Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Principes de production et d’utilisation des anticorps monoclonaux Principes généraux 1) Définition Un Anticorps monoclonal est dirigé contre un épitope antigénique unique. Cet anticorps est produit par un clone cellulaire issu d’une cellule plasmocytaire unique C’est un anticorps non physiologique, utilisé comme un outil de diagnostic ou thérapeutique. Le principe de l’utilisation des anticorps monoclonaux en thérapeutique repose sur leur spécificité pour l’antigène cible et la haute affinité de la liaison antigèneanticorps. Par ailleurs, il ne s’agit pas, contrairement aux sérums immunologiques, de mélange d’Ac différents. Donc l’Ac d’intérêt s’y trouve à une forte concentration. 2) Les différentes parties fonctionnelles d’un Ac monoclonal Tous les Ac utilisés en thérapeutique appartiennent à la classe des IgG. Sur le plan de l’activité pharmacologique, on distingue deux grandes parties dans la structure de l’Ac : Ø Fragments Fab impliqués dans la reconnaissance de la cible Ø Fragment Fc porteur de différents sites de reconnaissance pour interagir avec des récepteurs impliqués dans diverses fonctions effectrices du système immunitaire et dans la régulation de la demi-vie plasmatique de l’Ac. 1 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier 3) Place des Ac monoclonaux dans l’industrie pharmaceutique Evolution des Ac monoclonaux au cours du temps Nature reviews Immunology 2010, 10 (5), p. 317-327. Les Ac monoclonaux actuellement commercialisés en France : cf annexe tableau 1 2 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Principes de production 1) Le point de départ : technique des hybridomes Köhler et Milstein mettent au point en 1975 la technique des hybridomes. Cette technique permet d’obtenir des Ac monoclonaux d’origine murine qui sont encore produits suivant cette technique pour les Ac utilisés dans le diagnostic. 2) Humanisation des Ac monoclonaux Les premiers Ac utilisés en thérapeutique chez l’homme étaient d’origine murine. Ils ont conduit à un échec thérapeutique pour deux raisons essentielles : Ø Fort pouvoir immunogène lié à l’origine murine de ces Ac Ø Faible capacité à coopérer avec les systèmes immunitaires humains pour mettre en place les différentes propriétés effectrices de l’Ac Une course à l’humanisation des Ac monoclonaux s’est mise en place et progressivement, avec le progrès des biotechnologies a conduit à des Ac entièrement humains 3 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Le pouvoir immunogène des Ac monoclonaux diminue lorsque la fraction d’Ig murine diminue, mais ce pouvoir immunogène n’est pas égal à zéro même avec des Ac 100 % humains en raison d’une immunisation antiidiotype. Type d’Ac % de sujets présentant des Ac réactionnels Ac murins 84 % Ac chimériques 45 % Ac humanisés 30 à 40 % Ac humain 12 % 3) Principes d’obtention des gènes codant pour des Ac monoclonaux 100 % humains Deux technologies sont actuellement présentes : Ø Sélection par la technique de phage display d’Ac présentant une forte affinité pour un Ag donné à partir d’une banque de lymphocytes B humains prélevée sur des donneurs non immunisés Ø Souris transgénique : on a remplacé les gènes du répertoire murin par les gènes codant pour les immunoglobulines humaines et on immunise secondairement la souris avec l’Ag d’intérêt. 4 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Phage display 5 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Souris transgénique 6 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier 4) Nomenclature des Ac monoclonaux Anticorps monoclonaux, molécules thérapeutiques 1) Les différents mécanismes d’action Plusieurs mécanismes d’action ont été décrits et peuvent coexister pour un même Ac ce qui fait de ces molécules des agents pharmacologiques porteurs de différents mécanismes d’action synergiques. Ces mécanismes d’action peuvent se répartir en deux grands groupes : Ø Mécanismes en relation avec l’interaction directe avec la cible Ø Mécanismes effecteurs de la réponse immune cellulaire qui sont des mécanismes généraux non liés à la nature spécifique de l’Ag. 7 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier a) Mécanismes liés à l’interaction avec l’Ag cible Les principaux Ag cibles des Ac actuellement commercialisés sont représentés par : • des facteurs solubles (cytokines le plus souvent) : TNFα, IgE, VEGF.. • des Ag membranaires : récepteurs aux facteurs de croissance (EGFR, HER2/neu), molécules d’adhérence impliquées dans les interactions cellule-cellule (EpCAM, integrine…) et protéines transmembranaires de fonction mal connue (CD20, CD3, CD33…) Inhibition de l’interaction d’un ligand avec son récepteur Blocage stérique du site de fixation du ligand dans un récepteur Internalisation de l’Ag de surface diminuant le nombre d’Ag exprimé à la surface de la cellule Nature Reviews Immunology, 10(5) p. 301-315, Mai 2010 8 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier b) Mécanismes liés aux fonctions effectrices déclenchées par le fragment Fc de l’Ac fixé sur la cellule porteuse de l’Ag cible : cytotoxicité Ac dépendante, cytoxicité complément dépendante et phagocytose Cytotoxicité anticorps dépendante Cytoxicité complément dépendante 9 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Phagocytose des cellules 2) Pharmacocinétique a) Le récepteur FcRn (Fc Récepteur néonatal) Les immunoglobulines sont les protéines possédant la demi-vie la plus longue : 21 jours pour les IgG1, IgG2 et IgG4, de 2,5 à 7 jours pour les autres. Cette persistance longue dans l’organisme s’explique par l’action du récepteur FcRn. Ce récepteur est exprimé à la surface de diverses cellules. Il se lie à une séquence présente sur le fragment Fc des Ig. Le récepteur FcRn est retrouvé à la surface du syncitiotrophoblaste (passage de la barrière transplacentaire) et à la surface des monocytes et cellules endothéliales. 10 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Le récepteur FcRn permet l’endocytose des Ig puis, après un certain temps passé dans le compartiment cellulaire les Ig retourneront dans le flux sanguin. Pendant leur temps de séjour à l’intérieur de ces cellules les Ig sont protégées des systèmes protéolytiques plasmatiques. La vitesse d’élimination des Ig est fonction de leur concentration plasmatique : plus cette concentration est grande, moins leur demi-vie sera importante en raison de la saturation du système FcRn. b) Devenir des Ac dans l’organisme Administration : toujours par voie parentérale. Voie IV ou voie SC. Les Ac ont une faible pénétration tissulaire et se trouvent essentiellement présents dans la circulation sanguine et les liquides extracellulaires Les Ac dirigés contre un Ag membranaire sont éliminés par endocytose dans la cellule porteuse de l’Ag cible. 3) Optimisation thérapeutique De multiples recherches utilisant les nouvelles possibilités de l’ingénieurie des protéines visent à optimiser les propriétés thérapeutiques des Ac. 11 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier 4) Effets toxiques des Ac a) Toxicité en relation avec l’activité pharmacologique Ø Augmentation du risque infectieux avec réactivation de tuberculose latente : effet rencontré avec les Ac antiTNFα, le TNFα étant une cytokine impliquée dans l’immunité antibactérienne innée. Ø Cardiotoxicité du trastuzumab HERCEPTIN : le récepteur ERBB2 (HER2/neu) est amplifié dans 20 à 30 % des cancers du sein métastasés. Le trastuzumab, associé à la chimiothérapie conventionnelle, augmente significativement la survie. Mais ce récepteur ERBB2 est aussi exprimé dans les cardiomyocytes. Il est impliqué dans la prolifération des cardiomyocytes de façon à permettre une régénération du tissu cardiaque. L’effet toxique du trastuzumab sur le myocarde se traduit par une diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche. Cette toxicité cardiaque se manifeste chez 6 à 9 % des patientes lorsqu’utilisé en monothérapie, 9 à 12 % si associé au paclitaxel et 26 à 28 % si associé aux anthracyclines. Effet non décelé dans les essais précliniques chez l’animal. Ø Toxicité cutanée des anticorps anti EGFR : rash cutanés retrouvés dans 90 % des cas de sujets traités par cetuximab ERBITUX avec 16 % de patients présentant une toxicité de grade 3 ou 4 Ø Choc « cytokinique » : certains Ac monoclonaux provoquent une libération massive et soudaine de cytokines aboutissant à une défaillance des organes vitaux : Ac antiCD3 (muromonab), Ac antiCD20 (rituximab), Ac antiCD52 (alemtuzumab) b) Toxicité non liée à la cible Immunogénicité des Ac thérapeutiques. Ce phénomène est particulièrement important lorsque la proportion d’Ac murin est grande. Cet effet immunogène peut se traduire par différentes réactions anaphyloïdes pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique. Outre les effets toxiques, l’apparition d’Ac dirigés contre les Ac thérapeutiques accroît la vitesse d’élimination de ces derniers par la formation de complexes immuns. L’ajout d’immunosuppresseurs à faible dose permet de réduire ce phénomène. (ajout de méthotrexate) 5) Avantages et inconvénients des Ac (comparaison avec les molécules chimiques) Avantages Inconvénients Activité pharmacologique Double action : Ø Spécifique de la cible Action limitée aux Ag sécrétés ou exprimés Ø Générale : ADCC, CDC, phagocytose à la surface des cellules Affinité : 10-9 à 10-10 M Spécificité Pharmacocinétique Ø Mauvaise pénétration dans les tumeurs Ø ½ vie longue : 15 à 20 jours Ø Pas de diffusion à travers la barrière Ø Métabolisation sans avoir recours à des hémato-méningée enzymes d’activation Ø Administration obligatoire par voie parentérale Toxicité Pas de toxicité propre : toxicité liée à Immunogénicité l’interaction avec la cible 12 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier Les différents domaines d’application 1) Panorama général Les Ac monoclonaux sont utilisés dans de multiples domaines thérapeutiques :cancérologie, maladies inflammatoires chroniques essentiellement. Cf divers exemples de monographies dans le cours. 2) Une nouvelle approche thérapeutique: Ac monoclonaux comme agents d’immunothérapie anticancéreuse Un certain nombre de molécules exprimées à la surface des lymphocytes T possèdent un élément complémentaire qui se trouve exprimé à la surface d’autres cellules (cellules présentatrices d’antigène, cellules tumorale). Lorsque les deux molécules complémentaires sont réunies, comme dans un système ligand-récepteur, cela transmet un signal positif d’activation ou, au contraire, un signal négatif inhibiteur au lymphocyte T. CTLA-4 interagit avec CD 80/86 et PD1 (Programed Death 1) avec PDL1 ou PDL2 et transmettent, dans les deux cas un signal inhibiteur au lymphocyte T. a) Ac antiCTLA4 : ipilimumab YERVOY Ac totalement humain dirigé contre la protéine CTLA4. Ici le mécanisme d’action consiste à bloquer le CTLA-4 du lymphocyte T qui, lorsqu’il interagit avec CD80/86, transmet un signal inhibiteur au lymphocyte T 13 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier La levée du signal inhibiteur CTLA-4 / CD86 ou CD80 désinhibent les lymphocytes T alors disponibles pour se mobiliser contre les cellules tumorales. Il s’agit d’une approche antitumorale générale, l’anticorps utilisé n’agit pas directement sur la cellule tumorale. Il lève une inhibition de la réponse immune. Dans le mélanome disséminé les cellules tumorales se dispersent partout et sont très peu accessibles à la chimiothérapie. Une des approches actuellement prometteuse est de stimuler la réponse immune cellulaire de façon à éradiquer ces cellules tumorales dispersées et circulantes. Utilisé en perfusion IV lente toutes les 3 semaines avec un total de 4 doses. L’ipilimumab associé à la dacarbazine augmente significativement la survie des patients atteints de mélanome malin :diminution du risque de décès de 28 %. Cet Ac possède une toxicité hépatique qui peut être importante. c) Ac anti PD1 : nivolumab, pembrolizumab C’est un système récepteur – ligand. Le récepteur PD1 est à la surface des lymphocytes T tandis que le ligand PD1-L ou PD2-L est exprimé par les cellules présentatrices d’antigène ainsi que les cellules tumorales. Les cellules tumorales sur-expriment le PD1-L ou le PD2-L, 14 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier cela leur permet d’induire une immunotolérance en inhibant les lymphocytes T et de réaliser un échappement au système immunitaire. L’action de stimulation du système immunitaire est plus ciblée qu’avec l’ipilimumab car elle s’exerce sur les lymphocytes T au contact des cellules tumorales. Pour l’instant seuls les Ac anti PD1 ont été commercialisés Pembrozilumab KEYTRUDA : Ac humanisé Indication limitée aux mélanomes malins. Nivolumab OPDIVO : Ac entièrement humain Mélanome, cancer bronchique non à petites cellules, cancer du rein. 15 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier 4) De nouveaux types d’Ac monoclonaux Les Ac bispécifiques : chaque bras Fab reconnaît un épitope différent. a) Ac bispécifique non humain entier Permet d’associer dans l’espace trois types de cellules entre elles : cellules tumorales, les lymphocytes T cytotoxiques et les cellules immunocompétentes (cellules NK, macrophages etc…) La protéine EpCAM est en général surexprimée dans les carcinomes c’est-à-dire les cancers développés à partir des tissus épithéliaux. 16 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier b) Ac bispécifique de la technologie BITE (bispecific T-cell engager) Il s’agit d’un format d’Ac particulier avec 2 fragments variables simple chaîne (ScFv) reliés par un peptide « linker » L’un de ces fragments reconnaît un épitope sur une cible dont la nature peut varier et l’autre est toujours dirigé contre CD3 exprimé à la surface de tous les lymphocytes T, dont les lymphocytes T cytotoxiques. Le blinatumomab BLINCYTO est le premier Ac correspondant à ce concept, utilisé dans la leucémie B lymphoblastique. : il est dirigé contre le CD3 et le CD19 exprimé par les lymphocytes B. 17 Catherine Gozé, laboratoire de Chimie Thérapeutique, Faculté de Pharmacie de Montpellier 5 ) Ac monoclonaux et biosimilaires Deux biosimilaires de l’inflimab REMICADE viennent d’obtenir l’approbation de l’EMEA. Il s’agit de INFLECTRA et de REMSINA. Ce sont les premiers biosimilaires d’Ac monoclonaux 18