L`hypoglycémie chez le patient non diabétique

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ARTICLE DE REVUE MIG
681
Démarche diagnostique et causes
L’hypoglycémie chez le patient
non diabétique
Dr méd. Bénédicte de Kalbermatten a , Dr méd. Sarah Malacarne a , Dr méd. Christel Tran b ,
Dr méd. Jaafar Jaafar a , Prof. Dr méd. Jacques Philippe a
a
b
Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition, Département de spécialités de médecine, Hôpitaux universitaires de Genève
Centre des maladies métaboliques moléculaires, Département médico-chirurgical de pédiatrie, Centre hospitalier universitaire vaudois
Un deuxième article sur
«L’hypoglycémie chez le
patient diabétique» paraîtra
dans le prochain numéro
du FMS.
L’évaluation d’une hypoglycémie non diabétique passe en premier lieu par une
anamnèse précise et détaillée auprès du patient. Une fois suspectée, l’hypoglycémie
doit absolument être documentée par la triade de Whipple. Les médicaments,
l’insuffisance hépatique, rénale, cardiaque et surrénalienne, la dénutrition, le sepsis et la chirurgie bariatrique sont les étiologies les plus fréquentes. Une démarche
diagnostique structurée est indispensable.
Introduction
Dans la pratique quotidienne l’hypoglycémie est la plupart du temps iatrogène sur prise d’insuline ou d’antidiabétiques oraux; sa reconnaissance ainsi que son
traitement sont bien connus. Les hypoglycémies spontanées chez le patient non diabétique sont plus rares et
représentent un défi diagnostique. En effet, s’il est aisé
d’identifier les symptômes végétatifs (pâleur, palpitation, tremblement, anxiété, faim, transpiration, asthénie, …) puis neuroglycopéniques (trouble cognitif, agitation, amnésie, trouble de l’état de conscience, convulsion,
coma, …) de l’hypoglycémie, il l’est beaucoup moins
d’en déterminer sa cause en l’absence de traitement
hypoglycémiant.
Les hypoglycémies répétées et prolongées sont grevées
d’une morbidité et d’une mortalité élevées [1]. L’identification de cette pathologie est donc fondamentale.
Comme nous le verrons c’est uniquement une approche
progressive et structurée qui permet un diagnostic
conclusif et par conséquent une prise en charge thérapeutique adaptée.
Mécanismes de contre-régulation
et définition
Bénédicte de Kalbermatten
De multiples mécanismes de contre-régulation préviennent et corrigent rapidement toute hypoglycémie en
situation normale. Les étapes de cette contre-régulation
Le glucose est le principal substrat métabolique néces-
sont chronologiquement, une inhibition de la sécrétion
saire au fonctionnement du cerveau en condition phy-
d’insuline, une sécrétion de glucagon et de catéchola-
siologique: 150 gr d’hydrates de carbone par jour en sont
mines puis, en cas d’hypoglycémie prolongée, d’hor-
nécessaires. Les réserves en glycogène étant faibles, un
mone de croissance (GH) et de cortisol. Cette adaptation
apport continu depuis la circulation est indispensable
physiologique permet de rétablir l’euglycémie. Compte
à son fonctionnement.
tenu de la multitude des mécanismes physiologiques de
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défense, l’hypoglycémie chez le non diabétique doit par
lité augmentée [1, 4]. La prise en charge repose sur un
conséquent être considérée comme un «red flag» et son
apport suffisant en glucose et le traitement de la patho-
évaluation méticuleuse est nécessaire [1, 3].
logie sous-jacente.
Stricto sensu l’hypoglycémie est définie par une valeur
La première cause à évoquer est la prise de médica-
de glucose suffisamment basse pour causer des signes/
ments ou toxiques hypoglycémiants. Hormis les anti-
symptômes glycopéniques. Ceux-ci sont cependant
diabétiques hypoglycémiants usuels, de nombreux
peu spécifiques, tout comme une glycémie plasma-
autres médicaments ont été décrit à l’origine d’hypo-
tique peut être artéfactuelle. Chez l’individu sain, les
glycémies. Cependant l’évidence solide de ces associa-
premiers symptômes végétatifs poussant à l’ingestion
tions est sujette à caution (tab. 1). Une consommation
de sucres surviennent vers 3 mmol/l et les symptômes
d’alcool est également à rechercher. En effet, l’alcool in-
neuroglycopéniques dès 2,8 mmol/l [4]. Dès lors, la
hibe la néoglucogenèse et non la glycolyse exposant
sécrétion endogène d’insuline est supprimée. Néan-
ainsi le patient, diabétique ou non, à un risque accru
moins, bien qu’utilisées comme telles, ces valeurs ne
d’hypoglycémies particulièrement lors d’une période de
sont qu’indicatives et varient d’un individu à l’autre. En
jeûne prolongée, le maintien de la glycémie dépendant
conséquence, il est difficile de déterminer avec exacti-
essentiellement de la néoglucogenèse; c’est une cause
tude une valeur unique définissant catégoriquement
relativement fréquente d’hypoglycémie aux urgences.
l’hypoglycémie. Pour ces raisons, la documentation
Le bilan doit ensuite rechercher une maladie aiguë
d’une triade dite «de Whipple» associant une glycémie
sévère telle une insuffisance rénale, hépatique ou car-
veineuse anormale à jeun (définie comme <2,8 mmol/l),
diaque, un sepsis de toute cause et une dénutrition. La
des symptômes d’hypoglycémie et leur résolution avec
défaillance hépatique inhibe la gluconéogenèse hépa-
la prise de glucides, est donc indispensable au diagnos-
tique et provoque typiquement des hypoglycémies à
tic de l’hypoglycémie non diabétique. En l’absence de
jeun, tandis que dans l’insuffisance rénale la clairance
cette dernière, le patient peut être exposé à des investi-
de l’insuline est diminuée tout comme la mobilisation
gations inutiles, coûteuses, potentiellement compli-
de précurseurs nécessaires à la gluconéogenèse. Le
quées et non diagnostiques [3]. A noter que seule la
mécanisme de l’hypoglycémie dans la défaillance car-
valeur plasmatique de la glycémie est fiable; les gluco-
diaque n’est lui pas élucidé [1]. Le cortisol et le GH sont
mètres capillaires étant souvent imprécis à des valeurs
impliqués dans le mécanisme de contre-régulation de
de glycémie basses.
l’hypoglycémie durant le jeûne prolongé; une insuffi-
A noter qu’une glycémie supérieure à 3,9 mmol/l en
sance cortico-surrénalienne ainsi qu’une carence en
présence de symptômes végétatifs indique que ceux-ci
GH doivent donc également être suspectées et recher-
ne sont pas dûs à une hypoglycémie [3]. D’autre part,
chées. Heureusement, le florilège d’autres symptômes
un abaissement asymptomatique de la glycémie à jeun
associés à ces pathologies nous oriente dans le diag-
(entre 3 et 4 mmol/l) chez le patient sain non diabé-
nostic [1].
tique est fréquent et n’est pas à considérer comme pa-
Dans les causes rares d’hypoglycémies non diabé-
thologique.
tiques retrouvées chez le sujet «malade» mentionnons
encore les tumeurs extra-pancréatiques («non-islet cell
Démarche diagnostique et étiologie
tumor [NICT]») sécrétant de la «big insulin-like growth
factor II» (Big-IGF-II). Ces tumeurs sont la plupart du
Devant la suspicion clinique d’une hypoglycémie non
temps solides, de grande taille et d’origine mésenchy-
diabétique, il convient en premier lieu d’obtenir une
mateuse ou épithéliale. L’hypoglycémie résulte de l’ac-
anamnèse détaillée et un examen physique dirigé auprès du patient. L’historique doit notamment déterminer l’horaire des hypoglycémies: à jeun, en postprandial
Tableau 1: Causes médicamenteuses d’hypoglycémies.
(réactives) ou lors d’exercice? Cette démarche initiale
1. Insuline ou insulino-sécrétagogues (sulfonylurée, glinide)
va aider le clinicien à catégoriser son patient en indi-
mie dans cette population est souvent multifactorielle
2. Médicaments autres
Certitude d’association modérée:
– quinine, pentamidine, gatifloxacine, cibenzoline,
indométacine, glucagon (lors d’endoscopie)
Certitude d’association faible:
– lithium, chloroquineoxaline sulfonamide,
propoxyphène/dextropropoxyphène
Certitude d’association très faible:
– IEC, sartan, bêta-bloquant, lévofloxacine, mifépristone,
disopyramide, sulfaméthoxazole/triméthoprime, héparine, 6-mercaptopurine
et est un marqueur de mauvais pronostic et de morta-
Abréviation: IEC = inhibiteurs de l’enzyme de conversion.
vidu «malade» ou «apparemment sain» [3].
Patient «malade»
Ce premier sous-groupe réunit les patients chez qui
l’histoire et l’examen physique détaillés font ressortir
une maladie intercurrente sous-jacente. L’hypoglycé-
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tivité «insulin-like» de la Big-IGF-II par stimulation des
Patient «apparemment sain»
récepteurs à l’insuline. La sécrétion de GH étant inhi-
Après exclusion des étiologies citées ci-dessus, l’indi-
bée les taux sanguin d’IGF-I sont bas [1, 3, 6]. La produc-
vidu sera classifié comme «apparemment sain» et l’uti-
tion endogène d’insuline est elle supprimée avec donc
lisation de tests et démarches diagnostiques spécifiques
une constellation biologique d’hypoglycémie hypo-
fera rechercher un hyperinsulinisme endogène versus
insulinique (fig. 1). Sa prise en charge relève de l’onco-
exogène.
logue.
La survenue de malaises neurovégétatifs postpran-
Tests diagnostiques
diaux, sans triade de Whipple confirmée, indique un
Les dosages veineux de la glycémie, de l’insuline, du
désordre fonctionnel qui n’est généralement pas dû à
C-peptide et de la proinsuline (prouvant tous deux une
une hypoglycémie. Celui-ci est nommé syndrome post-
sécrétion endogène d’insuline), des β-hydroxybuty-
prandial idiopathique (anciennement «hypoglycémie
rates (corps cétoniques confirmant le jeûne), des
réactive») et son origine est encore inconnue. Aucun
sulfonylurées (et glinides si disponible) et des anti-
test complémentaire n’est nécessaire et sa prise en
corps anti-insuline sont nécessaires. Si l’hypoglycémie
charge est symptomatique par le biais de modifications
survient spontanément ceux-ci doivent être effectués
diététiques (fractionnement des repas, éviction d’alcool
à ce moment, sinon un test de jeûne de 72 h (tab. 2) doit
et d’aliments à index glycémique élevé) [3].
être fait. Si l’hypoglycémie ne survient pas durant ce-
Pas d’investigations
complémentaires et prise
en charge diététique
uniquement
Suspicion d’hypoglycémie non diabétique
Syndrome postprandial
idiopathique
Triade de Whipple confirmée
=
Hypoglycémie non diabétique vraie confirmée
Triade de Whipple non
confirmée
Individu «apparemment sain»
Individu «malade»
2e étape: Evaluation complexe de l’hypoglycémie avec dosage veineux:
glucose, insuline, C-peptide, proinsuline, #-hydroxybutyrate,
insulinosécrétagogues et ± Ac anti-insuline
Syndrome d’hypoglycémie pancréatique
non insulinome
(hypoglycémies
postprandiales, pas
d’insulinome localisé
mais hyperinsulinisme
diffus au SPACI)
Hypoinsulinisme
(! insuline, C-peptide,
proinsuline)
Hyperinsulinisme exogène
Hyperinsulinisme endogène
(" insuline, C-peptide et proinsuline)
Insulinome
(détection
de la lésion
à l’imagerie)
Médicaments/alcool
Insuffisance d’organe
(rénale, hépatique ou cardiaque)
Sepsis
Dénutrition
Insuffisance hormonale
(cortisol, IGF-I)
Tumeurs extra-pancréatiques
sécrétant de l’IGF-II
1re étape: Status et anamnèse détaillée
Hypoglycémie
auto-immune
(Ac antiinsuline
positifs)
Hypoglycémie
post bypass
gastrique
(pas de lésion
d’insulinome,
hypoglycémies
postprandiales
et s/p bypass)
Prise d’agents
oraux insulinosécrétagogues
(" insuline,
C-peptide et proinsuline mais
screening médicamenteux positif)
Prise exogène d’insuline
(discordance entre
"insuline et
! C-peptide et
proinsuline
Hypoinsulinisme et investigations toutes négatives:
pourrait-il s’agir d’une erreur
innée du métabolisme?
Figure 1: Démarche diagnostique.
Abréviations: SPACI = «selective pancreatic arterial calcium injection», Ac = anticorps, IGF = «insulin-like growth factor», s/p = status post.
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lui-ci il faut enchaîner avec un repas test à la recherche
Tableau 2: Test de jeûne, proposition de protocole.
d’une hypoglycémie postprandiale (tab. 3). Ces exa-
Indication
– Suspicion d’hypoglycémie non diabétique n’ayant pas pu être prouvée durant un
épisode d’hypoglycémie spontanée.
mens permettront d’objectiver l’hypoglycémie organique et de déterminer sa cause. Le tableau 4 nous
guide dans l’interprétation diagnostique. A signaler
Procédure
– Durée 72 h
– Hydratation suffisante (boissons non caloriques uniquement), arrêt de tout médicament
non essentiel et s’assurer que le patient est actif durant les heures de veille du test.
– Doit être fait en milieu hospitalier sous surveillance médicale.
• La mise à jeun peut déjà débuter au domicile du patient dans la soirée précédant
l’hospitalisation.
– Glycémie capillaire aux 2 h
– Glycémie veineuse aux 6 h jusqu’à une glycémie <3,3 mmol/l. Dès que la glycémie
veineuse est <3,3 mmol/l faire les prélèvements aux 2 h ou plus précocement en cas
de symptômes cliniques.
• Dès que la glycémie veineuse est <3,3 mmol/l doser également: insuline, C-peptide,
proinsuline, β-hydroxybutyrate et sulfonylurées (± glinides)§
toutefois que les normes des valeurs décrites ci-dessus
sont sujettes à caution dans la littérature. En effet, elles
ont été établies chez des cohortes de patients sains. De
plus les consensus américains et européens diffèrent
notamment sur la valeur seuil d’hypoglycémie à considérer (respectivement 3 mmol/l versus 2,5 mmol/l) [5].
Retenons néanmoins que le diagnostic est établi
lorsque la glycémie est <3 mmol/l avec une insulinémie >3 microU/ml (rapport insulinémie/glycémie >1).
Arrêt du test: 3 conditions!
– Présence de signes/symptômes neuroglycopéniques sévères (perte de conscience,
convulsion, confusion): arrêt du test sans attendre le résultat de la dernière glycémie
veineuse.
• Dans la mesure du possible effectuer un dernier dosage veineux (glycémie, insuline,
C-peptide, proinsuline, β- hydroxybutyrate) avant l’administration de sucre.
– Glycémie <2,5 mmol/l (plutôt 3 mmol/l selon recommandation américaines)
+ signes/symptôme évocateurs d’une hypoglycémie.
– Glycémie <2,2 mmol/l malgré l’absence de signes/symptôme évocateurs d’une
hypoglycémie
§
Les médicaments pouvant influencer la sécrétion d’insuline devraient être arrêtés avant le test dans la mesure du possible.
A titre indicatif 65–85% des insulinomes sont diagnostiqués dans les 24 premières heures du test, et 90 à 100%
dans les 48 h [5]. L’utilisation d’autres tests, tel une stimulation au glucagon après test de jeûne ou une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO), est margi-
Selon le contexte clinique une recherche d’anticorps anti-insuline peut être effectuée.
nale et non recommandée en première intention [1, 5].
Tableau 3: Repas test, proposition de protocole.
L’hyperinsulinisme: les causes
Indication
– Suspicion d’hypoglycémie non diabétique postprandiale n’ayant pas pu être prouvée
durant un épisode d’hypoglycémie spontanée ou durant un test de jeûne.
Chez le patient sain, la prise factice d’agents hypoglycémiants conduira à une hypoglycémie hyperinsulinique
exogène (insuline élevée). En cas de prise d’insuline
Procédure
– Le lendemain du test de jeûne ingestion au petit déjeuner mixte contenant 80 g
d’hydrates de carbone.
– Glycémie veineuse + prélèvement insuline, C-peptide, proinsuline aux 30 minutes
durant 5 h.
exogène le C-peptide et la proinsuline seront supprimés
(discordance) et lors de prise d’insulino-sécrétagogues
le C-peptide et la proinsuline seront élevés.
Tableau 4: Interprétation biologique chez patient avec hypoglycémie spontanée, durant test de jeun ou repas test.
Symptômes
et/ou signes
d’hypoglycémie
Glycémie
veineuse*
(mmol/l)
Insuline
C-peptide
(mUi/l)
(pmol/l)
Non
<3
<3
<200
Oui
<3
>>3
Oui
<3
Oui
Proinsuline
(pmol/l)
β-Hydroxybutyrate
(mmol/l)
Présence de
sulfonylurée
(± glinide)
Anticorps
anti-insuline
<5
>2,7
Non
Négatif
Normal
<200
<5
≤2,7
Non
Négatif §
Prise exogène d’insuline
(hyperinsulinisme exogène)
≥3
≥200
≥5
≤2,7
Non
Négatif
Insulinome, NIPHS, post
bypass gastrique
(hyperinsulinisme endogène)
<3
≥3
≥200
≥5
≤2,7
Oui
Négatif
Prise d’agents oraux hypoglycémiants
(hyperinsulinisme exogène)
Oui
<3
>>3
>>200
>>5
≤2,7
Non
Positif
Auto-immunité
(hyperinsulinisme endogène)
Oui
<3
<3
<200
<5
≤2,7
Non
Négatif
Probablement tumeur
sécrétant de l’IGF-II
(hypoglycémie hypoinsulinique)
Oui
<3
<3
<200
<5
>2,7
Non
Négatif
Situation de l’individu «malade»
(hypoglycémie hypoinsulinique
non médiée par IGF-II)
Interprétation
Abréviations: NIPHS = «non insulinoma pancreatogenous hypoglycemia syndrome», IGF = «insulin-like growth factor».
* Selon les recommandations européennes un seuil de glycémie <2,5 mmol/l est utilisé pour qualifié l’hypoglycémie.
§
Les anticorps anti-insuline peuvent être retrouvée si le patient à été exposé à de l’insuline exogène. Cependant à la différence de l’hypoglycémie auto-immune,
le C-peptide et la proinsuline seront bas dans cette situation.
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Bien que l’hypoglycémie hyperinsulinique endogène
Le syndrome d’hypoglycémie pancréatique non lié à
soit rare, elle peut être causée, par de nombreuses pa-
un insulinome («non insulinoma pancreatogenous hy-
thologies dont la plus fréquente est l’insulinome. Elles
poglycemia syndrome [NIPHS]») est une entité clinique
impliquent toutes un taux d’insuline inadéquatement
décrite pour la première fois en 1999 [1]. C’est une cause
élevé par rapport à la glycémie. L’hyperinsulinisme en-
rare d’hypoglycémie persistante de l’adulte caractérisée
dogène est confirmé par un taux plasmatique d’insu-
par un hyperinsulinisme endogène survenant principa-
line >3 mUi/l, un C-peptide >200 pmol/l et une proinsu-
lement en postprandial (prédominant chez l’homme).
line >5 pmol/l; ceci en présence d’une glycémie veineuse
Les anomalies histologiques retrouvées suggèrent une
<3 mmol/l (vs 2,5 mmol/l pour recommandations eu-
dysrégulation de la fonction des cellules β (hyperplasie
ropéennes) [1, 5].
diffuse combinée à une hypertrophie et une proliféra-
L’insulinome est une tumeur pancréatique rare
tion anormale des îlots appelée nésidioblastose). La
(1/250 000 patient/année) dérivée des cellules β et sécré-
cause chez l’adulte n’est pas connue (ce qui diffère de
tant de l’insuline de manière autonome, indépendam-
l’enfant ou des causes génétiques ont été identifiées) et
ment de la glycémie. Elle survient dans tous les groupes
son diagnostic définitif est uniquement histologique.
ethniques et à tout âge. Typiquement l’hypoglycémie
En effet, cliniquement et biologiquement il n’est pas
se manifeste à jeun (73%) bien qu’elle puisse également
possible de le distinguer d’un insulinome. L’imagerie
survenir en postprandial (6%) [1]. Sa localisation est
classique est souvent négative et ce n’est finalement
essentielle au traitement mais n’est pas toujours aisée
que lors d’une SPACI que l’hyperinsulinisme pancréa-
puisque 90% des insulinomes sont <2 cm. Les techniques
tique diffus peut être révélé (vs localisé en cas d’insuli-
d’imagerie standard (CT, IRM) ont une bonne sensibi-
nome non détecté auparavant). Le traitement est géné-
lité de détection (80% et 85%) et la combinaison de ces
ralement chirurgical par pancréatectomie subtotale
dernières à l’US pancréatique avoisine un taux de 100%.
[2, 8]. Les récidives postopératoires sont fréquentes
L’écho-endoscopie combinée à une ponction est inva-
tout comme la survenue de diabète postopératoire.
sive mais a montré une sensibilité de plus de 90% [3].
Des traitements par diazoxide, octréotide, corticoïdes
ou anticalciques ont été décrits [8].
L’insulinome est la cause la plus fréquente de
l’hypoglycémie hyperinsulinique endogène.
Les hypoglycémies réactionnelles postprandiales faisant suite à une chirurgie bariatrique (aussi nommé
«dumping syndrome» tardif) sont également à évo-
Enfin, lorsque ces examens sont négatifs, on peut recou-
quer. Bien que rares, elles sont très invalidantes et leur
rir à une stimulation artérielle pancréatique sélective
traitement est souvent difficile. Elles surviennent typi-
par le calcium («selective pancreatic arterial calcium
quement 1 à 3 ans après la chirurgie. Les hypothèses
injection [SPACI]»). Celle-ci consiste à localiser la lésion
physiopathologiques sont débattues et probablement
par un prélèvement veineux hépatique avec dosage de
multiples. Il faut évoquer une hyperfonction des cel-
l’insuline après cathétérisme et injection sélective de
lules β (nésidioblastose constatée histologiquement),
calcium (agent sécrétagogue) dans l’artère splénique,
une exagération de l’effet incrétine en réponse au re-
gastroduodénale et mésentérique supérieur. La scinti-
pas, une sur-sécrétion d’insuline après élévation rapide
graphie à l’octréotide (analogue marqué de la somatos-
de la glycémie sur vidange gastrique accélérée et une
tatine) a une sensibilité de 80% et est utile pour détecter
diminution de l’insulinorésistance liée à la perte pon-
des lésions métastatiques en cas de suspicion. D’autres
dérale [7]. Ces hypoglycémies répondent à des mesures
imageries fonctionnelles (18F-DOPA PET, 68-Ga-DOTA-
diététiques (repas fractionnés avec des aliments à in-
TOC, scintigraphie au GLP-1,…) sont prometteuses et
dex glycémique bas) ainsi qu’à l’utilisation d’inhibiteur
également utilisées dans des centres spécialisés [1, 2, 3].
de l’α-glucosidase (acarbose). Des traitements par dia-
L’insulinome est dans la grande majorité des cas bénin
zoxide, octréotide, anticalciques ou analogue du GLP-1
et son traitement curatif est chirurgical. Dans l’attente,
(pour inhiber la vidange gastrique) ont également
ou en cas de contre-indication à cette dernière, le re-
montré des réponses partielles [7]. Dans des cas ex-
cours à des traitements inhibant la sécrétion d’insu-
trêmes des réversions de bypass ont été effectués tout
line est possible (diazoxide, octréotide). Dans tous les
comme des pancréatectomies partielles.
cas une modification des habitudes alimentaires, dans
A noter que cette entité est à distinguer du «dumping
le but de prévenir les périodes de jeun prolongé, est né-
syndrome» classique précoce. Ce dernier est caracté-
cessaire. Les formes malignes, métastatique ou asso-
risé par la survenue postprandiale immédiate (15–
ciées à une néoplasie endocrinienne multiple de type 1
30 minutes) de diaphorèse, faiblesse, vertige et palpi-
sont rares (10%). L’approche est alors multidisciplinaire
tations consécutifs à une diminution du volume
(chirurgien, endocrinologue, oncologue) [1].
intravasculaire post ingestion de quantité importante
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Correspondance:
Prof. Dr méd. Jacques Philippe
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d’hydrates de carbone et non pas par une hypoglycémie
tation d’une EIM chez l’adulte. Certains symptômes et
directement.
signes cliniques clés vont orienter la démarche diag-
L’hypoglycémie hyperinsulinique auto-immune causée
nostique, tels que 1) la survenue de l’hypoglycémie
par des anticorps anti-insuline endogène est une mala-
(à jeun ou en postprandial), 2) l’association avec l’atteinte
die rare, prédominante chez les japonais et les coréens.
d’autres systèmes (ex: hépatomégalie, hypogonadisme,
Le lupus érythémateux disséminé, le myélome multi-
intolérance à l’effort avec éventuelle rhabdomyolyse,
CH-1211 Genève
ple et la recto-colite ulcéro-hémorragique (RCUH) en
dysmorphie) et 3) l’identification à l’anamnèse de fac-
jacques.philippe[at]hcuge.ch
sont des facteurs prédisposant [1]. Après le repas on note
teurs contributifs tels que les triggers cataboliques (ex:
initialement une hyperglycémie en raison de la liaison
fièvre, jeûne prolongé, infection, effort intense). Parmi
des anticorps à l’insuline. L’hypoglycémie est post-
les causes connues d’EIM pouvant engendrer des hypo-
prandiale tardive lorsque l’insuline endogène est à son
glycémies, nous citons les troubles du métabolisme
pic et que les anticorps se liant à cette dernière la re-
des hydrates de carbone (ex: intolérance héréditaire au
lâchent indépendamment de la glycémie. Biologique-
fructose, glycogénose, défaut de la gluconéogénèse),
Service d’endocrinologie,
diabétologie, hypertension
et nutrition,
Hôpitaux universitaires
de Genève
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
ment on retrouve des taux très élevés d’insuline, de
des lipides (ex: défaut de l’oxydation des acides gras) et
C-peptide et de proinsuline en présence d’une glycémie
plus rarement, des mutations de gènes codant pour le
basse. Cette constellation doit faire rechercher des
«monocarboxylate transporter 1», nécessaire au trans-
anticorps anti-insuline. Dans les formes peu graves le
port de pyruvate et lactate, causent des hypoglycémies
traitement repose sur des adaptations alimentaires
induites par l’exercice. La suspicion d’une EIM requiert
mais dans les formes plus sévères les options sont plus
les compétences d’un centre spécialisé afin d’entre-
limitées (corticothérapie, immunosuppression).
prendre la démarche diagnostique adéquate et éventuelle mise en place d’un traitement spécifique.
Les raretés
Depuis 2013, il existe en Suisse Romande une consulta-
A noter encore les hypoglycémies hyperinsulinique
tion dédiée à la prise en charge des patients adultes
congénitales causées par des anomalies de gènes régu-
avec EIM coordonnée par un médecin endocrinologue
lant la sécrétion d’insuline (ABCC8/KCNJ11) ou des mu-
établi sur deux sites (Centre hospitalier universitaire
tations activatrices de GLUT1, par exemple. Celles-ci
vaudois [CHUV] et Hôpitaux Universitaires de Genève
sont généralement diagnostiquées et traitées dans
[HUG]). Il est dès lors préconisé de référer à cette
l’enfance et ne font pas l’objet de cette revue.
consultation les patients avec hypoglycémie non dia-
Pour finir, il est essentiel de tenir compte des erreurs
bétique dont la cause reste indéterminée après les in-
innées du métabolisme (EIM) dans le diagnostic diffé-
vestigations de première ligne (fig. 1) [9].
rentiel des hypoglycémies non diabétiques. Les EIM
sont dues à des mutations de gènes codant pour des en-
Adresses utiles pour consultation des maladies
zymes du métabolisme et répondent à des traitements
métaboliques de l’adulte
spécifiques d’où l’importance d’en faire le diagnostic.
Même si rare, l’hypoglycémie peut être la 1ère manifes-
Référant Dresse Christel Tran
Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et
nutrition, HUG
Centre des maladies métaboliques moléculaires,
Département médico-chirurgical de pédiatrie, CHUV
L’essentiel pour la pratique
Disclosure statement
• L’hypoglycémie non diabétique (nommée également organique) est rare
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport
avec cet article.
mais représente un défi diagnostic.
• Le diagnostic d’hypoglycémie repose inconditionnellement sur la présence d’une triade de Whipple comprenant: une glycémie veineuse
Crédit photo
Molécule de la glucose, © Ollaweila | Dreamstime.com
<2,8 mmol/l + signes/symptômes neuroglycopéniques + résolution de
Références recommandées
ceux-ci après prise de sucre.
–
• Les étiologies les plus fréquentes restent une défaillance organique chez
un patient malade, l’insuffisance surrénalienne, les status après chirurgie digestive et l’insulinome.
• En présence d’hypoglycémies non diabétique prouvées mais sans pathologie sous-jacente retrouvée, il est important de penser aux erreurs
innées du métabolisme (EIM) et de référer son patient à un centre spécialisé dans le diagnostic et la prise en charge de ces patients.
SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE
2016;16(34):681–686
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Disorder: An endocrine Society Clinical Practice Guideline.
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Dufey A. Hypoglycémie non diabétique:diagnostic et prise en
charge. Revue Médical suisse 2013; 9: 1186–91.
La liste complète et numérotée des références est disponible
en annexe de l’article en ligne sur www.medicalforum.ch.
LITERATUR / RÉFÉRENCES Online-Appendix
Références
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SWISS MEDI CAL FO RUM
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hypoglycemia. Eur J Intern Med. 2014 Jun;25(5):415–21.
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