La prise en charge du cancer : quel partage des rôles entre

Résu
Le présentarticle apour objectif de mieux comprendre
laplace desmédecinsgénéralistesdanslatrajectoire de
soinsducanceren France etle partage des rôlesentre
médecine générale et scialisée. Ilsagitd’abord de
crire lesmoments privilégiésd’intervention des
médecinsgénéralistesidentifsdansle cadre d’un pro-
gramme de recherche alliantapprochesquantitative et
qualitative,et visant une meilleureconnaissance du rôle
concret tenuen France parlesgénéralisteslibéraux
danslaprise en charge desmaladesatteints de cancer.
Nous insistonsplus particulièrement sur lesoccasions
d’échangesavecleséquipes scialiséeset sur les
stratégiesdéployéesparlesmédecinsgénéralistes vis-
à-visde leurs confrères scialistes,de leurs patients,
etauniveaude leurs compétences techniquespour pou-
voiraccompliraumieux l’accompagnementde leurs
patients.Ilsagitenfin d’analyser,dupointde vue des
médecinsgénéralistes,leurs modalitésde collaboration
avecleséquipes scialiséesd’oncologie dans un
contexte d’échange inégal,leurs perceptionsdesobsta-
clesaupartage des rôlesentre médecine générale et
médecine scialisée etlesmoyensd’y remédier.
PratOrganSoins 2009;40(3):191-196
Mots-cs:Médecine générale ;cancer; système de
santé;prise en charge.
Summary
The purpose of thisarticle is to havea clearer under-
standing of the role thatGPsplayin the cancercare
pathwayin Franceand of how the rolesareshared
between generaland specialist medicine. Thisfirst of
all involvesdescribing the keyintervention stagesof
GPs,identified in aresearch programme combining
quantitativeand qualitativeapproachesand aimed at
improving knowledge of the specificrole played bypri-
vateGPsin treating cancerpatients in France. We focus
particularlyon the opportunitiesforexchange withspe-
cialist teamsand on the strategiesadopted byGPsas
regards their specialist peers,theirpatients and their
technicalskills tobeable tosupport theirpatients as
effectivelyaspossible. Lastly,itinvolvesanalysing
GPs’methodsof working withspecialist oncological
teamsin anunequalcontext of exchange,theirpercep-
tionsof obstacles torolesbeing shared between gen-
eraland specialist medicine and ways in whichthese
canbeovercome.
PratOrganSoins 2009;40(3):191-196
Keywords:Familypractice;cancer; delivery of health
care;management,disease.
Recherche originale
La prise en charge ducancer:quel partage des rôlesentre médecine générale
etmédecine scialisée ?
Treating cancer:howarethe roles shared between generaland specialist medicine?
BungenerM1 , DemagnyL2 , Holtedahl KA 3 , LetourmyA4
1Économiste-sociologue, Directeur de recherche CNRS, Directeur duCentre de recherche médecine,sciences,santé et socté,Villejuif (France).
2Statisticienne,ingénieur CNRS, Centre de recherche médecine,sciences,santé et socté,Villejuif (France).
3Professeur de médecine générale, Institut of Community Medicine, University of Tromso (Norvège).
4Économiste, chargé de recherche CNRS, Centre de recherche médecine,sciences,santé et socté,Villejuif (France).
Adresse pour correspondance: Martine Bungener, CERMES Centre de Recherche Médecine, Sciences, Santé etSocté (CNRS UMR 8169, EHESS, INSERM U 750),
siteCNRS, 7,rueGuy Môquet, F-94801Villejuif Cedex.
E-mail :bungener@vjf.cnrs.fr
PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 403 / juillet-septembre2009191
INTRODUCTION
Doté de longue date d’une organisation de soins sci-
fiquementdédiée (lescentresde luttecontre le cancer)
en sus du système médicalclassique,le cancer se pré-
senteaujourd’huicomme une pathologie relevantmajo-
ritairement,sinon essentiellement,d’une intervention
médicale scialisée. Lespremiers centresde traitement
ducancer sontmisen place en Europe eten Arique
duNordau tout but du vingtième scle [1].Ils témoi-
gnentdu recul desattitudesantérieuresde délaissement
trapeutiqueconsécutif auconstatd’incurabilité initia-
lementassocaudiagnosticde cancer.Devenant,pour
un nombrecroissantde localisations, curable aufil des
avancéesmédicalesqui marquentle XXescle,le can-
ceracquiert unstatut de pathologie chronique,l’allon-
gementdesduréesde rémission ouvrantalors l’espace
de laguérison [2].L’émergence d’une cancérologie spé-
cialisée peut êtreanalysée [3] comme une desprémisses
organisationnelleset technologiquesduprocessus de
scialisation de lamédecine moderne qui depuisles
annéescinquanteaprogressivementinstallé lamédecine
générale en France dans une position résiduelle ethié-
rarchiquementdominée. Son champ d’intervention se
définitalors pardéfaut comme «ce quirestetce
dontlesdivers scialistesne s’occupentpasparce
qu’ilsfontbeaucoup plus ![4].La chronicisation du
cours d’uncertain nombre de maladies,quiexige àla
foisdesactes techniques scialisésetdesformesde
soutien àlapersonne,vientcependantbousculerlascis-
sion entre médecine générale etmédecine scialisée.
Lecancerest une pathologie quiapparaîtexemplaireà
cetégard. Difrentes réformesen cours,dontle Plan
Cancer,suggèrentainsi que,faceaucancer,le rôle des
médecinsgénéralistespeut être défini autrementque de
fon résiduelle dans une perspective d’amélioration de
laqualité etde l’efficience desprisesen charge des
patients.Danscette perspective,nous avonscherc
dansle cadre d’un programme de recherche collectif à
identifierl’espacetrapeutique investi parlesméde-
cinsgénéralistesfaceaucanceretleurs relationsavec
leséquipesde soins scialisées.
Le présentarticle apour objectif de présenterles
moments privilégiésd’intervention desmédecinsgéné-
ralistes, ainsi que lesactesetinterventionsqu’ils recou-
vrent,telsqu’ilsontpuêtre identifsdansle cadre de
ce programme de recherche visant une meilleure
connaissance du rôle concret tenuen France parles
généralisteslibéraux danslaprise en charge des
maladesatteints de cancer[5].Nous insisteronsplus
particulièrement sur lesoccasionsd’échangesavecles
équipes scialiséespour analyser,dupointde vue des
médecinsgénéralistes,leurs modalitésde collaboration
aveclesoncologues,leurs difficultésetleurs percep-
tionsdupartage des rôlesentre médecine générale et
médecine scialisée. Ilsagitégalementde compren-
dre larelation entre laplace de lamédecine générale et
le mode d’organisation des systèmesde soinsainsi que
lesformesde substituabilité etde complémentarité pos-
siblesentre généralisteset scialistes.
MÉTHODES
Pour répondreà ce questionnement,un embtement
d’enquêtesaété misen place. Nous souhaitionsdispo-
serde données sur un ensemble de patients atteints de
cancerpour lesquels un médecin généraliste étaitinter-
venu.Pour cefaire,nous avonsd’abordchercà cons-
tituer un panel national de médecinsgénéralistes
disposésàrépondreàun questionnaire élaborécollecti-
vementavecungroupe européen de généralisteset
validé danscinq pays d’Europe [6].Ce questionnaire
recense desdonnéescontenuesdanslesdossiers médi-
caux de patients telsqu’ils sontétablisetconservéspar
lesgénéralistes.Lesdonnéesontétécollectéespour une
sélection aatoire de dossiers de patients vus aucours
de l’année précédente pardesgénéralistesvolontaireset
sollicités,sansfinancement,parvoie postale sans
relanceàpartird’échantillonsnationaux représentatifs
en France (cinq dossiers àremplirpargénéraliste) eten
Norvège (deux dossiers pargénéraliste). Decefait,on
peut faire l’hypotse que le recrutementdesmédecins
généralistes répondants rassemble ceux d’entre eux qui
sontlesplus concersparlaprise en charge ducancer.
Parailleurs,deux autrespopulationsde patients français
ontétéconstituéesauprèsd’un échantillon de généralis-
tesenseignants etmaîtresde stage,puisd’un échantillon
de généralistesimpliquésdansles réseaux cancer.
Ence quiconcerne lespopulationsnationalesde
patients :1679 questionnairespatients exploitablesont
étérempliset retourspar349 médecinsgénéralistes
en Francesoit une moyenne de 4,8questionnairespour
7% de répondants ;386questionnairespatients exploi-
tablesontétérempliset retourspar 292médecinsen
Norvège soit une moyenne de 1,3questionnairespour
36 % de répondants.Ence quiconcerne lespopulations
particulièresde médecinsgénéralistesfrançais:d’une
part,1994 patients ontété inclus par410médecins
généralistesenseignants oumaîtresde stage,soit11 %
de répondants et un nombre moyen de 4,9 questionnai-
res;d’autre part,424 dossiers de patients ontétéren-
voyéspardesmédecinsgénéralistesprochesde réseaux
cancer,soit untaux de réponse de 11,8% et une
moyenne de 4,8questionnaires.Lesprincipalescarac-
téristiquesdémographiquesetmédicalesdesdeux
populationsnationalesde malades sontfourniesdansle
tableauI.La figure1précise l’étatde santé despatients
àladate de l’enquête. Lesdonnéeschiffrées utilisées
danscetarticle serapportenten majoritéàlapopula-
tion nationale de patients françaiset/ouàlapopulation
de patients vus parlesmédecinsgénéralistesmaîtresde
La prise en charge ducancer:quel partage des rôlesentre médecine générale etmédecine scialisée ?
192PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 403 / juillet-septembre2009
stage. Cesdeux populationsontdescaractéristiques
démographiquesetmédicales très similaires.Elles tota-
lisent3673 patients.
Lerecueil de donnéesfrançaisesaen outre étécomplété
par une enquêtesociologique qualitative parentretien
semi directif menée auprèsde 60 généralistesétablisen
Région Parisienne eten province,dont19 généralistes
membresde réseaux cancer[7].
RÉSULTATS
Lesdifférentesenquêtesnous révèlent,malgrécertains
écartsentre françaisetnorvégiens,desmédecinsgéné-
ralistesdurablementengasauprèsde leurs patients
atteints de cancerde lacouverteàlafin de vie. Ce
travail fournitnotamment untableauchiffré maisaussi
qualitatif desdifférentesdimensions revendiquéeset
assuréesparlesmédecinsgénéralistesfrançaisdansla
trajectoire de prise en charge médicale despatients
atteints de cancer,avantetaumomentde lacouverte,
quand ilspassentlamain puis seréinvestissentaprèsla
mise en place d’untraitement,etenfin aprèsle traite-
mentouen casd’aggravation. Maisil montre également
que larelation de laplupart d’entre eux avecleséqui-
pes scialiséesdemeure problématique etmarquée par
le dilemme entre l’organiseroulasubir.Etil permetde
crirecertaines réponsespratiquesque lesgénéralistes
yapportentdansleur exercice quotidien. Une première
partie présenteralesmoments d’intervention desgéné-
ralistesissus desdossiers de patients enquêtés,réservant
àlaseconde partie,lesenjeux,difficultéset stratégies
entre médecinsgénéralistesetéquipes scialisées.
1. Desformesetdesmoments d’intervention
revendiquésparlesgénéralistes:
une trajectoire de soinsàpartager
a)Découverte
Déjà, bien avantlasurvenue d’un éventuel symptôme,et
même s’ilsmobilisentproportionnellementmoinsque
leurs confrèresnorvégiens[8]une prévention personnali-
sée (30 % despatients contre 42%),lesgénéralistesfran-
çais s’impliquentdanslespolitiquesouactesde dépistage
systématiquesducancer.Connaissantde longue dateune
proportion importante de leurs patients,ilsont une posi-
tion privilégiée pour discernerdes signesprécurseurs
aiguisantleurs suspicions.On lesvoitensuiterevendiquer
une place importante danslacouverte ducancer, c’est-
à-dire dansle processus quiconduitàposerle diagnostic,
un processus qu’ilsont souventinitié même si le dia-
gnosticprécisn’est pasaufinal formulé pareux.Ils se
disentainsiàl’origine de lacouverte ducancerpour
78% despatients (83% en Norvège), à partird’une
suspicion pour 58 %,d’un dépistage proposéà19 % ou
fortuitementpour 16%. Ilsontégalementprescritlespre-
mièresinvestigationspour 70 % d’entre eux, afin d’a-
dresserleurs patients à bon escienten ayantdéjàécarté
ouaffiné certaineshypotses.
Choisirl’équipe traitante est une intervention sans
équivalentdanslespays comme la Norvège oùl’orga-
nisation du système de soins reposesur desfilières
prédéfinies.EnFrance, cechoix reposesur les relations
personnellesdugénéraliste pour untiers despatients ;
il se fonde sur larenommée de l’équipe scialisée
pour 24%d’entre eux etfaitintervenirle choixdes
patients dans 29% descas.Pour 80% despatients,
BungenerMetal.
PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 403 / juillet-septembre2009193
TableauI
Caractéristiquesdémographiquesetmédicalesdespatients.
FranceN= 1679Norvège N=386
FemmesHommesTotalFemmesHommesTotal
Sexe(%) 51,448,6100,551,348,7100,3
Âge moyen àl’enquête (an) 63,466,664,559 ,365 ,762,3
Âge moyen audiagnostic(an) 58,463,660,557 ,363,760,3
Ancienneté moyenne audiagnostic(an) 4,63,34 ,52,32,22,3
Norvège
41 27 %
En s o ins actifs 38 4 5 %
6
0
0, 0 5
0 , 1
0 , 1 5
0 , 2
0 , 2 5
0 , 3
0 , 3 5
0 , 4
0 , 4 5
0 , 5
B i en p ortant
Fr ance
B i en p ortant etsans t raite
Phaset erminal e
c édé
S o mme
e tsans t rait
En s o ins
actifs
Phase
t erm inal e
cédé
F rance
Norvège
8%
1 5
1 00 %
2 0 %
1 00 %
%
%
%
%
Figure 1. Étatde santé despatients àladate de l’enquête.
c’est le généraliste quia contacté l’équipe scialisée,
sixfois sur dixparcourrier.L’enquête qualitative
confirme leur recours préférentiel àdes réseaux per-
sonnelsde correspondants scialisés,pour des raisons
quivisent tout autantleurs patients que leurs confrères
scialistesafin de garantirlaqualité deséchanges
ultérieurs en vue dumeilleur suivi dupatient.
Lutilisation dumotcanceravec82% de leurs patients
confirme que le terme n’est plus taboupour lesgéné-
ralistes.Lannonce de lamaladie se présente le plus
souventcomme un processus àétapes,morcelé et
éclaté entre plusieurs professionnels,processus auquel
ilsparticipentpour plus de lamoitié de leurs patients
comme de leurs familles;35% despatients l’annon-
çantensuite eux-mêmesàleurs proches.En effet,les
entretiensle confirment,lespremièrescraintesde can-
cerdespatients sadressentd’abordaux médecins
généralistesetil sagitpour eux de prépareraumieux
leurs patients à cetteannonce etde lesmotiverface
aux investigationspuisaux traitements qu’ilsvont
ensuite devoiraffronter.Le partage de l’annonce peut
aussi être négoc:«je disaux scialistes, allez-y,
j’assume derrr.
b)Prendre part au suivi
Le lieud’intervention etl’équipe scialisée choisis,
lesmédecinsgénéralisteslui passentalors lamain pour
lamise en place du traitementinitial. Nombreux sont
cependantlespatients quisouhaitentaussi en parler
avecleur généraliste, cependantpas toujours suffisam-
mentoutillé pour leur répondre,etincitéalors àleur
proposerde solliciter unsecond avis scialisé. Cer-
tains regrettenten outre de ne paspouvoir suffisam-
mentfairevaloirauprèsdeséquipes scialiséesleur
bonne connaissance desparticularitésde leurs patients
pour mieux adapterd’emblée le traitementinitial,par
exemple s’il sagitde patients trèsâsouparticulière-
mentangoissés.Puisle déroulementdu traitement spé-
cialisé peut ensuiteconduire leurs patients àrequérir
leur intervention parexemple en casd’effets secon-
dairesdélétèrespeuoumal prisen compte. Lesgéné-
ralistes restentainsiactifsmédicalementpour plus d’un
patient sur deux.La condition indispensable pour s’im-
pliquerefficacementdansleur suivi est pour lesgéné-
ralistesde disposerdesinformationscessaires.Mais
s’ils sontinforsdu traitementmisen place pour
86% despatients,ils sontconduits àtraiterdeseffets
secondaireschez55 % de leurs patients alors qu’ils
clarentne lesconnaîtresuffisammentque pour 47%
d’entre eux.
Plus largement,lesdonnées recueillies révèlentque les
généralistes répondants prescriventdesbilansbiologiques
pour suivre leseffets des traitements pour 55 % des
patients,desexamensbiologiquesou radiologiquespour
suivre etcontrôlerl’évolution de lamaladie et surveiller
les risquesde rechute pour 50%,etétablissent si néces-
saire les traitements adjuvants pour 45 % d’entre eux.
Leur implication danscesdeux dernières tâchesconcerne
une proportion de patients double de leurs confrèresnor-
végiens.Cesgénéralistes se disentaufinalexclus du
suivi de seulement15 % de leurs patients lapremière
année de lamaladie etde 7% laseconde année. Ils reven-
diquentenfin de maintenir simultanémentleur rôle anté-
rieur de médecin traitantdespathologiesconcomitantes
de leurs patients,etd’assurerpour eux la«banalité»de
lapathologie de lamédecine générale.
Partagerle suivi de leurs patients atteints de cancer,
c’est aussi,pour lesmédecinsgénéralistes,resterpré-
sent sur tous lesaspects,même sociaux etfamiliaux,
de lagestion de lamaladie, ce qu’ilsfontpour 78%
d’entre eux y comprispour lesaspects administratifs
(pour 59 %). Maisc’est égalementassumer une proxi-
mitérevendiquée etdurable avecleurs patients atteints
de canceretassureraussi pour 72 % d’entre eux un
suivi psychologique etempathique. C’est enfin s’im-
pliqueren casd’évolution défavorable ducancer,soit
33 % de lapopulation étudiée,etassisterlafin de vie
àdomicile,en prenantalors égalementen charge les
prochesdespatients [9].Car,malgré lesdifficultés ren-
contrées, celafait«partie duboulot»pour lesgénéra-
listesinterrogés.Dansces situations,ils sontconduits à
prescrire etadministrerde lamorphine à22,5% de
leurs patients etce,de leur seule responsabilité pour
57% de ceux-ci.
2.Interrelationsmouvantes,subiesouorganisées:
défiance,concurrence oucomplémentarité
La proximité dugénéralisteavecsespatients s’impose
tout aulong de latrajectoire de soinscomme larto-
rique dominante dudiscours desgénéralistesetle fon-
dementde leur stratégie d’action justifiantleur place
aux côtésdeséquipes scialisées.Identifiantet reven-
diquantdesmoments scifiquespour leur intervention,
l’inscription desmédecinsgénéralistesdanslatrajec-
toire de soins scialisésducancerapparaîtainsi mar-
quée par une dialectique du«passerlamain etla
reprendraumoinsen partie,dans uncontexte médi-
calcaractérisé par une hiérarchisation professionnelle
forte entre institutionsetdisciplinesmédicales,entre
hôpital etmédecine de ville,entre médecine technique
scialisée etmédecine générale. Elle est alors pensée
ou ressentie comme relevantd’un échange dissymé-
trique etinégal. En découlent tout àlafoisdesobsta-
clesàsurmonter,descraintesetdesinsatisfactionsde
part etd’autre,maisaussi des stratégiesvolontaristesde
lapart desmédecinsgénéralisteslesplus engasetles
plus terminésàsuivreaumaximum leurs patients,
pour resterprésents etopérationnels,stratégiesdont ren-
dentcompte lesentretiensmenés.Dèslors,lescontours
La prise en charge ducancer:quel partage des rôlesentre médecine générale etmédecine scialisée ?
194 PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 403 / juillet-septembre2009
imprécisde leur rôle quise déploie dansde multiples
directionsdessinenten creux deslimitesd’intervention
extensivescar toujours susceptiblesd’êtrerepoussées.
La perception parlesgénéralistesd’uncontexte
d’échange inégalse manifeste essentiellementdans
troisdimensions:leslacunesdanslatransmission
d’informations sur leurs patients ; de fon plus géné-
rale,le méprisde leurs confrères scialistesàleur
égard;enfin la captation etlaperte de certainsde leurs
patients [10].Parailleurs,tout en revendiquant une
bonne connaissance de laplupart de leurs patients,ils
sontconscients deslimitesde leurs connaissanceset
compétences techniqueset scientifiques.La scialité
de médecine générale en France ne comprend par
exemple aucun enseignementobligatoire en cancéro-
logie. Ce n’est quaucours d’unseulsemestre libre que
le futur médecin généraliste pourraéventuellement se
socialiseraumonde de la cancérologie.
Pour y pallier,les stratégiesvolontaristesdesgénéra-
listesfrançaisciblentaussibien les relationsavecleurs
confrèresetpartenairesmédicaux,avecleurs patients
que l’acquisition de compétences techniquesparticu-
lières,et se déploientaux différents moments de la
trajectoire de soins.Nous allonsplus particulièrement
en souligner troisaspects :lasélection descorrespon-
dants,l’accompagnementpersonnalisé despatients,
l’investissement technique.
Participerau suivi médical nécessiteàdéfaut d’avoir
organisé préalablement un partage concerté des tâches
de chacun,d’êtrebien informé des traitements en cours
de son patientetde l’évolution de lamaladie. Les
donnéesdesenquêtesquantitativescomme lesdiresdes
généralistes soulignentdesprogrès significatifsen la
matretout en déplorantencoretrop souventdeslacu-
nesd’information etde communication notammentà
proposdeseffets secondairesdes traitements alors
même queceux-cirequrentfréquemmentl’interven-
tion desgénéralistes.Decefaitlesgénéralistesvont se
trouveren difficulté etleurs patients voirleurs effets
secondaires traitésde fon moinsefficace ou retardée.
Lesgénéralistesdoiventalors savoir s’imposerpour
réclamerlesinformationsmédicalescessaires, ce
qu’ilsestimentinsupportable etnon justif,et sur-
monterlesdifficultéspour joindre leurs confrères
hospitaliers au téléphone,oupour identifierles
meilleurs interlocuteurs.C’est ce queréussissentgéné-
ralementmieux etplus vite lesgénéralistes universi-
tairesoumaîtresde stage plus insérésdanslahiérarchie
médicale. D’oùl’accusation de méprisetde non-
considération vis-à-visde lamédecine générale. Une
stratégie efficace pour réduirece déficitde communi-
cation est alors pour nombre d’entre eux de sélec-
tionnerdescorrespondants oudeséquipes scialisées
non plus seulement sur leur réputation maispréci-
sémentaussisur leur capacitéà communiqueraveceux
etàleur renvoyerleurs patients.Choisir sescorres-
pondants est de fait une démarche longue et sensible
pour lesgénéralistes.
Faceaux patients, c’est donctout àlafoisavecleslimi-
tesde leurs connaissances scialiséesetparfoisles
lacunesd’informationsnon transmises,que lesgénéra-
listesdoiventcomposeràdifrents moments-clé de la
trajectoire de soinscomme l’établissementdudiagnos-
ticoul’évolution péjorative. Leur stratégie apparaît
alors liée àleurs connaissances techniquesduroule-
mentde lamaladie etdes traitements disponibles,et
donc à leur capacité de faitàouvrir un espoir tra-
peutique. Leur degré de connaissancevarie selon la
fréquence ouleslocalisationsducancer.Lorsqu’ils
possèdentcetteconnaissance,ils sesententplus en
capacité de maîtriserlesannoncesàfaire etsitent
moinsàs’en emparer.Encascontraire,ils se main-
tiennenten retrait,«laissentfairles scialisteset
tententd’abord de faires’exprimerlescrainteset
attentesdespatients.
Lacquisition de nouvellesconnaissances techniques
est une stratégie également utilisée parceux desméde-
cinsgénéralistesquisouhaitentétendre leur domaine
d’intervention. Entémoigne parexemple le savoir-
fairerelatif àlaprescription etàl’utilisation de lamor-
phine,récemmentacquispareux,quiconduitles
médecinsgénéralistesfrançaisàs’en servirplus fré-
quemmentde fon indépendante que leurs confrères
norvégiens.Maisfaceaux compétences techniquesdes
scialistesqu’ils reconnaissent sans réserve,ils ten-
tentd’imposeraussi fortementleurs compétencespro-
pres: compétences relationnelles, compétences
coulantde leur proximité despatients etde leur
entourage,maisaussi de leur plus grande disponibilité
d’écoute etde partage. Dansce double registre les
généralistes se pensentcomme différents, apportant
aux patients unsavoir-faireautre etagissenten cons-
truisantleur pratique en complémentarité de celle des
scialistes,sajustant tantque possible àl’hétérogé-
néité locale de comportementdeséquipes scialisées.
Récureretprendre en charge tout ce que ne faitpas
l’hôpital est une stratégie pertinente pour définiret
revendiquer unchamp d’intervention scifiqueàla
médecine générale.
CONCLUSION
Au terme de cetravail qu’on peut partiellement
conclureparle constatque lesoccasionsde contactet
de coordination entre médecinsgénéralisteset scia-
listesducancer sont surieuresen France qu’en Nor-
vège oùexistentdesfilièresprédéfiniesde soinspour
lespersonnesatteintesde cancer,divers enseigne-
BungenerMetal.
PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 403 / juillet-septembre2009195
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