travail représente (...) une catégorie socio-historique, non une catégorie anthropologique. »1 En effet,
ce travail-là a été inventé par le capitalisme à partir du moment où l'activité productive humaine a
cessé d'être privée et soumise aux nécessités naturelles. « Ce qui s’est passé au XIXe siècle n’est pas
autre chose que l’invention du travail »2, écrit également Dominique Méda, à qui Danièle Blondel3
reproche pourtant de n’avoir pas compris que Polanyi avait montré que l’invention du capitalisme avait
été le marché du travail et non le travail lui-même. Peut-on trancher le débat ? Si l’on distingue
l’activité productive elle-même et le rapport social dans lequel elle s’exerce, l’invention du travail dont
parlent Gorz et Méda n’est pas autre chose que l’invention du marché du travail décrite par Polanyi.
Pour ce dernier, le fait de considérer le travail comme une marchandise est une fiction qui a permis
justement d’organiser le marché du même nom.4 Cependant, si l’on considère qu’à chaque époque
historique il n’est pas possible de séparer l’activité et le rapport social qui lui permet d’exister, alors,
par analogie avec le capital comme rapport social, le travail est lui-même un rapport social, le même
d’ailleurs que le précédent.5
Il nous faut cependant explorer davantage cette thèse de l’invention du travail au XIXe siècle
parce qu’elle pose des problèmes d’ordre épistémologique, c’est-à-dire concernant les rapports du réel
et de la pensée. Dominique Méda fait de cette idée le cœur d’un grand ouvrage de synthèse récent6.
Selon elle, les auteurs classiques, Smith, Say et Malthus, ont réservé aux seules activités productrices
de richesses matérielles le concept de travail; ainsi, celui-ci « n’est pas le résultat d’une analyse des
situations vécues mais (...) il est construit pour les besoins de la cause, et plus particulièrement déduit
des définitions de la richesse données par les auteurs. (...) Le travail n’est que "ce qui produit la
richesse". Mieux, les caractéristiques du travail sont déduites de ce que les auteurs entendent par
richesse (...), c’est-à-dire une conception extrêmement restrictive de la richesse. »7 Cette citation
appelle plusieurs remarques. Premièrement, Méda a l’air de s’étonner qu’un concept soit une pure
1. GORZ, 1991, p. 113.
2. MEDA, 1994, p. 336.
3. BLONDEL, 1995.
4. POLANYI, 1983, chapitre 6 dont le titre est explicite: « Le marché autorégulateur et les marchandises fictives: travail,
terre et monnaie » ; essentiellement p. 106-108.
5. Dominique Méda utilise également la notion de travail comme rapport social mais sans jamais la relier à son alter ego, le
capital comme rapport social. Cela est significatif de tout un courant de pensée qui demeure en fait au seuil d’une véritable
critique des rapports sociaux : les auteurs parlant de la disparition du travail salarié sont très discrets sur celle du système
social reposant sur le salariat. Nous y reviendrons plus loin.
6. MEDA, 1995-a.
7. MEDA, 1995-a, p. 66. Elle dira un peu plus loin (p. 68) que « le travail sera une catégorie économique, coupée de ses
référents concrets ».