O. Michielin
N. Rufer
P. Romero
J. Laurent
J.-P. Cerottini
D. Gugisberg
S. Leyvraz
D. Speiser
INTRODUCTION
Les premières preuves de l’implication des lymphocytes T dans
la défense contre les tumeurs remontent à une vingtaine d’an-
nées, avec, chez l’homme, une activité antitumorale de lym-
phocytes prélevés au sein d’un mélanome et réinjectés au
patient après une expansion in vitro.1Depuis ces travaux de
pionniers, des progrès importants ont été réalisés dans la
compréhension des bases immunologiques moléculaires qui sont à l’origine de
la réponse immune antitumorale. Ces progrès permettent désormais de mettre
sur pied des thérapies innovatrices. Dans cette revue, nous allons présenter
quelques-unes des approches les plus récentes, en décrivant plus particulière-
ment les travaux effectués à Lausanne. Les bases moléculaires nécessaires à la
compréhension des nouvelles approches thérapeutiques sont récapitulées ci-
dessous.
BASES MOLÉCULAIRES DE LA RÉPONSE IMMUNITAIRE
CELLULAIRE CONTRE LES TUMEURS
Les lymphocytes T CD8+, ou cytotoxiques, sont les principales cellules effec-
trices de la réponse cellulaire antigène-spécifique. La recherche préclinique et
clinique a démontré que ces cellules peuvent détruiredes tumeurs solides. Dans
ce qui suit, nous nous attacherons à faire le point sur la recherche et la manipu-
lation de ces lymphocytes T CD8+.
Par le biais d’un récepteur spécifique, le
Tcell receptor
(TCR), les lymphocytes
TCD8+ peuvent reconnaîtredes peptides antigéniques présentés à la surface
des cellules par les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH)
de classe I (figure1).Toutes les cellules saines présentent continuellement des
peptides résultant de la dégradation par le protéasome des protéines intracyto-
soliques.
Dans la cellule tumorale, les aberrations génétiques se traduisent en l’appa-
rition de protéines anormales qui, par le processus décrit ci-dessus, vont amener
New developments in cancer
immunotherapy
Recent progress unveiling the cellular and
molecular basis of the immune response
allows nowadays the design of novel thera-
pies for tumor immunotherapy. These recent
approaches translate into response rates that
often surpass what can be obtained by con-
ventional chemotherapies or targeted thera-
pies. Here we present the main current deve-
lopments with an accent on the Lausanne
experience in the treatment of melanoma.
First, the new developments of peptide-
based vaccination are presented. Second,
approaches related to adoptive transfer are
illustrated with a particular attention for the
patient conditioning using lymphodepletion.
Finally, the Lausanne project of rational lym-
phocyte TCR optimization is described.
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Les progrès récents dans l’élucidation des bases cellulaires et
moléculaires de la réponse immunitaire permettent désormais
le design de thérapies novatrices pour l’immunothérapie des
tumeurs. Ces approches récentes se traduisent en des taux de
réponse qui surpassent souvent ce qui peut êtreobtenu par
des chimiothérapies conventionnelles ou des thérapies ciblées.
Nous présentons ici les principaux développements en cours
avec un accent sur l’expérience lausannoise dans le traitement
du mélanome. Premièrement, les nouveaux développements
dans la vaccination peptidique sont présentés. Deuxièmement,
les approches de type transfert adoptif sont illustrées avec
une attention particulière pour le conditionnement du patient
par lymphodéplétion. Finalement, le projet lausannois d’opti-
misation rationnelle du récepteur TCR des lymphocytes est
décrit.
Nouveautés dans l’immuno-
thérapie du cancer
mise au point
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àl’assemblage de peptides tumoraux anormaux avec les
CMH de classe I. Les pathologies intracellulaires sont ainsi
détectables à la surface de la cellule au moyen de ces
signatures que représentent ces peptides tumoraux. Lors-
qu’un lymphocyte reconnaît ces peptides, il est activé et
détruit la cellule tumorale.
La liste des peptides tumoraux identifiés à ce jour est
très importante et ils sont encore très activement recher-
chés au niveau de plusieurs groupes dans le monde. Le
site www.cancerimmunity.org présente une mise à jour
continuelle de tous les peptides tumoraux connus.
Sur la base de ces connaissances moléculaires, différen-
tes approches thérapeutiques ont été élaborées. Les prin-
cipales sont mentionnées ci-dessous.
VACCINATION PEPTIDIQUE
La vaccination peptidique est l’une des premières ap-
proches d’immunothérapie spécifique, dont les premiers
essais cliniques remontent à une quinzaine d’années. Par
opposition au transfert adoptif de cellules T décrit plus
bas, il s’agit d’un processus actif où une population de
lymphocytes T CD8+ spécifiques est stimulée par l’injec-
tion dans le tissu sous-cutané d’un peptide et d’un adjuvant
(figure 2).
Un des aspects importants de la vaccination est de per-
mettreune stimulation du système immunitaire à distance
de la tumeur qui est capable de créer un environnement
et d’exprimer des protéines empêchant l’action des lym-
phocytes. De nombreuses études cliniques faisant appel à
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Figure 1. Présentation par les CMH de classe I de
peptides tumoraux résultant de la dégradation des
protéines cytoplasmiques
p : peptide ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité; TCR : T cell
receptor.
Figure2. Principes de la vaccination peptidique
(1) Le peptide (sphère rouge) est injecté en sous-cutané sous forme d’une émulsion incluant l’adjuvant dans un membre sain. (2) Le peptide est présenté
par les cellules dendritiques locales aux lymphocytes TCD8+. (3) Les lymphocytes T CD8+ spécifiques stimulés se multiplient. (4) Les lymphocytes T CD8+
attaquent la cellule tumorale qui présente le peptide de manièreendogène.
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différents peptides ont été conduites dans le monde et à
Lausanne. Les résultats récents montrent qu’un des aspects
importants pour l’obtention de réponses significatives de
lymphocytes T CD8+ spécifiques est le choix de l’adju-
vant. Le tableau 1 résume les principaux adjuvants utilisés
dans les études cliniques lausannoises.
Comme indiqué dans ce tableau, ces adjuvants agissent
fréquemment par stimulation des cellules dendritiques,
rendant ces dernières plus performantes pour la présenta-
tion du peptide spécifique et pour la stimulation des lym-
phocytes T CD8+. L’activation des cellules dendritiques
est possible par la stimulation de leurs TLR
(Toll-like recep-
tors)
.Différents récepteurs de ce type reconnaissent des
patterns moléculaires de pathogènes (bactéries ou virus)
qui sont importants pour la défense immunitaire contre
des infections. Des nouvelles classes de médicaments ont
été développées afin de stimuler les TLR d’une manière
spécifique. Leur utilisation comme adjuvant en combinai-
son avec des antigènes spécifiques représente un grand
progrès dans le développement des vaccins.
Actuellement, un nouvel adjuvant (LAG-3), une molé-
cule permettant à la fois une stimulation de la cellule den-
dritique ainsi que du lymphocyte T, est en cours d’évalua-
tion avec des résultats très prometteurs.
Peu d’études à large échelle ont été entreprises pour
l’instant. Il faut toutefois citer l’étude de vaccination avec la
protéine Mage-3 dans les cancers du poumon. Basée sur
les résultats encourageants de la phase II, une étude de
phase III est en cours pour évaluer un possible bénéfice en
termes de survie sans progression et/ou de survie globale.
TRANSFERT ADOPTIF
Si les premiers essais cliniques de transfertadoptif re-
montent à une vingtaine d’années,1ce n’est que récem-
ment que des progrès significatifs en termes de réponses
cliniques ont été réalisés.
Un des facteurs-clés dans l’amélioration des réponses
est le conditionnement du patient avant la réimplantation
du greffon, comme illustré dans la figure 3.Une telle appro-
che a permis d’amener le taux de réponse clinique à plus
de 50% chez des patients métastatiques,5faisant de cette
approche le traitement le plus efficace à l’heureactuelle,
toutes modalités confondues. La nouveauté est le rajout,
avant la réinjection des cellules, d’une chimiothérapie dont
le but n’est pas une toxicité pour les cellules tumorales,
mais, paradoxalement, pour les lymphocytes du patient.
L’élimination des lymphocytes permet en effet d’empêcher
l’action des cellules T régulatrices qui limitent la réexpan-
sion massive du greffon. Les aspects principaux de ces ap-
proches sont résumés dans une excellente revue récente.6
ALausanne, une modification de ces approches est
actuellement en cours d’essai clinique.7La particularité de
l’étude lausannoise est d’associer une vaccination pepti-
dique intensive juste après la réinjection des cellules, afin
de favoriser une expansion des lymphocytes spécifiques
contre la tumeur. De nouvelles évolutions de cette appro-
che sont en cours d’étude.
MODIFICATIONS RATIONNELLES DE TCR
Le transfertadoptif permet des modifications généti-
ques des lymphocytes prélevés, comme illustré dans la
figure 4. Un TCR particulier peut en effet être incorporé
dans les lymphocytes du patient pour procurer une spéci-
ficité immune particulière. Des travaux récents8ont montré
qu’une telle stratégie était faisable et que les cellules mo-
difiées pouvaient survivre une fois réimplantées chez le
patient. Toutefois, le pool des lymphocytes circulants peut
ne pas contenir de TCR de haute affinité pour un complexe
peptide-CMH donné, en particulier lorsque le peptide
tumoral est un peptide self. Pour ces raisons, il peut être
intéressant de modifier rationnellement la séquence du
TCR afin d’augmenter son efficacité. Dans ce but, un large
projet a débuté il y a plus de quatre ans à Lausanne, dont
la finalité est la génération de TCR optimisés pour dif-
rents complexes peptide-CMH.
Une approche
in silico
basée sur des simulations de
dynamique moléculaireest utilisée pour déterminer les
résidus-clés à modifier.9Cette méthode appliquée à un
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Adjuvant Mécanisme Réponses des Référence
lymphocytes T
CD8+
P40 TLR2 Faible Non publié
MPL + QS21 TLR4 Faible 2
Montanide Dépôt Moyen 3
Montanide + CPG Dépôt + TLR9 Fort 4
Tableau 1. Principaux adjuvants utilisés
Figure 3. Schéma général d’une approche de type
transfert adoptif avec conditionnement
(1) Les lymphocytes sont prélevés du patient et mis en culture cellulaire (2).
Le patient reçoit une chimiothérapie de conditionnement pour créer une
lymphodéplétion (3) et permettre une meilleure réexpansion du greffon
après sa réinjection (4).
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TCR spécifique pour le peptide NY-ESO-1 (www.cancerim-
munity.org) a permis de générer des dizaines de séquen-
ces dont l’affinité est supérieure au TCR de départ. Ces
séquences ont été réintroduites dans des lymphocytes et
les modifications fonctionnelles de ces derniers sont en
cours d’analyse. Ces cellules semblent proliférer plus rapi-
dement après une stimulation spécifique par la tumeur et
leur activité antitumorale semble améliorée, même si ces
résultats demandent confirmation.
CONCLUSION
L’immunothérapie représente à l’heure actuelle le trai-
tement le plus efficace dans la thérapie du mélanome
métastatique.6Néanmoins, les modalités cliniques de l’im-
munothérapie doivent encore être optimisées, afin d’at-
teindre de meilleures réponses immunitaires et cliniques.
Grâce aux progrès réalisés ces dernières années, de nou-
velles approches sont en cours dans le cadre d’essais cli-
niques académiques basés sur un petit nombre de patients.
Ces résultats sont attendus avec beaucoup d’impatience.
En parallèle, des essais à plus large échelle sont en cours
d’évaluation par l’industrie pharmaceutique. Il est raison-
nable d’espérer une bonne complémentarité, ou même
une synergie, entre les études académiques et pharma-
ceutiques, dans le but de proposer des thérapies de plus
en plus performantes pour les patients.
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Prs Olivier Michielin et Serge Leyvraz
Drs Julien Laurent, Jean-Philippe Cerottini
etDavid Guggisberg
Centre pluridisciplinaire d’oncologie (CePO)
CHUV, 1011 Lausanne
Pr Olivier Michielin
DrNathalie Rufer
Centre national de compétence en recherche (NCCR)
Oncologie moléculaire
1011 Lausanne
PrOlivier Michielin
Institut suisse de bioinformatique (SIB), Lausanne
Prs Olivier Michielin et Daniel Speiser
Dr Pedro Romero
Institut Ludwig de recherche sur le cancer (LICR),
Branche Lausannoise
Ch. des Boveresses 155
1066 Epalinges
Adresses
1Rosenberg SA, et al. Use of tumor-infiltrating lym-
phocytes and interleukin-2 in the immunotherapy of pa-
tients with metastatic melanoma.Apreliminary report.
NEngl J Med 1988;319:1676-80.
2Lienard D, et al. Ex vivo detectable activation of
Melan-A-specific T cells correlating with inflammatory
skin reactions in melanoma patients vaccinated with
peptides in IFA. Cancer Immun 2004;4:4.
3* Romero P, Cerottini JC, Speiser DE. The human T
cell response to melanoma antigens.Adv Immunol 2006;
92:187-224.
4* Speiser DE, et al. Rapid and strong human CD8+
Tcell responses to vaccination with peptide, IFA, and
CpG oligodeoxynucleotide 7909. J Clin Invest 2005;
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5** DudleyME, et al.Adoptive cell transfer therapy
following non-myeloablative but lymphodepleting che-
motherapy for the treatment of patients with refractory
metastatic melanoma. J Clin Oncol 2005;23:2346-57.
6 ** Rosenberg SA, Restifo NP, Yang JC, Morgan RA,
Dudley ME. Adoptive cell transfer: A clinical path to
effective cancer immunotherapy. Nat Rev Cancer 2008;
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7Appay V, et al. Combination of transient lymphode-
pletion with busulfan and fludarabine and peptide vac-
cination in a phase I clinical trial for patients with
advanced melanoma. J Immunother 2007;30:240-50.
8*Morgan RA, et al. Cancer regression in patients
after transfer of genetically engineered lymphocytes.
Science 2006;314:126-9.
9Zoete V, Michielin O.Comparison between compu-
tational alanine scanning and per-residue binding free
energy decomposition for protein-protein association
using MM-GBSA:Application to the TCR-p-MHC com-
plex. Proteins 2007;67:1026-47.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Figure 4. Schéma général d’une approche thérapeu-
tique par transfert adoptif avec lymphocytes modifiés
(1) Des lymphocytes T CD8+ sont prélevés chez le patient. (2) Ils sont
transfectés avec un TCR optimisé. (3) Ces cellules transfectées sont multi-
pliées in vitro. (4) Un conditionnement est effectué chez le patient. (5) Les
cellules sont réinjectées.
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