INTRODUCTION
Doté de longue date d’une organisation de soins spéci-
fiquementdédiée (lescentresde luttecontre le cancer)
en sus du système médicalclassique,le cancer se pré-
senteaujourd’huicomme une pathologie relevantmajo-
ritairement,sinon essentiellement,d’une intervention
médicale spécialisée. Lespremiers centresde traitement
ducancer sontmisen place en Europe eten Amérique
duNordau tout début du vingtième siècle [1].Ils témoi-
gnentdu recul desattitudesantérieuresde délaissement
thérapeutiqueconsécutif auconstatd’incurabilité initia-
lementassocié audiagnosticde cancer.Devenant,pour
un nombrecroissantde localisations, curable aufil des
avancéesmédicalesqui marquentle XXesiècle,le can-
ceracquiert unstatut de pathologie chronique,l’allon-
gementdesduréesde rémission ouvrantalors l’espace
de laguérison [2].L’émergence d’une cancérologie spé-
cialisée peut êtreanalysée [3] comme une desprémisses
organisationnelleset technologiquesduprocessus de
spécialisation de lamédecine moderne qui depuisles
annéescinquanteaprogressivementinstallé lamédecine
générale en France dans une position résiduelle ethié-
rarchiquementdominée. Son champ d’intervention se
définitalors pardéfaut comme «ce quireste» etce
dontlesdivers spécialistesne s’occupentpasparce
qu’ilsfontbeaucoup plus ![4].La chronicisation du
cours d’uncertain nombre de maladies,quiexige àla
foisdesactes techniques spécialisésetdesformesde
soutien àlapersonne,vientcependantbousculerlascis-
sion entre médecine générale etmédecine spécialisée.
Lecancerest une pathologie quiapparaîtexemplaireà
cetégard. Différentes réformesen cours,dontle Plan
Cancer,suggèrentainsi que,faceaucancer,le rôle des
médecinsgénéralistespeut être défini autrementque de
façon résiduelle dans une perspective d’amélioration de
laqualité etde l’efficience desprisesen charge des
patients.Danscette perspective,nous avonscherché
dansle cadre d’un programme de recherche collectif à
identifierl’espacethérapeutique investi parlesméde-
cinsgénéralistesfaceaucanceretleurs relationsavec
leséquipesde soins spécialisées.
Le présentarticle apour objectif de présenterles
moments privilégiésd’intervention desmédecinsgéné-
ralistes, ainsi que lesactesetinterventionsqu’ils recou-
vrent,telsqu’ilsontpuêtre identifiésdansle cadre de
ce programme de recherche visant une meilleure
connaissance du rôle concret tenuen France parles
généralisteslibéraux danslaprise en charge des
maladesatteints de cancer[5].Nous insisteronsplus
particulièrement sur lesoccasionsd’échangesavecles
équipes spécialiséespour analyser,dupointde vue des
médecinsgénéralistes,leurs modalitésde collaboration
aveclesoncologues,leurs difficultésetleurs percep-
tionsdupartage des rôlesentre médecine générale et
médecine spécialisée. Ils’agitégalementde compren-
dre larelation entre laplace de lamédecine générale et
le mode d’organisation des systèmesde soinsainsi que
lesformesde substituabilité etde complémentarité pos-
siblesentre généralisteset spécialistes.
MÉTHODES
Pour répondreà ce questionnement,un emboîtement
d’enquêtesaété misen place. Nous souhaitionsdispo-
serde données sur un ensemble de patients atteints de
cancerpour lesquels un médecin généraliste étaitinter-
venu.Pour cefaire,nous avonsd’abordcherché à cons-
tituer un panel national de médecinsgénéralistes
disposésàrépondreàun questionnaire élaborécollecti-
vementavecungroupe européen de généralisteset
validé danscinq pays d’Europe [6].Ce questionnaire
recense desdonnéescontenuesdanslesdossiers médi-
caux de patients telsqu’ils sontétablisetconservéspar
lesgénéralistes.Lesdonnéesontétécollectéespour une
sélection aléatoire de dossiers de patients vus aucours
de l’année précédente pardesgénéralistesvolontaireset
sollicités,sansfinancement,parvoie postale sans
relanceàpartird’échantillonsnationaux représentatifs
en France (cinq dossiers àremplirpargénéraliste) eten
Norvège (deux dossiers pargénéraliste). Decefait,on
peut faire l’hypothèse que le recrutementdesmédecins
généralistes répondants rassemble ceux d’entre eux qui
sontlesplus concernésparlaprise en charge ducancer.
Parailleurs,deux autrespopulationsde patients français
ontétéconstituéesauprèsd’un échantillon de généralis-
tesenseignants etmaîtresde stage,puisd’un échantillon
de généralistesimpliquésdansles réseaux cancer.
Ence quiconcerne lespopulationsnationalesde
patients :1679 questionnairespatients exploitablesont
étérempliset retournéspar349 médecinsgénéralistes
en Francesoit une moyenne de 4,8questionnairespour
7% de répondants ;386questionnairespatients exploi-
tablesontétérempliset retournéspar 292médecinsen
Norvège soit une moyenne de 1,3questionnairespour
36 % de répondants.Ence quiconcerne lespopulations
particulièresde médecinsgénéralistesfrançais:d’une
part,1994 patients ontété inclus par410médecins
généralistesenseignants oumaîtresde stage,soit11 %
de répondants et un nombre moyen de 4,9 questionnai-
res;d’autre part,424 dossiers de patients ontétéren-
voyéspardesmédecinsgénéralistesprochesde réseaux
cancer,soit untaux de réponse de 11,8% et une
moyenne de 4,8questionnaires.Lesprincipalescarac-
téristiquesdémographiquesetmédicalesdesdeux
populationsnationalesde malades sontfourniesdansle
tableauI.La figure1précise l’étatde santé despatients
àladate de l’enquête. Lesdonnéeschiffrées utilisées
danscetarticle serapportenten majoritéàlapopula-
tion nationale de patients françaiset/ouàlapopulation
de patients vus parlesmédecinsgénéralistesmaîtresde
La prise en charge ducancer:quel partage des rôlesentre médecine générale etmédecine spécialisée ?
192PratiquesetOrganisation desSoinsvolume 40n° 3 / juillet-septembre2009