33257_1248_1251.qxp 15.5.2008 9:39 Page 1 mise au point Nouveautés dans l’immunothérapie du cancer Rev Med Suisse 2008 ; 4 : 1248-51 O. Michielin N. Rufer P. Romero J. Laurent J.-P. Cerottini D. Gugisberg S. Leyvraz D. Speiser New developments in cancer immunotherapy Recent progress unveiling the cellular and molecular basis of the immune response allows nowadays the design of novel therapies for tumor immunotherapy. These recent approaches translate into response rates that often surpass what can be obtained by conventional chemotherapies or targeted therapies. Here we present the main current developments with an accent on the Lausanne experience in the treatment of melanoma. First, the new developments of peptidebased vaccination are presented. Second, approaches related to adoptive transfer are illustrated with a particular attention for the patient conditioning using lymphodepletion. Finally, the Lausanne project of rational lymphocyte TCR optimization is described. 1248 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 Les progrès récents dans l’élucidation des bases cellulaires et moléculaires de la réponse immunitaire permettent désormais le design de thérapies novatrices pour l’immunothérapie des tumeurs. Ces approches récentes se traduisent en des taux de réponse qui surpassent souvent ce qui peut être obtenu par des chimiothérapies conventionnelles ou des thérapies ciblées. Nous présentons ici les principaux développements en cours avec un accent sur l’expérience lausannoise dans le traitement du mélanome. Premièrement, les nouveaux développements dans la vaccination peptidique sont présentés. Deuxièmement, les approches de type transfert adoptif sont illustrées avec une attention particulière pour le conditionnement du patient par lymphodéplétion. Finalement, le projet lausannois d’optimisation rationnelle du récepteur TCR des lymphocytes est décrit. INTRODUCTION Les premières preuves de l’implication des lymphocytes T dans la défense contre les tumeurs remontent à une vingtaine d’années, avec, chez l’homme, une activité antitumorale de lymphocytes prélevés au sein d’un mélanome et réinjectés au patient après une expansion in vitro.1 Depuis ces travaux de pionniers, des progrès importants ont été réalisés dans la compréhension des bases immunologiques moléculaires qui sont à l’origine de la réponse immune antitumorale. Ces progrès permettent désormais de mettre sur pied des thérapies innovatrices. Dans cette revue, nous allons présenter quelques-unes des approches les plus récentes, en décrivant plus particulièrement les travaux effectués à Lausanne. Les bases moléculaires nécessaires à la compréhension des nouvelles approches thérapeutiques sont récapitulées cidessous. BASES MOLÉCULAIRES DE LA RÉPONSE IMMUNITAIRE CELLULAIRE CONTRE LES TUMEURS Les lymphocytes T CD8+, ou cytotoxiques, sont les principales cellules effectrices de la réponse cellulaire antigène-spécifique. La recherche préclinique et clinique a démontré que ces cellules peuvent détruire des tumeurs solides. Dans ce qui suit, nous nous attacherons à faire le point sur la recherche et la manipulation de ces lymphocytes T CD8+. Par le biais d’un récepteur spécifique, le T cell receptor (TCR), les lymphocytes T CD8+ peuvent reconnaître des peptides antigéniques présentés à la surface des cellules par les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I (figure 1). Toutes les cellules saines présentent continuellement des peptides résultant de la dégradation par le protéasome des protéines intracytosoliques. Dans la cellule tumorale, les aberrations génétiques se traduisent en l’apparition de protéines anormales qui, par le processus décrit ci-dessus, vont amener Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 0 33257_1248_1251.qxp 15.5.2008 9:39 Page 2 à l’assemblage de peptides tumoraux anormaux avec les CMH de classe I. Les pathologies intracellulaires sont ainsi détectables à la surface de la cellule au moyen de ces signatures que représentent ces peptides tumoraux. Lorsqu’un lymphocyte reconnaît ces peptides, il est activé et détruit la cellule tumorale. La liste des peptides tumoraux identifiés à ce jour est très importante et ils sont encore très activement recherchés au niveau de plusieurs groupes dans le monde. Le site www.cancerimmunity.org présente une mise à jour continuelle de tous les peptides tumoraux connus. Sur la base de ces connaissances moléculaires, différentes approches thérapeutiques ont été élaborées. Les principales sont mentionnées ci-dessous. VACCINATION PEPTIDIQUE Figure 1. Présentation par les CMH de classe I de peptides tumoraux résultant de la dégradation des protéines cytoplasmiques p : peptide ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ; TCR : T cell receptor. La vaccination peptidique est l’une des premières approches d’immunothérapie spécifique, dont les premiers essais cliniques remontent à une quinzaine d’années. Par opposition au transfert adoptif de cellules T décrit plus bas, il s’agit d’un processus actif où une population de lymphocytes T CD8+ spécifiques est stimulée par l’injection dans le tissu sous-cutané d’un peptide et d’un adjuvant (figure 2). Un des aspects importants de la vaccination est de permettre une stimulation du système immunitaire à distance de la tumeur qui est capable de créer un environnement et d’exprimer des protéines empêchant l’action des lymphocytes. De nombreuses études cliniques faisant appel à Figure 2. Principes de la vaccination peptidique (1) Le peptide (sphère rouge) est injecté en sous-cutané sous forme d’une émulsion incluant l’adjuvant dans un membre sain. (2) Le peptide est présenté par les cellules dendritiques locales aux lymphocytes T CD8+. (3) Les lymphocytes T CD8+ spécifiques stimulés se multiplient. (4) Les lymphocytes T CD8+ attaquent la cellule tumorale qui présente le peptide de manière endogène. 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 1249 33257_1248_1251.qxp 15.5.2008 9:39 Page 3 Tableau 1. Principaux adjuvants utilisés Adjuvant Mécanisme P40 TLR2 Réponses des lymphocytes T CD8+ Référence Faible Non publié MPL + QS21 TLR4 Faible 2 Montanide Dépôt Moyen 3 Montanide + CPG Dépôt + TLR9 Fort 4 différents peptides ont été conduites dans le monde et à Lausanne. Les résultats récents montrent qu’un des aspects importants pour l’obtention de réponses significatives de lymphocytes T CD8+ spécifiques est le choix de l’adjuvant. Le tableau 1 résume les principaux adjuvants utilisés dans les études cliniques lausannoises. Comme indiqué dans ce tableau, ces adjuvants agissent fréquemment par stimulation des cellules dendritiques, rendant ces dernières plus performantes pour la présentation du peptide spécifique et pour la stimulation des lymphocytes T CD8+. L’activation des cellules dendritiques est possible par la stimulation de leurs TLR (Toll-like receptors). Différents récepteurs de ce type reconnaissent des patterns moléculaires de pathogènes (bactéries ou virus) qui sont importants pour la défense immunitaire contre des infections. Des nouvelles classes de médicaments ont été développées afin de stimuler les TLR d’une manière spécifique. Leur utilisation comme adjuvant en combinaison avec des antigènes spécifiques représente un grand progrès dans le développement des vaccins. Actuellement, un nouvel adjuvant (LAG-3), une molécule permettant à la fois une stimulation de la cellule dendritique ainsi que du lymphocyte T, est en cours d’évaluation avec des résultats très prometteurs. Peu d’études à large échelle ont été entreprises pour l’instant. Il faut toutefois citer l’étude de vaccination avec la protéine Mage-3 dans les cancers du poumon. Basée sur les résultats encourageants de la phase II, une étude de phase III est en cours pour évaluer un possible bénéfice en termes de survie sans progression et/ou de survie globale. TRANSFERT ADOPTIF Si les premiers essais cliniques de transfert adoptif remontent à une vingtaine d’années,1 ce n’est que récemment que des progrès significatifs en termes de réponses cliniques ont été réalisés. Un des facteurs-clés dans l’amélioration des réponses est le conditionnement du patient avant la réimplantation du greffon, comme illustré dans la figure 3. Une telle approche a permis d’amener le taux de réponse clinique à plus de 50% chez des patients métastatiques,5 faisant de cette approche le traitement le plus efficace à l’heure actuelle, toutes modalités confondues. La nouveauté est le rajout, avant la réinjection des cellules, d’une chimiothérapie dont le but n’est pas une toxicité pour les cellules tumorales, mais, paradoxalement, pour les lymphocytes du patient. L’élimination des lymphocytes permet en effet d’empêcher l’action des cellules T régulatrices qui limitent la réexpan- 1250 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 Figure 3. Schéma général d’une approche de type transfert adoptif avec conditionnement (1) Les lymphocytes sont prélevés du patient et mis en culture cellulaire (2). Le patient reçoit une chimiothérapie de conditionnement pour créer une lymphodéplétion (3) et permettre une meilleure réexpansion du greffon après sa réinjection (4). sion massive du greffon. Les aspects principaux de ces approches sont résumés dans une excellente revue récente.6 A Lausanne, une modification de ces approches est actuellement en cours d’essai clinique.7 La particularité de l’étude lausannoise est d’associer une vaccination peptidique intensive juste après la réinjection des cellules, afin de favoriser une expansion des lymphocytes spécifiques contre la tumeur. De nouvelles évolutions de cette approche sont en cours d’étude. MODIFICATIONS RATIONNELLES DE TCR Le transfert adoptif permet des modifications génétiques des lymphocytes prélevés, comme illustré dans la figure 4. Un TCR particulier peut en effet être incorporé dans les lymphocytes du patient pour procurer une spécificité immune particulière. Des travaux récents 8 ont montré qu’une telle stratégie était faisable et que les cellules modifiées pouvaient survivre une fois réimplantées chez le patient. Toutefois, le pool des lymphocytes circulants peut ne pas contenir de TCR de haute affinité pour un complexe peptide-CMH donné, en particulier lorsque le peptide tumoral est un peptide self. Pour ces raisons, il peut être intéressant de modifier rationnellement la séquence du TCR afin d’augmenter son efficacité. Dans ce but, un large projet a débuté il y a plus de quatre ans à Lausanne, dont la finalité est la génération de TCR optimisés pour différents complexes peptide-CMH. Une approche in silico basée sur des simulations de dynamique moléculaire est utilisée pour déterminer les résidus-clés à modifier.9 Cette méthode appliquée à un Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 0 33257_1248_1251.qxp 15.5.2008 9:39 Page 4 métastatique.6 Néanmoins, les modalités cliniques de l’immunothérapie doivent encore être optimisées, afin d’atteindre de meilleures réponses immunitaires et cliniques. Grâce aux progrès réalisés ces dernières années, de nouvelles approches sont en cours dans le cadre d’essais cliniques académiques basés sur un petit nombre de patients. Ces résultats sont attendus avec beaucoup d’impatience. En parallèle, des essais à plus large échelle sont en cours d’évaluation par l’industrie pharmaceutique. Il est raisonnable d’espérer une bonne complémentarité, ou même une synergie, entre les études académiques et pharmaceutiques, dans le but de proposer des thérapies de plus en plus performantes pour les patients. Figure 4. Schéma général d’une approche thérapeutique par transfert adoptif avec lymphocytes modifiés (1) Des lymphocytes T CD8+ sont prélevés chez le patient. (2) Ils sont transfectés avec un TCR optimisé. (3) Ces cellules transfectées sont multipliées in vitro. (4) Un conditionnement est effectué chez le patient. (5) Les cellules sont réinjectées. TCR spécifique pour le peptide NY-ESO-1 (www.cancerimmunity.org) a permis de générer des dizaines de séquences dont l’affinité est supérieure au TCR de départ. Ces séquences ont été réintroduites dans des lymphocytes et les modifications fonctionnelles de ces derniers sont en cours d’analyse. Ces cellules semblent proliférer plus rapidement après une stimulation spécifique par la tumeur et leur activité antitumorale semble améliorée, même si ces résultats demandent confirmation. CONCLUSION L’immunothérapie représente à l’heure actuelle le traitement le plus efficace dans la thérapie du mélanome Adresses Prs Olivier Michielin et Serge Leyvraz Drs Julien Laurent, Jean-Philippe Cerottini et David Guggisberg Centre pluridisciplinaire d’oncologie (CePO) CHUV, 1011 Lausanne Pr Olivier Michielin Dr Nathalie Rufer Centre national de compétence en recherche (NCCR) Oncologie moléculaire 1011 Lausanne Pr Olivier Michielin Institut suisse de bioinformatique (SIB), Lausanne Prs Olivier Michielin et Daniel Speiser Dr Pedro Romero Institut Ludwig de recherche sur le cancer (LICR), Branche Lausannoise Ch. des Boveresses 155 1066 Epalinges [email protected] Bibliographie 1 Rosenberg SA, et al. Use of tumor-infiltrating lymphocytes and interleukin-2 in the immunotherapy of patients with metastatic melanoma. A preliminary report. N Engl J Med 1988;319:1676-80. 2 Lienard D, et al. Ex vivo detectable activation of Melan-A-specific T cells correlating with inflammatory skin reactions in melanoma patients vaccinated with peptides in IFA. Cancer Immun 2004;4:4. 3 * Romero P, Cerottini JC, Speiser DE. The human T cell response to melanoma antigens. Adv Immunol 2006; 92:187-224. 4 * Speiser DE, et al. Rapid and strong human CD8+ T cell responses to vaccination with peptide, IFA, and 0 CpG oligodeoxynucleotide 7909. J Clin Invest 2005; 115:739-46. 5 ** Dudley ME, et al. Adoptive cell transfer therapy following non-myeloablative but lymphodepleting chemotherapy for the treatment of patients with refractory metastatic melanoma. J Clin Oncol 2005;23:2346-57. 6 ** Rosenberg SA, Restifo NP, Yang JC, Morgan RA, Dudley ME. Adoptive cell transfer : A clinical path to effective cancer immunotherapy. Nat Rev Cancer 2008; 8:299-308. 7 Appay V, et al. Combination of transient lymphodepletion with busulfan and fludarabine and peptide vaccination in a phase I clinical trial for patients with Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 advanced melanoma. J Immunother 2007;30:240-50. 8 * Morgan RA, et al. Cancer regression in patients after transfer of genetically engineered lymphocytes. Science 2006;314:126-9. 9 Zoete V, Michielin O. Comparison between computational alanine scanning and per-residue binding free energy decomposition for protein-protein association using MM-GBSA : Application to the TCR-p-MHC complex. Proteins 2007;67:1026-47. * à lire ** à lire absolument Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mai 2008 1251