jamais achevée. Il est vrai que la conscience de soi vient
avec l’âge. Chacun en vient à se percevoir comme faisant partie d’une famille, d’une
profession, d’une collectivité, d’une classe, d’un groupe ethnique et d’un pays, ou
même de plusieurs pays. Chaque individu intègre des modèles de comportements
et des croyances propres à chacune de ces catégories sociales. Néanmoins, ces catégories changent avec le temps, tout comme les gens le font en vieillissant et en évoluant à l’intérieur de ces groupes. Aussi l’identité fluctue-t-elle constamment. L’individu devient souvent anxieux ou incertain à l’égard de son identité. Les vêtements
l’aident à exprimer son identité changeante. Par exemple, ils peuvent révéler la disponibilité sexuelle, un penchant pour le sport, une nature prudente et bien d’autres
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Maintenir le cap grâce à la sociologie
choses ; ce faisant, ils indiquent aux autres comment l’individu souhaite être vu, de
même que le type de personnes qu’il désire fréquenter. Tôt ou tard, une personne
devient moins prudente, plus disponible sur le plan sexuel, etc. Son style vestimentaire risque bien de refléter ce changement en changeant lui aussi. (Bien sûr, les
messages qu’une personne tente d’envoyer sont sujets à interprétation et peuvent
aussi être mal compris.) L’industrie de la mode carbure à l’ambiguïté qui sommeille
en chacun et déploie beaucoup d’énergie à tenter de discerner les nouveaux styles
susceptibles de répondre aux besoins d’extériorisation du moment. C’est ainsi qu’en
misant sur le besoin d’extériorisation qu’éprouvaient de nombreuses jeunes filles à
la fin des années 1990, Britney Spears a touché une corde sensible.
Au cours des dernières années, une interprétation féministe plus compatible avec
l’interactionnisme symbolique est venue s’ajouter à la vision féministe traditionnelle
(« Why Britney Spears Matters », 2001). Certaines féministes saluent maintenant ce
girl power que les Spice Girls ont cristallisé en 1996 avec la chanson Wannabe. À
leurs yeux, Britney Spears fait partie de ce mouvement. Sa musique, ses chorégraphies et sa tenue vestimentaire expriment une assurance et une confiance en soi en
parfait accord avec le rôle moins soumis et plus indépendant que les filles ont décidé
de s’attribuer. Les uppercuts et les coups de pied de Spears, et ses succès comme
Stronger, lancé en 2000, parlent de la prise en main personnelle des jeunes femmes.
À des lieues de ces prouesses physiques et musicales, des féministes croient que de
nombreuses jeunes filles adorent Britney Spears parce qu’elle les aide à exprimer
leur propre pouvoir social et sexuel. L’interactionnisme symbolique des interprétations féministes de la mode nous aide à voir plus clairement les ambiguïtés identitaires qui sous-tendent toute nouvelle mode.
Notre analyse de la mode montre que chacune des trois perspectives théoriques — le
fonctionnalisme, la théorie du conflit et l’interactionnisme symbolique — contribue
à clarifier des aspects différents d’un phénomène social. Cela ne signifie pas que
chaque perspective soit toujours également valide. Les interprétations découlant
des diverses perspectives théoriques sont souvent incompatibles. Elles offrent des
interprétations concurrentes d’une même réalité sociale.
La recherche
Théoriser sans faire de recherche, c’est comme peindre un portrait sans peinture.
Qu’importe si vous tenez une idée spectaculaire pour réaliser le portrait, vous ne
saurez jamais qu’elle vaut le coup à moins de relever vos manches et d’appliquer
votre idée sur la toile. De même, les sociologues mènent des recherches pour voir
comment leurs théories s’appliquent à la réalité.
Les conditions sociales teintent souvent les conjectures théoriques. Pensons, par
exemple, à l’influence de la Crise de 1929 sur les fonctionnalistes et à celle du radicalisme des années 1960 sur les théoriciens du conflit. Les valeurs personnelles
des théoriciens entrent aussi en jeu lorsqu’ils formulent des théories. Il convient de
se rappeler comment les convictions des théoriciens depuis Comte ont contribué à
l’élaboration de théories. Faut-il en conclure que les théories ne sont que des spéculations subjectives ? Pas du tout. Les sociologues disposent d’une arme puissante
pour se mettre à l’abri des préjugés et pour évaluer la validité de théories : la recherche
scientifique.
Avant d’entreprendre une recherche, les choses apparaissent rarement telles qu’elles
sont vraiment. Le processus de recherche donne lieu à une sorte de valse. La subjectivité mène la danse, l’objectivité suit. Quand la danse s’achève, la vision des choses
se précise. Comme en témoigne l’évolution de la pensée sociologique, les expériences
subjectives améliorent souvent la connaissance sociologique objective et mènent à
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première partie
la découverte de nouveaux problèmes et de nouvelles solutions à de vieux problèmes.
Reconnaître que les expériences vécues inspirent des questions précises sur l’univers social n’est pas la même chose que dire que ces questions, ou les réponses qui
finissent par émerger, sont faussées. Les partis pris surgissent en l’absence d’une
prise de conscience de la subjectivité. Le but de la recherche est précisément d’aider
les chercheurs à prendre conscience de leurs préjugés et à soumettre des théories
à l’observation systématique de l’univers social, par des expériences que d’autres
chercheurs pourront répéter pour en vérifier la démarche. La recherche permet de
rejeter des théories et d’en modifier d’autres, et force à en inventer de nouvelles.
Après avoir présenté les principales approches théoriques en sociologie, nous voici
prêts à aborder le processus de recherche.
Le cycle de la recherche
Idéalement, la recherche en sociologie est une démarche cyclique comprenant six
étapes (figure 1.6). Les sociologues commencent par formuler une question de recherche. La question de recherche doit être énoncée de façon à ce qu’il soit possible
d’y répondre par la collecte et l’analyse systématique de données sociologiques.
La recherche sociologique ne permet pas de déterminer si Dieu existe ou si un système politique est meilleur que les autres. Il faut des convictions, bien plus que des
preuves, pour répondre à ces questions. La recherche sociologique peut cependant
déterminer pourquoi certaines personnes ont plus la foi que d’autres, de même
qu’elle peut cerner le système politique qui offre le plus de possibilités de faire des
études supérieures. Il faut des données, bien plus que de la foi, pour répondre à ces
questions.
La deuxième étape consiste à relire les rapports de recherche existants. Les chercheurs doivent formuler leurs questions de recherche à la lumière des débats et des
découvertes que d’autres sociologues ont déjà faits. Pourquoi ? Parce que la lecture
de comptes rendus de recherche pertinents permet aux chercheurs de préciser leurs
questions initiales et leur évite de refaire ce qui a déjà été fait.
Le choix de la technique est la troisième étape du cycle de la recherche. Chaque technique de collecte de données comporte des forces et des faiblesses. Par conséquent,
1. Formulation
de la question
6. Compte rendu
des résultats
2. Révision des comptes
rendus de recherches
existants
5. Analyse
des données
3. Choix de la
technique de
recherche
4. Collecte
des données
FIGURE 1.6
Le cycle de la recherche
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
chaque technique convient davantage à l’étude de problèmes de natures différentes.
Les chercheurs doivent, lorsqu’ils choisissent une technique, tenir compte de ces
forces et de ces faiblesses.
Durant la quatrième étape du cycle de la recherche, les chercheurs collectent des
données en observant des sujets, en ayant des entretiens avec eux, en lisant des
documents qui les concernent ou qu’ils ont produits, etc. Pour de nombreux chercheurs, cette étape est la plus passionnante du cycle parce qu’elle les place au cœur
de l’intrigante réalité sociologique, celle-là même qui les fascine tant.
D’autres chercheurs voient dans l’analyse des données, la cinquième étape du cycle
de la recherche, l’étape la plus difficile. L’analyse des données peut révéler des
choses que tout le monde ignorait jusque-là. À cette étape, les données recueillies et
analysées confirment certaines attentes et en réduisent d’autres à néant, obligeant
ainsi les chercheurs à réfléchir différemment à des questions déjà étudiées, à revoir
la documentation théorique et les comptes rendus de recherche, et à renoncer à certaines idées de prédilection.
La recherche ne rend pas service à la communauté des sociologues ni à la société en
général si les chercheurs n’accomplissent pas la sixième étape, qui est la publication
des résultats dans un compte rendu, une revue scientifique ou un livre. La publication remplit une autre fonction importante : elle permet à d’autres sociologues de
scruter et de critiquer la recherche. Cette démarche permet de corriger des erreurs et
de formuler de nouvelles questions plus raffinées en vue de la prochaine recherche.
La science est une activité sociale régie par des règles bien définies, sous la surveillance de la communauté scientifique.
poUr maiNteNir Le cap
Les fondateurs de la sociologie ont développé leurs idées pour contribuer à résoudre
la grande énigme sociologique de leur époque : les causes et les conséquences de
la révolution industrielle. ce constat soulève deux questions intéressantes : quelles
sont les grandes énigmes sociologiques de notre époque ? comment les sociologues
d’aujourd’hui relèvent-ils les défis que présente le contexte social dans lequel nous
vivons ? La suite de cet ouvrage a pour objectif de répondre à ces questions.
nous aurions tort de supposer que les recherches des dizaines de milliers de sociologues partout dans le monde ne sont motivées que par quelques enjeux clés. vue
de plus près, la sociologie d’aujourd’hui est une entreprise animée de centaines
de débats théoriques, certains portant sur des enjeux pointus associés à des secteurs particuliers ou à des régions précises, alors que d’autres s’attardent sur de
grands enjeux caractéristiques, semble-t-il, de l’époque historique que vit l’humanité. deux grands enjeux se distinguent particulièrement. Les plus grandes énigmes
d’aujourd’hui sont probablement les causes et les conséquences de la révolution
postindustrielle et de la mondialisation.
La révolution postindustrielle est la transition provoquée par la technologie du
travail en usine vers le travail de bureau, et les conséquences de ce changement sur
presque toutes les activités humaines (Bell, 1973 ; toffler, 1990). par exemple, dans
la foulée de la révolution postindustrielle, les emplois non manuels sont maintenant
plus nombreux que les emplois manuels, et les femmes ont accédé en grand nombre
aux études supérieures et au travail rémunéré. ce changement a transformé le travail, les études, le niveau de vie, la famille et bien d’autres choses. par ailleurs, la
mondialisation est le processus par lequel des économies, des états-nations et des
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première partie
cultures auparavant distincts deviennent liés, et par lequel des peuples prennent
de plus en plus conscience de leur interdépendance grandissante (Giddens, 1990 ;
Guillén, 2001). Au cours des dernières décennies, particulièrement, l’augmentation
rapide des échanges commerciaux, des communications et des voyages internationaux a mis un terme à l’isolement et à l’indépendance de la plupart des pays et des
peuples. Le développement de nombreuses institutions qui lient les grandes sociétés, les entreprises et les cultures contribue aussi au phénomène de mondialisation.
Ces processus ont amené les gens à dépendre plus que jamais de gens d’autres pays
pour obtenir des produits, des services, des idées, voire une identité.
De l’avis de certains sociologues, la mondialisation et l’ère postindustrielle laissent
entrevoir d’excitantes promesses d’amélioration de la qualité de vie et d’accroissement de la liberté individuelle. Or, ces mêmes sociologues observent aussi de
nombreuses barrières structurelles à la concrétisation de ces promesses. On peut
représenter les promesses et les barrières au moyen d’une boussole dotées de quatre
pôles, tel qu’on l’illustre à la figure 1.7. Chacun des axes de la boussole oppose
une promesse et la barrière à sa réalisation. L’axe vertical oppose la promesse de
l’égalité des chances à la barrière de l’inégalité des chances. L’axe horizontal oppose
quant à lui la promesse de la liberté à la barrière de la contrainte. Examinons ces
axes en détail puisque l’essentiel de notre propos des prochains chapitres y a trait.
Égalité des chances
Contrainte
Liberté
Inégalité des chances
FIGURE 1.7
Les pôles sociologiques
L’égalité des chances contre l’inégalité
Les optimistes prédisent que l’ère postindustrielle offrira aux gens de meilleures
chances de trouver un emploi créatif, intéressant, stimulant et gratifiant. De plus,
elle favorisera une plus grande égalité des chances, c’est-à-dire une chance accrue
pour tous de s’instruire, d’influencer les politiques gouvernementales et de trouver
un bon emploi.
Les prochains chapitres fournissent des preuves à l’appui de ces prétentions. Par
exemple, nous montrons que le niveau de vie moyen et le nombre de bons emplois
augmentent dans les sociétés postindustrielles comme le Canada. Les femmes prennent leur place dans l’économie, le système éducatif et les autres institutions. Les
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
sociétés postindustrielles se caractérisent par un déclin de la discrimination à
l’égard des minorités ethniques alors que la démocratie se répand dans le monde.
Les personnes vivant dans une pauvreté extrême représentent un pourcentage de
plus en plus faible de la population mondiale. Or, la lecture de cet ouvrage permet
de constater que toutes ces présumées bonnes nouvelles ont un sombre revers.
Par exemple, il semble bien que le nombre d’emplois routiniers mal rémunérés et
dépourvus d’avantages augmente plus rapidement que le nombre d’emplois créatifs
et bien rémunérés. Au Québec, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres s’est
creusé au cours des dernières décennies. Sur le plan des perspectives d’avenir, un
abîme sépare encore les hommes et les femmes. Le racisme et la discrimination
demeurent très présents dans le monde. De même, à l’échelle mondiale, le nombre
absolu de personnes vivant dans la plus grande pauvreté continue d’augmenter,
tout comme se creuse le fossé qui sépare les pays riches et les pays pauvres. De
nombreuses personnes attribuent les plus grands maux de la planète à la mondialisation. Elles ont formé des organismes et des mouvements — dont le mouvement
« altermondialiste » — pour s’y opposer. Bref, l’égalité des chances est sans aucun
doute un idéal attirant, mais rien n’indique qu’elle est la conséquence incontournable d’une société postindustrielle mondialisée.
La liberté individuelle contre la contrainte
Le même constat s’applique à l’idéal de liberté. À une autre époque, la plupart
des gens conservaient leurs identités religieuse, ethnique et sexuelle toute la vie,
même s’ils n’étaient pas tout à fait à l’aise avec elles. Ils demeuraient souvent
dans des relations qui les rendaient malheureux. L’un des principaux thèmes de cet
ouvrage a trait au fait que de nombreuses personnes sont maintenant plus libres
de construire leur identité et de former des groupes sociaux qui leur conviennent.
Plus que jamais, il est possible à un individu de choisir les personnes qu’il souhaite fréquenter, celles avec qui il souhaite s’associer et la façon de le faire. L’ère
postindustrielle et mondialisée libère les gens des contraintes traditionnelles en
favorisant la communication instantanée et mondiale, la migration internationale,
une plus grande acceptation de la diversité sexuelle, une variété de modèles familiaux, le développement de grandes villes cosmopolites, etc. Autrefois, par exemple,
les gens restaient généralement dans une union même s’ils en étaient insatisfaits.
Les familles se composaient souvent d’un père salarié et d’une mère qui élevait les
enfants et tenait la maison sans salaire. Aujourd’hui, les gens se sentent plus libres
de mettre un terme à une union malheureuse et de créer des structures familiales
correspondant davantage à leurs besoins individuels.
À nouveau, cependant, il faut tenir compte des aspects moins réjouissants de l’ère
postindustrielle et de la mondialisation. Par exemple, n’y a-t-il pas danger que cette
liberté individuelle prenne la forme d’un individualisme antisocial, c’est-à-dire un
individualisme qui fait de l’individu « le maître d’œuvre d’une stratégie d’autoréalisation dont la société n’est plus que le décor » (Beauchemin, 2004, p. 29) ? De
plus, dans plusieurs chapitres de cet ouvrage, nous soulignons à quel point cette
plus grande liberté n’est possible qu’à l’intérieur de certaines limites, et comment
la forte pression vers la conformité dans certaines sphères de notre vie limite la
diversité sociale. Par exemple, le choix de produits de consommation offerts est
plus vaste que jamais, mais la consommation elle-même apparaît de plus en plus
comme un mode de vie compulsif. C’est en outre un mode de vie qui menace l’environnement naturel. Les grandes bureaucraties impersonnelles et les produits et
services standardisés déshumanisent le personnel comme la clientèle. Les goûts
personnels, mais surtout la quête de profits des grands empires médiatiques, dont
la plupart appartiennent à des intérêts étatsuniens, gouvernent la majeure partie de
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première partie
la consommation culturelle, et il n’est pas erroné de dire qu’ils menacent la survie
de cultures nationales distinctes. Comme l’illustrent ces exemples, la pression vers
la conformité va à l’encontre de la tendance en faveur d’une plus grande diversité
sociale.
Et vous dans tout ça ?
Ce survol des thèmes abordés dans cet ouvrage renforce l’idée selon laquelle nous
vivons une ère suspendue entre d’extraordinaires possibilités et une catastrophe
mondiale (Giddens, 1987). Il faut composer avec une kyrielle d’enjeux environnementaux, de profondes inégalités de richesse entre les pays et les classes, des actes
de violence motivés par la religion ou l’appartenance ethnique et des problèmes
non résolus au chapitre des relations entre hommes et femmes, et tous affectent
profondément la qualité de vie.
D’aucuns pourraient, devant ces problèmes complexes, céder au désespoir et à l’apathie, mais les êtres humains ne choisissent habituellement pas cette avenue. Si
leur nature leur dictait de désespérer, ils seraient encore assis à demi nus dans la
boue, à l’entrée d’une grotte. Les êtres humains ont davantage tendance à chercher
comment ils peuvent améliorer leur sort, et cette période de l’histoire humaine
fourmille de possibilités de le faire. L’humanité a, par exemple, atteint un stade où
elle peut, pour la première fois, nourrir et éduquer toute la population de la planète.
De même, il semble maintenant possible de réduire certaines des inégalités qui ont
toujours été les principales sources de conflit.
La sociologie est de bon conseil à cet égard, car elle constitue bien plus qu’un
exercice intellectuel ; elle est aussi une science appliquée qui trouve des usages
pratiques au quotidien. Les sociologues enseignent à tous les niveaux, de l’école
secondaire à l’université. Ils font des recherches pour les gouvernements locaux,
provinciaux ou territoriaux et fédéraux, mais aussi pour les collèges et les universités, les entreprises, le système de justice pénale, les firmes de sondage de
l’opinion publique, les corporations d’affaires, de conseil en gestion, les syndicats,
les centres de services sociaux, les ONG internationales et les firmes privées de
recherche et d’essais. En outre, ils participent souvent, au sein des gouvernements
et des sociétés, à la formulation de politiques publiques et à la création de lois et
de réglementations. Les sociologues sont habilités à le faire parce qu’ils sont formés
non seulement à observer ce qui est, mais aussi à envisager ce qui pourrait être.
Aussi, voyez donc cet ouvrage comme une invitation à explorer les possibilités
que renferme votre société, et aussi vos propres possibilités. Il ne contient pas de
réponses simples. Cependant, nous sommes convaincus qu’en acceptant de réfléchir
aux questions lancées dans ces pages, vous constaterez que la sociologie peut vous
aider à trouver votre place dans la société et à voir comment vous pouvez contribuer
au changement social.
En quelques mots
1 Durkheim a observé que le suicide apparaît comme un acte antisocial et asocial que les
gens essaient souvent, en vain, d’expliquer par la psychologie. À l’opposé, il a montré que
les taux de suicide sont influencés par le degré d’intégration sociale des groupes dont les
gens font partie. Cette argumentation suggère qu’un monde social distinct influe sur le
comportement humain.
2 La perspective sociologique analyse les trois niveaux de structures sociales : les
microstructures, les macrostructures et les structures globales.
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chapitre 1
Maintenir le cap grâce à la sociologie
3 La sociologie présente trois grandes traditions théoriques. Le fonctionnalisme analyse la
façon dont les macrostructures soutiennent l’ordre social. La théorie du conflit se penche
sur les mécanismes de maintien et de contestation des inégalités sociales. L’inter­ac­tion­
nisme symbolique examine les mécanismes d’interprétation en jeu lorsque les gens com­
muniquent dans les microstructures sociales.
4 L’essor de la sociologie découle des révolutions scientifique, démocratique et industrielle,
et a eu plusieurs influences. La révolution scientifique a amené l’idée que toute conclusion
solide sur les mécanismes de la société doit reposer sur des preuves tangibles plutôt que
sur des conjectures. La révolution démocratique a permis de voir que les gens ont la
responsabilité d’organiser la société et que l’intervention humaine peut par conséquent
résoudre des problèmes sociaux. La révolution industrielle a engendré une gamme de
problèmes sociaux aussi graves qu’inédits, qui ont attiré l’attention de nombreux
théoriciens sociaux.
5 De grandes étapes et de grands auteurs ont marqué l’histoire de la sociologie au Québec.
La sociologie doctrinale des pionniers, qui faisait la promotion d’un ordre social catholique
(1920-1945), a préparé l’institutionnalisation de la sociologie dans l’université de l’AprèsGuerre (1945-1960). La première génération de sociologues, formés dans des universités
américaines ou européennes, dont Jean-Charles Falardeau, Fernand Dumont, Guy Rocher
et Marcel Rioux, a joué un rôle de premier plan dans la modernisation du Canada français
devenu, avec la Révolution tranquille (1960-1970), la société québécoise. Les années
1970 ont été marquées par l’émergence d’une sociologie marxiste davantage orientée sur
la question des classes sociales que sur celle de l’indépendance nationale. Enfin, la
dernière période, qui s’échelonne du début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, est
caractérisée par l’existence de deux grands courants. Le premier, dit « utilitariste », réduit
la sociologie à une sorte de technologie sociale (un savoir spécialisé, efficace et « utile »)
et transforme plus que jamais les sociologues en ingénieurs sociaux chargés de résoudre
des problèmes de l’« environnement social ». Le second, dit « herméneutique et critique »,
étudie la société sous l’angle du discours qu’elle entretient sur elle-même et cherche à
renouer avec certaines valeurs humanistes en s’opposant à l’ordre libéral. Enfin, l’œuvre
de Michel Freitag a influencé les travaux d’un nombre important de chercheurs en
sciences sociales.
6 La recherche en sociologie comporte une dimension subjective. Toutefois, la dimension
subjective de la démarche de recherche n’est pas moins importante que sa dimension
objective. La créativité et la motivation à étudier de nouveaux problèmes selon de
nouveaux points de vue naissent des passions et des champs d’intérêt des chercheurs.
7 La sociologie d’aujourd’hui se concentre sur les causes et les conséquences de l’ère
postindustrielle et de la mondialisation. La révolution postindustrielle est le passage de
l’industrie manufacturière à l’industrie des services, initié par les technologies. La
mondialisation est le processus par lequel des économies, des États-nations et des
cultures auparavant séparés deviennent liés les uns aux autres, et par lequel les peuples
prennent de plus en plus conscience de leur interdépendance grandissante. Les tensions
entre l’égalité et l’inégalité des chances, d’une part, et entre la liberté et la contrainte,
d’autre part, comptent aujourd’hui parmi les principaux champs d’intérêt de la sociologie.
Mots clés
anomie (p. 10)
conscience de classe (p. 17)
éthique protestante (p. 17)
antisocial (p. 5)
corporations transnationales (p. 22)
fonctionnalisme (p. 15)
asocial (p. 5)
critique (p. 21)
herméneutique (p. 21)
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première partie
imagination sociologique (p. 12)
microstructures (p. 12)
sociologie (p. 3)
institutions sociales (p. 19)
mondialisation (p. 26)
structures globales (p. 12)
intégration sociale (p. 6)
patriarcat (p. 12)
structures sociales (p. 12)
intelligentsia (p. 19)
recherche scientifique
(p. 24)
suicide altruiste (p. 7)
révolution industrielle (p. 14)
suicide égoïste (p. 7)
révolution postindustrielle
(p. 26)
théorie du conflit (p. 16)
interactionnisme symbolique
(p. 18)
lutte des classes (p. 16)
macrostructures (p. 12)
suicide anomique (p. 7)
Poursuivre la réflexion
1 Vous avez appris dans ce chapitre comment les variations sur le plan de l’intégration
sociale influent sur le taux de suicide. Selon vous, quel effet ces variations ont-elles sur
d’autres aspects de la vie sociale, comme les comportements criminels et les soulèvements
politiques ?
2 Une science de la société peut-elle exister ? Si votre réponse est oui, quels sont ses
avantages sur le bon sens ? Quelles sont ses limites ?
3 Quelle relation la subjectivité et l’objectivité entretiennent-elles dans la recherche
sociologique ?
4 Croyez-vous que les promesses de liberté et d’égalité se concrétiseront au cours du
présent siècle ? Pourquoi ?
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